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    Hôtel Ibis des Batignolles : une grève emblématique des femmes de chambre

    Lien publiée le 7 janvier 2020

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    http://www.contretemps.eu/ibis-batignolles-greve-femmes/

    En 2012, les femmes de chambre du Campanile de Suresnes en 2012 obtenaient la première victoire importante puisque la grève a permis de mettre fin à la sous-traitance dans un hôtel. Plus récemment, les grèves se sont multipliées dans les hôtels de luxe : Park Hyatt Vendôme, Hyatt Madeleine, W opéra, L’hôtel du collectionneur, Holiday Inn de Clichy, etc. 

    À partir de la grève qui dure depuis plus de 5 mois à l’Ibis Batignolles, Tiziri Kandi revient ici sur les enjeux et l’organisation de ces grèves longues et qui permettent d’arracher des victoires. Parmi ces enjeux, figure celui de la solidarité financière – pour contribuer à la caisse de grève, c’est ici.

    Cette lutte, qui a donné lieu au film On a grévé de Denis Gheerbrant en 2014 et qui a fait l’objet de son mémoire de master 2, intitulé : « Travail et mobilisation des femmes de chambre et des gouvernantes des hôtels Campanile et Première Classe Suresnes de 2012, sous les prismes des rapports sociaux de genre, de classe et de race » [1].

    Tiziri Kandi est salariée de la CGT–HPE (Hôtel de Prestige et Économique). Elle effectue un travail d’animation des sections et de la défense syndicale.  Depuis 3 ans, elle soutient, construit voire organise de nombreuses grèves de femmes de chambre dans les grands hôtels parisiens avec Claude Lévy,  lequel travaille pour la CGT-HPE depuis sa création en 2002. 

    ***

    Contretemps : Peux-tu revenir sur les enjeux de la lutte des femmes de chambre et des gouvernantes de l’hôtel Ibis Batignolles ?

    Tiziri Kandi : C’est une grève emblématique à plusieurs titres. Elle touche le groupe ACCOR, un groupe très dur et qui tient à son image de marque. Il est par ailleurs le 6ème groupe hôtelier mondialement. C’est une entreprise qui ne connaît pas le dialogue social, qui étouffe les affaires – on se souvient de la grève des femmes de chambre d’Arcade en 2002-2003[2]. On a donc d’un côté, un des plus grands hôtels du groupe Accor – 706 chambres. Et de l’autre, on a la SAS-STN qui investit dans l’hôtellerie de luxe, et qui est connue pour avoir racheté beaucoup de petites entreprises de nettoyage. C’’est une entreprise qui a recours à des pratiques mafieuses, des licenciements abusifs des salarié-e-s, du travail dissimulé, qui achète la paix sociale en corrompant des syndicats etc.

    L’enjeu de la lutte, c’est donc l’internalisation. Nous, on est pour la reconstitution de la communauté de travail, d’où la revendication de l’internalisation. On est contre la sous-traitance hôtelière car le cœur de métier dans l’hôtellerie, c’est l’hébergement, et donc le nettoyage des chambres. Pour les hôtels, il y a bien sûr un enjeu économique de réduction des coûts : on prive les salarié-e-s de la sous-traitance des acquis des salarié-e-s de l’hôtel, iels ne sont pas soumis de la même convention collective que les salarié-e-s de l’hôtel, et ne peuvent bénéficier des accords d’entreprises qui contiennent certains avantages (13ème mois, prime d’intéressement, etc.) au prétexte qu’iels ne sont pas directement salarié-e-s des hôtels donneurs d’ordres.

    Au niveau des sous-traitants, ce sont souvent les accords de site qui sont les plus favorables car les accords au niveau des groupes sous-traitants sont la plupart du temps inexistants, voire défavorables aux salariés.

    Un autre enjeu pour les hôtels qui sous-traitent est celui de la destruction et de l’éclatement de la communauté de travail. En sous-traitant, on crée une multitude de statuts, et on divise donc les salarié-e-s qui travaillent pourtant dans un même endroit. Il peut parfois y avoir dans un même établissement 3 ou 4 sociétés de sous-traitance qui interviennent, et cette division est souvent intégrée par les salarié-e-s elles/eux-mêmes !

    Cette division bloque malheureusement la possibilité de mobilisations communes, tous ensembles, ne serait-ce qu’à court termes. Un-e- salarié-e qui a un 13ème mois ne va pas forcément se mobiliser avec un-e salarié-e qui n’en a pas. Ça évite donc aux grands patrons des mobilisations d’ampleur, surtout quand ce sont des hôtels qui emploient sur un même site 200, 300 salarié-e-s voire plus !

     

    Quelles sont les questions soulevées par l’ensemble de ces mobilisations de femmes de chambre ?

    Ce que j’essayais de démontrer dans mon mémoire, c’est que ce sont des grèves de femmes, donc des grèves féminines – à l’Ibis il y a 23 femmes et 1 homme – mais ce sont aussi des grèves féministes car elles remettent en cause ce à quoi on assigne les femmes, notamment le temps partiel imposé. Les femmes grévistes revendiquent d’être embauchées à temps complet car en réalité elles travaillent effectivement à temps complet, à cause d’un mode de paiement « à la chambre » et non en fonction du temps de travail.  A l’Ibis Batignolles, elles ont une cadence moyenne de 3 chambres et demi l’heure ! C’est irréalisable, et d’ailleurs aucun paramètre objectif n’est pris en compte pour mettre en place cette cadence. On fait comme si toutes les chambres se valent alors que tout le monde sait qu’on ne met pas le même temps pour faire une chambre en recouche et une chambre en départ, ni une chambre avec lit supplémentaire ou sans etc. Tout cela fait que les femmes de chambre effectuent souvent des temps complets tout en étant payées à temps partiel car cette arnaque rapporte aux employeurs. Pourtant, la pratique du travail dissimulé est un délit !

    Ce qui revient également souvent dans les mobilisations, c’est le droit au respect, à la dignité et à la reconnaissance du travail effectué. Les grévistes disent souvent que ce n’est pas parce qu’elles sont des femmes noires qu’elles doivent être déconsidérées. D’ailleurs, ce sont ces personnes qui sont souvent préférentiellement employées par les sous-traitants parce qu’elles sont considérées comme « arnaquables ». Elles ont souvent des titres de séjour d’un an, et doivent faire face à des difficultés à trouver un emploi et à une absence de connaissance de leurs droits. Elles ont des enfants en bas âge, et sont malheureusement contraintes d’accepter ce travail malgré sa dureté et toutes les pratiques illégales car elles n’ont pas le choix !

    Du fait de la sous-traitance, deux types d’employé-e-s coexistent dans un même lieu de travail – des salarié-e-s de 1èreet de 2nde zone -, ce qui a d’ailleurs une traduction spatiale car les salarié-e-s n’ont, par exemple, pas les mêmes lieux de rencontre. Les salarié-e-s de la sous-traitance sont des « autres », iels ne sont pas dans le même bateau que les salarié-e-s de l’hôtel. Iels sont par exemple privé-e-s de déjeuner avec les salarié-e-s de l’hôtel à la cafétéria du personnel. On peut carrément parler d’apartheid car c’est une politique voulue, approuvée et pratiquée par les directions des hôtels au sein de leurs établissements.

    Pour elles, la grève est un moment d’émancipation et de libération de la parole. Elle leur permet de découvrir leurs droits. Elles mettent des mots sur des pratiques et comprennent qu’il y a du travail dissimulé. Finalement la lutte leur permet d’être envisagées différemment. Et certaines deviennent par la suite militantes et créent des sections syndicales là où elles travaillent. C’est notamment le cas du Campanile Tour Eiffel où de nombreuses sections ont été fondées à la suite de la première grève victorieuse contre la sous-traitance en 2016, lorsque les grévistes ont gagné contre la société STN et remporté leur internalisation par le groupe Louvre Hôtel.  A l’hôtel Campanile du Bourget, après 15 jours de grève en octobre dernier, les grévistes ont réussi à obtenir des papiers pour les 6 salarié-e-s sans-papiers et des augmentations de salaire via une revalorisation des qualifications, l’augmentation du temps de travail des salarié-e-s à temps partiel, la réduction de la cadence indicative, etc.

    Quand les salarié-e-s obtiennent des choses concrètes, même si la reprise est difficile, les salarié-e-s non grévistes s’aperçoivent après coup qu’il y a eu des avancées suite à la grève, même si les grands axes de la division sexuée et raciale du travail ne sont pas toujours remis en cause.

     

    Comment se préparent ces grèves auxquelles vous contribuez ?

    Ces grèves exigent un travail de préparation. L’adhésion au syndicat est une première nécessité, car le fait de s’engager syndicalement dit quelque chose sur les dispositions des personnes à s’engager dans les conflits car la grève peut durer de 24 heures à 6 mois, voire plus. Il faut donc que les salarié-e-s soient informé-e-s du bras de fer à venir. Ensuite, quand les salarié-e-s prennent leur carte et qu’on a suffisamment d’adhérents, entre 50 et 70 % de l’ensemble des salarié-e-s du site, on les réunit pour échanger sur les conditions de travail en complément de discussions individuelles. On fait plus ou moins de réunions en fonction de l’urgence et on leur demande ce qu’iels souhaitent avancer comme revendication et on en discute – le fait d’être embauché par l’hôtel ne vient pas naturellement par exemple. Quelquefois, ça faire rire les salariées quand on parle de l’internalisation, comme ça a été le cas à l’Holiday Inn, je m’en souviens bien. Et pourtant, on l’a obtenu à l’Holiday Inn.

    On explique que la grève peut durer mais qu’on les soutient de toutes les manières possibles On discute également du chantage qui peut être exercé sur elles/eux, y compris par les syndicats de la propreté. Quand on démarre une grève, c’est important que les permanents soient là dès la première minute du conflit parce que les représentants d’autres syndicats CGT – de la propreté – et CFDT propreté et autres viennent pour inciter les salariés à reprendre le travail, voire appellent le mari pour qu’il fasse pression sur sa femme pour qu’elle reprenne le travail. Cela s’est passé à l’Ibis des Batignolles où les pseudo-syndicalistes de la CGT-Propreté ont expliqué que les maris ne pouvaient pas laisser leurs femmes danser en faisant du tamtam, voire être manipulés par des « Blancs » comme moi ou mon collègue. On discute donc du fait qu’il y a l’employeur mais également les pseudos-syndicalistes qui le soutiennent.

     

    Comment marche votre caisse de grève ?

    Au sein de la CGT-HPE, on a une caisse de grève mais il y a des conditions pour en bénéficier, notamment l’ancienneté, même si on fait régulièrement des dérogations. La caisse correspond à 20% du budget de fonctionnement de notre syndicat mais c’est ce qui nous permet de lancer des grèves. Quand il y a des grosses sections comme le Hyatt, ou quand un conflit dure dans le temps, ce n’est pas toujours évident. On complète avec des caisses spécifiques qu’on met en place, comme le pot commun en ligne. On fait quelques soirées, des interventions dans des collectifs et on participe à des grands rendez-vous nationaux comme les dernières manifestations. Le 24 décembre, nous avons même organisé un réveillon de lutte avec distribution de cadeaux aux enfants des salarié-e-s.  Cela demande beaucoup d’investissement. Et puis, la répartition de l’argent se fait selon le contrat de la salariée et au bout du compte, elles ne perdent pas beaucoup d’argent voire elles gagnent plus ou moins la même chose compte tenu des pratique mafieuses et d’arnaques de leur employeur. Par exemple pour l’ibis, on est arrivé à sortir près de 19000 euros par mois et pour le Hyatt Vendôme environ 50000 euros par mois.

    Propos recueillis par Fanny Gallot

    Notes

    [1] ;

    [2] « Mayant Faty, ménages et remue-ménage d’une femme de chambre », Travail, genre et sociétés, 2005/1 (N° 13), p. 5-25. DOI : 10.3917/tgs.013.0005. URL :