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Au Pérou, le gouvernement massacre les manifestants dans une répression meurtrière
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» Au Pérou, le gouvernement massacre les manifestants dans une répression meurtrière (les-crises.fr)
Les manifestations au Pérou qui ont suivi la destitution de Pedro Castillo ne montrent aucun signe d’essoufflement. Face à une répression meurtrière, les manifestants ne réclament plus seulement des élections mais la démission de la présidente Dina Boluarte et une nouvelle constitution.
Source : Jacobin Mag, Oscar Apaza
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
Des centaines de personnenes participent à une nouvelle manifestation contre le gouvernement de Dina Boluarte à Lima, le 12 janvier 2023 (Klebher Vasquez / Anadolu Agency via Getty Images)
Le 7 décembre il était prévu que le Congrès péruvien vote la destitution du président Pedro Castillo.
Ce n’était pas la première fois. C’était le troisième essai de destitution, un des nombreux mécanismes employé par le Congrès, les élites et la presse pour délégitimer Castillo et l’évincer du pouvoir. Ce même jour, Castillo avait choqué le pays avec sa réponse : un message à la Nation annonçant la dissolution du Congrès.
La manœuvre désespérée de Castillo n’a pas été soutenue par les institutions. La police fédérale et les forces armées ont tourné le dos à Castillo, l’ont arrêté et remis au procureur de la République pendant que le Congrès se dépêchait d’accélérer la destitution et de faire prêter serment à sa vice-présidente Dina Boluarte. Cette dernière avait déjà rompu les liens avec Castillo quelques semaines auparavant. En quittant le Congrès – l’institution la plus méprisée – et en ignorant ceux qui se rassemblaient déjà dans les rues, elle annonçait que son gouvernement dirigerait jusqu’à son terme en 2026.
Dans les jours qui suivirent, Boluarte s’accorda avec l’opposition à Castillo, comprenant ceux qui n’avaient jamais accepté la victoire du précédent président. Face au déroulé rapide des évènements, le peuple réagit rapidement. Il a organisé des manifestations dans la plupart des régions du pays, rejetant Boluarte, appelant à des élections immédiates, à la fermeture du Congrès, et en demandant même une nouvelle Constitution. Le gouvernement réagit en militarisant les rues. L’état d’urgence fut déclaré, amenant l’armée dans plusieurs régions même si elle n’était pas préparée à contrôler des protestations civiles avec modération.
Des appels inutiles pour la paix
Bien que le Congrès ait approuvé l’organisation d’élections en 2024, cette date reste loin de la demande d’élections immédiates et la vague de protestation grandit encore. La réaction de la police et du gouvernement fut disproportionnée et violente. Le 21 décembre, le nombre de morts atteignait 27, nombre d’entre eux résultant de tirs à la tête ou dans le corps.
Malgré ce niveau de violence, Boluarte décida de nommer Alberto Otárola Premier ministre, alors qu’il avait d’abord été ministre de la Défense, chargé des forces armées et responsable des morts civils qu’ils causèrent. Dans ces conditions défavorables, les manifestants, sans renoncer à leurs revendications, ont temporairement suspendu les protestations pour les fêtes de fin d’année, afin d’honorer leurs morts et permettre une reprise de l’activité économique dans leurs villes.
Mais les opérations de police ne se limitèrent pas aux manifestations. Des leaders sociaux et des membres de l’opposition devinrent la cible de harcèlement policier, avec des raids dans différents locaux entraînant des arrestations en l’absence d »un représentant du procureur de district. La police a même effectué une visite menaçante au domicile d’un membre du Congrès.
Le gouvernement de Boluarte aujourd’hui considéré par beaucoup comme un régime civico-militaire, a en même temps essayé de délégitimer les manifestants, un projet relayé par les grands médias, propriétés des élites péruviennes. Dans ses déclarations elle a affirmé que les manifestants étaient dirigés par des terroristes ou par des criminels pour défendre leurs affaires illégales.
Malgré ces accusations et le meurtre de manifestants, l’armée et la police – les institutions responsables de ces morts – ont appelé à des contre-manifestations « pour la paix » afin de renforcer leur récit sur un ennemie violent. Ce concept absurde de paix mis en avant par le gouvernement a été massivement interprété comme une posture vide de sens.
Au fil des jours, des preuves photographiées et filmées ont impliqué les forces de l’ordre qui avaient fabriqué des preuves contre les manifestants et infiltré les manifestations pour les pousser à la violence. Tout ceci a affaibli la légitimité de la police et de Boluarte qui n’a pas condamné la violence policière malgré les preuves accablantes qui circulaient.
Le massacre de Puna
En 2023, mercredi 4 janvier, les manifestations reprirent dans la capitale et dans d’autres régions, avec une large participation, des arrêts de travail, et des barricades érigées sur les routes. Les revendications sont restées fermes, demandant la démission de Boluarte et avec un message fort : les citoyens descendus dans la rue ne reconnaissent pas la légitimité d’un gouvernement entaché de sang, qui les accuse d’être des terroristes et qui préfère envoyer des soldats tirer dans les villes et villages plutôt que d’envoyer des représentants du gouvernement leur parler.
Puis, lundi, la tragédie a frappé une fois de plus. La violente répression des manifestations à Puno, dans le sud-ouest du Péru, a fait 18 morts. Parmi les victimes, un médecin qui ne participait même pas aux manifestations. Des vidéos confirment la violence de la réponse policière dans ce qui est devenu le deuxième massacre – après celui d’Ayacucho, qui fit 10 morts en une seule journée – perpétré par l’actuel gouvernement.
Pas de fin en vue
On ne voit pas la fin ce cette révolte commencée en décembre, et qui a fait 47 morts et plus de 500 blessés, malgré les efforts du gouvernement pour présenter la suspension temporaire des manifestations pendant les fêtes comme un « retour au calme, » fruit de ses actions.
Le gouvernement civico-militaire de Boluarte s’est allié avec les parties de la population qui ont perdu les élections de 2021. Leurs représentants au gouvernement ont discrédité les médias élitistes en faisant des appels à la paix qui sonnent aussi cyniques que creux. La « paix » évoquée par Boluarte consiste en une amnistie de son gouvernement, malgré ses abus et ses meurtres, et un retour à une stabilité qui n’a jamais profité à la majorité.
Boluarte semble ignorer le fait que la douleur de ceux qui ont été tués – et le désir de justice qu’elle engendre – est devenu une nouvelle raison de mobilisation. Les manifestations n’ont plus uniquement pour but de demander des élections mais exigent sa démission immédiate et une nouvelle Constitution péruvienne. La situation au Pérou semble crier, pour paraphrase Emiliano Zapata, que si le peuple n’obtient pas justice, le gouvernement Boluarte n’aura pas la paix qu’il demande.
Contributeurs
Oscar Apaza est architecte et activiste urbain péruvien.
Alex Caring-Lobel est éditeur adjoint à Jacobin.
Source : Jacobin Mag, Oscar Apaza, 15-01-2023
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises