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UN JOURNALISTE MILITANT ALLEMAND EXPULSÉ DE FRANCE

Répression

Lien publiée le 20 août 2019

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://lundi.am/Un-journaliste-militant-allemand-expulse-de-France

Alors que le G7 de Biarritz approche à grands pas, le ministère de l’Intérieur se lance dans quelques étonnantes menées répressives. Le 9 août dernier, Luc un journaliste indépendant et militant allemand, est interpellé par des policiers de la BAC à Dijon. L’homme est alors placé en garde à vue, probablement sans motifs légaux ni valables. Il apprend alors qu’un arrêté a été pris par le ministère de l’Intérieur qui l’interdit de séjour en France jusqu’au 29 août, à savoir jusqu’à la fin du sommet du G7. Il est donc expulsé vers l’Allemagne.

Que lui reproche-t-on ? Des soupçons quant à sa participation au G20 de Hambourg et un contrôle d’identité près de Bure où se mène une lutte contre un centre d’enfouissement de déchets nucléaires. Evidemment, rien de tout cela n’a besoin d’être étayé ni ne peut être contesté par l’intéressé étant donné qu’il s’agit d’une décision administrative prise unilatéralement et sans contrôle d’un juge indépendant par le ministère de M. Castaner. Soulignons que cet incroyable pouvoir discrétionnaire de la police se fonde sur l’article 214-1 du Ceseda (code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile), innovation antiterroriste de 2014 qui prévoit qu’un ressortissant européen puisse « faire l’objet d’une interdiction administrative du territoire lorsque sa présence en France constituerait, en raison de son comportement personnel, du point de vue de l’ordre ou de la sécurité publics, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société ». 
Nous avons interrogé Luc afin d’évaluer la menace « réelle, actuelle et suffisamment grave » qu’il représente pour nos intérêts fondamentaux.

[ Mise à jour : Ce matin devait se tenir l’audience en référé sur l’arrêté d’interdiction administrative du territoire devant le tribunal administratif de Paris. Elle n’a finalement pas eu lieu car la représentante du ministère de l’Intérieur a informé le tribunal et l’avocate de Luc que l’arrêté du 18 juillet avait été abrogé. Cette décision d’abroger l’arrêté visant Luc 5 minutes avant l’audience s’explique par le fait que le ministre savait son illégalité. Muriel Ruef, avocate de Luc entendait, en effet, soutenir que l’arrêté portant interdiction administrative du territoire était illégale car adopté alors que Luc était présent en France. Dans cette hypothèse, l’étranger que l’on souhaite « exclure » du territoire ne peut en réalité que faire l’objet d’un arrêté d’expulsion ce qui implique notamment la saisine d’une commission spéciale et donc une forme de contradictoire préalable à la remise à la frontière. L’arrêté ayant ainsi été abrogé, le juge n’a pas pu statuer, et Luc devrait, en théorie, pouvoir revenir en France. Tel ne semble pourtant pas être le cas, car le ministère a informé « en off » l’avocate de Luc qu’un nouvel arrêté d’interdiction administrative avait déjà été établi, probablement sur les mêmes motifs, mais légal cette fois car Luc est désormais hors du territoire... Mais pour avoir connaissance de ce nouvel arrêté Luc devra revenir en France où il sera alors surement accueilli par la police qui ne manquera pas alors de le réexpulser. Ajoutons que selon nos informations, le ministère s’apprêterait à dégainer de nombreux autres arrêtés similaires contre des opposants. ]

lundimatin : Bonjour, vous avez été interpellé et expulsé de France le 9 août dernier pouvez-vous nous expliquer dans quelles conditions cette expulsion s’est déroulée ? Aviez-vous été avisé que vous étiez sous le coup d’un arrêté d’interdiction du territoire français depuis le 18 juillet ? Sur quels éléments ces décisions administratives d’interdiction du territoire puis d’expulsion, reposent-elles selon vous et selon les documents que l’on vous a fourni ?

Luc : Au départ on aurait dit un contrôle routier, un peu sportif certes, puisque la BAC de Dijon a débarqué en mode shérif, moteur hurlant, gyrophares etc. Durant la fouille, vers 18 heures 20, le chef a vérifié ma carte grise pour ensuite dire : "fiché S, on embarque...". Le fondement était très nébuleux pour moi, au départ ils parlaient de "vérification du droit de séjour", puis ça a été 22 heures assez sombres, dans un cachot assez dégueu. Il faut cependant dire que toutes les autres personnes en rétention administrative étaient clairement moins bien traités que moi. C’est un cadre ultra bureaucratique, déshumanisant et raciste – l’endroit le plus prussien de France selon mon ressenti. Pour moi ça a été visite médicale, avocat et traductrice, interrogatoire peu fertile avec une OPJ vers minuit – puis beaucoup de sommeil. Le chef de la BAC m’a réveillé pour me faire signer des papiers qu’il voulait pas me faire lire, et d’ailleurs je n’avais pas mes lunettes. Mais de toutes façons, je ne voulais rien signer car je m’imaginais à ce moment-là qu’ils voulaient me faire avouer on ne sait quel mensonge pour construire des charges contre moi,- la présence de drogue ou d’explosifs dans ma voiture, que sais-je ? La situation était tellement hollywoodienne. Quoi qu’il en soit, je n’avais pas la moindre idée de ce que l’on me reprochait ni que le ministère de l’Intérieur avait décrété depuis trois semaines que j’étais persona non grata en France. Ça aurait pourtant été facile de me faire parvenir ces arrêtés vu que je travaille régulièrement en France et qu’à cette période là j’étais quotidiennement à Dijon. Mais peut-être n’étais-je pas si dangereux que cela.

