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Andreas Malm, Comment saboter un pipeline

Lien publiée le 9 septembre 2021

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

https://dissidences.hypotheses.org/14569

Un compte rendu de Jean-Guillaume Lanuque

Universitaire scandinave ayant déjà produit des travaux de référence sur l’analyse du capitalisme vue à travers les enjeux climatiques actuels – chez le même éditeur, citons le passionnantL’Anthropocène contre l’histoire1 – Andreas Malm est également un militant actif dans la lutte contre le réchauffement climatique. Dans ce court essai, il commence justement par retracer les vagues successives de ce combat, à compter des années 1990, dont l’ampleur est allée croissante. Cette brève rétrospective est mise en parallèle avec le capitalisme dit fossile, dont la course n’a cessé de se poursuivre et de s’amplifier, aux antipodes donc des luttes destinées à enrayer le développement des émissions de gaz à effet de serre.

Il cherche ainsi à démontrer l’impuissance des efforts menés jusqu’à présent, dominés par la non-violence et le pacifisme, à l’image de celui prôné par le récent mouvement Extinction Rebellion. Pour ce faire, il multiplie les exemples historiques, souvent utilisés à contre-sens par les thuriféraires de la non-violence : le mouvement abolitionniste contre l’esclavage, la lutte des suffragettes, le mouvement antifasciste, celui des droits civiques, tous ayant usé à des degrés divers de formes de violence. Il réserve une large partie de ses attaques à la figure souvent invoquée de Gandhi, qu’il accuse d’avoir été complice de la violence impérialiste britannique (en appelant à l’enrôlement des Indiens pendant la Première Guerre mondiale) et d’avoir rejeté la violence antifasciste (les citations appelant les Juifs allemands à accepter leur sort sont glaçantes)2. « Le fait que cet homme puisse apparaître comme une icône du mouvement pour le climat (…) en dit long sur l’ampleur de la régression de la conscience politique au cours du passage du XXe au XXIe siècle. » (p. 57-58). Car c’est bien le rejet de la violence révolutionnaire qu’il remet en question, évoquant à son sujet un véritable processus de « refoulement », insuffisamment explicité toutefois. « Alors que de 1789 à 1989 environ [un bornage forcément discutable], l’idée révolutionnaire a gardé son actualité et sa potentialité dynamique, depuis les années 1980, elle a été diffamée, ringardisée, désapprise et déréalisée. S’en est suivie une déqualification des mouvements, dont la répugnance à évoquer la violence révolutionnaire est une composante. » (p. 78) Ce faisant, Andreas Malm renoue les liens avec un passé enfoui mais qui ne demande, selon lui, qu’à s’embraser de nouveau. A ses yeux, la non-violence ne peut être que tactique, et doit savoir déboucher sur d’autres formes de lutte ; elle est forcément complémentaire d’autres moyens d’action, qui dépendent de l’évolution du processus révolutionnaire (parmi les exemples qu’il cite, celui de la révolution iranienne de 1979 ou du soulèvement égyptien de 2011).

Le combat contre le capitalisme fossile et l’aggravation de la crise climatique qu’il produit peut alors être comparé à la lutte contre l’esclavage ou contre le fascisme : pas de demi-mesure, la victoire complète ou rien. Cela ne l’empêche pas de demeurer dans une relative ambiguïté. Ainsi, les deux objectifs qu’il retient comme fondamentaux – stopper les nouveaux investissements dans les combustibles fossiles et entamer le démantèlement des installations déjà existantes – ne peuvent être atteints qu’en poussant les États (bourgeois, si l’on applique la grille traditionnelle d’explication marxiste) à travers des actions de sabotage. Andreas Malm donne ici l’impression de demeurer bloqué au milieu du gué. Là où il apparaît plus pertinent, c’est en dissipant le découragement que peut induire le déséquilibre des forces en faveur des pouvoirs dominants : il cite pour ce faire les actions de sabotage que pratiqua l’ANC sous l’apartheid, en Afrique du sud, celles de la résistance palestinienne contre des installations pétrolières (en 1936-1939 ou en 1969 sous l’égide du FPLP), des naxalistes en Inde ou, tout récemment, des rebelles du Yémen contre le complexe d’Abqaïq en septembre 2019 à l’aide de drones. Autant de possibilités d’action, mais toutes pratiquées pour d’autres objectifs que la lutte pour le climat.

Le temps est donc venu, selon lui, de réhabiliter le sabotage, la violence contre les biens (mais pas contre les personnes, rangée un peu rapidement sous le terme de terrorisme), en visant prioritairement les émissions [de gaz à effet de serre] de luxe opposées aux émissions de subsistance. Reprenant les enseignements du mouvement ouvrier, il insiste sur la nécessité de combiner actions d’avant-garde et mouvement de masse, une dialectique bien connue, qu’il oppose à la fois à des tenants de l’écologie profonde et de la diminution drastique de la population humaine (le mouvement Deep Green Resistance, défenseur d’une minorité éclairée et active), comme aux écologistes négligeant les oppositions de classe et ne ciblant pas suffisamment politiquement leurs objectifs (Extinction Rebellion à nouveau). On peut donc lireComment saboter un pipeline comme un trait d’union tracé avec le passé révolutionnaire – « Le mouvement pour le climat a eu son moment gandhien ; sans doute le temps vient-il d’un moment fanonien. » (p. 184-185) et comme un appel à la discussion et à l’approfondissement. C’est d’autant plus indispensable que les réflexions d’Andreas Malm négligent en grande partie la question organisationnelle, et qu’en dehors du sabotage des pipelines, le seul exemple détaillé d’action à de quoi faire sourire de par son caractère presque dérisoire :le dégonflage des pneus des SUV…..

1Voir notre critique de l’ouvrage sur ce même blog : https://dissidences.hypotheses.org/9607

2Sur ces questions, voir également l’étude de Domenico Losurdo, La non-violence. Une histoire démystifiée, chroniquée sur notre blog : https://dissidences.hypotheses.org/5303