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L’autonomie hypostasiée

Lien publiée le 12 juillet 2021

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

L’Autonomie hypostasiée (lundi.am)

Notes sur L’hypothèse autonome de Julien Allavena
[Temps critiques]

Quelques remarques générales sur un livre bien mieux documenté que d’autres sur ce sujet.

Comme dans la plupart des livres récents sur « l’autonomie », on trouve dans celui-ci une confusion entre autonomie (une notion des années 1960-1970) et insurrectionnisme (une notion réactivée de façon plus récente même si cette perspective a eu sa place dans le mouvement, au sein de Potere operaio par exemple (PotOp) avant de devenir aujourd’hui une sorte d’idéologie de l’émeute. De la même façon que Marcello Tari dans son livre Autonomie ! l’Italie des années 1970, La Fabrique, 2011, confond l’autonomie ouvrière opéraïste des années 1960 et le Biennio rosso avec l’autonomie au sens du mouvement de ’77, Allavena a tendance à confondre l’autonomie ou les autonomies des années 70-80 avec l’insurrectionnisme et le sécessionnisme des années post 2000 [1] ce qui l’amène à des références hautement contestables (Stella souvent [2] et parfois Tari) qui ne réfèrent pratiquement jamais à la théorie opéraïste des années 1960 et a ce qui a été défini et nommé comme « autonomie ouvrière » dès le début des années 1960. Pourtant, il énonce très vite qu’il se gardera bien de parler de « l’Autonomie » avec une majuscule, ce en quoi il se démarque de la perspective unitaire et globalisante du livre de M. Tari. Nous voulons bien le croire, mais parfois la profusion de références ou citations, qui ne vont pas toutes dans le même sens, nuit à l’adoption d’une position claire pourtant ici affirmée.


 Cette théorie originelle ignorée fait qu’Allavena ne peut faire état ou même saisir la particularité de ce qu’on pourrait appeler la dernière tentative de théorisation prolétarienne du rapport de classe qui a fait de l’opéraïsme « la théorie de son temps » pour l’Italie (uniquement [3]), en résolvant partiellement, pour la première fois depuis l’assaut prolétarien précédent des années 1917-1923, la question du rapport théorie-pratique. Ce n’est donc pas un hasard si Julien Allavena (désormais JA) veut retourner à ce qui serait des sources ou une filiation historique à travers sa référence aux courants de la gauche communiste de l’époque et particulièrement au conseillisme de type germano-hollandais [4]. Or, le problème est justement que ce mouvement conseilliste a été quasiment ignoré par les opéraïstes [5]. Seuls Sergio Bologna dès l’origine, mais à une place assez marginale dans l’opéraïsme, fait une référence aux expériences du communisme de conseils dans les années 1920 en Allemagne ; puis, au sein du mouvement lui-même, Adriano Sofri le leader de Lotta Continua y fait allusion (cf. « Sur les conseils de délégués », in Les Temps modernes, no 335, juin 1974) pour regretter d’ailleurs d’avoir mal tenu compte de cette expérience en privilégiant la ligne plus spontanéiste du « Nous sommes tous des délégués ». Les années 1960 et 1970 ne peuvent en effet être rapportées à ce qu’on a parfois appelé les courants historiques des « Gauches communistes » ni même à leur critique [6]. En effet, celle-ci qui se développe en France dès le début des années 70 est effectivement amenée à distinguer entre prolétariat et classe ouvrière, mais pas au sens où l’entendent Tronti et l’opéraïsme italien [7]. En effet, si Tronti distingue bien entre les deux termes, c’est pour donner la primauté à celui de classe ouvrière car pour lui c’est l’ouvrier qui tire sa force du « dans et contre » dialectique à portée révolutionnaire, alors que le prolétaire est l’individu nu sans qualité, pur « capital variable ». Alors qu’en France, c’est la catégorie de prolétaire, au sens marxien de « sans réserve » qui est mise en avant dès le début des années 70, car l’échec de 68 nous le percevons comme la victoire plus ou moins définitive du « dans » sur le « contre ». La « rude race païenne » que Tronti perçoit encore dans la nouvelle composition de classe en Italie au moment de Classe operaia, nous ne la voyons plus quelques années plus tard en France que dans la rage prolétaire, ce que prolongeront, à leur manière et de façon très marginale du point de vue des forces en présence, les « autonomes » français dans les années qui vont suivre.

On retrouve cette confusion quand JA tire ses éléments théoriques du côté de ce qui est devenu le courant dit communisateur quand il confond « rupture dans la théorie de la révolution » (note 17, p. 32) qui est développée in vitro et rupture effective dans la pratique alors que celle-ci est loin d’être effective. Ainsi, le mai 68 français comme le Biennio rosso italien de 68-69, forment des combinaisons de continuité et de rupture et particulièrement en Italie où l’opéraïsme est intégré à la théorie de la gauche en général y compris donc à ces organisations ouvrières officielles (cf. l’opéraïsme de BrunoTrentin, le leader de la CGIL) et non pas à un quelconque courant ultra-gauche dans lequel JA, comme cela est devenu courant aujourd’hui « on » (les chercheurs, les médias) regroupe tout ce qui est à gauche ou en dehors des groupuscules marxistes-léninistes ou trotskistes. Tout juste les opéraïstes, PotOp et Lotta Continua (LC) distinguent-ils le Mouvement ouvrier avec majuscule pour les organisations traditionnelles de la classe et le mouvement ouvrier avec une minuscule pour la lutte en cours.

 Son « hypothèse autonome » se démarque clairement (p. 20) de « l’hypothèse communiste » de Badiou (Lignes, 2009) réduite à une idée transhistorique et intégrant de façon non critique les expériences des régimes socialistes. Par exemple, en ce qu’elle est autonomie ouvrière elle repose à la fois sur la centralité du travail vivant dans le procès de production et l’expérience prolétarienne de la lutte et des transformations du procès de production dans lequel le procès de travail est de plus en plus soumis à la valorisation à travers l’introduction de la technoscience dans le capital (cf. Panzieri pour les Quaderni Rossi et Socialisme ou Barbarie en France). Un processus qui n’est pas neutre et qu’il ne s’agit pas simplement de renverser, mais qui doit premièrement être critiqué pour ce qu’il comporte d’exploitation supplémentaire et deuxièmement qu’il faut prendre en compte afin de lui opposer une stratégie de lutte à partir de la nouvelle composition de classe qu’il engendre. Dans cette mesure, l’opéraïsme est un mouvement hérétique au sein du marxisme parce qu’il met à nu le prétendu « progressisme » du capital. De la même façon, « l’expérience prolétarienne » développée dans les années 1950 par Claude Lefort et citée ici en référence par JA (cf. p. 45) comme ce qui devait être à la base d’une future « gestion ouvrière » se mue progressivement en une expérience négative dans la mesure où elle est de plus en plus coupée de l’ancienne professionalità par la transformation du procès de travail. De l’ouvrier qualifié et « garanti » à l’ouvrier masse qui développe des pratiques de refus du travail et de flexibilité du travail, mais de son point de vue (absentéisme, turn-over). Mais ce processus n’est pas aussi rapide que JA le décrit p. 46-47, car cette figure de l’ouvrier masse n’est encore qu’une figure émergente qui est encore loin de constituer la caractéristique principale de la force de travail des années 60. En effet et à peu près à la même époque, ce qui occupe surtout les sociologues du travail et certains militants des revues théoriques, c’est le développement d’une nouvelle catégorie, celle des techniciens (et aussi parfois des employés). Mallet et Gorz en France, Basso, Magri et Piperno pour l’Italie écriront livres et articles sur la question dès avant 1968, ainsi que SoB dans ses derniers numéros (cf. Sylvain Chatel : « Hiérarchie et gestion collective ») et non pas celle de l’automation, de la cybernétique et des nouvelles hypothèses marcusiennes ou situationnistes comme semblent le croire JA (p. 46). Et la question du rapport à ces techniciens se posera particulièrement en Italie pendant les années 1968-73 parce que les techniciens étaient souvent dans la lutte, les élèves du technique aussi d’ailleurs, mais pas forcément sur les mêmes bases que les OS de l’ouvrier masse. Le récit de JA manque ici de contemporanéité, car il fait comme si 1962 et la révolte de Piazza Statuto à Turin (une émeute marquante par son attaque contre les syndicats, mais sans lendemain sur le terrain [8]) était déjà Bologne-Milan de 1977. Les années 1960 sont celles de l’immigration interne et des grandes embauches à la Fiat qui se prolongeront jusqu’en 1973 sur la base d’une extension du taylorisme avec division horizontale et verticale du travail. Il n’y a donc pas de « constitution de la classe hors du capital » comme l’affirme imprudemment JA, mais changement de la composition de classe, terme majeur du courant opéraïste. L’affirmation de JA comme quoi « avant même 1973, les ouvriers n’ont jamais eu besoin de ces partitini pour attaquer physiquement l’espace de la production » (p. 78) est encore et malheureusement un emprunt sans fondement à Tari qui ne repose guère que sur deux exemples en huit ans. La preuve en est, a contrario, que la plupart des opéraïstes historiques ont hésité à sauter le pas des Quaderni Rossi à Classe operaia parce qu’ils ne voulaient justement pas féconder un mouvement groupusculaire à la française en grande partie liée à l’histoire stalinienne du PCF et de la CGT, qui avaient procédé par exclusion des divers oppositionnels. Panzieri et Negri sont ainsi restés le plus longtemps possible au sein de la fraction de gauche du PSI et Tronti ou Asor Rosa et Cacciari au sein du PCI. Le fait que ni le PCI ni la CGIL ne se soient opposés au Biennio rosso et que Renato Longo ira jusqu’à inviter Scalzone au tout début de mai 68 pour discuter du mouvement montre la différence avec la situation française où les organisations staliniennes laissent libre cours à la haine contre ce que représente Cohn-Bendit et les « groupuscules ». En Italie, jusqu’en 1971 au moins, on reste dans ce que la Gauche appelle « l’album de famille » d’autant que le Mouvement ouvrier a décidé « d’enfourcher le tigre » et où la plupart des figures contestataires continuent la tradition familiale des anciens partisans… et ne sont ni juifs ni Allemands. 

