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Notre amie Taubira
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Édito #38 – Notre amie Taubira - QG Decolonial
Signe que la gauche institutionnelle, laïque et républicaine continue, en dépit de ses déconvenues électorales depuis la fin du mandat Hollande, à prendre les gens, et singulièrement « le peuple de gauche », pour des gogos : elle sort Christiane Taubira de son chapeau. Celle-ci, femme et noire, semble à la gauche socialiste l’étincelle tant attendue pour faire bonne figure à la prochaine présidentielle qui s’annonce calamiteuse. Elle arrive cependant un peu tard dans la course électorale en tant que femme : Le Pen, Pécresse, Hidalgo et Arthaud le sont aussi.
Taubira en figure de proue qui par un coup de baguette magique remettrait la gauche en ordre de bataille est une sorte d’Obama hexagonal. On peut du reste tirer toutes les conséquences de cette analogie. Taubira comme Obama sont noirs et c’est la vertu que la gauche leur accorde. Mais elle la leur accorde car il n’est pas avec eux question de négritude.
Christiane Taubira comme Barack Obama sont noirs mais immédiatement, on a en tête la question de Jean Genet en exergue de sa pièce Les nègres : « Mais, qu’est-ce que c’est donc un Noir ? Et d’abord c’est de quelle couleur ? » tant la politique de l’ancien président US comme la carrière politique de l’ex-garde des sceaux de Hollande et Valls ont versé dans la réaction.
Au niveau planétaire, Obama suscitait le même genre d’engouement que Taubira ou que l’équipe de France de football de 1998, à savoir une immense joie de l’antiracisme moral au constat que l’un comme l’autre sont des leurs, c’est-à-dire intégrés, du côté de l’impérialisme et de la puissance des pays qu’ils dirigent – ou dirigeraient – et servent.
Obama annonçait la fermeture de Guantanamo mais fut le président US le plus belliqueux de ces dernières années au mépris même des règles du droit international via, par exemple, des attaques de drones qui tuèrent, selon un article récent du New-York Times[1] « des milliers de civils » sans jamais être assumées par le pouvoir US d’alors.
À un moindre niveau, Taubira relève de la même entourloupe et l’éventuel enthousiasme qu’elle pourrait susciter serait lourd de graves déconvenues à venir. Soutenir ce point n’est pas un procès d’intention. Si Taubira n’a en effet jamais dirigé la France, elle a participé au pouvoir et a montré que même d’un point de vue « de gauche », sa ligne politique est plus que problématique puisque son programme à l’élection présidentielle de 2002 était déjà plus à droite que celui de Jospin, pourtant bien libéral et propatronal[2].
Plus généralement, Taubira a commencé comme militante indépendantiste guyanaise mais elle a abandonné ce combat au moment de l’élection de Mitterrand pour, ensuite, non seulement épouser les vicissitudes de la gauche anticommuniste sous un président ex-vichyste et pro-Algérie française mais aussi les modes du parlementarisme français.
C’est ainsi que Christiane Taubira vota l’investiture du gouvernement Balladur en 1993. Ce gouvernement, sous présidence Mitterrand, comptait dans ses rangs Sarkozy au budget et surtout Pasqua à l’Intérieur. Ce dernier est à l’origine des sinistres lois rognant le droit du sol et ouvrant la porte à toutes les dérives racistes contemporaines[3], jusqu’à la loi « Séparatisme » par exemple.
Toutefois, Taubira a porté en mai 2001 la loi reconnaissant l’esclavage comme crime contre l’humanité et a voté en 2004 contre la loi sur les signes religieux à l’école. Ces actions sont à son crédit mais elles ne l’ont hélas pas empêchée de soutenir ou de participer aux gouvernements socialistes de Jospin – avec Chevènement à l’Intérieur – puis d’Ayrault et de Valls sous Hollande.
Son compagnonnage au sein des Radicaux de gauche en 1994 avec Bernard Tapie[4], qui la soutint en 2002 avant de rallier Sarkozy en 2007, est également à souligner mais cette péripétie est presque anecdotique en comparaison du point essentiel sur lequel s’est conclue sa carrière au sein du pouvoir.
Taubira apparaît en effet comme un totem parlementaire – comme disait de Rocard ou de Mendès-France Alain Badiou à l’époque où il ne frayait pas avec Nathalie Heinich et Pascal Bruckner dans Marianne – en ceci qu’elle est, comme par magie et pour son goût pour la poésie, parée de toutes les vertus et proclamée sage de la République au-dessus du marigot politicard. Le caractère têtu des faits ne peut pourtant être omis : Taubira malgré son verbe dilatoire fut une pièce essentielle du quinquennat Hollande pour incarner le visage affable de la violence vallsiste. Si elle a voté NON au referendum de 2005 sur la Constitution européenne, elle a su, pour un ministère, rentrer dans le rang européiste. On ne peut pas dire que l’ex-ministre ait fait preuve, dans sa carrière déjà bien remplie, de ténacité.
Certes, Christiane Taubira a quitté le gouvernement en janvier 2016, c’est-à-dire un peu plus d’un an avant la présidentielle de 2017 qui a élu Macron. Elle n’est donc pas comptable de la « Loi travail » mais elle a, au nom de la solidarité gouvernementale, approuvé la majeure partie de la politique et des exactions de la Présidence Hollande. Ainsi n’a-t-elle pas désapprouvé l’intervention française au Mali en 2013 ni condamné la mort de Rémi Fraisse fin 2014 tué par une grenade jetée par un gendarme qu’elle a même implicitement défendu notamment sur France culture[5]. Au moment où paraissait la photo du petit Aylan, trois ans, mort sur une plage, la Ministre de la justice s’est fendue d’un indécent poème sans remettre en cause la ligne du gouvernement Valls sur ce sujet[6].
En tant que Garde des sceaux, Christiane Taubira s’est illustrée par un refus opiniâtre d’entendre le collectif pour la libération du militant communiste révolutionnaire libanais Georges Ibrahim Abdallah. Elle ne s’est pas contentée, dans cette affaire, de ne pas répondre aux demandes d’entretien, pas plus qu’aux courriers, des soutiens et amis du militant injustement détenu en prison. Elle a aussi, via le parquet, fait appel à deux reprises contre une décision judiciaire qui permettait sa libération.
Enfin, en guise de cadeau de départ, Madame Taubira a laissé une circulaire relative au mineurs étrangers isolés[7] qui précarise davantage la situation de ces jeunes gens en excluant de toute protection celles et ceux qui seraient déclarés majeurs par des évaluations « sociales ». Cette circulaire, homogène à la surenchère législative sous Macron, préfigure une différence de traitement entre mineurs isolés français et étrangers.
Enfin, la violente répression des manifestations par la police n’est pas apparue, sous Hollande, au moment de la « Loi Travail ». Presqu’un an et demi avant, lors des manifestations propalestiniennes de l’été 2014 dont certaines furent interdites, le quartier de Barbès fut le théâtre d’une violence policière inouïe. Les manifestants furent en outre diffamés, traités d’antisémites et leurs manifs, de « Nuit de cristal » par le CRIF.
Dès lors, la question de la position de Taubira relative à la lutte de libération nationale palestinienne ne se pose politiquement plus. Sans doute, l’ex-garde des sceaux n’est-elle pas sioniste comme l’est par exemple l’ex-Premier ministre Manuel Valls mais cela, en vérité, n’a pas grande importance.
Dans l’État impérialiste que Christiane Taubira a décidé de servir depuis plus de 40 ans maintenant, on est aux côtés des bombardements sur l’Irak et la Syrie et « pour la sécurité d’Israël », du nom de cet état colonial qui bafoue les droits du peuple palestinien. Ses bavardages sur deux états sont tellement vains et indécents qu’elle s’énerve vite, condamne BDS et refuse d’abroger la circulaire d’Alliot-Marie, comme devant Éric Fassin sur Mediapart[8]. Elle finit d’ailleurs par dire qu’ « il ne faut pas idéaliser la lutte contre l’apartheid ».
S’émerveiller de la candidature Taubira, c’est nier les structures et sauter à pieds joints sur la scène de la politique spectacle.
Taubira, une amie qui ne nous veut pas du bien.
[1] https://www.nytimes.com/interactive/2021/12/18/us/airstrikes-pentagon-records-civilian-deaths.html?fbclid=IwAR1cUO7rz3PYjLdpntiaH3QlB6xi1HTCVKV3uNYty2ibMVyegwFYwCMSQM8
[3] https://enseignants.lumni.fr/fiche-media/00000000450/loi-pasqua-sur-les-conditions-d-entree-et-de-sejour-des-immigres.html
[4] https://www.youtube.com/watch?v=YubDCedp9f4
[5] https://blogs.mediapart.fr/jjmu/blog/041214/lettre-mme-taubira-coecrite-par-chloe-fraisse-soeur-de-remi-fraisse-amal-bentoussi-farid-el-yamni-raymond
[6] https://twitter.com/ChTaubira/status/639436472001646594?s=20
[7] https://blogs.mediapart.fr/lingua/blog/130116/nous-en-sommes-la
[8] https://www.france-palestine.org/Video-Christiane-Taubira