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Cinquante ans après, le mystère entourant la mort de Pablo Neruda en voie d’être élucidé
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Cinquante ans après, les causes du décès de Pablo Neruda pourraient enfin être connues. Si selon la thèse officielle, le poète chilien est mort d'un cancer de la prostate, ses proches dénoncent en effet depuis de nombreuses années un assassinat par empoisonnement. Un rapport d’experts très attendu, rendu le 15 février à un juge, pourrait permettre d'élucider le mystère.
L’épais mystère qui enveloppe la mort de Pablo Neruda, survenue une dizaine de jours seulement après le coup d’État militaire qui renversa Salvator Allende, sera-t-il levé ? Le poète chilien, lauréat du prix Nobel de littérature, a-t-il été assassiné, comme le suspecte la famille de l’artiste depuis de longues années ? Cette question pourrait enfin trouver une réponse grâce aux conclusions d'un rapport très attendu, remis mercredi 15 février à un juge. Et ainsi mettre fin à une enquête ouverte en 2011.
Réunis depuis le mois de janvier à Santiago, la capitale chilienne, des spécialistes judiciaires et médicaux du Canada, du Danemark, des États-Unis, d'Espagne et du Chili ont étudié une série de prélèvements des restes du poète.
Selon les premiers éléments révélés par Rodolfo Reyes, avocat et neveu du poète, les conclusions d’autopsie accréditeraient la thèse de l'empoisonnement : le poète communiste aurait succombé à la suite d'une injection, après avoir été emmené en ambulance dans une clinique où il était déjà traité pour un cancer et d’autres maladies. Les faits auraient eu lieu la veille de son départ pour le Mexique, où il envisageait de s'exiler pour diriger l'opposition au régime Pinochet.
Cette expertise montrerait ainsi la présence, dans les restes du poète, de Clostridium botulinum, une toxine pouvant causer la paralysie du système nerveux et la mort. Le corps de Neruda avait été exhumé en avril 2013 de la crypte où il reposait depuis 1992 – à Isla Negra, à 120 km à l'ouest de la capitale, sur la côte centrale du Chili.
L'hypothèse d'un assassinat du Nobel 1971 est apparue en 2011, après les révélations de Manuel Araya, à l'époque jeune militant désigné par le Parti communiste chilien comme assistant et chauffeur de l'écrivain, lui-même membre du Parti. Bien qu'il ait soutenu cette thèse pendant près de 40 ans, ce n'est qu'à cette date que le PC a exigé une enquête judiciaire qui a rendu possible l'exhumation et les analyses toxicologiques.
Ces dernières conclusions iraient donc à l’encontre de la thèse officielle selon laquelle Pablo Neruda est décédé des suites d'un cancer de la prostate. "Vient maintenant une phase de révision, d'étude, d'appréciation et d'évaluation" afin que le tribunal puisse se prononcer, a indiqué la magistrate en charge de l'affaire, Paola Plaza, sans préciser la durée de cette étape.
Des années d’expertises
La propre famille de Pablo Neruda n'est cependant pas unanime. Contrairement à Rodolfo Reyes, avocat et neveu du poète, qui dit avoir eu accès aux résultats des laboratoires, Bernardo Reyes, le petit-neveu du poète, a rejeté ces affirmations au nom de la partie de la famille qui ne croit pas à la thèse du meurtre. "Le rapport scientifique ne pourra pas déterminer un lien avec un acte homicide", a-t-il assuré à l'AFP depuis le sud du Chili.
Jeudi, deux membres du panel d'experts ont indiqué à l'AFP ne pas avoir pu déterminer si le décès était dû ou non à un empoisonnement. La bactérie Clostridium botulinum "était présente au moment de sa mort mais nous ne savons toujours pas pourquoi. Nous savons simplement qu'elle ne devrait pas être là", ont indiqué Hendrik et Debi Poinar de l'université canadienne McMaster. Ils ont ainsi confirmé à l'AFP leurs déclarations mercredi dans un article de leur université.
Avant ce rapport, les restes du poète avaient déjà fait, ces dernières années, l'objet de nombreuses expertises. Exhumée en 2013, sa dépouille n'a été remise en terre qu'en avril 2016 sans que le mystère ne soit totalement levé. En mai 2014, une équipe de chercheurs espagnols avait mis en avant la présence massive de bactéries, des staphylocoques dorés, soulevant ainsi l’hypothèse d’une inoculation par des agents de la dictature, sans apporter plus de certitude.
Puis en 2017, un collège de spécialistes internationaux avait rejeté à l'unanimité la version officielle du régime militaire. Mais jusque-là, les experts n'ont pas pu confirmer ou exclure la possibilité d'une contamination volontaire et délibérée par l'injection de germes ou de toxines bactériennes.
Un écrivain en danger
Pablo Neruda, également diplomate – ambassadeur du Chili en France de 1970 à 1972 – se sentait menacé depuis le coup d'État militaire et voulait quitter le Chili. "Neruda m'avait dit : ‘je pars au Mexique, camarade, et là-bas je vais demander l'aide du monde pour faire tomber Pinochet. En trois mois, je vais le faire chuter. Je vais demander l'aide des gouvernements, des intellectuels’", avait raconté Manuel Araya à l’AFP en 2013, affirmant sans l’ombre d’un doute que "Neruda a été assassiné".
De nombreux témoignages attestent que le poète chilien était en forme jusqu'à la fameuse injection. Les proches de l’artiste ont pendant des années évoqué la thèse d’un assassinat commandité par la dictature, pour éviter que le Nobel ne devienne, de l'exil où il s'apprêtait à partir, un opposant de prestige.
La vérité est donc désormais en passe d'être faite sur cette figure emblématique de la littérature hispano-américaine. Les commanditaires du crime restent inconnus, mais les soupçons se tournent vers le régime du général Augusto Pinochet et les responsables militaires à l’origine du coup d’État. Le régime a fait quelque 3 200 morts et plus de 38 000 personnes ont été torturées, selon des chiffres officiels.