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Le mépris de classe pour ceux qui ne valent rien : Le dernier livre de Michel Husson
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Le livre posthume de Michel Husson, qui nous a quittés il y a près de deux ans, est étourdissant et stupéfiant. Dans Portrait du pauvre en habit de vaurien, Eugénisme et darwinisme social (Lausanne, Paris, Page 2, Syllepse, 2023), il propose une histoire des idéologies qui entourent, depuis deux siècles et demi de capitalisme, l’existence des pauvres, des surnuméraires, des inutiles au monde. Ce livre est étourdissant par la somme documentaire explorée par l’auteur, toujours référencée avec précision. Il est stupéfiant aussi par l’étendue des informations révélant les dits et écrits des plus grandes notoriétés de la pensée économique et politique, souvent ignorés, et exhumés par Michel Husson pour montrer d’une part que l’idéologie se pare de vertus scientifiques qu’elle n’a pas, et d’autre part qu’elle traverse toute l’histoire jusqu’à nos jours.
Sans doute inachevé à cause de la brusque disparition de Michel Husson, la publication de son livre a été préparée par deux de ses proches, Odile Chagny et Norbert Holcblat, qui disent qu’il est le fruit de cinq années de travail. Et on les croit, tellement les données rassemblées sont immenses et leur mise en forme est précise. D’emblée, Michel Husson expose ses objectifs : mettre au jour le fait que les théories économiques dominantes rendent les chômeurs et les pauvres responsables de leur sort et donc « dédouanent le mode d’organisation sociale » (p. 23) ; montrer « la permanence des constructions idéologiques et leur résurgence périodique, que l’on pourrait presque qualifier de cyclique » (p. 24) ; établir le lien entre cette « économie politique lugubre » (p. 255) et le darwinisme social qui a épousé les thèses de l’eugénisme.
Ce livre est structuré autour de quatre parties. La première explore les premières justifications de la pauvreté, elle dissèque les lois sur les pauvres adoptées en Angleterre au XIXesiècle ; l’état d’esprit est tel que la famine en Irlande est justifiée par l’élite intellectuelle et politique. La deuxième et la troisième parties au centre de l’ouvrage et de la démonstration de Michel Husson : comment le darwinisme social a fourni aux eugénistes leurs justifications délirantes, et comment Charles Darwin lui-même n’est pas exempt de tout reproche. La quatrième partie explique comment la science a été dévoyée pour légitimer les privilèges de classe. Le livre de Michel Husson fourmille de centaines de citations, souvent longues pour ne pas les décontextualiser. Il est impossible ici d’en rapporter un grand nombre. Essayons quand même d’illustrer le fil conducteur suivi par l’auteur.
Les pauvres, paresseux et dangereux
« L’art d’ignorer les pauvres » est le titre ironique du premier chapitre de Michel Husson pour dire que « c’est Dieu qui a voulu qu’il existe des riches et des pauvres, et ces derniers seront récompensés dans l’au-delà » (p. 29). Mais l’origine divine va vite laisser la place à une « laïcisation » de la vision de la pauvreté et de la réponse à y apporter, d’autant que l’abbé Ferdinando Galiani énonce des formulations mêlant providence divine et rapport des utilités et raretés relatives des riches et des pauvres (p. 31). Après l’adoption de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1793, on va trier les « faux pauvres » et les « vrais », afin d’éviter que l’État ne soit obligé de subvenir aux besoins des premiers, véritables paresseux, sinon voleurs, et alcooliques. Au même moment, en Angleterre, le pasteur Robert Malthus théorise que « le problème avec les pauvres, c’est qu’ils sont trop nombreux » (p. 35). Selon Malthus, la population augmente plus vite que les ressources alimentaires, à cause des pauvres qui font trop d’enfants. La surpopulation est donc de leur faute. Cette thèse sera radicalement récusée par Karl Marx quelques décennies plus tard. Mais, en attendant, elle est dans l’air du temps. Elle rejoint les thèses de Bernard Mandeville au début du XVIIIe siècle justifiant l’existence des pauvres ; celui-ci écrit :
« Dans une nation libre où il n’est pas permis d’avoir des esclaves, les plus sûres richesses consistent à pouvoir disposer d’une multitude de pauvres laborieux. C’est une pépinière intarissable pour les flottes et les armées. Sans ces sortes de gens, on ne jouirait d’aucun plaisir et on n’estimerait point ce qu’un pays produit […] Pour rendre la société heureuse et pour que les particuliers soient à leur aise, lors même qu’ils n’ont pas de grands biens, il faut qu’un grand nombre de ses membres soient ignorants, aussi bien que pauvres. » (p. 42).
Michel Husson note que cette idée se retrouve pleinement justifiée par Hayek deux cent cinquante ans plus tard :
« Mandeville a pour la première fois développé tous les paradigmes classiques du développement spontané de structures sociales ordonnées : du droit et de la morale, du langage, du marché, de l’argent et des connaissances technologiques » (p. 43).
Si les pauvres sont aussi indispensables à l’aisance des riches, il ne faut surtout pas augmenter les salaires ; mieux vaut créer des emplois de domestiques. Marx ironisera sur cette thèse du ruissellement qui n’a pas encore dit son nom, mais qu’on trouve explicitement chez Malthus ou chez un autre pasteur (décidément !), Joseph Twonsend. Sans parler des réminiscences actuelles chez les Patrick Artus, Pascal Lamy et… Emmanuel Macron (p. 53-54).
Dès le Moyen Âge, avec le Statute of Laborersde 1349, puis la « loi pour l’aide aux pauvres » de 1597 et celle de 1601 sous le règne d’Elisabeth Ière, l’Angleterre organise cette aide à la charge des paroisses qui apportent des matières premières de base (« lin, chanvre, laine, fil, fer et autres articles nécessaires » (p. 57). Cependant, on classe les bénéficiaires de façon à écarter les « vagabonds fainéants » (p. 56). Le Poor Relief Actde 1722 crée des workhouses où l’aide est réservée à ceux qui acceptent de travailler (on pense aussitôt au projet du président Macron de RSA sous condition de 15 à 20 heures de travail hebdomadaires que Michel Husson n’a pas connu). Tout cela est une application directe des thèses du théoricien de l’utilitarisme Jeremy Bentham qui distingue les pauvres et les indigents et jette les bases d’une société de surveillance générale avec la « prison panoptique » pour les pauvres. D’où l’idée que reprendra Foucault pour comprendre le néolibéralisme dans lequel l’action de l’État « modèle le cadre dans lequel s’exercent les choix individuels » (p. 61)[1].
Pendant que se répandent les divagations de Bentham, de Malthus et de beaucoup d’autres, « les premières décennies du 19esiècle se caractérisent par une explosion du nombre de pauvres » (p. 66) en Angleterre qui « s’explique en grande partie par le mouvement des enclosures » (p. 66), dont Marx fera un pilier de l’expropriation primitive. Face à cette situation, en 1795, le Speenhamland Actest adopté, « qui ouvre une période relativement libérale d’aide aux pauvres » (p. 70) en versant « une somme égale à la différence entre le revenu dont dispose la famille et un revenu garanti » (p. 70). Michel Husson y voit « l’ancêtre du RSA » (p. 71). Mais les critiques pleuvent sur cette aide, et David Ricardo demande son abolition. Devant les émeutes qui éclatent en 1830, une nouvelle loi, le Poor Law Amendment Act, est adoptée en 1834 qui prévoit que « les pauvres qui demandent à être secourus seront automatiquement placés dans les maisons du travail » (p. 77). Au nom de l’idée que la loi précédente avait « détruit le sens de l’effort et la morale des travailleurs […] et a éduqué une nouvelle génération dans l’oisiveté, l’ignorance et la malhonnêteté », écrivent les rapporteurs de la nouvelle loi (p. 78). « Le système de Speenhamland était aux yeux des commissaires une "prime à l’indolence et au vice"et un "système universel de paupérisme" » (p. 79).
Et Michel Husson remarque que « dans la mesure où les pauvres étaient pris en charge par les caisses d’assistance, les fermiers ont eu tendance à baisser les salaires et à reporter le reste de la charge sur les caisses. » (p. 78). On comprend alors l’analyse de ces lois sur les pauvres que fit plus tard Karl Polanyi : elles étaient incompatibles avec l’émergence « d’un système salarial qui devait accompagner l’essor du capitalisme » (p. 80). Mais Michel Husson s’en démarque un peu en rapportant nombre d’études ayant montré que ces lois n’avaient pas du tout favorisé un chômage volontaire. Plus prosaïquement, l’hostilité à ces lois révélait une haine des pauvres qui semble inexpugnable.
La famine irlandaise qui sévit de 1845 à 1851 est un quasi-cas d’école de l’attitude intellectuelle et politique à l’encontre des pauvres « parce qu’il combine toutes les explications qui couraient à l’époque, depuis la providence divine jusqu’à l’infériorité raciale, en passant par des considérations économiques » (p. 91). Michel Husson cite un florilège de propos où la haine de classe le dispute à la bêtise. Le Secrétaire adjoint au Trésor, un dénommé Charles Edward Trevelyan, voyait dans la famine le « jugement de Dieu qui a infligé cette calamité afin de donner une leçon aux Irlandais, et c’est pourquoi elle ne doit pas être trop atténuée […] Le vrai mal auquel nous devons faire face n’est pas la famine, mais le caractère égoïste, pervers et instable de ce peuple » (p. 94). Ancien étudiant de Malthus, Trevelyan voit dans la famine irlandaise une solution à la surpopulation.
Les arguments contre les pauvres ont donc constamment oscillé entre des justifications renvoyant à l’ordre divin et des justifications pseudo-rationnelles, mais avec un leitmotiv permanent : les travailleurs pauvres n’ont à s’en prendre qu’à eux-mêmes ; et ce rejet exprime le sentiment dominant : ce sont des classes dangereuses. La période de la Révolution française va ouvrir toutefois une multiplication d’études sur la condition ouvrière et la pauvreté : Eugène Buret, Louis Villermé, Friedrich Engels, Charles Booth en sont les auteurs les plus connus. Elles vont préfigurer un affrontement entre les partisans et les adversaires du darwinisme social.
Darwinisme social et eugénisme
Nous voici au cœur de l’ouvrage de Michel Husson, qui ébranlera bien des certitudes acquises et suscitera sans doute beaucoup de discussions. L’auteur pose d’emblée sa problématique : « Notre thèse est que Darwin lui-même s’est gardé de s’engager sur cette voie [le darwinisme social], il en a laissé les portes ouvertes et s’en est remis à d’autres. » (p. 121). On sait que Charles Darwin a publié L’origine des espèces en 1859, qui anéantit les dogmes créationnistes en faisant de la sélection naturelle la clé de l’évolution des espèces. Le problème naît lorsqu’on s’interroge pour savoir si la sélection naturelle s’applique aussi à l’évolution de l’humanité. Michel Husson explique que Darwin ne dit rien là-dessus dans son grand ouvrage. Dans le suivant, paru en 1871, La descendance de l’homme et la sélection naturelle, Darwin oscille, nous dit Michel Husson, entre les deux termes du dilemme suivant : processus de socialisation humaniste ou bien sélection naturelle supposant la lutte pour la vie ? Le premier terme de ce dilemme est celui que privilégie Patrick Tort : « La sélection naturelle sélectionne la civilisation qui s’oppose à la sélection naturelle », que cite Michel Husson (p. 124) mais qu’il conteste. Et de passer en revue nombre d’écrits de Darwin qui jettent le trouble :
« Les membres faibles des sociétés civilisées propagent leur nature et en conséquence nous devons donc subir, sans nous plaindre, les effets incontestablement mauvais qui résultent de la persistance et de la propagation des êtres débiles. » (p. 125).
La porte est donc ouverte pour que s’y engouffrent tous les tenants de ce qui va être appelé le darwinisme social, c’est-à-dire la transposition des lois de l’évolution naturelle à l’évolution des sociétés humaines.
Michel Husson crédite Darwin d’une certaine prudence, mais en s’abritant derrière des auteurs qui vont donner le coup d’envoi aux thèses eugénistes et racistes : Francis Galton, Alfred Russel Wallace et William Rathbone Greg. Déjà, Darwin avait avalisé les propos de Greg sur l’« Irlandais malpropre » et l’« Écossais frugal » ou bien sur les effets désastreux des progrès médicaux (p. 126). Michel Husson met en lumière les dispositions de Greg que les nazis n’auront même pas à inventer car elles avaient déjà été formulées, selon lesquelles le droit à la paternité devrait être réservé à l’élite de la nation (p. 127). Et Darwin, nous dit Michel Husson, livre ses arrière-pensées sociales ou, plutôt, anti-sociales : il regrette que l’action syndicale mette à mal le processus de concurrence, ce qui est « un grand mal pour le progrès futur de l’humanité » (p. 129). Pour Michel Husson, cela « montre comment la science darwinienne est profondément articulée à des préjugés de classe et à des positions réactionnaires » (p.129).
Dès lors, le quitus donné par Darwin à son cousin Francis Galton est lourd de conséquences :
« J’ai tendance à être de l’avis de Francis Galton, à savoir que l’éducation et le milieu n’ont qu’un faible effet sur le caractère, et que nos qualités sont pour la plupart innées. » (p. 130).
Galton est un scientifique connu pour ses travaux statistiques qu’il applique aux processus humains en soulignant l’importance des facteurs héréditaires dans la détermination des différences sociales. À ses yeux, tous les efforts pour protéger les « moins dotés » sont donc pernicieux parce qu’ils faussent le processus de sélection naturelle. Le projet eugéniste est né : « Toute l’action de Galton est en fait sous-tendue par un programme de purification et de ségrégation sociale » (p.127). La « sélection des plus aptes » est théorisée par Herbert Spencer qui « exprime, nous dit Michel Husson, tout son mépris à l’égard des privés d’emploi de l’époque » (p. 159).
