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Qui règne sur l’Asie ? Entretien avec Noam Chomsky
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» Qui règne sur l’Asie ? Entretien avec Noam Chomsky (les-crises.fr)
Jenny Li a interviewé Noam Chomsky pour New Bloom, quant à la responsabilité des intellectuels de gauche à une époque caractérisée par le conflit entre les États-Unis et la Chine, ainsi que concernant les moyens éventuels que de petites nations comme Taïwan, coincées dans cette compétition entre grandes puissances, peuvent mettre en oeuvre pour sortir de ce dilemme. L’interview originale a été réalisée le 25 juin 2021 et la vidéo de l’interview a été publiée le 25 août.
Vous avez manqué l’entretien vidéo exclusif entre Olivier Berruyer et Noam Chomsky ? Retrouvez-le ICI et n’hésitez pas à vous abonner à Élucid pour accéder à tous nos contenus (code promo : LESCRISES)
Source : New Bloom, Jenny Li
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
Crédit photo : Jenny Li
Jenny Li a interviewé Noam Chomsky pour New Bloom, quant à la responsabilité des intellectuels de gauche à une époque caractérisée par le conflit entre les États-Unis et la Chine, ainsi que concernant les moyens éventuels que de petites nations comme Taïwan, coincées dans cette compétition entre grandes puissances, peuvent mettre en oeuvre pour sortir de ce dilemme. L’interview originale a été réalisée le 25 juin 2021 et la vidéo de l’interview a été publiée le 25 août.
Jenny Li : Bonjour à tous, je m’appelle Jenny Li, et j’ai l’honneur aujourd’hui de m’entretenir avec le professeur Noam Chomsky au sujet de son essai, La responsabilité des intellectuels, et de son livre, Qui dirige le monde ? dans le contexte de Taïwan et des affaires asiatiques. Bonjour, professeur Chomsky ! Merci beaucoup de prendre le temps de nous parler aujourd’hui.
Noam Chomsky : Très heureux d’être avec vous.
JL : Je voulais commencer par une question qui concerne à la fois La responsabilité des intellectuels et Qui dirige le monde ? Voici donc ma première question. Les États-Unis ont toujours eu plus de pouvoir et d’influence sur les affaires mondiales que, disons, Taïwan et les plus petits pays d’Asie. Par extension, on peut imaginer que l’intellectuel américain, lorsqu’il réussit à influencer son gouvernement, aura plus d’influence sur les affaires internationales que les intellectuels de cette partie du monde. Pensez-vous que les intellectuels américains ont plus de responsabilités que, disons par exemple, les intellectuels taïwanais ?
LA RESPONSABILITÉ DES INTELLECTUELS
NC : Eh bien, la responsabilité dépend essentiellement de l’opportunité. Plus vous avez de possibilités, plus votre responsabilité est grande. Ainsi, quelqu’un comme moi a plus de responsabilités que, disons, un sans-abri qui mendie dans la rue. Ils n’ont pas les mêmes chances que moi et donc, par extension, si vous êtes dans le pays le plus riche et le plus puissant de l’histoire du monde, et que c’est un pays modérément démocratique – votre action est importante – alors vous avez une plus grande responsabilité.
JL : Vous avez également dit que la principale préoccupation des intellectuels est relative aux crimes dont ils partagent la responsabilité et au sujet desquels ils peuvent faire quelque chose. Vous avez écrit La responsabilité des intellectuels dans le contexte de la guerre américaine au Vietnam dans les années 1960. Pensez-vous que les intellectuels d’aujourd’hui ont des leçons à tirer de ce que vous avez appris depuis ?
NC : Très certainement. Nous avons des défis bien plus grands aujourd’hui, bien plus grands que ceux que nous avions même lorsque nous nous opposions à la guerre du Vietnam. En fait, nous avons des responsabilités bien plus importantes que jamais auparavant dans l’histoire de l’humanité. Nous ne pouvons pas ignorer le fait que votre génération est confrontée à une décision qui ne s’est jamais présentée jusqu’ici : la vie humaine sur Terre va-t-elle perdurer sous une forme organisée ?