La notion de refus du travail telle qu’elle est utilisée par JA pages 56 à 60 est sujette à caution dans la mesure où elle n’est pas précisée et où on peut avoir l’impression que ce refus était effectif au sens d’un droit à la paresse. Or, il n’en est rien. Le refus du travail est juste et de façon immédiate un refus de s’y laisser enfermer de la part de jeunes souvent issus du sud de l’Italie qui refusent la discipline industrielle de la grande usine et de la grande ville parce qu’ils n’ont pas été formatés dans ce cadre et qu’ils ne sont pas exempts de toute tradition de lutte puisque celle des ouvriers agricoles est fréquente dans le Sud et particulièrement en Sicile et en Sardaigne. Ces immigrés de l’intérieur ne veulent pas rester ouvriers à vie. Ils disent effectivement « Nous voulons tout », mais en se reliant encore au fil rouge des luttes de classes. Ils ne se comportent pas encore comme se comporteront les jeunes de la période suivante où Negri théorise bien abusivement à mon avis le passage de l’ouvrier masse à l’ouvrier social. Or, p. 60 et 61, JA (suivant en cela Tari d’ailleurs) confond encore deux périodes, la première où tout n’est pas encore joué, mais où ce qui se joue reste dans la droite ligne du fil rouge historique des luttes de classes avec des actes qui, si parfois ils ressortent du sabotage, ne contiennent aucune perspective de contre-société contrairement à ce qui est affirmé p. 79, à la suite de Tari toujours [9] ; et la seconde qui apparaît pour certains comme l’acmé du mouvement, mais qui est pour nous ou avec le recul (pour Tronti et Bologna par exemple), la queue de la comète (l’ouvrier social réduit aux emarginati et autres « porteurs de peste »), le délire sur les désirs du sujet, alors que justement le processus d’individualisation dans la société capitaliste a terminé de mettre en crise « le sujet » qui est censé être remplacé par des subjectivités révolutionnaires dont on ne sait pas si elles participent encore d’une quelconque perspective d’émancipation ou si elles n’épousent pas plutôt le cours du capital et de la libération de ses dynamiques (faire sauter le bouchon des dernières valeurs de l’ancienne société bourgeoise). Dit autrement, la fuite en avant vers « l’Autonomie » n’est pas vue par JA comme le fruit des limites si ce n’est de la défaite de l’autonomie ouvrière. Le déplacement de la violence en est d’ailleurs le signe : peu à peu la violence d’usine des piquets de grève et cortèges internes cède le pas à une violence par procuration avec le début des actions armées qui visent des individus que l’on juge ou puni. D’un côté les éléments les plus combatifs sont de plus en plus mis hors-jeu parce que licenciés et de l’autre, les usines n’embauchent plus. D’où l’impression d’une fuite en avant dans la clandestinité parce que les ouvriers les plus combatifs commencent à être licenciés où sont dénoncés par la CGIL et le PCI comme des terroristes.

Ces limites, JA les entrevoit bien p. 66 quand il parle de « sécession sans subsistance » (bien qu’il me semblerait plus approprié de dire sans « substance ») et d’une irréductible installation dans la négativité [10], un parasitisme que Scalzone avait déjà signalé en parlant du soudain consumérisme qui se développe même dans les marges sous forme d’apologie du vol ou de la voyoucratie. Et à un autre niveau que JA interprète comme la transformation d’un mouvement ancré dans la lutte de classe ou étudiante en un face à face avec l’État et donc à une question de rapport de forces (cf. p. 68). Ce point ne fait néanmoins qu’enregistrer le déclin de l’autonomie ouvrière et la victoire désespérée et désespérante de la tactique de la violence portée au cœur de l’État par les BR. Mais JA ne voit cette ligne qu’à travers la nouvelle centralité de la lutte antifasciste que va mener Lotta Continua, une violence dérivée et pas partagée par tous. Par exemple, Potere operaio n’est pas sur une ligne antifasciste et encore moins les petits groupes communistes radicaux comme Ludd-Conseils prolétaires. La note 59, p. 69 sur Stella indique d’ailleurs clairement la césure LC/PotOp à ce sujet. Ce point serait aussi à éclaircir, car JA (p. 77) signale une crise de PotOp sur ce problème du risque de militarisation du groupe alors qu’il a déjà été réglé auparavant par le refus de développement d’une branche militaire suite d’abord à une entrevue avec Feltrinelli et surtout après une « bavure » dans l’attaque d’un local d’extrême droite ayant entraîné deux morts chez les fascistes. La vraie crise de PotOp est plutôt à rechercher dans la mise en échec pratique de la théorie des avant-gardes ouvrières à partir du peu de succès pratique que rencontrent les mots d’ordre insurrectionnels et l’inadéquation avec le mouvement que représente une structure partitiste, critique certes par rapport au marxisme léniniste, mais léniniste quand même. À l’inverse le « mouvementisme » de LC lui permettra de repousser les scissions et l’auto-dissolution de trois ans, non sans épouser une voix électoraliste critique.

Le livre ne dégage peut-être pas suffisamment le fait que l’autonomie ouvrière est une théorie que porte un mouvement dans la logique marxiste de la théorie du prolétariat, même dans un versant hérétique, alors que l’Autonomie est le développement d’une « aire » nouvelle revendiquée comme telle (p. 85). Comme nous l’avons dit dans notre Mai 1968 et le mai rampant italien (L’Harmattan, 2008, rééd. 2018, ces deux mouvements sont à la fois le produit de l’ancien et du nouveau ; derniers mouvements de subversion prolétarienne, premiers mouvements de la révolution « à titre humain ».

Le passage sur le féminisme, p. 87 sq. prend cela en compte dans la mesure où la césure LC/PotOp sur le « programme prolétarien » à envisager est reproduite dans l’opposition entre Rivolta femminile (Carla Lonzi et le projet de libération extérieur à la problématique des classes) et Lotta Femminista animée par Federici où le projet d’émancipation reste en lien avec le fil rouge des luttes de classes mais sur une base élargie.

JA critique ce qui aurait été la dialectique trop rigide de l’émancipation de Tronti l’empêchant de voir que c’est le premier niveau de la lutte pour la libération qui est elle-même à la base de la « politique à la première personne » (p. 82). On passerait alors à une « autonomie comme constitution d’un mouvement à partir de soi » (p. 83). Pas un mot de critique de ce dernier par rapport à cette idéologie de la libération qui va constituer une des bases de la révolution du capital et des nouvelles théories postmodernes. À partir de là il est significatif que JA malgré son assertion du début, utilise le terme d’Autonomie avec une majuscule qui regroupe un ensemble vague et sans homogénéité sociale dont la positivité est revendiquée. Sa volonté de concilier dynamique dialectique du mouvement et affirmation d’une aire reste aporétique. In fine, JA déshistorise (le mouvement) au profit d’une spatialisation (l’aire alternative ou sécessionniste). Et de nombreux exemples sont donnés à partir de l’expérience allemande des communes qui, coupée objectivement du fil rouge des luttes de classes essaie de trouver son propre champ d’expérimentation [11]. Une aire qui n’a plus comme base la centralité ouvrière à laquelle est renvoyée la symbolique machiste qui lui serait propre et serait sans rapport avec le communisme. La violence ouvrière se trouve réduite à une force guerrière nécessaire à l’affirmation de la classe pour soi (p. 175). Comme si le mouvement homosexuel ou des femmes avaient un rapport naturel ou construit avec le communisme ! Le discours de Mieli peut être sympathique : « Les vrais révolutionnaires sont des amants » (p. 105), mais il est immédiatiste et performatif. Quand il ne l’est pas et se fait plus concret, Mieli met en avant les corps souffrants et le désir de libération vis-à-vis des contraintes externes. Mieli se satisfait de la combinatoire sexuelle actuelle sans dire un mot sur l’intervention de cette combinatoire dans l’opérationnalité capitaliste. Or, l’homosexualité et la combinatoire sexuelle sont devenues des opérateurs majeurs de la capitalisation des activités humaines.

Dans ses dernières phrases, en référence-réflexe à Rimbaud, Mieli réaffirme que c’est l’amour qui est à réinventer, mais il semble le faire comme par défaut sans opposer résolument amour et combinatoire sexuelle. C’est pourtant, avec raison, ce que faisait Jacques Camatte dès 1978, dans un article anticipateur intitulé « Amour ou combinatoire sexuelle » [; id="nh12" style="box-sizing: border-box; background-color: transparent; color: rgb(0, 0, 0); text-decoration: none; font-weight: 700; background-image: linear-gradient(rgba(0, 0, 0, 0) 50%, rgba(0, 0, 0, 0.6) 50%); background-repeat: repeat-x; background-size: 2px 2px; background-position: 0px 21px;" target="_blank">12] ; article qui trouve son origine dans le livre de Mieli Elementi di critica omosessuale (Einaudi, 1977). Camatte accepte avec Mieli l’exaltation du polymorphisme profond inné chez l’espèce humaine (« Qui n’a pas rêvé d’être arbre ou fleur ? Qui ne s’est pas extasié devant la puissance de vie d’un arbre ? »), mais il rejette fermement « la réduction des hommes et des femmes à des particules asexuées, à des particules neutres qui ne se sexualisent qu’en prenant à l’extérieur un sexe… avec l’avantage qui fascine les gens immédiats, de la combinatoire réalisable ». C’est aussi ce que faisait Cesarano qui, quelques années auparavant, critiquait « l’Utopie-capital » ; Mieli lui, s’en fait l’apôtre zélé.

l’illégalité de masse est bien décrite comme différente de l’illégalisme historique anarchiste (p. 159 sq.). Elle n’est pas une option théorique dégagée in vitro mais une composante des pratiques de l’époque en Italie. Les groupes Ludd ou Comontismo [13] expriment au niveau théorique une de ses composantes au même titre que « l’immédiatisme armé ». Comme le dit JA, il y a bien à la fois continuité (la base opéraïste et les organisations s’en revendiquant) et rupture (la fin de la centralité ouvrière, l’action directe, l’illégalisme), mais cette expérience est un échec. Cesarano le reconnaîtra d’ailleurs en soulignant le décalage entre d’une part, cette expérience ultra minoritaire au sein du mouvement au moment de la création des deux groupes et d’autre part les années qui suivent qui donnent plus de consistance à leurs thèses avec le cours « giovaniliste » pris par le mouvement jusqu’en 1977. Mais ce nouveau front de la jeunesse révoltée se retrouve dépourvu de bases arrières (les facultés les universités qui ne vont plus être considérées comme des zones franches par rapport aux forces de répression) et les quartiers (cf. l’expérience du Collectif de la Barona [14]) ont du mal à assurer ce rôle et de toute façon ne présentent pas les mêmes garanties que des « forteresses ouvrières » qui étaient des bases avant pour « les avant-gardes ouvrières », mais qui ne peuvent dorénavant plus être les bases arrières vu le changement du rapport de force qui voit patronat et syndicats reprendre la main.

 Pages 185-186, JA nous reproche de regretter l’absence de médiations qui auraient pu ouvrir une voie positive. Or, il ne s’agit pas pour nous de se glisser dans les pas de Negri qui sous-entend à ce propos l’incapacité à créer de nouvelles médiations politiques. Le souci est ici, pour nous, de ne pas sombrer dans l’immédiatisme qui s’empare à un moment du mouvement quand la révolution des désirs vient se substituer au désir de révolution. Un processus où plutôt une dérive particulièrement repérable dans l’évolution de Franco Berardi (« Bifo ») de l’opéraïsme de PotOp au mao-dadaïsme de A traverso. C’est que JA voit dans les actions de 1977 un jaillissement de pratiques contre-culturelles qui feraient office de médiations non directement politiques, mais pertinentes… du point de vue de « L’Autonomie ». La revue Metropoli citée en exemple de ces médiations ne me semble pas valable car elle est justement une tentative de résister à la sorte de fuite en avant de l’après ’77 en recherchant à nouveau un espace politique d’expression et d’intervention que les autres revues ont bradé pour une sorte de communication révolutionnaire. Un fait bien critiqué par le petit groupe Insurrezione (in Prolétaires si vous saviez, L’ombre hérétique, 1984, dispo sur divers sites en téléchargement libre).

 Les deux derniers chapitres sont un essai de bilan assez proche de ce que nous développons dans Temps critiques depuis notre affirmation de la révolution du capital :

1) JA relève le rôle important du capital fictif que la revue Invariance a été la première a souligner et du texte de Marx : « le fragment sur les machines » issu des Grundrisse.

2) JA se réfère aussi à cette même revue et ensuite à Camatte qui ont énoncé depuis plus de 40 ans qu’aujourd’hui c’est le capital qui émancipe et libère… à sa façon. Une affirmation ignorée pourtant par la plupart des individus ou groupes qui tentent de mettre l’émancipation à la mode post-moderne du genre, de la race et du décolonial.

3) Les contradictions du capital sont portées de la production à la reproduction des rapports sociaux ; toutefois, les limites du mouvement des Gilets jaunes sont jugées à l’aune de la communisation (sans que cette notion soit explicitée) comme si le mouvement avait choisi de la négliger. Or, s’il s’est affronté à l’État c’est d’abord parce qu’il s’adressait à lui, non pas pour restaurer un État providence en lequel bien des Gilets jaunes ne se reconnaissent (ils ne sont pas fonctionnaires), mais parce qu’il y a une crise de reproduction du rapport social capitaliste qui dépasse largement les questions de la production et du taux de profit. En cela, le mouvement des Gilets jaunes a été amené à sauter les médiations habituelles au risque de l’affrontement. Sa faiblesse réside davantage dans son incapacité à synthétiser un « Tous Gilets jaunes » à partir d’une rencontre qui est tout sauf affinitaire (les GJ ne se connaissent pas, ne sont pas des porteurs d’identité) sur des ronds-points où ils dépassent pratiquement tous leurs particularismes (ils ne sont ni hommes ni femmes, ni jeunes ni vieux, ouvriers comme artisans ou commerçants). Leur antagonisme à l’ordre des choses n’est pas strictement un antagonisme de classes ; il ne s’attache pas à des pratiques de communisation qui n’ont pas grand sens pour lui puisqu’il se situe plus dans la circulation/distribution de la richesse que du côté de sa production. De ce point de vue là le mouvement est face au même problème que rencontrent les « insurrectionnistes », mais sur une base plus massive. Il lui fallait donc des relais… qu’il n’a pas trouvé ou su trouver.

4) Le bilan sur la défaite prend ses distances avec l’interprétation de Tari dans la mesure où ce dernier n’y voit qu’une défaite juridique et politique (donc contre l’État) et non une défaite plus théorico-pratique. La classe « dans et contre » de Tronti s’est finalement avérée (et partout) plus dans que contre sans possibilité de dépassement dialectique malgré un rapport de force bien supérieur à celui qu’on connaît aujourd’hui, mais insuffisant. Alors que la France ne « fonctionnait » plus en mai-juin 68, mais seulement pendant un mois et demi, l’Italie a continué à fonctionner malgré la « radicalité » des luttes et des actes commis pendant dix ans (il n’y a jamais eu vraiment de grève générale).

JA reconnaît aussi que la théorie de l’émeute aujourd’hui apparaît encore plus dérisoire que celle d’hier sur la nécessité de mener la guerre au cœur de l’État qui fut celle des BR à l’époque. Mais cette critique pertinente de ce que fut cette « hypothèse autonome » critique finalement toutes ses insuffisances sans les rapporter, autrement que par des citations en notes, à la révolution du capital qui a proprement englobé la notion d’autonomie elle-même comme elle l’avait déjà fait auparavant pour celles d’émancipation et de libération. Sa conclusion qui renvoie l’autonomie aujourd’hui à ce qu’était l’idéologie des conseils au début des années 70 : une vieille lune, serait probante si elle ne troquait pas « l’hypothèse autonome » désormais caduque pour une « hypothèse stratégique » dont on voit mal non seulement les contours, mais surtout pas quels en seraient les porteurs.

Jacques Wajnsztejn, juin 2021

[1] Pour J. Allavena elle serait possible du fait que « l’entité communiste se serait libérée du travail ». Mais cette idée est en contradiction avec la base de la théorie opéraïste du « dans et contre ». La théorie de la « composition de classe » chez les opéraïstes n’est pas une théorie de la séparation d’avec le capital, mais celle d’une recomposition de la classe qui, de fait, crée une séparation, mais à l’intérieur de la classe entre précaires et garantis, entre nouveaux et jeunes immigrés du sud de l’Italie et anciens immigrés du Piémont plus âgés, entre OS et OP, entre OS et techniciens. Une divergence d’intérêt et de valeurs qui remet en cause l’idée d’unité ouvrière comme base de la lutte (point de vue soutenu par les syndicats) au profit de l’idée des « avant-gardes ouvrières » sous forme de comités de base (CUB) ou d’assemblées.

[2] Alessandro Stella, Années de rêve et de plomb, Agone, 2016.

[3] Cf. mon livre à paraître : L’opéraïsme au crible du temps suivi d’« Opéraïsme et communisme » d’Oreste Scalzone, À plus d’un titre, septembre 2021.

[4] Il semble ignorer le mouvement des conseils ouvriers de Turin en 1919 et le rôle qu’y joua Gramsci sans doute parce qu’il n’a jamais été rattaché au « conseillisme » mais plutôt à une tradition de syndicalisme révolutionnaire.

[5] Occulté volontairement dit Scalzone dans « Opéraïsme et communisme » (op. cit.). La référence de JA à Sorel est aussi un peu confuse car l’autonomie de Sorel est une autonomie par rapport au politique (le syndicalisme révolutionnaire) et à la société bourgeoise (le « séparatisme ouvrier »), alors que chez Tronti il s’agit de reconnaître une autonomie du politique et donc une position à prendre par rapport à cette question (le parti, les élections, la démocratie). Toujours le dans et contre qui peut être résumé par la position personnelle de Tronti qui, vingt ans après la défaite ouvrière déclare que le mouvement a été battu par la démocratie… et qui finit sénateur PCI !

[6] Cf. Jean Barrot, « Sur l’idéologie ultra-gauche », ICO, n0 84, août 1969, p. 28-37.

[7] La note 8 de la p. 29 du livre de JA me paraît devoir être complétée.

[8] Elle précipitera seulement la scission au sein des Quaderni Rossi, la création de Classe operaia et une césure avec les organisations traditionnelles du Mouvement ouvrier.

[9] De la même façon et même page la référence au texte de Negri Domination et sabotage à propos de « l’auto-valorisation ouvrière » porte sur un texte postérieur à cette période et qui ne comporte aucune référence à un « communisme immédiat » qui manque complètement en Italie où même les expériences d’autogestion n’ont pas existé. Il y a eu des mouvements d’appropriation directe certes, mais comme le reconnaît JA par ailleurs cela n’a pas grand-chose à voir avec un processus de communisation.

[10] Un point qui se rapproche de ma notion d’expérience négative.

[11] Karl Heinz Roth (L’autre mouvement ouvrier en Allemagne : 1945-1978, Bourgois, 1979) constitue à ce niveau un contre-exemple à rapprocher de l’opéraïsme italien et dans sa filiation encore aujourd’hui, la revue Wildcat qui pratique l’enquête ouvrière.

[12http://revueinvariance.pagesperso-orange.fr/amourcombinatoire.html

[13] JA propose de traduire Comontismo par « communautisme ». Outre que les quelques membres du groupe, dont deux que je connaissais personnellement et qui maîtrisaient la langue française, n’ont jamais cherché à le traduire, il se rapproche trop de « communauté » alors qu’il est clair que Comontismo n’est pas directement en rapport avec Comunità. Connaissant bien Riccardo d’Este je le verrais plutôt désigner une perspective de tension vers un communisme affinitaire à la fois plus immédiat et plus mouvementiste que le simple appel à la communauté humaine (Gemeinwesen).

[14] Cf. Supplément au no 4 de la revue Les mauvais jours finiront, octobre 1987.