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En fin de compte, qui sers-tu ?

Lien publiée le 31 mars 2022

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

En fin de compte, qui sers-tu ? | Le Club (mediapart.fr)

L'enjeu de l'élection présidentielle est simple. Voulons-nous, oui ou non, continuer à assister à l'enténèbrement de la France entre libéralisme autoritaire (Macron) et national-libéralisme fascisant (Le Pen et Zemmour) ?

Inutile d’y aller par quatre chemins ni de dissimuler le dessein de ce texte pour ne le révéler qu’à la fin de celui-ci. L’objet de ce qui suit est de soutenir que l’on peut bien, si l’on veut, réfuter la notion de « vote utile » dans l’élection présidentielle à deux tours qui commencera le 10 avril, il n’empêche que pour toute conscience politique de gauche dans son sens le plus large, ne pas voter Mélenchon le dimanche 10 avril relève précisément du crétinisme parlementaire.
Mélenchon, partisan du NON au Traité Constitutionnel Européen en 2005, est le seul candidat de gauche pouvant parvenir au second tour.
Le reste est pur témoignage.

Cette expression de crétinisme parlementaire mérite qu’on s’y attarde un peu pour couper court à son interprétation gauchiste (au sens de Lénine, pas du PCF) qui n’en retient que l’adjectif, parlementaire, alors que c’est avant tout le nom, crétinisme, qu’il faut envisager.

Participer aux élections, jouer le jeu électoral alors même qu’on est sans illusions sur le parlementarisme ne relève pas du crétinisme. En août 1917, après un mois de juillet politiquement catastrophique, les Bolcheviks se relancent précisément en participant à des élections où, du reste, ils réalisent un bon score et mesurent ainsi leur influence parmi les masses populaires et prolétaires. Le crétinisme, là, aurait donc été de ne pas aller aux élections. Les élections d’août 1917, succès pour les Bolcheviks, s’inscrivent dans leur stratégie révolutionnaire en vue de la prise du pouvoir (qui aura lieu trois mois plus tard).
Évidemment, toute décision politique est un risque. Participer aux élections était un pari, réussi, et lorsque Lénine décide l’insurrection qui donnera le pouvoir aux Bolcheviks, il est extrêmement minoritaire dans son parti sur sa ligne insurrectionnelle.
Le crétinisme parlementaire ne désigne pas le fait de participer aux élections mais ce que l’on fait de celles-ci, comment et pour quoi faire on y participe dans l’optique du déploiement de notre propagande politique.

La situation politique actuelle en France n’est hélas pas celle de 1917 en Russie et la stratégie de celles et ceux qui décident de participer aux élections ne serait-ce qu’en votant est pour le moment purement défensive. Ce caractère défensif n’est toutefois pas superflu et le succès de cette stratégie ouvrirait précisément à autre chose qu’au pur défensif, si l’on peut dire, renouant avec des dynamiques politiques un peu éloignées désormais mais datant de 20 ans tout au plus. 20 ans, ce n’est pas le bout du monde (le NON au TCE, notamment).
La situation politique actuelle peut se définir par deux aspects principaux qui peuvent se recouper. Un consensus droite/gauche (PS, surtout) néolibéral pro-UE qui, pour reprendre le titre du livre de Ludivine Bantigny, a mis La France à l’heure du monde alors que, de toute évidence, les classes populaires refusent massivement ces politiques de mise aux normes maastrichtiennes. Un consensus raciste avec une spécificité islamophobe qui date, pour son occurrence strictement contemporaine, de la fin des années 1970 (Discours républicain contre la Révolution iranienne) et qui, à partir de 1983-1984 et, entre autres, les grèves de Talbot et la Marche pour l’égalité, a vu le FN devenir central dans le parlementarisme sans jamais être frontalement combattu par la gauche sociale-démocrate qui l’utilisait cyniquement. Le verbatim calamiteux des huiles du PS est connu. Fabius déclara par exemple à cette époque que « Le Pen posait les bonnes questions en y apportant toutefois de mauvaises réponses ».

Nous sommes aujourd’hui au climax de ces deux processus objectifs (lois, …) et subjectifs quant à leurs effets sur les consciences. Effets sur les consciences car le poisson pourrit par la tête comme disait Mao Tsé-Toung et que le racisme consensuel et désormais prépogromiste est d’abord la résultante d’un racisme d’Etat qui est devenu consensuel du fait de la gauche PS/PC.
L’expression « seuil de tolérance » vient ainsi du PCF qui exigeait des quotas d’immigrés dans les villes ouvrières à partir de la fin des années 1970 (lors de la campagne de 1981, Georges Marchais s’exclame dans un meeting « Nous posons le problème de l’immigration ») mais fut repris par le PS sous la présidence Mitterrand dont une partie du personnel politique d’alors est aujourd’hui autant islamophobe que l’est l’extrême-droite (Elisabeth Badinter, Yvette Roudy, Bernard Cazeneuve, …).
Le consensus parlementaire, acquis depuis des décennies au syntagme « problème immigré », est absolument vautré dans l’islamophobie la plus effrayante. Aujourd’hui, en France, des mosquées sont fermées chaque semaine, des organisations de défense des musulmans (dont la plus connue le CCIF) sont dissoutes ainsi que des organisations de soutien à la résistance nationale palestinienne. Le climat se durcit et c’est le pouvoir macroniste qui fait le travail. Ce pouvoir a un Ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, qui a reproché à Marine Le Pen sur un plateau télé, d’être trop « molle » sur l’islam.
Il y a une opinion révoltée contre l’islamophobie, minoritaire mais pas insignifiante. Elle a manifesté en novembre 2019 à Paris et si son défilé a été diabolisé par les partis dits de gouvernements (PS compris) et les médias mainstream, rappelons que Mélenchon et Hamon y ont participé. Le chef de La France insoumise n’a jamais renié cette participation malgré les attaques, précisant même qu’il le referait si nécessaire. Mélenchon utilise aujourd’hui le nom islamophobie pour désigner la stigmatisation consensuelle des musulmans.

À côté de ça, le consensus parlementaire veut en finir avec ce qu’il appelle le modèle social français qu’en vérité, à l’instar de l’ex-huile du MEDEF Denis Kessler, il juge archaïque et veut liquider. De ce point de vue-là aussi, le consensus républicain est post-vichyste par ses obsessions. Remettre le pays au travail, obliger les pauvres gens à travailler 15 heures hebdomadaires pour toucher un misérable RSA (qui a remplacé le RMI, liquidé sous Sarkozy), détruire les services publics et les statuts de leurs personnels (SNCF, RATP, Hôpital, École publique…), tel est le programme, à quelques nuances de violence près, qui unit la gauche sociale-démocrate PS à Zemmour en passant par Macron et Le Pen.
Ces deux aspects dessinent, annoncent une catastrophe qu’il faut appeler par son nom : le fascisme.
Les origines françaises du fascisme sont connues. Zeev Sternhell les a mises en évidence : détestation de la Révolution française avant tout. Détestation de la proclamation de l’égalité par les jacobins. Détestation du caractère « pré-socialiste » (Albert Mathiez) du dernier Saint-Just via les décrets de Ventôse (réquisitionner les biens des plus riches et particulièrement des aristocrates pour les redistribuer aux pauvres), de la Déclaration des droits de l’homme de 1793 et du Projet de Constitution de la même année.
À la passion de l’égalité de la séquence 1792-1794, l’autre France a relevé la tête depuis la Terreur blanche et les Muscadins. Leurs descendants étaient sur l’esplanade du Trocadéro dimanche 27 mars. L’un des leurs a tué un rugbyman argentin de plusieurs balles dans le dos peu de temps après après lui avoir hurlé dessus dans un bar parisien « On est chez nous ! ».

Nous ne sommes donc pas dans une situation révolutionnaire et les perspectives d’émancipation sont en berne. Toutefois, le refus du dernier acte fasciste existe : il passe par le vote pour Mélenchon et seulement par ce vote.
L’enjeu de cette élection se situe uniquement par rapport à un fascisme français qui reprend des galons via la réhabilitation de Vichy (jamais condamné en vérité ni donc purgé) et, c’est d’ailleurs un des carburants de l’islamophobie, un discours objectif proprement scandaleux sur la Guerre d’Algérie (il y aurait des torts des deux côtés, dit le consensus parlementaire, alors que la vérité est qu'un peuple colonisé s'est levé contre la puissance coloniale qui l'opprimait). L'antienne de « la réconciliation des mémoires » de Macron et Benjamin Stora est inacceptable et révisionniste.

Si l’enjeu de cette élection est le refus du fascisme que représenterait l’arrivée au pouvoir de Le Pen dans moins d’un mois, alors le crétinisme parlementaire, précisément, c’est de perdre sa voix en votant pour « ses idées » ou, dit autrement, en croyant au vote, au narcissisme caché de l’isoloir.
Car l'isoloir atomise les masses et la démocratie, comme l’écrit Sartre, est une pépinière de fascistes. Tout cela est vrai. Mais précisément, le vote Mélenchon, largement en tête de la gauche depuis des semaines, limite cette atomisation en dessinant une discipline antifasciste visible par exemple dans la mobilisation populaire aux meetings de L'Union populaire.

Dès lors, sauf à vouloir – y compris de façon contrariée comme c’est le cas chez Hidalgo, Jadot et même Roussel – une reconduction de Macron en minorant par ailleurs le danger que représenterait l’accession au pouvoir des enfants de Pétain et de l’OAS, il faut voter Mélenchon. C’est le seul vote non crétin, justement. Le seul qui dans la situation politique inquiétante que nous vivons montrerait une capacité politique populaire antilibérale (à défaut d’être anticapitaliste) et antiraciste. Le seul qui porterait un coup à l’enténèbrement national-libéral.

D’où la question En fin de compte, qui sers-tu ?, comme disait Mao. Il ne s’agit pas de voter pour « ses idées » mais d’oser vaincre. D’oser vaincre la violence macroniste et son degré supplémentaire radicalisé, la pure violence fasciste.
À la différence de la formule de 68, oser vaincre nous permettra d’oser lutter pour vaincre davantage. Mais pour cela, répondre à la question de savoir si l’on se joint à un front antifasciste représenté de fait par la candidature Mélenchon est la seule chose qui importe pour l’heure.
Tout le reste est antipolitique et relève, précisément, du crétinisme parlementaire.