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Marx, Heidegger et Matteo Salvini

Lien publiée le 21 août 2019

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://aplutsoc.org/2019/08/21/marx-heidegger-et-matteo-salvini/

Nota :

Ce billet est une présentation d’un épais article du même nom paru sur le blog personnel de Vincent Présumey sur le site de Mediapart.

«Marx, Heidegger et Matteo Salvini» a été écrit début août. A peine était-il terminé qu’il fallut le retoucher a minima car Matteo Salvini a fait ce qui était attendu depuis des mois : annoncer la rupture de la coalition de son parti, la Lega, avec le Movimiento Cinque Stelle, pour imposer des élections anticipées qu’il espère gagner, en alliance cette fois-ci avec les fascistes de Fratelli d’Italia et la droite libérale de Forza Italia (S. Berlusconi ), en vue d’obtenir les «pleins pouvoirs».

Or, cet article est consacré au dernier livre d’un idéologue qui apparaissait comme le conseiller officieux des deux composantes du gouvernement Lega/Cinque Stelle. Diego Fusaro passe, certes, et à juste titre, pour un fumiste dans beaucoup de milieux académiques italiens. Mais il était tout de même le «théoricien» de l’alliance «antisystème» au pouvoir en Italie depuis 2018. Et ce «théoricien» passe pour un «spécialiste de Marx» et pour la dernière incarnation en date de ce qu’il est convenu d’appeler la «philosophie de la praxis», laquelle serait un phénomène spécifiquement «italien» consistant dans une approche des plus «hérétiques» et «novatrices» de Marx : ainsi le présente son principal interprète français, Denis Collin, qui semble même assez admiratif. Il est vrai que Diego Fusaro semblait avoir réussi dans un champ d’activité (le conseil aux grands chefs ) dans lequel Denis Collin a été, dernièrement, déçu, puisque J.L. Mélenchon ne s’est pas pleinement inspiré de sa pensée profonde en matière de ligne «nationale-souverainiste» et «sociale-nationale», alors que Diego Fusaro, selon Le Figaro était «l’homme qui parle à l’oreille de Salvini» ainsi d’ailleurs que de M.M. Conte et Di Maio !

Était … D. Fusaro était ou passait pour être un coach multipolaire, moderne, résolument moderne, BHL national-souverainiste et «marxo-heideggérien», coachant de manière plurielle et pluraliste les figures du pouvoir «antisystème» de Di Maio à Salvini. Ils sont forts, ces «penseurs» «italiens» de la «praxis» : déjà G. Gentile (dont les divagations de D. Fusaro sur «Marx idéaliste» dérivent directement ) avait réussi à coacher Benito Mussolini (il avait tellement bien réussi que les partisans ne l’ont pas raté, en 44 !). Heidegger, lui, a eu plus de mal avec Hitler !

Notons bien, d’ailleurs, que sur la question de la détestation des migrants, du blocage de leur accès aux ports européens, pour les laisser entre les griffes des bandes esclavagistes libyennes ou périr en mer, il y avait et il y a accord complet entre M.M. Salvini, Di Maio, Conte, Fusaro, ce dernier expliquant, suivez son regard, que ce sont les agents cosmopolites de la «gauche Fuchsia» ou «gauche Soros» qui font venir tous ces migrants («gauche Soros» est une expression cryptée dont le sens est clairement antisémite – notons son apparition dans la dernière tribune de D. Collin, à laquelle elle n’était pas nécessaire : elle y a donc été mise délibérément ).

D. Fusaro est à présent fort dépité à son tour, car la rupture de la coalition risque selon lui de reconstituer une «dichotomie droite-gauche» avec laquelle on croyait en avoir fini. Un gouvernement de droite dominé par la Lega serait selon lui de type «libéral-souverainiste» façon Trump ou Bolsonaro, et non plus carrément «antisystème». Et il accuse carrément Salvini de faire le jeu de … Washington, et de s’être éloigné de Moscou, la Mecque des «antisystèmes», tant du moins que Poutine est au pouvoir. Ces récentes péripéties font apparaître Fusaro comme bien allumé, et en quête d’une synthèse «antisystème» typiquement fasciste, mais nous pouvons en retenir, comme éléments malgré tout intéressants, qu’un gouvernement Salvini droite/extrême droite ne serait pas pour lui une vraie étape vers la «synthèse antisystème» et anti «gauche Soros» (en clair, donc, la synthèse fasciste) à laquelle il aspire, mais ne serait rien d’autre qu’un gouvernement «à droite toute» risquant de susciter des réactions sociales nous ramenant à une lutte des classes «classiques» (et non pas une lutte «antisystème» où les ennemis désignés sont les migrants et les agents cosmopolites de Soros …) – et c’est cela qui l’inquiète.

Cet article sort donc juste au moment où pâlit l’étoile du «philosophe de la praxis», tout du moins en tant que coach officieux des gouvernants, puisqu’il va se refaire une image de «rebelle». Son importance politique n’en est pas amoindrie, au contraire, car il s’agit ici de décrypter, et de déconstruire complètement, des éléments d’idéologie «moderne» se présentant comme subversifs, voire révolutionnaires : les révolutionnaires prolétariens ont tout intérêt à avoir l’œil sur la contre-révolution.

Sa lecture, ne le cachons pas, n’est pas facile une fois que l’on entre dans le vif du sujet, car il s’agissait de faire une démonstration serrée, à partir du dernier livre de D. Fusaro dans lequel il propose, en somme, le mariage de Heidegger et de Marx traité à sa manière, comme armature idéologique pour la révolution «antisystème», anti-Soros, anti-migrants …

Les militants ouvriers ayant quelques connaissances théoriques et historiques trouveront ici, en seconde partie, une défense de Marx qui était assez facile mais nécessaire, et, en première partie, une analyse de ce que Fusaro raconte sur Heidegger, et donc par la même occasion une présentation de ce qu’il en est de Heidegger, qui émerge des décennies après la défaite du nazisme, comme son principal théoricien, lui ayant donné une forme apte à «passer» sous d’autres apprêts. Il est important de se saisir de cette question qui ne doit pas rester réservée aux spécialistes, tant l’influence diffuse de Heidegger est considérable dans toute l’idéologie dominante, de la mode sur l’ «être-au-monde», l’ «être-en-situation» et la mise «en marche» (hé oui, «en marche» vient de là …), aux fantasmes apocalyptiques de l’extrême-droite, de l’islamisme, en passant par la «critique sociale» dans le «populisme de gauche» et les cultural studies et les courants «décoloniaux» (via la «déconstruction» de Derrida, véhicule clef de cette idéologie ). Au-delà donc de Fusaro, car Fusaro ne dit rien d’original sur Heidegger et se situe totalement dans la doxa universitaire dominante à ce jour à son sujet, cet article peut donc aussi servir de petite introduction pour les militants intéressés sur Heidegger.

Le plus ardu de cet article réside en fait dans ce qu’il a fallu faire sur Fusaro nous parlant de Heidegger, à savoir des repérages et analyses de citations tronquées et de traductions biaisées. C’était nécessaire, n’en donnons qu’un exemple, le plus gros : Heidegger aurait été clairement antinazi puisqu’il a écrit «Le nazisme est un principe barbare.» Sauf que la phrase suivante de son écrit nous dit que ce côté barbare est «ce qui fait sa grandeur» ! Fusaro n’est pas plus original ici : aussi incroyable que cela soit, cette malhonnêteté intellectuelle falsificatrice a largement cours dans l’enseignement universitaire …

Une fois que ces quelques épines auront été franchies, j’espère que cet article apportera des éléments approfondis aux militants. Connaître la pensée de l’adversaire est nécessaire. Et, dans le cas de Fusaro, c’est même relativement rassurant, car on peut en constater l’inconsistance et la futilité proportionnelles à sa prétention. Mais il fallait le démontrer.

VP, 21/08/2019.