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Pierre Schoeller, Un peuple et son roi

cinema

Lien publiée le 18 novembre 2019

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Pierre Schoeller (réalisateur et scénariste), Un peuple et son roi, film historique, 2 h 02 mn, avec Gaspard Ulliel, Louis Garrel, Adèle Haenel, Céline Sallette, Laurent Lafitte, Denis Lavant, Izïa Higelin, Olivier Gourmet, produit par Archipel 35-Archipel 33, distribué par Studio Canal, Sophie Wahnich, Arlette Farge, Timothy Tackett, Guillaume Mazeau comme conseillers historiques, affiche de Laurent Lufroy, sorti le 26 septembre 2018.

Un compte rendu de Jean-Guillaume Lanuque

Un peuple et son roi est un film d’importance, correspondant dans une certaine mesure, pour le champ cinématographique, à ce que fut pour le champ littéraire le Quatorze Juillet d’Éric Vuillard (Actes sud, 2016). Il s’agit en effet de montrer la Révolution française par la base, contrairement au film réalisé pour le bicentenaire ou au Danton de Wajda (1983), centrés sur des grandes figures révolutionnaires, contrairement aussi au Marie-Antoinette de Sofia Coppola (2006), pour le pendant contre-révolutionnaire. L’impression dominante est celle de scènes de théâtre, du fait d’une certaine prédilection pour des plans et des décors souvent resserés (le combat des Tuileries dans une cage d’escalier).

Le métrage débute avec une cérémonie traditionnelle, celle du lavage des pieds d’enfants pauvres par Louis XVI le jeudi saint : le souverain y apparaît plus bas que son peuple, ce dernier confiant dans un progrès attendu (l’enfant déclarant qu’il aura bientôt des sabots), ce qui contraste avec le dénouement du film, son exécution, où il est placé en surplomb du peuple, mais en symbole de son échec. Un peuple et son roi est, de manière générale, un film riche en métaphores et en symboles divers, axé sur le style, qui alterne scènes populaires et débats au sein de l’Assemblée nationale. Le premier événement d’envergure, c’est la prise de la Bastille : le spectateur s’y introduit directement dans le cœur de l’affrontement, entre morts et blessés (on pense justement au début du roman d’Eric Vuillard sur les morts de l’émeute autour de la manufacture Réveillon). Et une très belle image s’impose, celle de la destruction de la prison, permettant aux rayons du soleil d’éclairer enfin les ruelles populaires.

Une scène du film montrant cette participation active des femmes du peuple

Plus développées, les journées d’octobre 1789, permettent de mettre l’accent sur deux caractéristiques majeures du film, la place des femmes, d’une part (avec le personnage majeur de Françoise Candole joué par Adèle Haenel), et celle des chansons en tant que ciment des luttes, d’autre part. Leur confrontation avec les députés de la Constituante insiste sur la question du pain, et sur le fossé qu’il y a entre ces représentants et un peuple que certains méprisent ouvertement ou accusent d’être manipulé. L’acceptation du roi qui suit – sans que les affrontements ne soient ici évoqués – ouvre sur une autre image frappante, complément de celle de la Bastille, puisque Versailles sombre dans l’obscurité une fois ses volets fermés. Afin d’illustrer ensuite l’apparente unanimité qui semble sceller la réconciliation nationale, Pierre Schoeller, plutôt que la classique Fête de la Fédération, choisit de mettre en scène la plantation d’un arbre de la liberté dans un village anonyme. Les seules professions qui apparaissent en action dans le film sont d’ailleurs celle de souffleur de verre – métaphore de la fragile élaboration d’une France nouvelle ? – de lavandière et de paysan.

Une scène du film se déroulant dans un café parisien, avant les événements du Champ de mars : parmi les personnages assis, à l’extrême gauche, Françoise Candole, au milieu, de profil, Jean-François Varlet et à sa gauche, un gobelet à la main, Louis-Joseph Henri, souffleur de verre.

La fuite du roi et son retour à Paris est un autre moment-clef, où se brise l’apparente unanimité. On y entend un Marat véritablement habité par Denis Lavant, et on y découvre, fait nettement plus rare au cinéma, Jean-François Varlet, membre des Enragés, discutant dans un café avec certains des personnages populaires afin de préparer la pétition du Champ de Mars. Complément indissociable du retour du roi, ce « dimanche rouge » voit la mort sous les feux de la Garde nationale de certaines figures auxquelles on s’était attachées, la répression en actes également. Avec la théorisation, à l’Assemblée, de Barnave appelant à achever la Révolution, on a là un véritable fossé de sang entre élites et peuple, qui détermine la suite des événements. Est-ce un hasard si la constitution, une fois terminée, est apportée au roi en pleine nuit ? La monarchie limitée semble de la sorte déjà appartenir au passé, la lumière se concentrant dans les flambeaux portés par le peuple en armes d’août 1792.

Ironiquement nommée « Cette insurrection qui vient » (clin d’œil au Comité invisible et à son ouvrage de 20071), cette séquence dévoile en effet une vue aérienne de Paris où les flambeaux dans les rues attestent de la mobilisation populaire. C’est durant ces événements qu’une scène, celle du départ du roi et de sa famille pour l’Assemblée, évoque fortement Les Années lumière2, dans un métrage qui possède de manière générale sa propre personnalité. Le bouleversement d’un monde induit par ce soulèvement populaire du 10 août est illustré par cette image d’une jeune fille recevant une pluie de plumes – celles des oreillers des Tuileries mises à sac – en plein été, contraste frappant avec la même jeune fille qui, à l’hiver 1791, s’était placée sous la neige. Même les saisons semblent bouleversées, le cours du temps court-circuité. Le souffleur de verre, aveuglé lors de l’assaut sur le château du roi, permet au réalisateur de ne pas voir, de ne pas montrer les massacres de septembre. Il choisit à l’inverse de consacrer une large place aux débats dans la Convention autour du jugement du roi déchu. Robespierre, à cet égard, est traité de manière fort juste et posé (insistance sur les droits du peuple, sur son opposition passée à la peine de mort), quand bien même l’acteur qui l’interprète semble trop statique ; l’appel nominal pour décider de la peine permet également de découvrir une vaste galerie de députés, et d’offrir, comme tout au long du film, des opinions contradictoires.

L’exécution du roi clôt le film, avec un exemple supplémentaire de ces superstitions si profondes dans le peuple – ici celle touchant au sang du roi. Un peuple et son roi est donc un beau film, plein d’empathie pour les masses en mouvement, et qui illustre avec beaucoup de panache et de sensibilité les processus de radicalisation d’un peuple.

1Comité invisible, L’Insurrection qui vient, Paris, La Fabrique éditions, 2007.

2La Révolution française, film de Robert Enrico en 1989, à l’occasion du bicentenaire, se déroule en deux parties, Les Années lumière et Les Années terribles. Une version plus longue existe pour la télévision.