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Guerre en Europe ?

Lien publiée le 8 décembre 2021

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

Guerre en Europe ? – Arguments pour la lutte sociale (aplutsoc.org)

« Le scenario cauchemar de la confrontation militaire est en train de faire son retour en Europe. » Pour comprendre tout le sel de cette phrase, il faut savoir qui est son auteur : Sergueï Lavrov, ministre des Affaires étrangères de Poutine, déplore qu’il y a des troupes à la frontière ukrainienne, positionnées ouvertement pour une attaque. Ces troupes sont les siennes ! Selon le gouvernement ukrainien, il s’agit de 175 000 soldats – nettement plus qu’il y a 15 jours, et plus qu’en ce printemps – et aussi de dispositifs sophistiqués, répartis entre la frontière Nord, la frontière Est et la Crimée.

Il doit être absolument clair pour tout militant ouvrier, qu’il s’agit là d’une menace et d’une pression inadmissibles, impérialistes, de l’ancienne puissance coloniale contre une ancienne colonie dont elle occupe déjà une partie du territoire depuis 2014.

Cette opération, soit préalable à une invasion, soit visant à mettre la pression, fait en outre directement suite à l’opération d’utilisation des migrants en Biélorussie, aux frontières polonaise et lituanienne, à laquelle Lituanie et Pologne, avec le soutien de l’UE, ont réagi par des murs, des barbelés, et des coups sur les migrants.

Les deux opérations s’enchainent directement et l’une et l’autre mettent explicitement en cause des frontières. L’indépendance ukrainienne et même celle des pays baltes sont ainsi désignées par la Russie comme « non digérées » et devant être à terme remises en cause.

Aspect essentiel, l’enchainement de ces deux opérations a aussi un adversaire non avoué : la classe ouvrière et la nation bélarusse, qui ont ébranlé le système impérialiste poutinien en août 2020 par les manifestations, les grèves de masse, et la place des femmes dans ce mouvement. Le régime biélorusse, lundi 5 décembre, a prétendu avoir repéré un hélico ukrainien envahisseur et menace de tirer s’il prétend que cela se reproduit …

A la question : que cherche Poutine ?, une réponse partielle est apportée par ce qu’il a déjà obtenu.

Le 30 novembre le secrétaire US aux Affaires étrangères Anthony Blinken a déclaré : « Nous avons clairement dit au Kremlin que nous riposterions, notamment par une série de mesures économiques à impact élevé que nous nous sommes retenus d’utiliser par le passé ». Ces propos signifient, en creux, que les Etats-Unis font savoir qu’ils ne réagiront pas militairement en cas d’invasion de l’Ukraine et qu’ils imprimeront bien sûr cette ligne à l’OTAN, mais qu’ils prendront des « mesures économiques », lesquelles accéléreront la tendance présente à la fragmentation du marché et de l’économie mondiale.

Il est assez remarquable que la quasi-totalité des commentaires des médias européens soulignent la « fermeté » US de ces propos, et non pas leur contenu réel. C’est sur cette base qu’un « sommet » en visio Poutine/Biden a commencé depuis une petite heure lorsque j’écris ces lignes …

D’autre part, l’agitation monte en Ukraine, de façon forcément confuse car le gouvernement corrompu du comique anti-corruption, lui-même corrompu, Zelenski, est à hue et à dia, prétend que le plus puissant des oligarques, le vrai et puissant héritier de la bureaucratie, le propriétaire du Donbass occupé et du Donbass non occupé, Rinat Akhmetov, veut faire un coup d’Etat contre lui, suscite des manifestations anti-oligarchiques demandant sa démission, etc.

Cependant, le volontariat pour les unités de défense territoriale redevient populaire et important en Ukraine.

Dans une certaine mesure, Poutine a donc déjà obtenu des résultats diplomatiques significatifs. La position des Etats-Unis, lui promettant en fait qu’ils ne répondront pas militairement à quelque chose d’aussi énorme qu’une invasion de l’Ukraine, est à double tranchant. D’une part, elle signifie à la nation ukrainienne qu’elle ne doit compter réellement que sur ses propres forces, ce qu’elle fera au cas où. D’autre part, c’est une position qui tient compte du troisième acteur impérialiste : la Chine. Car ce qui se lit en creux dans la phrase de Blinken, c’est que Washington exclut un double front Ukraine/Taiwan. Donc c’est un message à Xi Jinping qui veut dire : pour nous, tu es prioritaire, et ne t’imagines pas qu’en cas de guerre en Ukraine tu peux sauter sur Taiwan.

Un dernier paramètre toutefois n’est pas intégré dans cette position « entre les lignes », mais claire, des Etats-Unis, c’est la portée politique et psychologique qu’aurait une guerre en Europe ouvertement préparée qu’ils laisseraient se dérouler « tranquillement », en ce qui concerne leur image et leur puissance – ce serait une seconde catastrophe afghane au carré -, leurs relations avec leurs alliés, etc.

L’impérialisme nord-américain n’a jamais été et ne sera pas un défenseur de la nation ukrainienne contre l’impérialisme russe. Ceci n’est pas une nouveauté. Au printemps 1991, le président Bush senior s’était rendu à Kiev pour dire « surtout, pas d’indépendance ». L’URSS explosait quelques mois plus tard sous la pression des peuples.

Cette stratégie US permet donc à Poutine d’engranger des gains et le tolère.

Cependant, une entrée de ses troupes en Ukraine serait une tout autre affaire. Poutine devra compter avec la résistance armée des Ukrainiens, mais aussi avec le refus du peuple russe d’une telle guerre, et aussi du peuple bélarusse. Ceci produirait sans doute une rupture avec la Turquie et les positions russes en mer Noire, même sans intervention US ou de l’OTAN, deviendraient précaires.

Une telle intervention signerait l’achèvement de la transformation de la démocrature en totalitarisme à Moscou, mais scellerait aussi le premier clou du cercueil du Bonaparte russe, synthèse de deux siècles de traditions policières tsaristes et « communistes ». Ce serait le commencement de la fin.

C’est aussi pour cela que Biden supplie Poutine de ne pas trop s’énerver, lui promet sans nul doute que jamais l’Ukraine ne sera dans l’OTAN, qui est, de toute façon, une fausse protection.

En alignant ses troupes, le canon braqué sur Kharkhiv, Dnipro, Kriv’yi Riv et Marioupol, Poutine arrive à la limite de son efficacité réactionnaire. A la faveur de la crise montante de l’impérialisme nord-américain, il a pris des positions, garanti l’ordre, fait de la Syrie un Vietnam, diffusé la peste des commandos Wagner en Afrique. Tout cela au compte de l’ordre capitaliste, impérialiste et pétrolier mondial, au compte d’un système social de réchauffement, de mort et de destruction. Mais là, pour ce système, il devient contre-productif.

S’il attaque en Ukraine, les peuples résisteront et le clivage traversera dans le mouvement ouvrier mondial les forces attachées à l’ordre ancien, les « campistes », et les forces tournées vers la lutte pour un avenir.

Il accélérera la fragmentation du marché mondial, il fera plonger les bourses et il posera à Washington et à Beijing la question de leur propre front.

« Normalement », Poutine ne devrait donc pas attaquer, c’est trop dangereux. Mais ne rien faire après un immense coup de bluff, cela peut aussi l’affaiblir, et le message contre les frontières existantes, du point de vue impérialiste russe, est, pour ainsi dire, « sincère ». En 1914 aussi, les uns et les autres parmi les grands de ce monde savaient raisonnablement qu’il valait mieux ne pas attaquer. Donc soyons clairs, on ne fait pas ici des prédictions, mais on doit dire que cela peut arriver.

Une Ukraine indépendante, débarrassée de tous les oligarques, reste une idée neuve en Europe, dont la réalisation menace le désordre mondial des Poutine comme des Biden.

VP, le 07/12/21.

Photographie illustrant cet article : répression contre des Tatars en Crimée russe, source : Ukrain Solidarity Campagn.