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Réformes structurelles: sur les docks de Lisbonne
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Sur le papier, les dockers du « Front commun » étaient vraiment les damnés de la terre du XXIe siècle, avec des conditions de travail héritées du XIXe. Dans les cas extrêmes, des horaires de travail de 9 heures à 1 heure du matin, 17 heures par jour, cinq jours sur sept. Certes, la paye était bonne, 4 200 euros par mois en moyenne (le salaire minimum portugais étant inférieur à 500 euros) et jusqu’à 5 000. Mais à l’heure travaillée, une misère. Sur le papier…
Évidemment, les deux mille heures de travail extraordinaires annuelles affichées par certains n’existaient que…sur le papier, en vertu d’accords collectifs prévoyant le paiement d’une journée de travail complète dès que la durée excédait de 120 minutes les huit heures réglementaires. Un système qui n’est pas sans évoquer les « doubles services » des rotativistes du Livre CGT dans la presse parisienne. Ce, en violation ouverte de la législation du travail au Portugal qui plafonne à 200 par an les heures supplémentaires.
Ce régime bénéficiait exclusivement aux 380 dockers « statutaires » (dont 270 à Lisbonne), le reste de la main-d’œuvre travaillant dans la précarité pour des rémunérations moyennes de 800 euros les bons mois. Les quais de Lisbonne et des autres ports du centre étaient aussi une des dernières survivances en Europe des « closed shops » de l’Angleterre pré-thatchérienne, système d’embauche où c’est le syndicat qui recrute et pas l’entreprise. Résultat, le triomphe du népotisme. À Lisbonne, on est docker de père en fils, d’oncle en neveu. Les heures supplémentaire sont distribuées par le syndicat, aux plus anciens et mieux payés. Taux de syndicalisation : 100 %. Évidemment.
Les ports, atout stratégique
Dans le cadre du mémorandum signé en 2011 avec la « troïka » UE-FMI-BCE, en échange d’une aide financière de 78 milliards d’euros, le gouvernement de centre-droit de Pedro Passos Coelho a décidé de passer par la loi pour faire respecter le droit commun sur les docks de Lisbonne, troisième port du pays. Pas seulement pour mettre fin à une organisation malthusienne et à une rente sociale archaïque mais surtout parce que l’exploitation de sa façade atlantique est un des principaux atouts du pays dans le contexte européen.
À l’extrême-ouest de la masse continentale eurasiatique, le Portugal est en fait le pays le plus proche de l’Orient extrême, poumon de la croissance mondiale, par les grandes routes maritimes commerciales autour du cap de Bonne Espérance. Ce que l’on sait depuis les grandes découvertes au XVIe siècle. Charger ou décharger à Sines, Lisbonne ou Leixoes évitent aux tankers et porte-conteneurs de remonter jusqu’aux ports de l’Europe du Nord, par des passages aussi encombrés et potentiellement dangereux que le rail d’Ouessant. Ce que démontre l’intérêt des opérateurs chinois pour le port de Sines, qui peut accueillir les plus gros navires marchands au monde et dont 93 % du trafic est évacué par le rail. Le potentiel est ainsi considérable pour l’importation en Europe du gaz naturel qui est en passe de rebattre les cartes de l’énergie mondiale.
L’objectif de la réforme inscrite dans la loi votée le 29 novembre par la majorité de centre-droit PSD-CDS avec le soutien des députés socialistes est d’augmenter de 25 à 30 % la compétitivité des ports du pays. Elle prévoit notamment de ramener le régime des heures supplémentaires dans le cadre de la loi, de transférer aux entreprises la responsabilité des embauches, d’en finir avec le monopole des dockers sur certaines activités annexes.
Pour s’opposer au projet de loi, les syndicats regroupés dans le Front commun ont décrété une grève des heures supplémentaires qui aura duré plus de trois mois et désorganisé le trafic, surtout à Lisbonne, le port le plus touché. Le transit de marchandises y a chuté de plus d’un quart, au bénéfice de Sines (plus au sud) et de Leixoes au nord. Et de ports étrangers. Globalement, alors que la progression régulière des exportations est un des rares indices satisfaisants pour l’économie portugaise, les grèves auraient coûté au pays quelque 400 millions d'euros chaque mois, selon le ministre de l’économie Alvaro Santos Pereira.
La fin du monopole syndical de l'embauche
Malgré un baroud d’honneur des dockers portugais devant le siège de l’Assemblée nationale le jour du vote, en présence de représentants des syndicats de divers pays européens, où la modernisation sociale des ports est une cible mouvante depuis des décennies, le gouvernement portugais n’a pas cédé. Le 27 décembre, les dockers décidaient de mettre fin au mouvement de grève prévu pour durer jusqu’au 14 janvier.
« Nous aurions pu faire grève encore quatre ou cinq mois sans que cela ne change rien à la fin », a reconnu Vitor Dias, président du syndicat des dockers du centre et du sud. Les entreprises de manutention portuaire refusaient d’ouvrir les négociations sur les nouveaux contrats collectifs de travail tant que la situation sur les quais ne serait pas normalisée. L’interprétation de la nouvelle loi offre d’ailleurs une certaine souplesse, notamment sur les heures supplémentaires théoriquement plafonnées à 250 par an.
En revanche, la défaite du Front commun est sans appel sur deux aspects essentiels de la réforme : la fin du monopole de l’embauche et du droit exclusif à manipuler les marchandises à terre. À terme, la nouvelle organisation du travail devrait conduire à une augmentation des emplois et à une meilleure répartition de la masse salariale. Si le trafic revient car, dans l’immédiat, ce sont plutôt des suppressions de postes qui sont envisagées.
L’amélioration du potentiel des ports portugais ne se résume évidemment pas à cette modernisation sociale. Elle implique la poursuite des investissements dans les infrastructures complémentaires, surtout ferroviaires pour assurer, à l’échelle de l’Europe, un transfert du fret sur longue distance de la route vers le rail. Ce qui supposerait l’existence d’une politique européenne des transports. Mais à défaut d’être suffisante, c’était une condition nécessaire.