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Leçons médiatiques de disqualification économique
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Leçons médiatiques de disqualification économique - Acrimed | Action Critique Médias
Depuis leurs magistères, les rois du PAF tranchent : économiste orthodoxe ? Pouce levé. Économiste hétérodoxe ? Pouce baissé. Aux premiers les heures d’antenne, aux deuxièmes les insultes et les signes d’exaspération. Retour sur deux scènes radiophoniques, novembre 2021.
Scène 1
3 novembre, « RTL midi », Pascal Praud interviewe à distance Raphaël Pradeau, porte-parole d’Attac, pour commenter les résultats (mirifiques) de la bourse. Le moment est rare, presque inédit : un véritable calvaire pour le présentateur vedette, qui se liquéfie à mesure que son interlocuteur lui rappelle quelques vérités économiques élémentaires.
Mais la séquence dure environ six minutes trente et le temps d’exposition est réduit autant que possible : Raphaël Pradeau parlera en tout à peine plus de 2 minutes, et jamais plus de 35 secondes consécutives. Quelques poignées de secondes, donc, qui semblent toutefois paraître des heures au pauvre Pascal Praud, qui multiplie les signes d’agacement, lève les yeux au ciel, secoue la tête, coupe systématiquement la parole à Raphaël Pradeau. Jusqu’à ce que ce dernier commette l’ultime impair : citer l’économiste Thomas Piketty. C’en est trop pour Pascal Praud, qui en oublie le nom de son interlocuteur du jour – qu’il appelle « M. Attac » – avant de le qualifier, à court d’« arguments », de partisan de « l’ultra-gauche », l’accusant de défendre… « une économie particulière ».
Sur CNews, les talents d’homme de spectacle façon polémiste réactionnaire font merveille, et une telle mésaventure ne serait jamais arrivée à Pascal Praud. Mais sortez le trublion de sa zone de confort éditoriale et idéologique, et le château de cartes s’effondre. Imaginons un instant que cette « économie particulière » – si « particulière » qu’elle se contente de rappeler des réalités aussi fondamentales que les structures de la propriété des grandes entreprises ou de la fiscalité des ménages – dispose d’une exposition égale à celle du ronron libéral diffusé jour après jour dans les médias. On appellerait ça… le pluralisme. Une idée ô combien saugrenue pour des médias d’information, nous en convenons !
Scène 2
19 novembre, « Les Grandes Gueules » (RMC), Alain Marschall et Olivier Truchot reçoivent Franz-Olivier Giesbert. Ce dernier a micro ouvert pour faire du FOG (c’est-à-dire raconter n’importe quoi n’importe comment), avant, tout seul, de s’énerver au mot de « dette ». S’inscrivant à plein dans le radotage médiatique sur la question, Giesbert s’emballe : « Il y a une dette monumentale ! Alors à ce moment-là tous les pseudo économistes bidons vont vous expliquer "la dette s’efface" : première connerie ! » Et de poursuivre : « Ou alors "mais non mais le Japon ou l’Italie ont une dette supérieure", mais enfin les pauvres nazes qui… enfin j’veux dire c’est vraiment les pseudo économistes atterrés soi-disant ou atterrants. » Ainsi va de la vie des chiens de garde : ayant le monopole de la parole, ils en usent et abusent pour enfoncer ceux qui ne l’ont jamais (ou si peu), option mépris si possible.
Présent, l’économiste hétérodoxe se fait couper la parole, subit les signaux désapprobateurs de son intervieweur. Absent, l’économiste hétérodoxe est discrédité, si ce n’est insulté.
Pile le pluralisme perd, face la doxa gagne. Hourra !
Maxime Friot
Annexe : Transcription de l’échange entre Pascal Praud et Raphaël Pradeau
Agnès Bonfillon : Nous sommes avec Raphaël Pradeau, porte-parole de l’association Attac […] On a vraiment effectivement l’impression d’un monde parallèle, un monde inaccessible pour la plupart d’entre nous.
Raphaël Pradeau : Ah ben c’est vrai que quand on entend ces chiffres on voit que c’est pas la crise pour tout le monde. On a vu que la crise du coronavirus avait entraîné une explosion de la pauvreté, on voit ces images de files d’attente d’étudiants notamment qui n’arrivent pas à manger, et dans le même temps on a la fortune des milliardaires qui a explosé, et, comme vous venez de le dire [coupé]
Pascal Praud. : C’est la fortune des entreprises, si vous me permettez. C’est pas la même chose. La fortune des entreprises c’est pas la fortune des milliardaires.
R. P. : Oui sauf que qui détient les entreprises, ce sont les actionnaires, et que les actionnaires [coupé]
P. P. : Et c’est parfois aussi des gens qui travaillent dans ces entreprises. Qui travaillent dedans et qui sont ce qu’on appelle des salariés.
R. P. : Vous savez très bien qu’aujourd’hui, c’est quand même démontré, c’est pas Attac qui le dit, que les actions sont concentrées de manière très très inégalitaire dans les mains des plus riches. Et par exemple la principale personne qui s’est enrichie pendant cette période c’est Bernard Arnault, dont la fortune a augmenté de 62 milliards d’euros. C’est une personne physique. Alors évidemment là on voit que les entreprises, du coup… [coupé]
P. P. : C’est l’action LVMH qui a bondi de 67% effectivement en un an. La société Hermès a grimpé de 72%. Tout ça c’est de l’action. Ce sont les actions. Mais quand vous dites « des milliardaires », c’est aussi je le répète des gens qui travaillent dans ces entreprises et l’économie et c’est beaucoup de gens qui fabriquent ces objets-là hein. C’est important de le dire.
R. P. : Mais vous pouvez essayer de me faire croire que les actions sont distribuées équitablement dans la population mais il se trouve que c’est faux, et c’est l’Insee qui le dit il n’y a pas… et en plus alors si on revient par là ce qui dope aussi ça c’est une politique qui est favorable aux versements de dividendes, et qui favorise la montée des cours des actions. Et c’est notamment les mesures qui ont été prises au début du quinquennat Macron avec cette flat-tax qui fait qu’aujourd’hui les revenus financiers sont taxés moins que les revenus du travail [coupé]
P. P. : Je suis obligé de vous couper parce que Bernard Lehut nous attend et n’y voyez aucune mauvaise intention de ma part, mais c’est l’annonce du lauréat du prix Goncourt !
Deux minutes plus tard, la discussion reprend :
Agnès Bonfillon : Raphaël Pradeau, est-ce qu’il y a une solution et quelle solution vous proposez pour que les richesses finalement soient mieux redistribuées, c’est un peu la question tarte à la crème, mais on a envie de savoir quand même ?
Raphaël Pradeau : En fait depuis les années 1980 les inégalités augmentent parce que ce qu’il s’est passé c’est que le système fiscal est de plus en plus injuste. On a diminué les impôts payés par les plus riches, on a diminué les impôts progressifs, notamment les tranches d’imposition maximales sur le revenu, on a supprimé l’ISF, on a instauré la flat-tax, et dans le même temps aussi on a diminué le taux d’imposition sur les sociétés. Ce qui fait qu’en fait que de plus en plus l’impôt il est… il porte sur la consommation. C’est l’impôt… c’est la fameuse TVA, ce sont les taxes sur l’essence par exemple, on l’a vu avec le mouvement des Gilets jaunes. Pourquoi est-ce qu’il y a ce sentiment d’injustice fiscale ? Parce que les Français ont très bien compris que plus on est riches moins on paye d’impôt en proportion de son revenu [coupé]
Pascal Praud : Il y a 50% des Français qui ne payent pas d’impôt hein, faut le rappeler.
R. P. : Alors, c’est sûr que si vous voulez nous faire croire que les impôts ce sont uniquement l’impôt sur le revenu il se trouve que l’impôt sur le revenu ça rapporte deux fois moins que la TVA. Or, la TVA est un impôt qui est proportionnellement plus payé par les pauvres que par les riches. Il se trouve qu’il y a des travaux qui montrent aujourd’hui – quand on prend tous les impôts et non pas comme veulent nous faire croire les libéraux que les impôts directs, les impôts sur le revenu – quand on prend tous les impôts y compris les impôts sur la consommation, en réalité et je vous invite à regarder M. Praud les travaux notamment menés par Piketty [coupé]
P. P. : Ah ben monsieur Piketty et monsieur Attac je pense qu’ils sont euh… comment dire… l’association Attac vous êtes sur la même longueur d’onde. Merci en tout cas c’était un plaisir de vous écouter. C’est toujours instructif, même si effectivement vous défendez une économie particulière, à l’ultra-gauche hein disons-le, porte-parole à Attac et monsieur Piketty aussi. 12h52 on va marquer, et pourquoi pas d’ailleurs hein, on va marquer une pause et nous revenons pour le deuxième sujet du jour.