Actuellement, nous sommes très affairés à détruire la planète. Si nous ne changeons pas de cap de manière significative, rien d’autre n’aura d’importance. Je fais ici référence à la destruction de l’environnement, au réchauffement de la planète, à la destruction de l’habitat, à la destruction des océans – le tout à un rythme très rapide. Comme vous l’avez peut-être vu hier, un rapport a été publié, à l’origine par l’AFP, l’agence de presse française, et a circulé dans le monde entier. Il s’agissait d’un projet. Ils avaient d’une façon ou d’une autre mis la main sur le brouillon du rapport du GIEC – les observateurs internationaux de l’environnement. Des scientifiques qui… la principale organisation scientifique qui élabore le référentiel sur l’état de l’environnement, et ce dernier est bien pire que les précédents. Ceux-là étaient déjà très graves. Celui-ci est encore beaucoup plus sérieux. Nous devons agir rapidement pour mettre fin à l’utilisation des combustibles fossiles, passer à une énergie durable, mettre fin à la destruction des habitats, ou alors la vie humaine sous quelque forme que ce soit cessera tout simplement de se perpétuer.
Alors, quelle est notre responsabilité ? De faire en sorte que cela arrive. En tant qu’intellectuel américain aux États-Unis en ce moment. Eh bien, aux États-Unis, les émissions par habitant sont tout en haut de la liste des sociétés développées. La Chine a en fait des émissions plus importantes si on prend le total, mais beaucoup moins si on considère ce chiffre par habitant. Et, bien sûr, dans le passé, les émissions ont été en grande majorité le fait des pays riches et, pour être plus précis, des personnes riches au sein des pays riches. Ils sont les responsables de cette situation et il leur revient donc de faire quelque chose pour y remédier. Eh bien, il y a des choses à faire.
Il y a, au Congrès des États-Unis… Une législation en cours d’élaboration sur une forme très efficace de « New Deal vert », ce qui correspond à peu près à ce qui est recommandé par l’Association internationale de l’énergie. Des programmes qui, en fait, limiteraient la menace, atténueraient la crise, nous conduiraient à créer un monde bien meilleur avec un environnement durable et une vie bien meilleure pour chacun d’entre nous. C’est à portée de main. Cela peut se faire à l’aide de quelques pourcentages du produit intérieur brut, bien moins que ce qui a été utilisé, disons, pendant la guerre mondiale. En fait, encore moins que ce qui a été dépensé par le Département du Trésor pour renflouer les institutions financières pendant l’épidémie de Covid. Tout cela est à portée de main, mais il faut le faire, et cela ne se fera pas à moins que des efforts importants ne soient faits par les personnes qui sont en capacité de convaincre d’autres personnes de se consacrer à cette tâche. Il y a donc tout à la fois une immense chance et une énorme responsabilité.
JL : Merci beaucoup pour votre réponse à cette question, Professeur Chomsky. Et toujours en rapport avec votre essai La responsabilité des intellectuels... Au début de cet essai, vous faites référence à Dwight MacDonald qui s’est demandé dans quelle mesure les peuples allemand ou japonais étaient responsables des atrocités commises par leurs gouvernements. Aujourd’hui, les relations entre les États-Unis, Taiwan et la Chine sont tendues et le dialogue est difficile entre gouvernements, mais on peut imaginer que les dialogues entre les peuples sont soumis à moins de contraintes. Dans quelle mesure, selon vous, les gens ordinaires, ceux que l’on ne considère pas habituellement comme des intellectuels, ont-ils une responsabilité dans la prévention des conflits entre leurs pays ?
NC : Tout d’abord je voudrais dire un mot sur la responsabilité des Japonais et des Allemands pour leurs atrocités. Lors de la guerre, ils ont été vaincus, et les pays vaincus sont obligés, par la force, de reconnaître certaines de leurs atrocités. Dans le cas des Japonais, cela a été très marquant. Les procès des Japonais ont été menés par les États-Unis, et ils ont fait une distinction très nette entre les diverses atrocités japonaises. Ils ont commencé par Pearl Harbor.
Ils ne se sont pas penchés sur les atrocités commises par les Japonais à l’encontre des Asiatiques, or elles étaient pourtant considérables et extrêmes, de loin les pires. Elles ont été écartées par le tribunal. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les pays asiatiques, quasiment en totalité, ont refusé de prendre part au Traité de paix de San Francisco. En raison de la façon restrictive dont les États-Unis concevaient les crimes japonais. C’est une des raisons pour lesquelles ils ont tout simplement refusé d’y participer. Il y a donc eu une reconnaissance partielle des responsabilités. Dans le cas de l’Allemagne, elle a été plus importante.
