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Derrière le "miracle économique portugais", l’accroissement des inégalités sociales
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Si le Parti socialiste a remporté les élections législatives, et que la gauche radicale constitue la troisième force politique, la situation est loin d’être rose au Portugal. Le premier défi pour ces « progressistes » consistera à faire profiter l’ensemble de la population du semblant de prospérité retrouvée.
Sans surprise, le Parti socialiste a largement remporté les élections législatives portugaises. Celles-ci ont cependant été marquées par une abstention record à plus de 45,5%. Si l’on prend en compte les votes blancs et nuls (plus de 4 %), c’est près d’un électeur sur deux qui ne s’est pas exprimé lors du scrutin du 6 octobre. Avec 36,7 % des suffrages et 106 députés, les socialistes sont tout proche de la majorité absolue (115 députés). Ils profitent surtout de l’effondrement de la droite et du centre droit, qui perdent près de 15 sièges.
A la gauche de la gauche, c’est surtout l’alliance Parti communiste-Verts qui s’affaisse : 12 sièges contre 17 lors de l’ancienne législature. De son côté, le Bloc des gauches, troisième force politique du pays (9,7%), résiste. Il espère toujours infléchir les politiques économiques vers plus de justice sociale, comme cela a été le cas lors de la précédente législature : si le PS a gouverné seul, il a dû passer un accord avec le Bloc de gauche et l’alliance entre communistes et verts pour que leurs élus votent le budget en échange d’une première série de mesures sociales. Car au-delà des chiffres du chômage (plutôt bas, sous la barre des 7%) ou de la croissance du PIB (plutôt haute, avec une prévision de 1,9 %), la santé de l’économie portugaise reste fragile et les secteurs les plus défavorisés de la population n’ont pas vu leur situation s’améliorer sensiblement. Bien au contraire.
« Il y a des domaines où nous savions que le PS n’allait pas changer de politique »
C’est au fond tout le paradoxe de cette large victoire, sur fond d’abstention et de déception grandissantes. À gauche, seul le PS a vu son score progresser alors que les mobilisations sociales ont agité le pays durant toute l’année électorale, pour protester contre le blocage des salaires ou le manque d’investissements dans le secteur public. Le vote utile et la peur d’un blocage « à l’espagnole » (où le Parti socialiste n’est pas arrivé à former une majorité parlementaire avec Podemos) a certainement pesé. Antonio Costa, le premier ministre sortant, a agité la menace plusieurs fois dans la campagne.
Fort de son résultat, il va pouvoir choisir ses alliés entre une alliance PC-Verts en perte de vitesse, et un Bloc des gauches qui a consolidé son statut de troisième force. Isabel Pires, élue députée du Bloc des gauches à Lisbonne, estime que la déroute historique de la droite constitue un des aspects positifs des résultats. Le fait que le Parti socialiste ne dispose pas de la majorité absolue permettrait, pour elle, de maintenir les possibilités de « faire avancer des politiques progressistes et de gauche ».
Débloquer les salaires de la fonction publique gelés depuis neuf ans, augmenter le salaire minimum qui stagne à 600 euros, les pensions de retraite, et relancer les investissements publics dans la santé, l’éducation, le logement et les infrastructures sont les principales priorités des partis de gauche.
« Dans l’ensemble la législature qui vient de se terminer a été très intéressante, indique la députée de 29 ans. En échange de notre soutien au budget, nous avons pu rompre avec les politiques d’austérité de la Troïka [Commission européenne, FMI et Banque centrale européenne, ndlr], nous avons pu augmenter les salaires et les pensions des retraités, nous avons pu changer des lois sociales... Mais d’un autre côté il y a des domaines où nous savions que le PS n’allait pas changer de politique, notamment sur les lois du travail. Au contraire, il s’est allié avec les partis de droite pour faire passer des lois encore plus dures. »
« Le boom touristique a eu des conséquences dramatiques »
C’est sur ces points précisément qu’il s’agira d’avancer pour tenter de faire reculer la misère sociale, dans un pays où les moteurs de l’économie sont le tourisme et l’apport de capitaux étrangers, dans l’immobilier notamment. Car le « miracle économique » de Costa n’a pu se réaliser qu’à travers une inégalité croissante. Si certains secteurs ont progressé, Isabel Pires reconnaît que l’évolution de l’économie « a eu des répercussions très mauvaises sur certaines catégories de personnes ». « Le boom touristique a eu des conséquences dramatiques. Plus personne ne peut habiter les centres de villes comme Lisbonne ou Porto, car les prix y ont explosé. »
L’Observatoire de la lutte contre la pauvreté à Lisbonne relève ainsi qu’en trois ans, le prix du mètre carré dans la capitale portugaise pour un appartement familial a augmenté en moyenne de 66 %.
« Cela entraine des situations sociales très graves, poursuit la député du Bloc de Gauche. Au Portugal, non seulement le salaire minimum est très bas, mais le salaire moyen également : entre 800 et 900 euros par mois. Or à Lisbonne, on ne trouve rien à moins de 800 euros pour se loger, tout comme à Porto et dans de nombreuses villes du Portugal. Nous proposons donc un contrôle et un encadrement du marché immobilier. Nous savons qu’il sera difficile de négocier sur ces points avec le PS, qui se positionne comme un parti de centre droit comme ailleurs en Europe. »
Autre point de tensions entre le PS et ses alliés de gauche, le marché du travail. Le Bloc de gauche comme le parti communiste et les Verts demandent que le salaire minimum soit porté à 800 euros par mois durant la prochaine législature. Par ailleurs, si le chômage est tombé à 6 %, c’est notamment grâce à une explosion du recours aux emplois précaires et très mal payés dans le secteur du tourisme – près de 30 % des nouveaux emplois créés – et à la dérégulation quasi complète du marché du travail imposée par la « Troïka » en 2011. Facilité de licenciement, indemnités de départ revu à la baisse, possibilité de recourir de manière quasi infini aux contrats courts et précaires, le patronat portugais a pu s’en donner à cœur joie...
Une baisse du chômage d’abord liée aux emplois précaires et à l’émigration des jeunes
La baisse du nombre de demandeurs d’emploi est aussi due à un recul important de la population active, avec notamment un fort taux de départ des jeunes diplômés vers l’étranger. La crise et les politiques d’austérité avaient entrainé au début des années 2010 une vague d’émigration aussi importante que durant les années de la dictature. En 2014, environ 130 000 portugais sont partis à l’étranger. En 2018, ils étaient encore plus de 80 000 à tenter leur chance ailleurs.
Le fameux « miracle » économique portugais reste donc bien fragile et tire surtout bénéfice d’une réduction drastique de l’investissement public dans les secteurs de l’éducation, de la santé et des transports, sans pour autant faire diminuer la dette publique de manière importante – le Portugal reste le pays le plus endetté d’Europe. Sur ces points aussi, les partis de gauche seront particulièrement attentifs aux actions des socialistes. Ils souhaitent notamment nationaliser une partie du secteur bancaire qui est encore très instable.
Pour autant, au Bloc de gauche, on se veut pragmatique : « Avec l’entrée de nouveaux petits partis au parlement, le PS va avoir de multiples options pour négocier avec les uns ou avec les autres. De notre côté, nous sommes toujours ouverts au dialogue pour mettre en œuvre des programmes et des politiques progressistes et de gauche. Mais nous n’avons pas de lignes rouges pour négocier un soutien ou une investiture. Nous avons notre programme. C’est notre ligne. Augmenter le salaire minimum, les pensions, changer le code du travail. »
Avec un Parti socialiste à quelques sièges seulement de la majorité absolue, le rapport de force ne permettra très probablement pas d’envisager un virage social. Les perspectives économiques et le ralentissement annoncé ne sont pas de nature à faire dévier Antonio Costa de sa gestion rigoureuse qui plait tant à Bruxelles.
Stéphane Fernandez