Michel Husson voit alors la succession de dérives du projet eugéniste : la hiérarchie entre les « races », la légitimité de la supériorité des hommes sur les femmes avalisée par Darwin :
« l’homme atteint, dans tout ce qu’il entreprend, un point auquel la femme ne peut arriver, quelle que soit, d’ailleurs, la nature de l’entreprise, qu’elle exige ou non une pensée profonde, la raison, l’imagination, ou simplement l’emploi des sens et des mains » (p. 141).
Il s’ensuit un certain nombre d’élucubrations sur la dimension des crânes féminins pour trouver « un fondement scientifique à une supposée infériorité des femmes » (p. 142). Michel Husson tranche : « L’argument selon lequel il faudrait "contextualiser"pour prendre en compte les conceptions de l’époque n’est pas recevable, pour deux raisons. La première est d’ordre épistémologique : quand une théorie est fausse, il faut la rejeter et non pas chercher à relativiser l’erreur en invoquant l’environnement de l’époque. La Terre n’est pas plate et tourne autour du soleil, même si on a pu penser l’inverse dans les siècles passés. » (p. 142).
John Stuart Mill est le seul représentant de l’économie politique qui s’écarte nettement de ces attitudes anti-féministes, ce que ne réussit pas à faire, au contraire, Darwin, nous dit Michel Husson, parce que ses thèses « découlent de manière inextricable des exigences internes de sa théorie et de ses propres préjugés » (p. 147).
Qu’en est-il alors de Marx et des marxistes ? Michel Husson rappelle que « Marx a toujours refusé, contre Malthus, la subordination des relations sociales à des lois naturelles immuables » (p. 150). Malgré la référence de Darwin à Malthus qui aurait pu les contrarier, Marx et Engels ont reçu L’évolution des espèces avec « admiration » nous dit Michel Husson. Et de citer Marx pour qui l’ouvrage de Darwin
« lui convient […] parce que c’est dans cet ouvrage que, pour la première fois, non seulement un coup mortel est porté à la "téléologie"dans les sciences de la nature, mais, qu’en outre, le sens rationnel de celle-ci est exposé empiriquement » (p. 151).
Mais assez rapidement, dans Le Capital, Marx va prendre quelques distances avec Darwin : « L’histoire des hommes se distingue de l’histoire de la nature en ce que nous avons fait l’une et pas l’autre. » (p. 152). Engels est, lui aussi, vigilant : si cette différence entre l’homme et l’animal, « c’est encore au travail que l’homme la doit », « ne nous flattons pas trop de nos victoires sur la nature. Elle se venge sur nous de chacune d’elles » (p. 153). Michel Husson en conclut que « l’enthousiasme à l’égard de Darwin s’est donc assorti d’un refus de cette "transposition"qui est le ressort essentiel qui fondera le darwinisme social dans ses différentes versions » (p. 154). Il se démarque à nouveau de Patrick Tort qui pense que Darwin serait le « chaînon manquant et retrouvé du matérialisme de Marx » (p.159-160).
Comme Darwin n’a pas su délimiter sa théorie de l’évolution et ses implications sociales, le darwinisme social a pu « se diffuser dans les divers secteurs de la pensée progressiste » (p. 160), notamment en Allemagne et chez les progressistes anglais. Michel Husson examine en particulier le cas d’Ernst Haeckel, connu pour être le créateur du mot « écologie », mais qui, ici, s’illustre en justifiant l’élimination des individus les plus faibles « pour le bien de l’espèce » (p. 165). Et si ce n’était pas suffisamment clair : « les races inférieures sont psychologiquement plus proches des mammifères (singes ou chiens) que des Européens civilisés […] Nous devons donc attribuer une valeur totalement différente à leur vie. » (p. 166)[2]. Tout cela fait froid dans le dos et Michel Husson note que cela anticipe les thèses du grand remplacement, du racisme, de l’amélioration de la race, bref toute l’horreur nazie à venir.
Chez les penseurs anglais, ce n’est guère mieux, même si cela prend des formes moins brutales. Et on en apprend de belles ! Herbert George Wells, John Maynard Keynes, Bertrand Russel, malgré leurs positions progressistes sur beaucoup de plans, ou bien ont eu partie liée avec la Cambridge University Eugenics Society (Keynes), ou bien ont déliré sur les avancées techniques qui permettraient de concevoir un enfants « en mathématicien, poète… » (Russel) (p. 194). Un vrai poème pour l’avenir de l’homme augmenté !
Mais on n’a pas fini d’en apprendre. Tocqueville, ce chantre de la démocratie libérale [3], décernait à la « race européenne une supériorité sur toutes les autres races » (p. 195). Viennent aussi à l’appui des thèses racistes Armand de Quatrefages, Georges Vacher de Lapouge et Houston Stewart Chamberlain, ce dernier adhère à l’idée « pangermaniste » que « la race germanique est le pilier de la civilisation » (p. 200). De l’antisémitisme aux remerciements adressés à Hitler en 1923 (p. 203), il n’y eut qu’un pas.