Quant à l’argumentaire qui fonde ces décisions, il est d’autant plus absurde. D’abord, on évoque des "soupçons" quant à ma participation aux émeutes survenues durant le G20 de Hambourg l’été dernier. Le second élément « à charge » c’est un contrôle d’identité au Bois LeJuc, dans la Commune de Mandres-en-Barrois dans la Meuse. Je ne savais pas qu’un simple contrôle d’identité pouvait avoir des conséquences aussi liberticides. Mais je pouvais m’attendre à-ce qu’on agisse de manière démesurée à l’encontre de celles et ceux que l’on soupçonne de critiquer le nucléaire ou des sommets comme le G20 ou le G7.

Votre interdiction du territoire prendra fin le 29 août, soit juste après la fin de la mobilisation contre le G7 de Biarritz, pensez-vous que cette décision a pour but de vous empêcher de vous y rendre en tant que journaliste militant ?

Ça semble super clair. Le gouvernement français veut tout mettre en œuvre pour qu’aucune activité critique, et surtout médiatique, ne vienne perturber son show. L’opposition à leur système est grandissante, et maintenant que l’évolution de la soumission capitaliste des humains et de la terre arrive à son comble et devient intenable, ce sont ces mêmes personnes au pouvoir qui prétendent vouloir gérer la transition. Ils veulent un super greenwashing qui permettrait aux consommateurs de toujours consommer mais mieux, une industrie plus écolo et des guerres sociales et solidaires. Dans un tel contexte, il faut déployer des moyens complètement disproportionnés pour garder le pouvoir et faire leur spectacle. On ne s’étonnera donc pas que des journalistes engagés soient considérés comme des ennemis. Et malheureusement on s’y habitue. La traque ahurissante de militants de gauche de tous bords comme les atteintes directes aux libertés de la presse font désormais parti du quotidien européen. Des lois légalisent la censure, les petits journaux et médias indépendants ferment ou se font fermer. La liberté de la presse est bafouée et vue comme un problème pour le projet néolibéral, prêt à se mettre en scène comme sauveur de la planète et des Droits de l’Homme.

Le ministère de l’Intérieur fonde son arrêté sur l’article 214-1 du Ceseda (code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) qui depuis les nouvelles mesures antiterroristes de 2014 prévoit qu’un ressortissant européen « faire l’objet d’une interdiction administrative du territoire lorsque sa présence en France constituerait, en raison de son comportement personnel, du point de vue de l’ordre ou de la sécurité publics, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société ». Pensez-vous constituer une menace réelle, actuelle et grave pour la société française ?

Franchement, c’est étonnant de faire une telle analyse d’un petit activiste comme moi. C’est un peu flatteur aussi, mais blague à part, je pense que c’est l’Etat actuel et des shérifs comme Christophe Castaner qui oeuvrent à la fin de la démocratie et menacent quotidiennement les intérêts fondamentaux de notre société. Vu la casse sociale, vu la politique raciste et capitaliste outrancière en vogue, il s’agirait d’analyser le comportement personnel de ces patriarches et de laisser tranquille les gens qui luttent pour des alternatives à la monotonie médiatique, aux sommets des puissants et à l’inutile folie d’un stockage nucléaire dans les couches profondes de la Meuse.

Vous comptez contester cette décision devant le tribunal administratif de Paris ce vendredi 16 août, serez-vous présent à l’audience ? Qu’en attendez-vous ?

En effet, il parait qu’en théorie, c’est un droit fondamental de pouvoir assister à son propre procès. Mais au vu de la menace de 3 ans d’emprisonnement qui pèse sur moi si je me rends sur le territoire français et de ce que j’ai pu voir ces derniers jours de l’état de droit, j’ai plutôt peur d’aller à Paris. Je vais donc bien sagement attendre la décision du tribunal administratif et je pense me rendre à Biarritz dès que ce sera tranché afin de réaliser mes reportages prévus pour RDL[[Non de la radio allemande pour laquelle Luc travaille.] et d’autres médias sur place. Qu’attendre d’un tel procès ? Eh bien, qu’ils appliquent le droit et fassent sauter une interdiction du territoire fondée sur du vent. Si on gagne ce procès, ça m’aidera peut-être à croire un peu en la justice, vu que le ministère de l’Intérieur et sa police ont tout fait pour que je les déteste. Si on perd, et bien je crois que je n’aurais plus vraiment de raison de croire en la justice française. j’avais pas encore l’occasion de faire ces associations d’idées par rapport à un cas personnel auparavant. Ce que je vois en tous cas, dans la société française aujourd’hui, c’est que leur vieux monde, avec ou sans sommets, a besoin d’un bon abordage à tous les niveaux.