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Royaume-Uni. Le mouvement de grève dans le Royal Mail.
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Par Nick Clark
Selon le Guardian du 2 décembre 2022, les membres du Syndicat des travailleurs de la communication (CWU-Communication Workers Union), qui représente plus de 115 000 postiers, ont déjà mené 12 jours de grève dans le cadre d’un conflit de plus en plus âpre et prolongé avec la direction de la firme privatisée Royal Mail sur les salaires et les conditions de travail. D’autres arrêts de travail sont prévus les 9, 11, 14, 15, 23 et 24 décembre. La semaine dernière, le syndicat a rejeté un accord salarial qui, selon le PDG de Royal Mail, Simon Thompson, était sa dernière offre. Vendredi 2 décembre, l’autorité de régulation postale a déclaré que Royal Mail ne pouvait pas continuer à blâmer la pandémie de Covid-19 pour ne pas avoir effectué les livraisons à temps, car ses performances sont «bien en deçà de ce qu’elles devraient être». (Réd. A l’Encontre)
Royal Mail Yorkshire Distribution Centre à Normanton, le 30 novembre 2022.
***
Les travailleurs de Royal Mail ont entamé mercredi 30 novembre, une deuxième grève de deux jours, après que les patrons ont durci leur position face aux syndicats.
La grève intervient à un moment charnière de la longue bataille des travailleurs et travailleuses de la poste pour défendre l’avenir de leurs emplois et de leurs salaires. Le PDG de Royal Mail, Simon Thompson, a insisté en début de semaine sur le fait que son plan – visant à supprimer 10 000 emplois et à transformer le service en une messagerie de type gig economy – était sa «meilleure et dernière offre».
Il a affirmé que si les dirigeants du syndicat CWU n’y adhéraient pas, il annoncerait encore plus de suppressions d’emplois. Et il réduirait l’augmentation salariale déjà maigre d’à peine 7% sur 18 mois, ce qui représente déjà une énorme baisse de salaire en termes réels [le taux d’inflation officielle était de 11,1% fin octobre; pour ce qui a trait aux biens essentiels – énergie, alimentation, etc. (CPIH) – le taux est supérieur à 15%].
«Nous sommes très en colère, très déçus par l’entreprise et ses intentions», a déclaré Steve, un représentant du CWU à Balham, dans le sud de Londres. «Ils ne veulent pas nous entendre – ils veulent nous fermer la porte au nez et se débarrasser de nous. Nous vivons un moment charnière. Certains d’entre nous ont le sentiment, et certains membres nous l’ont dit, que ce sera eux ou nous – et ce ne sera pas nous.»
Les grévistes de Tooting, au sud de Londres, ont décrit comment les patrons ont déjà commencé à essayer d’imposer des changements, tout en intensifiant leurs efforts pour briser la grève. «Ils ont offert aux cadres une prime pour réduire les effectifs et faire passer les restructurations», a déclaré un gréviste. «Ils ont également déclaré que pour chaque période de cinq jours de grève, ils déduiraient une demi-journée de congé annuel.»
Un autre gréviste a décrit comment les patrons ont déjà commencé à pousser les travailleurs et travailleuses à donner la priorité aux livraisons de colis plutôt qu’aux lettres. Et ils ont fait appel à davantage de travailleurs intérimaires plutôt que d’employer des personnes avec des contrats en bonne et due forme. «Nous avons en moyenne plus de 20 travailleurs intérimaires ici chaque jour», a-t-il déclaré. «L’entreprise dit qu’elle n’a pas d’argent, mais cela lui coûte une fortune.»
«La priorité accordée aux paquets sur les lettres est déjà en cours dans de nombreux offices. Ils le nient mais ils disent aux postiers de prendre les paquets et de laisser les lettres. Ils veulent supprimer nos emplois, ils veulent réduire nos salaires. C’est terrible pour la santé mentale des gens. Quand vous êtes présent sur le lieu de travail, vous constatez la pression qu’ils font subir aux salarié·e·s, mais le PDG s’en moque.»
Les menaces de Simon Thompson, dans une lettre adressée au secrétaire général du CWU, Dave Ward, mettent un terme aux espoirs des dirigeants syndicaux de voir les patrons écouter leur business plan alternatif. Il a déclaré que lui et le conseil d’administration de l’entreprise n’accepteraient «rien d’autre que les restructurations» – c’est-à-dire les suppressions d’emplois et les attaques radicales contre les conditions de travail – qu’ils souhaitent à tout prix depuis des années. Les travailleurs et travailleuses n’ont donc que deux options: faire preuve de combativité pour faire plier Simon Thompson et le conseil d’administration, ou alors céder.
En réponse, les dirigeants syndicaux ont appelé à une manifestation nationale pendant la grève du vendredi de la semaine prochaine (9 décembre). Ils souhaitent également que les membres du CWU distribuent des tracts de porte à porte afin de renforcer le soutien à la grève.
Ils espèrent également un soutien accru du Parti travailliste après que son secrétaire d’Etat aux Entreprises et à la Stratégie industrielle du cabinet fantôme, Jonathan Reynolds, a écrit au gouvernement conservateur pour lui faire part de ses «préoccupations» concernant la direction de Royal Mail. Les postiers ont accueilli avec un grand enthousiasme l’appel à la manifestation, qu’ils considèrent comme une occasion de se fédérer.
Mais cette prise de position et cet enthousiasme ne peuvent se substituer à la mobilisation directe. L’attaque frontale de Thompson contre les emplois des travailleurs et travailleuses doit être combattue par une grève totale. Et le projet de Dave Ward du CWU d’organiser une réunion avec les actionnaires lundi 5 décembre – y compris la société de capital-investissement Vesa [dont le siège social est à Luxembourg, elle est entrée dans le capital de Royal Mail en mai 2020 à hauteur de 7,13%], qui, selon lui, envisage une prise de contrôle – est une impasse. En effet, c’est faire appel à des personnes bien plus intéressées par des profits rapides que par les emplois et les moyens de subsistance des travailleurs et travailleuses.
Face à cette agression, les postiers sont prêts à se battre. Et, malgré les affirmations des patrons sur l’augmentation du nombre de travailleurs ne respectant pas la grève, la grève est toujours solide et les piquets de grève sont toujours forts. «Vous pouvez voir que la force est toujours là», a déclaré Steve. «Nous avons toujours un bon nombre de personnes qui viennent sur le piquet de grève. La détermination est toujours aussi forte.» «La volonté est de continuer», a déclaré un gréviste de Tooting. «Cela ne sert à rien de faire marche arrière. Si nous nous arrêtons maintenant, ils vont nous écraser.»
S’opposer aux suspensions
Les patrons de Royal Mail ont couplé leurs menaces de licenciements et de restructurations avec des suspensions et des représailles contre des militants syndicaux – y compris de certains délégués très en vue. Même dans les offices postaux et les zones où il n’y a pas eu de suspensions, les travailleurs se sentent plus méfiants à l’égard de leurs managers.
«Il n’y a pas encore eu de sanctions dans ce bureau», a déclaré un gréviste de Tooting. «Mais il y a de l’intimidation et un comportement passif agressif. Ils intensifient tout.»
Ce n’est pas le principal moyen par lequel les patrons tentent de faire échouer les grèves, mais cela fait partie de leur stratégie. L’attaque a pris une telle ampleur – au moins 59 membres du CWU ont été suspendus depuis le début des grèves – que les dirigeants syndicaux ont été contraints d’en parler dans un briefing en ligne destiné aux grévistes mardi 29 novembre. Pourtant, leur réponse a été d’avertir les grévistes de garder «la tête froide» sur les piquets de grève. En fait, cela signifie que, plutôt que d’essayer d’empêcher les briseurs de grève d’entrer, il faut «respecter les normes légales [introduites depuis Thatcher, sans discontinuer], c’est-à-dire six sur les piquets de grève, des supporters dans d’autres zones qui ne bloquent pas l’entrée».
Dave Ward a également dit aux membres du syndicat de répondre aux managers intimidants en formulant des plaintes formelles et en engageant éventuellement des procédures juridiques. On est loin de la tradition qu’avaient les travailleurs de Royal Mail – jusqu’à très récemment – de se mobiliser officieusement contre la répression et l’intimidation des managers.
Le résultat de cette retenue est que les patrons peuvent déclarer la guerre aux militant·e·s et réduire le militantisme des piquets de grève. De nombreux militant·e·s se souviennent des débrayages qui ont permis de réintégrer un travailleur ou de se débarrasser d’un patron tyrannique. Un plus grand nombre de ces débrayages peut contribuer à renverser la vapeur contre Simon Thompson. (Article publié par Socialist Worker, le 30 novembre 2022; traduction rédaction A l’Encontre)
*****
Les grévistes de Royal Mail dénoncent le plan patronal: «Tout cela pour le profit»
Royal Mail Office à Londres, le 24 novembre 2022.
Par Nick Clark
Les postiers ont dénoncé la vision des patrons d’un Royal Mail où les emplois, les conditions de travail et les services rendus [distribution, délai, etc.] sont réduits à néant dans l’intérêt du profit. Les travailleurs, membres du syndicat CWU (Communication Workers Union), en sont, ce 1er décembre, au deuxième jour d’une grève de 48 heures, alors que leur combat atteint un point décisif.
Le PDG de Royal Mail, Simon Thompson, a insisté en début de semaine sur le fait que son projet de supprimer 10 000 emplois et de transformer le service en une messagerie de type gig economy était sa «meilleure et dernière offre». Jeudi 1er décembre, les grévistes présents sur les piquets de grève de Royal Mail ont expliqué ce que signifierait l’acceptation de ce projet patronale.
Patrick, un représentant du CWU au bureau de distribution de Brixton, dans le sud de Londres, a expliqué à quoi ressemblerait le travail des milliers de «chauffeurs propriétaires» supplémentaires que Royal Mail veut mettre en place. «Aujourd’hui, je conduis une camionnette Royal Mail. Je ne paie ni l’assurance ni l’essence. Mais si je suis un conducteur propriétaire, je paie l’essence, je paie l’assurance. Si je pars en vacances, je dois trouver quelqu’un qui me remplace. Et si je ne le fais pas, ils déduiront de l’argent de mon salaire et paieront quelqu’un pour le faire pendant les deux semaines où je suis en congé.» [Ce futur est illustré dans le film de Ken Loach Sorry We Missed You datant de 2019 – réd.]
Tout est question d’argent. L’objectif ultime des patrons – qu’ils souhaitent depuis des années – est de scinder Royal Mail en un service de lettres qui tombera en désuétude, et une société de colis gérée pour le profit.
«Ils veulent séparer les lettres des colis, car c’est là que se trouve l’argent», explique Patrick. «Quiconque rachètera Royal Mail se débarrassera de l’obligation de service universel – qui stipule que nous devons distribuer les lettres six jours par semaine – et choisira les colis. Ce n’est pas dans l’intérêt des clients, ni dans celui du personnel, ni même dans celui des managers locaux. Tout ça, c’est pour le profit.»
Un autre changement que les patrons veulent introduire est l’annualisation des heures. Cela signifie que, si un travailleur termine plus tôt que prévu pendant les semaines d’été, il doit compenser par des heures plus longues en hiver. Les volumes de courrier sont faibles en été et élevés en hiver.
Les grévistes pensent que les deux changements combinés – heures annualisées et chauffeurs propriétaires – sont le prélude à une main-d’œuvre précaire et occasionnelle. «Je pense que leur objectif est de se débarrasser de nous et de faire appel à des intérimaires avec des contrats de zéro heure», a déclaré un gréviste de Stockwell, dans le sud de Londres. «Comme le travail fluctue tout au long de l’année, ils peuvent licencier et embaucher à volonté. Et les nouveaux arrivants seront payés 20% de moins que nous. Ils veulent également réduire nos heures de travail, ce qui signifie que nous livrerions dans l’obscurité pendant les mois d’hiver. Ce n’est pas sûr, surtout pour ceux qui se déplacent à pied.»
Les changements sont si dévastateurs, et les patrons de Royal Mail sont si déterminés à les faire passer, que le conflit est devenu bien plus qu’une question de salaire. Il s’agit de savoir si les emplois et les vies des travailleurs et travailleuses, ainsi que le service qu’ils fournissent, sont détruits pour assurer le profit privé.
Le secrétaire général du CWU, Dave Ward, doit rencontrer les actionnaires de Royal Mail lundi 5 décembre pour les convaincre du business plan alternatif du syndicat. Mais, comme l’a dit un gréviste de Stockwell, «les actionnaires ont rencontré Simon Thompson. Alors pourquoi écouteraient-ils Dave Ward? Ce que Thompson leur dit est plus rentable pour les actionnaires.»
«La seule chose qui les intéressera, c’est de ne pas perdre l’argent qu’ils ont perdu à cause de nos grèves», ajoute un autre gréviste de Stockwell. «Cela devient coûteux pour eux. Cela ne peut pas durer indéfiniment – ils ne peuvent pas continuer à perdre de l’argent comme ils le font actuellement.»
L’impasse a conduit à une situation où les grévistes savent qu’ils ne peuvent pas reculer, mais s’inquiètent aussi de ce que cela signifiera de continuer comme ça. «Les membres tiennent toujours bon», a déclaré Patrick. «Ils sont confrontés à une situation où il faut faire grève. Plus Simon Thompson multiplie les attaques, plus cela nous rend déterminés. Les membres syndiqués sont toujours aussi forts. Thompson n’a donc pas vraiment entamé la détermination des membres. Mais il est évident que certains s’inquiètent de l’argent qu’ils peuvent perdre. Des gens qui sont très attachés à la grève, mais qui ne peuvent pas se permettre de faire grève.»
« Ça va devenir difficile », a déclaré un gréviste de Stockwell. « La situation économique est contre nous, c’est une période de l’année où les prix sont élevés. Beaucoup de postiers sont endettés. Et jusqu’à présent, Thompson ne bouge pas. Cela pourrait continuer l’année prochaine. Mais qui va céder en premier?»
Cela montre à quel point il est urgent pour le syndicat de mettre en place une stratégie combative qui puisse faire reculer Thompson, le conseil d’administration et les actionnaires, et convaincre les travailleurs et travailleuses qu’ils peuvent gagner. (Article sur Socialist Worker, le 1er décembre 2022; traduction rédaction A l’Encontre)