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Programme de la NUPES : une prise en compte réelle de l’écologie, qui exigera des choix anticapitalistes
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Par Christine Poupin
Le programme de la NUPES intègre l’écologie comme une question centrale, structurante. Il reprend et articule de nombreuses propositions généralement formulées et portées par les associations et les luttes.
Dès le premier paragraphe de son introduction au programme de la NUPES, Jean-Luc Mélenchon affirme la centralité de l’écologie, de « l’harmonie entre les êtres humains et avec la nature ». Ruptures écologiques et sociales sont intimement liées et un égal intérêt est porté au changement climatique et aux inégalités de fortune.
Le chapitre deux, intitulé Écologie, biodiversité, climat, biens communs et énergie, développe de très nombreuses propositions que nous partageons totalement ou partiellement.
En premier lieu, l’objectif de baisse de 65 % des émissions de la France en 2030, est le seul compatible avec le seuil de 1,5 °C d’augmentation de la température moyenne de la Terre.
Le cadre est donné par la « règle verte » et la planification écologique citoyenne. La règle verte, inscrite dans la Constitution, imposerait de « ne pas prendre plus à la nature que ce qu’elle peut reconstituer ». Il serait illusoire de penser que cette règle ou la reconnaissance d’un « statut juridique pour la nature » (dont il faudrait discuter plus précisément), constituent un rempart absolu à la rapacité capitaliste, cependant elles peuvent représenter des points d’appui utiles pour les mobilisations.
La planification écologique est qualifiée de citoyenne et effectivement elle part du local et s’appuie « sur la participation des citoyens, des syndicats, des associations, des collectivités » mais aussi « des branches professionnelles ». De même le « Conseil à la planification écologique qui supervise, organise et met en œuvre le plan » impliquerait aussi « les banques et les entreprises ». Et là, on peut avoir plus que des doutes. Qui décidera in fine ? Si le financement et la mise en œuvre des décisions dépendent de la bonne volonté des banques et des entreprises, la démocratie citoyenne sera vidée de tout contenu.
L’un des mérites du programme de la NUPES est d’assumer que l’urgence écologique impose de changer l’ensemble de l’organisation de la société, l’aménagement du territoire, les transports, l’énergie, l’agriculture et l’alimentation, la consommation…
Sur le premier point, l’accent est mis sur l’accès aux services publics et équipements sportifs et culturels, aux commerces de proximité et artisanats, et sur le soutien au tissu associatif…
Pôle public ou monopole public ?
Concernant les transports et la mobilité, une claire priorité est donnée au rail pour les voyageurs/ses comme pour le fret, aux transports collectifs publics, au vélo, à l’autopartage… à contrario seraient supprimées les lignes aériennes quand l’alternative en train est inférieure à trois heures. Aux « tarifs accessibles et mesures de gratuité ciblée » pour les transports en communs, nous préférons la gratuité des transports du quotidien. Si la renationalisation des autoroutes est très positive, elle devrait s’accompagner du gel de tout nouveau projet autoroutier.
Oui à la SNCF réunifiée et 100 % publique, mais que signifie « un pôle public des transports et de la mobilité » ? L’exemple de la santé le prouve, la coexistence du public et du privé siphonne et affaiblit le service public.
Quel serait le poids d’un pôle public bancaire même « formé grâce à la socialisation de certaines banques généralistes » pour « réorienter le crédit vers la bifurcation écologique et sociale » s’il reste en concurrence avec une partie privée du système financier et bancaire ?
Europe Écologie-Les Verts et le Parti socialiste quant à eux acceptent la constitution d’un pôle public bancaire mais ne souhaitent pas de nationalisations de banques généralistes !
Cacophonie sur le nucléaire
Quand il s’agit de planifier la bifurcation et la rénovation énergétique, on butte sur la même question. « Un pôle public de l’énergie incluant EDF et Engie renationalisés ainsi que des coopératives locales » certes, mais que fait-on de TotalEnergies ? Ne pas exproprier le pire pollueur, c’est le laisser continuer de détruire l’emploi, les conditions de travail et l’environnement ici, continuer d’exploiter le gaz et le pétrole de l’Arctique au Mozambique en détruisant le climat, la biodiversité, les droits et la vie des peuples. Nous partageons évidemment « le passage à 100 % d’énergies renouvelables et la sortie du nucléaire avec un double mot d’ordre : sobriété et efficacité », l’abandon des projets d’EPR, une « convention collective unique pour les travailleurs du nucléaire tout en garantissant leur reconversion ». À l’arrêt de « l’utilisation massive de la sous-traitance » (la volonté de la limiter au premier niveau présente dans l’Avenir en Commun a disparu dans l’accord de la NUPES) nous préférons son interdiction pure et simple dans toutes les industries à risque. Cependant le rythme du plan d’arrêt du nucléaire doit être précisé ainsi que la question du démantèlement et des déchets. Contre la précarité énergétique, nous soutenons « la gratuité des premières quantités d’énergie indispensables à une vie digne et […] au-delà une tarification progressive qui pénalise les mésusages et gaspillages », comme le plan d’isolation massif des logements.
Sans surprise, ni commentaire, le PCF proposera « une trajectoire qui combine les énergies renouvelables à l’énergie nucléaire et ne s’associera pas à l’objectif 100 % renouvelables et à l’abandon des projets d’EPR ». Quant au PS, il préfère « optimiser la durée de vie des centrales nucléaires, planifier les travaux permettant de prolonger leur exploitation […] sous le contrôle de l’Autorité de sûreté nucléaire et du Parlement ».
Pour révolutionner l’alimentation, il faut affronter les grands groupes capitalistes
Beaucoup de mesures « zéro déchets » sont très positives : interdiction de l’obsolescence programmée, allongement des durées de garantie des produits, interdiction des plastiques à usage unique, généralisation des consignes ; service public de réparation et de réemploi… L’écoconception et les indices de durabilité seront d’autant plus efficaces que les salariéEs elleux-mêmes auront un pouvoir de contrôle sur la production.
Sur la publicité, toutes les interdiction ciblées (produits et services les plus émetteurs de gaz à effet de serre, publicité alimentaire à destination des enfants et adolescents, dépôt de prospectus publicitaires commerciaux dans les boîtes aux lettres, les panneaux publicitaires numériques, démarchage téléphonique commercial) sont bonnes à prendre mais l’interdiction totale serait une mesure de salubrité contre cette industrie des faux besoins au service du productivisme.
Les mesures pour « Instaurer la souveraineté alimentaire par l’agriculture écologique et paysanne » complétées par celles « pour en finir avec la malbouffe » reprennent très largement les exigences du mouvement social et syndical paysan d’émancipation et concernent la rémunération des paysanNEs (prix planchers, réorientation des aides de la PAC…), l’accès au foncier, les circuits courts…
Pour nous, n’y a pas une agroécologie qui viendrait d’en haut, mais des agro-écologies qui varient en fonction des territoires, des cultures, des modes de vie.
La lutte contre l'artificialisation des terres, (9 % du territoire métropolitain est artificialisé, il ne faut pas dépasser 10 %) nécessite de s’assurer la maîtrise foncière publique des sols et de modifier les lois pour contraindre toute nouvelle construction à être en cohérence avec l’objectif.
« La sortie progressive (à quel rythme ?) des engrais et de pesticides de synthèse pour atteindre 30 % de la surface agricole utile en agriculture biologique en 2030 et 100 % en 2050 » se heurtera à l’opposition farouche de l’industrie chimique.
Là encore, tout comme pour « limiter les marges de la grande distribution, pour permettre à chacun de se nourrir, tout en assurant des revenus dignes pour les paysans », « pour en finir avec la désinformation de la grande distribution » il faudra affronter des groupes capitalistes extrêmement puissants et donc poser la question de leur expropriation.
La NUPES propose « d’expérimenter une garantie universelle d’accès à des aliments choisis » comme premier jalon d’une « sécurité sociale de l’alimentation ». Pour nous, au-delà de « permettre à chacune et à chacun d’accéder à des aliments, notamment des fruits et légumes, de saison et bio, dans des magasins de proximité publics ou associatifs », il s’agit de socialiser l’alimentation pour la sortir des logiques capitalistes, aller vers une démarchandisation de l’alimentation, en s’appuyant sur le modèle de la Sécurité sociale. La mise en place d’une telle organisation de la production alimentaire, à une échelle collective et macro-économique, ne peut naître que d’un rapport de force élevé1.
Socialiser les biens communs, vraiment !
Une partie importante est consacrée à juste titre à l’eau pour en faire « un enjeu central pour l’Humanité » avec une règle bleue sur le modèle de la règle verte, une gestion 100 % publique, la gratuité des mètres cubes indispensables à la vie digne et la suppression de l’abonnement, une tarification progressive et différenciée selon les usages pour lutter contre les mésusages et les gaspillages, le maillage du territoire de fontaines à eau, de douches et de sanitaires publics et gratuits…
La volonté de « socialiser les biens communs fondamentaux » c’est-à-dire « garantir la gestion publique d’une liste des biens communs et services essentiels établie par référendum », « empêcher le droit de propriété privée de prévaloir sur la protection de l’eau, de l’air, de l’alimentation, du vivant, de la santé et de l’énergie » est très justement affirmée. Mais pour cela il ne suffit pas de « créer un défenseur des biens communs chargé de produire et publier un rapport annuel » !
La partie sur la défense de « la forêt, poumon de la planète » comporte une série de propositions utiles mais l’augmentation de la part des forêts publiques doit être précisée : la forêt en France métropolitaine, c’est 31 % du territoire. Elle est essentiellement privée (74 %), avec 3,8 millions de propriétaires, dont 200 000 possédant plus de 10 ha (représentant 68 % des surfaces). On ne pourra pas agir sans nationaliser ces grandes propriétés forestières. Et cela n’impactera que 5 % des propriétaires forestiers, même moins si on fixe la « barre » à 20 ha ! On passerait ainsi de 25 % de forêt publique à 75 % (128 000 km²), soit une inversion des rapports, et ceci en n’impactant que 5 % des propriétaires… Via la gestion publique de la forêt devenue enfin possible, on pourra imposer la prise en compte de la biodiversité sur les domaines boisés2.
De même pour « Sauver l’écosystème et la biodiversité », il faut évidemment comme le propose le programme « renoncer aux grands projets d’infrastructures inutiles et écologiquement néfastes, refuser les organismes génétiquement modifiés (OGM), mettre fin aux accords commerciaux internationaux dont les conséquences affectent le climat et la biodiversité et contribuent à la déforestation importée ». Mais il est aussi nécessaire de mettre en place une politique d’aires protégées en classant en urgence 10 % du territoire en protection forte. Pour cela, instituer un système de DUP (déclaration d’utilité publique) pour la nature qui permettrait de s’assurer la maîtrise foncière.
La protection effective des réservoirs de biodiversité est une condition nécessaire mais pas suffisante pour enrayer la crise de biodiversité. Il faut agir aussi sur 100 % du territoire et pas seulement sur les 10 % des réservoirs. Et pour cela, il ne s’agit donc pas seulement de « bannir les pesticides en commençant par les interdire autour des zones habitées », le premier enjeu est le passage obligatoire et rapide à 100 % d’agriculture bio.
Sur la maltraitance animale
Des mesures sont proposées pour « rompre avec la maltraitance animale » (Interdire les fermes-usines, interdire les pratiques cruelles, tous les élevages de production de fourrure…) mais améliorer les conditions d’élevage ne peut se limiter à l’instauration de normes, cela suppose d’en finir avec l’élevage industriel, cette industrie de la viande, maltraitante pour les animaux, climaticide, facteur de déforestation (directe ou par la consommation massive de soja), destructrice pour les salariéEs de toute la filière… la condition est la réduction de la consommation de viande. « Proposer une option végétarienne quotidienne » dans la restauration collective serait un premier pas.
On ne peut que partager les propositions d’interdire les pratiques de chasse et de « loisirs » cruelles pour les animaux (déterrage, chasse à courre, corrida, combats de coqs, spectacles incluant des animaux sauvages, etc.), d’instauration de jours sans chasse les week-ends, les jours fériés et durant les vacances scolaires. Le PCF et le PS ne les soutiennent pas ! Mais il convient de compléter avec la limitation de la période de chasse à 4 mois, la protection de toutes les espèces dont le statut de conservation est défavorable, l’interdiction de la chasse dans toutes les zones sous protection réglementaire (réserves naturelles, parcs nationaux).
La nécessité de rompre avec le capitalisme
Il est très remarquable et positif que l’écologie ne reste pas cantonnée dans un seul point dédié, mais irrigue aussi les mesures pour l’emploi avec des « grands chantiers écologiques » (rénovation et adaptation au changement climatique, dépollution, efficacité et sobriété énergétiques…). Cependant les mesures concernant les droits des salariéEs ne sont pas à la hauteur pour leur permettre de jouer un véritable rôle de lanceurs/ses d’alerte. De même la protection en cas d’arrêt de productions climaticides, polluantes et/ou dangereuses exige l’interdiction des licenciements et la continuité du salaire.
La réduction du temps de travail devrait occuper une place centrale dans un programme qui se veut à la fois écologique et social, la réduction doit être massive (32 voire 28 h hebdomadaires). Une « société du temps choisi » comme le revendique le programme de la NUPES ne naîtra pas d’une « conférence nationale » qui ne se fixe pas des objectifs plus ambitieux que « le rétablissement de la durée effective hebdomadaire du travail à 35 heures, par la majoration des heures supplémentaires et le passage aux 32 heures dans les métiers pénibles ou de nuit immédiatement, et leur généralisation par la négociation collective ».
Enfin, nous le savons « les riches détruisent la planète » par leur consommation de luxe et par les impacts de leurs patrimoines financiers. En plus d’une politique radicale de justice fiscale, il faut une limitation de l’écart des revenus bien plus drastique que les 1 à 20 entre le salaire le plus bas et celui le plus haut dans une entreprise.
La politique européenne fait aussi une large place à la lutte pour le climat (transformer la PAC, sortir de la taxinomie verte le gaz et le nucléaire, mettre fin au pacte de stabilité et de croissance et abroger les règles budgétaires des 3 % de déficit et des 60 % de dette, etc.) mais son analyse dépasserait le cadre de cet article.
Le programme de la NUPES intègre l’écologie comme une question centrale, structurante.
Il reprend et articule de nombreuses propositions généralement formulées et portées par les associations et les luttes. Ces mesures, si elles étaient effectivement appliquées constitueraient des avancées significatives, une rupture de fait avec les politiques libérales climaticides à l’œuvre depuis des décennies. Pour cette raison, tout début de commencement de leur application provoquera une levée de bouclier des multinationales de l’énergie, de l'agro-industrie, de la chimie, des transports… et se heurtera aux institutions tant de l’État français que de l’union Européenne, qui loin d’être des points d’appui, voire des champs d’affrontements démocratiques entre différentes options, constituent le pouvoir des capitalistes. Certes, d’aussi loin qu’existe le capitalisme, les avancées sociales et démocratiques n’ont été obtenues que quand elles ont été imposées par le rapport de force, mais la crise climatique « change tout », change le niveau des enjeux.
Tout programme qui cherche à enrayer les catastrophes annoncées n’a pas d’autre issue que d’être radicalement anticapitaliste. En effet il ne s’agit pas de faire bouger la ligne de partage des richesses entre le capital et le travail, il s’agit de « tout changer ». La fin de l’exploitation des énergies fossiles signifie le démantèlement de secteurs entiers, des secteurs puissants qui ont structuré et structurent encore le capitalisme. Ils s’opposeront de toutes leurs forces (et elles sont puissantes) à leur propre disparition. Mais plus encore, la sortie des énergies fossiles n’est physiquement pas possible à consommation d’énergie égale (sans parler des autres ressources et de la prolifération des déchets et pollutions, de l’effondrement de la biodiversité…). La décroissance de la production matérielle et des transports est une contrainte physique incontournable. C’est le capitalisme lui-même, avec sa logique extractiviste et son productiviste, qui est en cause.
Dès lors, seules deux voies existent : soit celle du renoncement, de l’adaptation au capitalisme vert, du greenwashing, une voie qui fait payer la crise climatique, et les fausses solutions à cette crise, par les plus pauvres et les plus vulnérables ici et par les peuples du Sud ; soit le désarmement de ceux qui détruisent nos vies et le vivant. L’expropriation des capitalistes des secteurs de l’énergie et du crédit est une condition incontournable de toute transformation écologiquement efficace et socialement juste. L’autre condition est un très haut niveau de mobilisation et d’auto-organisation tant pour imposer et défendre toute avancée immédiate que pour construire dans les luttes et alternatives concrètes d’aujourd’hui un pouvoir des exploitéEs et des oppriméEs clé de voûte d’une nouvelle organisation de la société.
Ce programme est un programme de gouvernent, il ne peut remplacer ce projet de société écosocialiste qui reste à écrire.