Michel Husson raconte par le menu, mais non sans effroi, les péripéties des « chercheurs » de corrélation entre taille des crânes et positions sociales. Lapouge sera en lien avec Otto Georg Ammon, le fondateur de la dénommée anthropo-sociologie, qui s’évertue à classer les individus en fonction de critères céphaliques et à « "biologiser" les phénomènes sociaux (p. 218), ou bien, comme le médecin Paul Broca ou Gustave Le Bon, qui à leur tour « professent que les femmes sont intellectuellement inférieures parce que leur cerveau est de plus petite taille (p. 222).
Les sciences dévoyées
On se doute combien Michel Husson, ayant travaillé toute sa vie avec une rigueur exemplaire, a dû souffrir en accumulant maints exemples d’utilisation des connaissances théoriques et des outils scientifiques à de pures fins idéologiques. C’est la dernière partie de son livre.
Il examine d’abord trois cas pris en flagrant délit de travestissements scientifiques en délires idéologiques. On reste ici au plus connu, le prix Nobel de médecine Alexis Carrel qui tient les propos suivants : « il est indispensable que les classes sociales soient de plus en plus des classes biologiques […] Il faut que chacun occupe sa place naturelle » (p. 227). On ne s’étonnera pas qu’il adhèrera au Parti populaire français d’extrême droite de Doriot.
En tant que statisticien, Michel Husson s’est penché sur les fondateurs de la statistique « qui étaient, peu ou prou, animés par une idéologie eugéniste, voire raciste » (p. 241). Bien entendu, il ne s’agit pas de dénoncer les outils qu’ils ont créés, mais le fait qu’ils ont été utilisés pour « donner un vernis scientifique aux thèses eugénistes » (p. 241). Vilfredo Pareto est l’inventeur d’une prétendue loi qui porte son nom, selon laquelle il y aurait une constante de répartition dans le temps : « les 20 % les plus riches possèdent 80 % de la richesse » (p. 241). Il en résulterait l’impossibilité de modifier cette répartition, ce qui est faux puisque l’invention de l’impôt sur le revenu a pu la modifier. Karl Pearson, inventeur entre autres du coefficient de corrélation, de l’écart-type, de l’histogramme, a adhéré à l’idée que l’intelligence est héréditaire et à celle de la guerre contre les races inférieures. Charles Spearman, créateur de l’analyse factorielle, cherche un facteur unique pour mesurer l’intelligence. Ronald Fisher, premier utilisateur de la notion de variance, en utilisant la génétique de Gregor Mendel, considère que « les groupes humains diffèrent par des aptitudes innées d’ordre intellectuel ou affectif, étant donné que ces groupes diffèrent par un grand nombre de leurs gênes » (p. 250-251). Corrado Gini, connu pour l’indice d’inégalités qui porte son nom, sera président de la Société italienne de génétique et d’eugénisme et demandera « une législation interdisant dans toute l’Europe les mariages avec les races africaines » (p. 253).
Bien sûr, Michel Husson a réservé pour la fin l’économie politique, cette « science lugubre, forcément lugubre » (p. 255). On sait depuis le début du livre que Malthus et Ricardo avaient bataillé contre les lois sur les pauvres. Mais, si le lecteur n’est pas las de la liste interminable des idéologues ayant passé leur vie à réduire les pauvres à des bêtes, il peut terminer cette panoplie en découvrant quelques-uns des idéologues modernes qui peuplent la « science économique » moderne.
Irving Fisher, d’abord, grand nom de la théorie monétaire et de l’intérêt, voit chez les pauvres une préférence pour la consommation immédiate, « donc ils n’épargnent pas, se condamnant ainsi à stagner dans leur état de pauvreté » (p. 257). On voit de suite la force de l’argument : je suis pauvre, donc je reste pauvre. Et Michel Husson pointe : « Fisher fait lui-même le lien avec la dimension économique, en expliquant que l’eugénisme (qui constitue selon lui "la plus haute forme de patriotisme et d’humanitarisme") aurait l’avantage collatéral de "réduire la charge fiscale" en diminuant "le nombre de dégénérés, de délinquants et de déficients pris en charge par les institutions publiques" » (p.257).
William Stanley Jevons, créateur du concept d’effet rebond, et surtout théoricien microéconomiste marginaliste de la fin du XIXesiècle, prolonge les conceptions utilitaristes de Bentham :
« un homme de race inférieure, un nègre par exemple tire moins de jouissance de la possession et le travail lui répugne davantage ; ses efforts cessent donc rapidement. Un sauvage pauvre se contenterait de récolter les fruits presque gratuits de la nature, s’ils suffisaient à le nourrir. » (p. 20).
Alfred Marshall s’inscrit dans le même sillage en expliquant que « la santé publique maintient en vie des individus superflus » (p. 265), et que la suprématie anglaise est due au fait que :
« l’Angleterre a été peuplée par les membres les plus forts des races les plus fortes du nord de l’Europe ; un processus de sélection naturelle a conduit sur ses rives les membres les plus audacieux et les plus autonomes des vagues migratoires successives » (p. 264).
Michel Husson n’hésite pas à dire qu’« il y a chez Marshall une désagréable et permanente duplicité. D’un côté, comme on l’a vu, il fait reposer la responsabilité du chômage sur le comportement inapproprié des chômeurs eux-mêmes et n’hésite pas à avancer des recommandations inspirées de l’eugénisme social. Mais, d’un autre côté, il se drape dans une "critique de gauche"des économistes qui l’ont précédé. » (p. 269).
Arthur Pigou, concepteur de l’écotaxe pour « internaliser » les dégâts du progrès non reconnus par le marché, poursuit l’œuvre de Marshall et propose, pour prendre en charge les enfants des classes inférieures, « une détention forcée des épaves sociales, ou de trouver une autre manière de les empêcher de propager leur espèce » (p. 271).
Francis Edgeworth, inventeur de la « boîte » qui porte son nom et que l’on apprend en même temps que les « courbes d’indifférence » à tous les étudiants de première année de « sciences éco » ne s'embarrasse pas non plus de nuances puisque, à ses yeux, « tous les individus n’ont pas la même capacité de bonheur » (p. 272). On se demande bien alors comment deux individus, comparant leurs « utilités et désutilités marginales » pourraient trouver le chemin de l’échange optimum…
Michel Husson ne rate pas l’occasion de dénicher un illustre inconnu, économiste aux États-Unis, Thomas Nixon Carver, qui offre « un télescopage entre théorie néoclassique, sélection naturelle et volonté divine […] assez fascinant » (p. 274). En effet, selon cet auteur, « l’instauration d’un salaire minimum serait un élément de sélection efficace » (p. 274). Et Michel Husson le cite pour comprendre ce qui pourrait sembler être un paradoxe :
« il [le salaire minimum] tendrait à éliminer les membres les moins compétents de la communauté, de sorte qu’au fil du temps, il n’y aurait plus personne dont les services ne valent pas au moins le salaire minimum […] La communauté actuelle serait alors composée d’une classe supérieure d’individus, et la qualité générale de la population ne serait plus détériorée par la lie humaine qui constitue aujourd’hui ce qu’on appelle la partie immergée. » (p. 274).
L’admiration pour les régimes fascistes ne tardera pas, que l’on retrouve aussi chez une autre pointure néoclassique de l’entre-deux-guerres, Ludwig von Mises. Ignorants que nous sommes
« que le fascisme et les mouvements similaires qui visent à l’établissement de dictatures sont animés par les meilleures intentions et que leur intervention a, pour l’instant, sauvé la civilisation européenne. Le mérite que le fascisme s’est d’ores et déjà acquis vivra éternellement dans l’histoire. » (p. 276).
George Stigler, prix dit Nobel d’économie en 1982 ne fait pas non plus dans la nuance. Il écrit que l’économie est une « science positive » et que « si on l’étudie de manière professionnelle, on devient politiquement conservateur » (p. 278). Et Michel Husson complète le CV de ce brillant professionnel en le citant à nouveau : « un partisan de la théorie de la valeur-travail ne pourra pas obtenir un poste de professeur dans une grande université américaine » (p. 278)[4].
Le dernier chapitre du livre de Michel Husson s’ouvre par la mise en exergue de Balzac : « Mort aux faibles ! Cette sentence est écrite au fond des cœurs pétris par l’opulence ou nourris par l’aristocratie » (p. 285). Balzac avait certainement compris l’essentiel de ce que nous a livré Michel Husson dans son dernier opusavec une minutie sans pareille.
On peut considérer que cet ouvrage constitue une base documentaire exceptionnelle qui devrait figurer dans toutes les bibliothèques universitaires et, à l’heure du numérique, accessible le plus vite possible à tous les chercheurs [5]. Il met au jour une somme impressionnante de non-dits de l’histoire de la pensée sociologique, économique et politique. Bien entendu, ce travail d’historien des idées, Michel Husson l’a conduit en parallèle avec son travail d’économiste critique, de statisticien et d’économètre, fournissant quasi quotidiennement des éléments théoriques et pratiques à ses pairs et à ses camarades militants : il était bien à l’intersection du champ académique et militant, comme le disent ses éditeurs.
Mais on aurait tort de ne voir dans cette accumulation sans fin de propos, où l’on ne sait jamais ce qui l’emporte, le cynisme ou la bêtise, qu’une suite de propos anecdotiques sur la face cachée de nombreux penseurs souvent honorés académiquement (tous les Dr. Jekyll et Mr. Hyde, ciblés par Michel Husson, p. 227, 320, 322). L’accumulation est telle en effet que Michel Husson éprouve à plusieurs reprises le besoin de prendre et de nous faire prendre « un peu d’air frais » (p. 205, 277), ou une « bouffée d’air frais » (p. 219). On en a besoin pour saisir la portée épistémologique d’un livre étourdissant et stupéfiant à plus d’un titre, comme nous le disions en commençant.
Premièrement, Michel Husson dresse le « portrait du vaurien » dessiné par les porte-parole de la classe dominante et aussi en même temps celui de cette classe, pétri de mépris, et, n’en doutons pas, de peur panique que les vauriens osent renverser la table à laquelle ils n’ont pas accès. La table est d’ailleurs bien plus qu’une allégorie puisque Malthus dissertera sur le banquet auxquels lesdits vauriens n’ont pas le droit de participer. Ainsi, Michel Husson, a exhumé un mélange inextricable de préjugés et de propos haineux, dont on pourrait presque penser qu’ils relèvent d’un folklore désuet ou d’un bestiaire, s’ils n’étaient pas glaçants et lourds de menaces.
Deuxièmement, c’est là qu’on voit à quel point Michel Husson a gardé constamment en tête le souci de relier cet historique de l’idéologie sur les pauvres au travail théorique et empirique qu’il a mené tout au long de sa vie de chercheur pour mettre en lumière la vacuité des hypothèses et des modèles en vigueur chez les économistes dominant la discipline, lorsqu’il s’agissait d’analyser le fonctionnement du « marché du travail », du rôle du salaire minimum et de la protection sociale par rapport à l’emploi, ou encore celui de la réduction du temps de travail. Il ressort que les considérations et les propositions politiques émises aujourd’hui sur le travail, sur la pauvreté et les pauvres, sur le chômage et les chômeurs sont un copié-collé des élucubrations explicites, mais trop souvent omises par la plupart des commentaires, de tous ceux qui depuis plusieurs siècles ont construit la parole officielle sur tous les exclus du capitalisme triomphant. On remarque aussi que dans la longue liste, parfois surprenante, des auteurs de textes tous plus délirants les uns que les autres, il n’y a aucune femme. Et pour cause ! Même les femmes sont considérées par eux comme une « race » inférieure. « La permanence de la légitimation des privilèges » (p. 285) suppose que tous les « vauriens » et tous les « inférieurs », sans oublier les « inférieures », soient contenus dans l’exclusion des privilèges.
Troisièmement, dans quel registre faut-il classer les discours tenus par les plus grandes sommités – ou considérés comme telles – de l’histoire de la pensée socio-économique et politique ? Celui de la simple ambiguïté, celui du double langage, de la duplicité ou même de la schizophrénie ? Le cas de Marshall offre sans doute toutes les réponses possibles. Michel Husson écrit :
« Marshall est ainsi l’inventeur d’un double langage qui imprègne encore aujourd’hui la pensée de certains économistes qui souffrent d’un forme de schizophrénie : d’un côté, en tant qu’humanistes, voire "hommes de gauche", ils sont attachés à l’amélioration du sort de leurs contemporains ; mais, en tant qu’hommes "de science", ils savent qu’il existe des lois de l'économie qu’on ne saurait contourner. Cette figure de style est souvent apparue dans les débats sur le salaire minimum : certes, il serait souhaitable de l’augmenter pour améliorer les conditions d’existence de ceux qui le reçoivent. Mais, en tant que détenteurs de la science, leur devoir et leur déontologie exigent qu’ils avertissent des effets pervers sur l’emploi d’une telle mesure. On pourrait aller jusqu’à dire que Marshall est le fondateur de la philosophie du social-libéralisme» (p. 270).
Reste le cas Darwin. Très nettement, Michel Husson rejette la thèse selon laquelle il serait blanc comme neige vis-à-vis du darwinisme social et de son prolongement eugéniste. L’a-t-il trop noirci ? Certainement, Michel Husson ouvre une discussion dont les spécialistes de Darwin se saisiront. En tout cas, elle bouleverse assez ce qui, à gauche et dans tout le camp progressiste, était tenu pour acquis : Darwin était tellement précieux pour contrecarrer les thèses créationnistes, toujours prêtes à renaître, qu’un cordon sanitaire avait été établi entre lui et les darwinistes sociaux. Laissons la discussion s’installer. On remarque qu’Alain Bihr, dans sa postface au livre de Michel Husson, s’exprime avec prudence sur ce point :
« Il n’est certes pas possible d’attribuer à Darwin lui-même une responsabilité directe et entière dans la constitution du darwinisme social et ses développements, essentiellement tributaire de l’œuvre d’Herbert Spencer. Mais, selon Michel Husson qui prend ici le contrepied de la défense de Darwin assurée par Patrick Tort, il n’est pas non plus possible de l’exempter de toute implication dans cette affaire. […] Il semblerait en fait que Darwin ait reculé devant les conséquences extrêmes du darwinisme social, autrement dit de sa propre théorie de l’évolution dès lors qu’on l’applique à l’espèce humaine, moyennant les réductions et extrapolations précédentes. En effet, le darwinisme social ne se limite pas aux développements théoriques (idéologiques) précédents ; il a tôt été tenté de passer aux "travaux pratiques". » (p. 317-318).
Enfin, il y a peut-être un aspect de sa personnalité et de ses préoccupations que Michel Husson nous laisse découvrir à travers le dernier livre qu’il nous offre après une quantité impressionnante de contributions durant sa vie. S’il s’est attaché à décortiquer avec méticulosité les élucubrations de tant d’ancêtres de notre histoire, c’est que cela devait être pour lui un point très sensible, peut-être presque une souffrance, une blessure pour son intelligence. Comment comprendre les délires d’un Bentham, d’un Malthus, d’un Galton jusqu’à ceux de quelques figures récompensées de nos jours par le prix de la Banque de Suède ?
La réponse est peut-être dans la croyance (dans son sens religieux) que les phénomènes sociaux obéissent à des lois naturelles. Michel Husson cite le discours de Tocqueville à l’Académie des sciences morales et politiques du 3 avril 1852 à propos du salaire : « le gouvernement ne peut pas plus faire que le salaire s’élève quand la demande de travail diminue, qu’on ne peut empêcher l’eau de se répandre du côté où le verre penche » (p. 282). Ainsi, le salaire obéirait à la loi de la gravitation universelle, nous explique Tocqueville. Le grand mérite de Marx est d’avoir récusé à jamais la naturalisation et la biologisation des faits et des rapports sociaux. Michel Husson s’est toujours inscrit dans cette lignée.
Dans cette lignée, avec une rigueur scientifique enracinée dans un engagement social. Et, comme le rappelle Laurent Cordonnier dans sa préface[6], avec élégance. Les regrets et la tristesse devant sa disparition sont toujours là. Mais Michel Husson appartient désormais à l’histoire de notre discipline.
[1] Michel Husson cite Christian Laval qui voit une « proximité » entre Bentham et Foucault (p. 60-61). Nous pensons que Laval ne situe pas bien que ce qui est laudateur chez Bentham est critique chez Foucault.
[2] Cette discussion sur la « valeur de la vie » qui serait différente selon les humains court jusqu’à nos jours. C’est l’économiste états-unien Lawrence Summers qui justifiait il y a quarante ans l’installation des industries polluantes en Afrique par le fait que les Africains mouraient jeunes. Et la discussion a été ravivée pendant la pandémie du Covid-19. Pour un aperçu de cette discussion, Jean-Marie Harribey, En finir avec le capitalovirus, L’alternative est possible, Paris, Dunod, 2021, chapitre 6.
[3] C’est Thomas Piketty qui rapporte dans son Capital et idéologie (Paris, Seuil, 2019, p. 268-269) comment Tocqueville s’illustra dans les débats sur l’abolition de l’esclavage en proposant que les rentes compensatrices versées aux propriétaires d’esclaves soient payées moitié par l’État, moitié par les anciens esclaves. « Pour leur apprendre le goût du travail et de l’effort ». Cela ne s‘invente pas.
[4] Que l’on me permette de raconter une anecdote personnelle : le 16 novembre 2006, je fus auditionné pour soutenir mes travaux devant le jury du concours d’agréation du supérieur de sciences économiques. Le rapporteur de mes travaux, le professeur Jean-Paul Pollin, me demanda d’emblée : « À quoi peut vous servir la théorie de la valeur-travail à laquelle vous vous référez pour comprendre la crise écologique ? ». Un de ses collègues, membres du même jury, Jacques Le Cacheux, enchaîna en m’objectant que le prix du poisson, que manifestement il ne connaissait pas, n’avait rien à voir avec le travail. Ils avaient bien compris le fil conducteur de mes petits travaux. Je ne fus pas admis à ce concours. Sans doute, je n’avais pas bien répondu… J’ai raconté cette anecdote, de manière amusante dans Raconte-moi la crise (Lormont, Le Bord de l’eau, 2014, p. 127-132), et de manière « professionnelle » sur le prix du poisson dans la conclusion de La richesse, la valeur et l’inestimable (Paris, Les Liens qui libèrent, 2013, p. 442-443, en libre accès, p. 270).
[5] Un index des noms d’auteurs serait très utile pour une édition ultérieure.
[6] Laurent Cordonnier avait publié Pas de pitié pour les gueux, Sur les théories du chômage (Paris, Raisons d’agir, 2000), dont le titre était déjà prémonitoire.