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Honduras : L’élection de la socialiste Xiomara Castro met fin au narco-État

Honduras

Lien publiée le 3 mars 2022

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» Honduras : L’élection de la socialiste Xiomara Castro met fin au narco-État (les-crises.fr)

Le Honduras a intronisé Xiomara Castro comme présidente, mettant fin au cauchemar du coup d’État soutenu par les États-Unis en 2009. Elle fait face à des défis immenses, mais sa présidence pourrait être une pièce maîtresse d’une nouvelle vague de la gauche à travers l’Amérique latine.

Source : Jacobin Mag, Medea Benjamin, Nicolas J. S. Davies
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Xiomara Castro est intronisée présidente du Honduras à Tegucigalpa le 27 janvier 2022. (Inti Oncon / Picture Alliance via Getty Images)

C’est une nouvelle ère historique pour le Honduras : le peuple a réussi à vaincre le narco-Etat de Juan Orlando Hernández et à élire Xiomara Castro, la toute première femme présidente du pays, et une progressiste par-dessus le marché. Candidate à la présidentielle pour le parti de gauche le Parti Libre, Xiomara Castro a remporté une victoire écrasante et a été intronisée le 27 janvier lors d’une cérémonie au Stade national, suivie par des milliers de supporters enthousiastes.

Transformant le slogan traditionnel activiste espagnol « Sí se puede » (Oui on peut) en « Sí se pudo » (Oui on l’a fait), les Honduriens à l’intérieur comme à l’extérieur du stade ont poussé un soupir de soulagement à l’idée que le cauchemar de douze ans du gouvernement du Parti national a pris fin. La transition entre le coup d’Etat de 2009 – au cours duquel le mari de Castro, l’ancien président Manuel Zelaya, a été délogé du palais présidentiel et expulsé du pays en pyjama – et Xiomara Castro revêtant l’écharpe présidentielle turquoise et blanche en présence de son mari, était, comme l’a déclaré le maître de cérémonie, un « retour à la légalité » historique.

Pour un minuscule pays d’Amérique centrale de moins de 10 millions d’habitants, l’investiture de Castro était un événement international, avec parmi les participants la vice-présidente des Etats-Unis Kamala Harris, le roi d’Espagne Felipe VI, et la populaire vice-présidente d’Argentine Cristina Fernández de Kirchner. A travers tout le continent, la gauche américano-latine a fêté sa victoire, qui donne un élan à la « deuxième vague rose » de gouvernements progressistes qui balaie la région, une vague qui va bientôt inclure Gabriel Boric au Chili, et avec un peu de chance plus tard dans l’année Luiz Inácio Lula da Silva pour le Brésil et Gustavo Petro pour la Colombie.

Le programme de Castro pour remettre au propre le pays est vaste. Elle a appelé à « la fin des escadrons de la mort, du silence sur les féminicides, des tueurs à gage, du trafic de drogue, du crime organisé ». Elle a même utilisé le terme « socialisme démocratique » pour décrire son programme.

Mais Castro fait face à d’immenses défis pour aller de l’avant. Elle hérite d’un des pays les plus violents au monde, où la majorité des homicides sont reliés aux gangs, au crime organisé et au trafic de drogue ; et la collusion entre membres du gouvernement, forces de sécurité de l’Etat et privées, groupes paramilitaires, et hommes d’affaires est largement répandue. Le Honduras est également une nation dotée d’un système judiciaire partial et corrompu qui échoue régulièrement dans sa mission de traduire en justice les auteurs de crimes violents.

Castro hérite aussi d’une nation meurtrie par une dette écrasante, des inégalités immenses, le coronavirus, et de récentes catastrophes naturelles (pluies intenses, sécheresses et tornades). Castro a déclaré : « Je récupère un pays en faillite après douze ans de dictature. Nous sommes le plus pauvre pays d’Amérique latine. Cela explique les caravanes de migrants fuyant vers le nord en risquant leurs vies. »

Elle a promis l’électricité gratuite pour les citoyens les plus pauvres du pays et une baisse des prix de l’essence. Mais étant donné les caisses vides du gouvernement, sa politique va être soumise aux exigences de donateurs étrangers – particulièrement des Etats-Unis. Castro va aussi être contrainte par le Congrès hondurien, qui est au coeur d’une intense lutte de pouvoir ayant troublé les circonstances de sa victoire.

Pendant les élections, le Parti sauveur du Honduras (PSH) a accepté de soutenir Xiomara Castro en échange du poste de vice-président pour le dirigeant du PSH Salvador Nasralla, et du poste de président du Congrès pour le député PSH Luis Redondo. Cependant, vingt-et-un députés du Parti libre de Castro sont partis et se sont rapprochés du conservateur Parti national pour élire Jorge Cálix à la tête du Congrès. Après un spectacle pathétique de coups, bousculades et cris en plein Congrès, les sessions pour prêter serment ont dû se faire en deux fois séparément. Il y a maintenant deux congrès distincts.

Les deux côtés ont déposé des plaintes pour violations constitutionnelles, et des plaintes pour crime ont été déposées contre Redondo pour usurpation de fonctions publiques et falsification de documents. Dans un effort pour résoudre la crise, Castro a offert à Cálix un poste dans son cabinet qu’il a refusé, il semblerait à cause de l’opposition du reste de sa coalition.

On ne sait pas comment la crise du Congrès va évoluer, mais elle a renforcé les forces conservatrices au Congrès ; et avec un Parti libre si divisé, la tâche de gouverner et faire passer un programme législatif progressiste est encore plus ardue.

Il existe cependant des mesures que Castro peut prendre elle-même, comme s’attaquer au sort des femmes dans un pays qui a le deuxième plus haut taux de féminicide (le meurtre d’une femme par un homme à cause de son genre). Selon l’Université nationale autonome du Honduras, une femme est tuée toutes les vingt-trois heures en moyenne.

Castro a conçu l’ensemble de son discours comme un message aux femmes de la nation. Elle a commencé en déclarant : « La présidence de la République au Honduras n’a jamais été assumée par une femme. Nous sommes en train de nous libérer de nos chaînes et des traditions », et elle a conclu par une promesse : « Plus de violence envers les femmes. Avec toute ma force, je vais combler ce fossé et créer les conditions pour que nos filles se développent pleinement et vivent dans un pays libre de toute violence. Femmes honduriennes, je ne vous ferai pas défaut. Je défendrai vos droits – tous vos droits. Comptez sur moi. »

Supporters de la présidente du Honduras, Xiomara Castro, assistant à sa cérémonie d’investiture. (LUIS ACOSTA/AFP via Getty Images)

Des groupes de défense des droits des femmes ont travaillé avec des membres de l’équipe de transition de Castro pour établir un projet de loi sur les violences envers les femmes, qui abordera les difficultés de traduire les contrevenants en justice ; elle plaide aussi en faveur de refuges pour les femmes qui ont subi des violences domestiques. Même si Castro est une avocate farouche des droits des femmes et de la diversité sexuelle, des sujets comme l’avortement ou le mariage de personnes de même sexe vont trop loin pour ce pays catholique et conservateur. Ainsi, le député que Castro soutient pour la présidence du Congrès, Luis Redondo, est anti-avortement, anti-LGBT, et n’est pas soutenu par les groupes féministes honduriens.

Castro devrait cependant revenir sur l’interdiction actuelle des contraceptifs d’urgence. Le Honduras est le seul pays d’Amérique latine avec des interdictions absolues à la fois sur l’avortement et les contraceptifs d’urgence. Comme les contraceptifs d’urgence ont été rendus illégaux par décret, Castro pourra agir unilatéralement pour revenir sur ce point.

Le sujet de l’avortement est plus complexe. Castro veut légaliser l’avortement en cas de viol, lorsque la vie de la mère est en danger, ou quand le foetus n’est pas viable. Mais quand une mesure similaire a été soumise au vote en 2017, seulement huit des 128 législateurs ont voté pour. Pour rendre les choses encore plus difficiles, l’an dernier, les conservateurs au Congrès ont relevé le seuil nécessaire pour modifier l’interdiction totale de l’avortement dans le pays aux deux tiers du Congrès.

Castro a aussi appelé à l’amnistie pour les prisonniers politiques et à la justice pour les nombreux Honduriens qui ont perdu leur proches entre les mains de la police, de l’armée, des paramilitaires et des tueurs à gages, souvent pour s’être opposés à l’exploitation forestière illégale, à l’exploitation minière et à la construction de barrages hydroélectriques.

Dans son discours présidentiel, Castro a appelé à la libération des huit personnes de la communauté de Guapinol qui sont en procès (et depuis plus de deux ans en détention provisoire illégale) pour leurs actions d’opposition à un projet d’exploitation minière. Castro a également appelé à la justice pour la militante écologiste Berta Cáceres, qui a été assassinée en 2016. « Bertita », la fille de Cáceres, est apparue sur scène avec Castro lors de l’investiture, tenant une pancarte avec la photo de sa mère et offrant à la nouvelle présidente un cadeau du peuple lenca.

Castro demande aussi des comptes sur les abus du président sortant Juan Orlando Hernández (JOH). Le frère de JOH a été condamné à la prison à vie aux Etats-Unis pour avoir introduit en contrebande de grandes quantités de cocaïne aux Etats-Unis. Pendant son procès, le nom du président est apparu plus d’une centaine de fois pour complicité avec un cartel local.

La revendication populaire que JOH soit extradé et jugé aux Etats-Unis était palpable durant l’investiture. Quand Kamala Harris a été présentée, la foule a explosé en un chant rauque « Ramenez JOH, ramenez JOH ! », sous-entendant que le gouvernement US avait soutenu le scélérat, et qu’il devait maintenant lui demander des comptes.

Mais JOH n’ira pas en prison de sitôt. Le jour même de l’investiture, il a prêté serment comme représentant du Honduras au Parlement centraméricain – une tradition pour les ex-présidents d’Amérique centrale, mais qui malheureusement lui garantit l’immunité diplomatique pour les quatre prochaines années.

Enfin, Castro devra faire face avec le pays voisin géant du Nord. Les Etats-Unis sont les plus importants donateurs et partenaires commerciaux, et l’armée US garde un pied sur la base aérienne de Soto Cano. La participation de la vice-présidente Harris à l’investiture a été interprétée par beaucoup de Honduriens comme un signe positif que le président Joe Biden a un intérêt à faire du mandat de Castro un succès – ne serait-ce que pour endiguer la migration massive qui a entravé sa présidence. Mais ils ont aussi vu la présence de Harris comme un signe que les Etats-Unis observent attentivement la présidente Castro et tenteront de la garder sous contrôle.

Castro a immédiatement affirmé son indépendance en rendant l’ambassade vénézuélienne à Tegucigalpa au gouvernement de Nicolás Maduro (elle avait été usurpée par le faux président soutenu par les Etats-Unis Juan Guaidó). D’un autre côté, on raconte que des pressions américaines ont empêché Castro de transformer l’alliance avec Taiwan (un grand contributeur aux projets au Honduras) en alliance avc la Chine, comme elle le proposait durant sa campagne. Les quatre prochaines années de Castro ressembleront à un équilibre délicat entre le maintien de bonnes relations avec les Etats-Unis et une plus forte intégration dans la gauche latino-américaine.

Pour le moment, des millions de Honduriens se réjouissent de « l’éclarcie Xiomara ». « C’est un femme forte qui s’est battue à nos côtés », déclare l’avocate des droits humains Priscila Alvarado, qui a quitté l’investiture ravie. « Nous avons espoir et confiance qu’elle gouvernera pour le peuple et avec le peuple. Et des millions de Honduriens qui ont voté pour elle seront là pour la soutenir. »

Source : Jacobin Mag, Medea Benjamin, Nicolas J. S. Davies, 31-01-2022

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises