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Entre les cadres et les ouvriers, la consommation classe énormément

Lien publiée le 11 décembre 2022

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

Entre les cadres et les ouvriers, la consommation classe énormément – Centre d'observation de la société (observationsociete.fr)

Chaque année, un ménage français dépense 27 400 euros en moyenne, soit 2 300 par mois, selon l’enquête sur le budget des familles, réalisée par l’Insee en 2017. Quand les cadres disposent de 43 600 euros à dépenser, les ouvriers n’ont que 24 400 euros. L’étude de la structure des dépenses est riche d’enseignements sur les modes de vie. Elle permet aussi de mieux comprendre l’impact de l’inflation aujourd’hui.

Les postes qui occupent une place plus importante chez les ouvriers

Les biens de base constituent une part plus importante du budget des catégories les moins favorisées. Le poste « alimentation et boissons non-alcoolisées » est – en proportion – bien plus élevé chez les ouvriers que chez les cadres (16,4 % contre 13,5 %). Ces derniers peuvent s’offrir de la nourriture de qualité supérieure (des produits bios, par exemple), mais ne mangent pas dix fois par jour : leur budget alimentation plafonne rapporté à leur revenu. Idem pour les dépenses de logement (18,4 % pour les ouvriers et 13,4 % pour les cadres) :  nul besoin de multiplier les cuisines ou les salles de bain. Ces postes n’augmentent pas au rythme du niveau de vie : les cadres dépensent bien sûr plus que les ouvriers mais cela représente un pourcentage plus faible de leurs ressources.

Les détails des postes dessinent les singularités des modes de vie. En matière d’alimentation par exemple, le budget viande bovine des cadres est supérieur à celui des ouvriers, mais ces derniers dépensent davantage pour le porc. Le prix de ces denrées n’est pas le même. Alors que les cadres ont un budget global supérieur de 30 % aux ouvriers pour l’alimentation, ils dépensent deux fois plus pour les légumes frais et le poisson. Inversement, les ouvriers, même avec des revenus très inférieurs, dépensent plus en valeur absolue (en euros) que les cadres en boissons gazeuses ou en margarine. La façon de manger reste socialement marquée : c’est une question de moyens, mais aussi d’habitudes de vie qui diffèrent selon les milieux sociaux1.

Le poste « tabac et boissons alcoolisées » est le seul où les ouvriers dépensent davantage en euros que les cadres malgré leurs revenus nettement inférieurs. La différence n’est pas considérable (100 euros annuels) mais elle se rapporte à un budget bien moindre. Là aussi, les détails du poste sont parlants. La consommation de tabac (300 euros de plus par an pour les ouvriers) creuse l’écart. Côté alcool, les cadres surclassent les ouvriers pour les vins et champagnes, les ouvriers les dépassent pour les alcools forts et la bière. On retrouve à la fois l’effet des prix (notamment pour les vins), du rapport au corps et des habitudes de vie des catégories sociales.

En matière de logement, les cadres dépensent davantage en loyers et en charges en valeur absolue (1 350 euros de plus par an), même si, on l’a vu, cela représente une part inférieure de leurs revenus. Les différences de dépenses traduisent des écarts en matière de surface, de qualité des logements et de localisation. Que deux éléments viennent limiter : les logements sociaux offrent à une partie des ouvriers des loyers réduits, et les cadres acceptent de dépenser plus pour se loger dans les quartiers privilégiés.

Enfin, le poste « communications » est plus élevé en pourcentage chez les ouvriers que chez les cadres (3,4 % contre 2,1 %), en grande partie parce qu’il s’agit d’abonnements à frais fixes, que l’on ne peut faire varier. Les deux catégories sociales sont quasiment autant équipées en téléphones portables et Internet et supportent des frais relativement semblables (900 euros par an pour les cadres, 820 euros pour les ouvriers).

Les budgets qui se ressemblent

Le poste « santé » (1,7 %) est équivalent pour les deux catégories sociales, ce qui représente 380 euros de plus par an pour les cadres. Une petite moitié vient de ces dépenses supplémentaires vient des médicaments non remboursés, l’autre de la consultation de médecins, généralistes ou de dentistes. Les plus aisés ne consomment pas des quantités supérieures de médicaments en proportion de leurs revenus. Ils fréquentent plus souvent les médecins, et en particulier ceux qui pratiquent des dépassements d’honoraires. La France est l’un des pays où l’accès aux soins est le plus largement répandu, mais des écarts entre catégories sociales se logent dans la qualité et l’accessibilité rapide aux soins, ainsi que dans les pratiques de prévention.

Même équivalence pour le budget transport (environ 17 %), mais l’importance de ce poste fait que les cadres y consacrent bien davantage que les ouvriers (7 200 euros par an contre 4 300 euros). La seule ligne « achat d’automobile » représente 7 % du budget total des cadres et des ouvriers, presque autant que le poste « loisirs-culture » chez les ouvriers. C’est surtout le type de véhicule qui fait la différence, les deux catégories dépensent quasiment autant en carburant, environ 1 300 euros. Ce qui explique l’impact des hausses de prix en bas de l’échelle des revenus.

Cadres et ouvriers consacrent aussi une part équivalente de leur budget pour l’habillement et les chaussures, un peu plus de 5 %. Cela signifie que les premiers dépensent 1 100 euros de plus par an dans ce domaine. Chaque année, les cadres consacrent l’équivalent de deux mois de smic à leur garde-robe. Malgré l’essor du prêt à porter à partir des années 1970, le type de tenue, de marques, la façon même de porter les vêtements distinguent toujours les univers sociaux.

La rubrique « divers » est un fourre-tout qui va des bijoux à la coupe de cheveux en passant par les assurances. Elle atteint 15 % du total des dépenses. L’attention portée au corps par les cadres se retrouve dans les dépenses de coiffeurs, d’appareils et de produits de soins personnels. Les cadres dépensent aussi davantage en matière de services (gardes d’enfants ou aide aux personnes âgées) et en assurances. Pour ce dernier point, les frais fixes, comme l’assurance logement ou auto pèsent sur le budget des ouvriers.

Les postes pour lesquels les cadres dépensent plus

Les ouvriers consacrent davantage aux biens de base, les cadres aux biens les moins essentiels. En matière d’éducation, le budget consacré par les ménages reste faible en France du fait de la prise en charge par les services publics : 1,3 % pour les dépenses des cadres et 0,5 % pour celles des ouvriers. Tout de même, les cadres y consacrent en moyenne 475 euros de plus par an. Du fait des frais d’inscription dans le supérieur où les ouvriers sont beaucoup moins représentés (ou parfois peuvent en être exonérés), mais aussi du fait des dépenses pour les cours particuliers ou l’enseignement privé.

Les cadres dépensent 3 000 euros de plus par an dans le domaine des loisirs et de la culture que les ouvriers. Les budgets respectifs représentent 11,3 et 7,9 % du total de leurs revenus. Les cadres achètent des équipements plus onéreux, sortent et lisent beaucoup plus. Ce poste comprend un sous-ensemble « voyages organisés » qui représente à lui seul un quart de l’écart total entre cadres et ouvriers. Un niveau de revenu supérieur permet d’avoir accès à des biens et services que d’autres n’ont ne peuvent s’offrir : on touche ici au cœur de la distinction sociale, ce qui sépare les modes de vies des ménages.

Même chose pour le poste « meubles et entretien de la maison » : les cadres y consacrent 6,5 % de leur budget total contre 4,6 % pour les ouvriers. Pour une part, il s’agit de l’effet des prix : les cadres n’ont guère besoin de plus de vaisselle, de tables ou de canapés que les ouvriers (en tout cas pas de façon proportionnelle à l’écart de revenus), mais leurs dépenses dans ce domaine sont trois fois plus élevées. Le gros de la différence entre cadres et ouvriers se loge moins dans le mobilier que dans l’utilisation de services domestiques qui coûtent 840 euros aux cadres par an, contre 54 euros seulement aux ouvriers. Avoir recours à du personnel de maison est encore un élément qui sépare les univers sociaux.

Enfin, l’écart est encore plus grand pour le chapitre « hôtels restaurants » : les cadres y consacrent une part presque deux fois plus grande de leurs revenus (10,7 % contre 5,5 %), soit 3 300 euros de plus par an que les ouvriers, soit une dépense 3,5 fois supérieure. Ils vont plus souvent au restaurant, dans des établissements où l’addition est élevée, fréquentent beaucoup plus les hôtels, et de gamme plus élevée. Ce poste du budget des ménages fait aussi partie de ceux qui distinguent.

Mode de vie et porte-monnaie

Dans une société marchande, le budget des ménages dessine une bonne partie des modes de vie : de l’accès au logement, en passant par les vacances, l’équipement du foyer ou l’alimentation, bien gagner sa vie classe énormément. Bien sûr, tout n’est pas monétaire. Les cadres supérieurs fréquentent aussi beaucoup plus les bibliothèques, par exemple, ce qui reste invisible dans ce type de données. De l’école à la santé en passant par les loisirs, une partie des pratiques (des écoles aux musées en passant par les soins) sont financées par la collectivité, et les plus aisés en profitent comme les autres. Certaines dépenses sont liées aux habitudes culturelles et au diplôme, comme le montre l’exemple de l’attention portée au corps et à la santé chez les cadres.

L’enrichissement de nos sociétés – les niveaux de vie ont été multipliés par deux depuis les années 1970, une fois l’inflation prise en compte – a permis à une grande partie des couches populaires d’accéder à un ensemble de biens qui donne une apparence d’uniformisation des pratiques qui conduit à des jugements erronés sur la « fin des catégories sociales » devenus très médiatiques. La distinction se loge plus souvent qu’auparavant dans les détails moins visibles de la consommation (le type de voiture et non le fait d’en avoir une par exemple) et dans l’accès à des services (voyages, emplois domestiques par exemple) que l’on voit moins, mais qui classent tout autant et offrent des conditions de vie bien meilleures quand on a les moyens de se les offrir.

Ces données permettent aussi de mieux comprendre l’impact de la hausse des prix des biens de base. Le taux d’inflation est une moyenne nationale qui n’est pas totalement représentative pour les catégories populaires quand les prix de l’alimentaire ou de l’énergie par exemple progressent plus vite que les autres postes. S’ajoute à cela l’importance plus grande aujourd’hui de postes dont le budget ne peut guère s’ajuster à la baisse, comme l’ensemble des abonnements (box, téléphone portable, frais bancaires) ou les assurances et qui réduisent le reste à vivre en bas de l’échelle des revenus. Enfin, il ne faut pas oublier l’énorme différence qui sépare les locataires des propriétaires, qui n’apparaissent pas dans ces données. Le budget des premiers est grevé par le loyers, parfois jusqu’à un tiers de leur revenu, alors que les seconds investissent dans la pierre et, une fois leurs emprunts remboursés, disposent d’un niveau de vie réel très supérieur.

Notes:

  1. Voir « Les différences sociales d’alimentation », Analyse n°64, Centre d’études et de prospective du ministère de l’Agriculture », octobre 2013. ↩