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Jean-Jacques Cadet, Marxisme et aliénation. Cinq études sur le marxisme haïtien
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
https://dissidences.hypotheses.org/14711
Un compte rendu de Frédéric Thomas
Ce livre réunit cinq études de Jean-Jacques Cadet, auteur du Marxisme haïtien. Marxisme et anticolonialisme en Haïti (1946-1986), issu de sa thèse, et publié en 2020 aux éditions Delga. Dans cet ouvrage-ci, il étudie l’appropriation haïtienne des œuvres de Marx et Engels, avec, pour hypothèse, que cette appropriation est de nature essentiellement philosophique, et, plus spécifiquement, centrée sur les œuvres de jeunesse de Marx, et, plus précisément encore, sur le concept d’aliénation. Ce concept permettrait, en effet, de mieux analyser l’esclavage et la colonisation, ainsi que leurs séquelles, au cœur des relations quotidiennes de la société haïtienne.
Louis-Joseph Janvier (1855-1911) fut, en Haïti, le premier commentateur de Marx, sans être lui-même marxiste, à la fin du 19ème siècle. Mais, ce sont véritablement les années 1930 et la période autour des mobilisations des « Cinq (journées) glorieuses de 1946 », et du journal La Ruche, qui aboutissent à chasser le dictateur Elie Lescot du pouvoir, qui constituent les deux pôles d’acclimatation de Marx en Haïti ; deux moments durant lesquels ces écrits sont découverts, diffusés et discutés avec passion.
Le livre consacre, avec raison, une part important à l’écrivain Jacques Roumain (1907-1944), fondateur du Parti communiste haïtien, et l’auteur du très beau Gouverneurs de la rosée (publié en 1944, il a été depuis à plusieurs reprises réédité). Jean-Jacques Cadet met en lumière un roman précédent de l’auteur, beaucoup moins connu, La Montagne ensorcelée (1931), focalisé sur le monde paysan. Il s’intéresse en outre à deux poètes, également membres du parti communiste : Jacques Stephen Alexis (1922-1961), l’auteur de Compère Général Soleil (1955), et René Depestre (né en 1926). Celui-ci et le peintre et photographe Gérald Bloncourt (1926-2018)1, longtemps responsable du service photo du journal L’Humanité, participèrent à la révolte de 1946, dont les conférences du surréaliste, André Breton, invité par Pierre Mabille, servirent de catalyseur2.
Le Manifeste du parti communiste présente un éloge paradoxal du rôle historique de la bourgeoisie et du colonialisme – éloge sur lequel reviendra Marx, plus tard, notamment à partir de ses écrits sur le colonialisme anglais en Inde, en développant une analyse autrement plus critique – avec laquelle les intellectuels haïtiens ne pouvaient qu’être en désaccord, eux qui étaient issus de la première révolution d’esclaves noirs en 1804 (page 145). Ceux-ci vont donc reterritorialiser le marxisme, en le centrant sur l’histoire de la colonisation des sociétés non occidentales. Et l’auteur de conclure : « la tradition marxiste haïtienne fait toujours de la question coloniale sa priorité » (page 99).
Pour les marxistes haïtiens, l’enjeu était aussi de « provincialiser » le marxisme, en le décentrant d’une lecture européenne, centrée sur le développement du prolétariat urbain, au sein de la révolution industrielle, afin de le climatiser à la réalité haïtienne, où la classe ouvrière est très marginale et où la question de la couleur, prédominante, croise celle des rapports d’exploitation et d’aliénation ; d’où la tentative de marier (avec un certain succès) le marxisme avec la négritude3.
Jean-Jacques Cadet souligne l’intérêt que les écrits de jeunesse de Marx ont suscité en Haïti, ainsi que la position d’exilé de l’auteur du Capital (page 69) ; position qu’il met en parallèle avec celle de la majorité des marxistes haïtiens, qui ont vécu en-dehors de leur pays, interrogeant son impact sur la manière d’appréhender le monde (page 151). Enfin, il avance que la proximité de Bloncourt avec Ho Chi Minh (1890-1969) et Aimé Césaire (1913-2008) peut-être généralisée à l’ensemble des marxistes en Haïti, qui trouvèrent en ces deux penseurs un double ancrage de la théorie dans la question noire et l’anticolonialisme.
Raoul Peck, réalisateur de I Am Not Your Negro (2016) – nominé l’année suivante aux Oscars comme meilleur documentaire – et du Jeune Karl Marx (2017) fait l’objet d’une des cinq études réunies ici (pages 89 et suivantes). Finalement, le livre se clôt sur des annexes, précédée d’un « guide de lecture » sur le marxisme haïtien. Celui-ci revient longuement sur un « roman prolétarien », Viejo (1935), de Maurice Casséus (1902-1963), l’importance des Jacobins noirs(Amsterdan, 2017) de C.L.R. James4, et des écrits d’auteurs (essentiellement haïtiens) marxistes sur la société haïtienne. Étrangement, l’influence de Frantz Fanon (1925-1961) est seulement évoquée. Il est dommage en outre que l’étude s’arrête au renversement de la dictature duvaliériste, en 1986, et que les trente dernières années ne soient pas abordées.
L’affirmation de Jean-Jacques Cadet selon laquelle il y aurait une occultation de l’apport théorique du marxisme haïtien est sujette à débat, dans la mesure où – comme son livre lui-même semble le montrer – c’est moins sur le plan de la théorie que sur celui de la poésie et de l’art que se mesure l’originalité du marxisme en Haïti. Il évoque ainsi le concept de « zombification », avancé par Depestre, qui entend compléter et renouveler la théorie de l’aliénation (page 89), mais il ne développe pas cette conception, qui paraît en conséquence plutôt relever de l’ébauche théorique.
De plus, le marxisme a la prétention d’être étroitement lié au mouvement des luttes ouvrières ; Cadet l’illustre d’ailleurs dans le combat notamment littéraire des années 1930 contre l’occupation américaine (1919-1934), ainsi que dans le soulèvement de 1946. Mais, cette connexion semble s’être distendue ensuite, surtout au cours de la longue nuit de la dictature duvaliériste (1957-1986 ; François Duvalier, dit « Papa Doc », de 1957 à 1971, puis son fils, Jean-Claude Duvalier, dit « Baby Doc », jusqu’en 1986). De manière générale, la voie littéraire empruntée en Haïti ne peut se réduire à une transposition de la théorie (marxiste) dans la littérature, et appelle à être appréhendée autrement, et avec des outils différents. Dès lors, « l’ignorance du marxisme haïtien » tiendrait moins d’une absence « calculée » ou du « vaste projet de l’historiographie coloniale » (page 155) que de son développement théorique circonscrit, de sa faible diffusion en-dehors d’Haïti – pays trop souvent encore regardé avec des lunettes coloniales ou humanitaires – et de sa reconfiguration dans un autre registre – celui de la littérature (et de manière plus récente et localisée, celui du cinéma), où il brille d’une lumière incandescente.
L’intérêt de ce livre est donc de nous faire découvrir la manière dont Marx a été lu et approprié en Haïti, afin de mieux s’en servir pour comprendre et transformer la société haïtienne. La difficulté réside, pour un public européen, dans la méconnaissance de la réalité du pays caribéen, ainsi que de la plupart des écrits théoriques dont il est question ici, et qui, pour beaucoup, demeurent inaccessibles. Souhaitons que Jean-Jacques Cadet poursuive son travail, et contribue ainsi à (mieux) faire connaître le marxisme haïtien.
1Voir son blog : https://www.bloncourt.net/.
2Lire à ce propos Gérard Bloncourt et Michael Lowy, Messagers de la Tempête. André Breton et la Révolution de janvier 1946 en Haïti (Le Temps des Cerises, 2007). Voir la recension sur notre ancien blog : https://preo.u-bourgogne.fr/dissidences/index.php?id=543.
3Michaël Lôwy parle « du courant de la négritude marxiste », dans lequel, il range Fanon, Alexis, Césaire et l’historien brésilien Clóvis Moura. Michaël Lôwy, « El marxismo en América Latina », 2007, https://pensamientocriticoxxi.files.wordpress.com/2018/07/el-marxismo-en-america-latina.pdf.
4Lire la recension sur notre blog : https://dissidences.hypotheses.org/9067.