Les États-Unis et la Grande-Bretagne n’ont pas reconnu les exactions dont ils se sont rendus coupables pendant la Seconde Guerre mondiale, alors qu’elles étaient très importantes. Le bombardement du Japon, par exemple, a constitué une atrocité majeure. Le bombardement des agglomérations urbaines en Allemagne, une atrocité majeure. Ces atrocités ont été passées sous silence. En fait, les procès ont été organisés… le procès de Nuremberg, le plus important de tous, a été organisé de manière à absoudre les Alliés de toute responsabilité. Un criminel de guerre allemand pouvait invoquer pour sa défense que les Alliés en avaient fait tout autant, et cela a été reconnu comme un moyen de défense parce que les crimes des Alliés, les vainqueurs, ne pouvaient pas être pris en compte.. Cela a été encore plus dramatiquement vrai dans les procès de Tokyo, qui relevaient de la justice des vainqueurs. On avait donc là une reconnaissance limitée.
Pour en venir à votre question, nous avons aujourd’hui l’énorme responsabilité de prévenir les types de conflits qui sont devant nous, qui sont en gestation, qui se développent. Et si la voie actuelle est poursuivie, cela conduira très probablement à des situations extrêmement dangereuses, voire même à une guerre nucléaire. Et une guerre nucléaire entre grandes puissances est tout simplement impensable. Cela entraînerait une quasi destruction de tout. Cela laisserait un monde dans lequel personne ne voudrait vivre.
Comment cela se passe-t-il ? Regardez simplement ce qu’il se passe juste au large des côtes chinoises. Des avions de guerre chinois ont pénétré le système de défense anti-aérien de Taïwan. Les États-Unis ont envoyé une immense armada navale, deux grandes escadres de porte-avions dans la mer de Chine méridionale, qui est une zone d’une importance stratégique énorme pour la Chine. Tout cela pourrait mener à tout moment à une explosion au large des côtes chinoises. Notez qu’on ne parle pas ici de la mer des Caraïbes.
On ne parle pas du Pacifique Est, le Pacifique Est qui est au large de la Californie. On parle ici des côtes de la Chine. La Chine est entourée de bases nucléaires, un cercle d’endiguement, des missiles nucléaires pointés vers la Chine depuis des bases américaines dans tout le Pacifique. Ce qu’on appelle « le Quad », les quatre principaux alliés des États-Unis en Asie, le Japon… Les États-Unis, le Japon, l’Australie, l’Inde, tous aux mains de gouvernements extrémistes de droite et bellicistes. Les États-Unis les incitent actuellement à adopter une attitude hostile plus énergique à l’égard de la Chine. Les États-Unis eux-mêmes consacrent d’immenses efforts pour essayer de contrer le développement de la Chine. C’est assez choquant à observer. Nous devrions coopérer. Il est nécessaire que la Chine et les États-Unis, deux économies majeures, coopèrent sur toutes sortes de questions, des questions cruciales comme le réchauffement climatique, les pandémies, les armes nucléaires.
Au lieu de coopérer sur ces questions, on se retrouve en conflit, des conflits majoritairement initiés par les États-Unis. Juste pour vous donner une idée de la portée de cette crise : le Congrès des États-Unis vient d’adopter une loi de relance limitée pour reconstruire les infrastructures qui s’effondrent et qui ont grand besoin d’être rénovées aux États-Unis. L’état des infrastructures américaines est un scandale. On peut prendre un train à grande vitesse de Pékin jusqu’au Kazakhstan, mais cela est impossible si on veut aller de Boston à Washington, de New York à Washington, l’axe le plus fréquenté, tant les États-Unis sont en retard en matière d’infrastructures. Eh bien, un projet de loi de portée limitée a finalement été adopté.
Le projet de loi ne pouvait pas être satisfaisant dans la mesure où le parti républicain bloquait tout ce qui était satisfaisant, mais il est passé quand même, et la seule façon de le faire passer était de l’inscrire dans le cadre de « Haïssons la Chine. » « Il nous faut reconstruire nos infrastructures pour nous assurer que la Chine ne nous devance pas ». C’est scandaleux. Nous devons reconstruire nos infrastructures tout simplement parce que nous avons besoin de les reconstruire. Si par hasard la Chine apporte son concours dans le domaine de l’énergie solaire, de l’électrification, de la santé, etc., nous devrions la féliciter et nous associer, et non essayer de l’entraver.
En fait, cela remonte loin dans l’histoire américaine, il faut aller jusqu’aux XVIIIe et XIXe siècle. Au cours du XIXe siècle, lorsque les puissances impériales menées par la Grande-Bretagne attaquaient la Chine, forçant la Chine… C’était la plus grande opération de narcotrafic de l’histoire mondiale pour tenter de déstabiliser Chine. Les États-Unis y ont participé à cette époque. Des travailleurs chinois étaient enlevés pour travailler aux États-Unis sur des tâches que les Américains ne voulaient pas faire, comme dynamiter des montagnes pour faire passer la Ligne Transcontinentale. On les appelait les « coolies chinois » et on les réprimait sévèrement. En 1882, les États-Unis ont adopté leur première loi contre les immigrants visant les Chinois.
Aucun Chinois ne pouvait immigrer, et les Chinois qui se trouvaient aux États-Unis ont été expulsés par la force et de manière assez brutale. C’est quelque chose qui est resté … Cette loi est restée en vigueur jusqu’à très récemment. Dans les années 1950, une autre hystérie antichinoise s’est développée. En fait, certaines de ces idées étaient si extrêmes que Jack London, l’un des écrivains les plus progressistes d’il y a environ un siècle, a écrit une histoire dans laquelle il expliquait que nous devions tuer tout le monde en Chine via une guerre bactériologique pour les empêcher de nous envahir et de nous détruire.
Eh bien, on en arrive à aujourd’hui où une autre campagne « Haïssons la Chine » se développe. La Chine fait beaucoup de mauvaises choses. Il faut la critiquer et la condamner, tout comme il faut condamner les méfaits des États-Unis, mais cela ne justifie en rien une monstrueuse campagne de « haine de la Chine », qui va miner… qui ne nuit pas seulement à la Chine, comme elle est censée le faire, mais qui nuit à tout le monde, parce qu’elle crée ce genre de tensions qui pourraient sérieusement exploser, et qu’elle empêche le type de coopération – coopération internationale – qui est nécessaire si nous voulons faire face à nos crises actuelles.
JL : Merci beaucoup. Ma prochaine question est liée à cette soi-disant compétition entre les Etats-Unis et la Chine. Dans une interview accordée en août dernier au Foreign Correspondents’ Club de Hong Kong, vous avez décrit les actions de la Chine en Asie comme une tentative de réaffirmer son rôle traditionnel de puissance régionale et comment les États-Unis ne le permettront pas. Vous avez également décrit Hong Kong comme « quand deux éléphants se battent, l’herbe en souffre ». Ma question est donc la suivante : comment les habitants de Taïwan et des petits pays d’Asie devraient-ils louvoyer, pris dans ce conflit de grandes puissances entre les États-Unis et la Chine ? Et voyez-vous une quelconque marge de manœuvre ou d’autodétermination pour « l’herbe ? »
NC : C’est, pour eux, une situation très complexe. Hong Kong a été soumis à des mesures très répressives ces deux dernières années, contre lesquelles il convient de résister dans la mesure du possible. Les actions de la Chine devraient être en partie dénoncées. En ce qui concerne Taiwan… Taiwan a développé une démocratie fonctionnelle très impressionnante avec une économie très spectaculaire. En fait, on y trouve la plus importante usine de semi-conducteurs du monde entier ! Et ce n’est qu’un exemple. La situation est délicate avec la Chine. Elle a été préservée jusqu’à présent en acceptant officiellement la « politique d’une seule Chine » mais en fait, en appliquant une politique et un développement économique séparés et indépendants.
Pour les Taïwanais, les hostilités croissantes entre les États-Unis et la Chine constituent une menace très réelle, et ils devraient faire tout ce qu’ils peuvent pour faire pression sur les grandes puissances et les inciter à la diplomatie, les négociations et la cessation des actions hostiles. Ils peuvent aider à cet égard. Même chose à Hong Kong. Hong Kong, bien sûr, a eu un bon niveau d’indépendance, mais nous devons garder à l’esprit que c’est récent. Hong Kong a été volé à la Chine par la sauvagerie britannique dans le cadre de leur effort pour détruire la Chine dans leurs énormes opérations de narcotrafic.
L’Occident aimerait sans doute oublier cela, mais je suis sûr que ce n’est pas le cas des Chinois. C’est la toile de fond à garder à l’esprit. Cela ne justifie pas les actions actuelles des autorités chinoises, mais cela peut contribuer à les expliquer. Donc, oui, les pays situés à la périphérie de la Chine ont un certain degré d’autonomie. Il est très, très difficile de manœuvrer dans une telle situation , mais leurs efforts devraient être consacrés, dans la mesure du possible, à pousser les grandes puissances, les États-Unis et la Chine, les alliés des États-Unis en Asie, à recourir à la négociation, la diplomatie, ce qui est certainement possible. Il y a beaucoup de place pour cela. Les problèmes qui existent sont réels. Ils peuvent être atténués, réglés par des moyens pacifiques appropriés, et c’est le seul espoir de survie décente, pour les pays d’Asie. Ou d’ailleurs, pour le monde entier.
JL : C’est ma dernière question pour vous, Professeur Chomsky. Vous avez passé beaucoup de temps dans cette partie du monde, en Asie. Les mouvements de jeunesse en Asie aujourd’hui vous donnent-ils de l’espoir ? Et, y a-t-il quelque chose que vous aimeriez dire aux générations futures ?
NC : Eh bien, l’Asie est dans une situation remarquable. Si vous revenez sur l’histoire du monde, en remontant des milliers d’années et en allant jusqu’au XVIIIe siècle – c’est presque la totalité de l’histoire enregistrée – l’Asie était le centre par excellence de la civilisation mondiale. L’Europe était une poignée de barbares, en marge de l’Asie. Vous vous souvenez certainement, j’en suis sûr, que lorsque les émissaires britanniques sont venus en Chine au XVIIIe siècle et ont été agréés par l’empereur, autorisés à lui rendre visite et à tenter de conclure des accords commerciaux.
Lui, l’empereur, leur a dit : « Nous ne voulons rien de vous. Nous avons tout ce dont nous avons besoin. Nous sommes bien plus avancés que vous. Si vous voulez, nous vous laisserons installer un petit comptoir commercial quelque part où vous suivrez nos règles, mais vous n’avez rien à nous offrir. » C’était pratiquement le cas. Il en va de même pour l’Inde. L’Inde était une société riche et développée, bien plus que l’Angleterre.
Les Européens avaient un avantage : la barbarie. Voilà. Les Européens étaient plus en avance dans le domaine de la guerre. Les historiens militaires soulignent que l’Europe avait fait de la guerre une science dont aucun autre pays au monde ne disposait et, en utilisant leurs avantages en termes de brutalité, les Européens ont pu pénétrer en Asie, dévaster l’Inde, désindustrialiser l’Inde. L’Angleterre a volé à celle-ci sa technologie la plus pointue, l’a désindustrialisée, l’a saccagée, a fait son entrée en Chine en recourant principalement à la violence. Ils disposaient de davantage de moyens de violence… les opérations de narcotrafic… et l’Asie a souffert pendant une période de l’histoire humaine, d’une brève phase de sujétion à des forces extérieures. Cela s’est révélé très dommageable.
Eh bien, elle entame sa convalescence. Elle est en passe de retrouver le statut qu’elle avait autrefois. Elle redevient un centre majeur de civilisation, de production, de culture, etc. Comment cela va-t-il se passer à partir de maintenant ? Voilà qui est entre vos mains. Il y a beaucoup de possibilités, mais l’Asie pourrait retrouver la position qu’elle avait autrefois – non pas qu’il se soit agi d’une jolie société, elle ne l’était pas à bien des égards. Mais par rapport aux conditions mondiales de l’époque, elle était la plus avancée, et elle est en capacité d’évoluer de nouveau dans cette direction. Mais cela dépend de la manière dont les gens en Asie, les gens comme vous, les jeunes, seront capables de tirer parti des possibilités qui s’offrent à eux et de surmonter les très sérieux obstacles qui se dressent sur leur chemin. Il s’agit d’un défi historique.
JL : Merci beaucoup pour votre temps, Professeur Chomsky, et pour tout ce que vous avez fait. C’était un plaisir de parler avec vous aujourd’hui.
NC : Merci beaucoup
JL : Je vous remercie
Source : New Bloom, Jenny Li – 16-09-2021
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises