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Grèce. Analyse d’Antonis Ntavanellos

Grèce

Lien publiée le 8 juillet 2023

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

Grèce. Victoire de la droite – Renforcement de l’extrême droite et fin d’une époque pour le SYRIZA d’Alexis Tsipras – A l'encontre (alencontre.org)

Par Antonis Ntavanellos

Les élections du 25 juin en Grèce ont confirmé, mais aussi renforcé, les aspects négatifs des résultats du «premier tour» des élections du 21 mai [voir sur ce site les articles publiés le 25 mai et le 7 juin]. Dans le nouveau parlement, la somme des partis de droite et d’extrême droite atteint 200 sièges (sur un total de 300), créant ainsi un rapport de forces parlementaires sans précédent dans les années qui ont suivi le renversement de la dictature militaire en 1974.

Il est impossible d’interpréter ces résultats d’un point de vue politique sans tenir compte de l’augmentation considérable de l’abstention: lors des élections du 25 juin, le taux de participation a été réduit à 52,8%, un niveau historiquement bas. L’expérience politique vécue peut éclairer davantage la signification des résultats [1]. Les élections du 25 juin ont été les élections les plus «silencieuses», les plus «venues d’en haut» auxquelles j’ai assisté depuis la chute de la junte militaire. Toutes les habitudes, tous les symboles, toutes les expressions (grands rassemblements électoraux, réunions et événements locaux, tournées de campagne sur les lieux de travail, affiches, drapeaux, etc.) qui auraient pu suggérer la participation des masses ont été systématiquement évités par tous les partis (à l’exception du Parti communiste). C’est un choix des partis, en particulier de l’opposition principale (SYRIZA), qui a fait le jeu de Mitsotakis. Lors des élections du 25 juin, ce sont principalement les masses laborieuses et populaires qui ont perdu leurs espoirs d’améliorer leur vie grâce au processus électoral: l’abstention massive a été le résultat de la désillusion et de la désaffection de notre camp social. A cela peut s’ajouter une émigration sociale significative d’un secteur de la jeunesse.

Victoire de la droite

Dans ces conditions, la Nouvelle Démocratie de Mitsotakis enregistre une nette victoire politique. Elle a obtenu une confortable majorité parlementaire de 158 sièges, ce qui lui permet de former un nouveau gouvernement appuyé sur un seul parti. Il convient de rappeler que Mitsotakis n’a jamais caché – même pendant la période de démagogie préélectorale – que s’il reprenait le pouvoir, son programme consisterait en une accélération quantitative et qualitative des «réformes» anti-salarié·e·s et antisociales. Cela se reflète déjà dans la composition agressive du nouveau gouvernement, annoncée le lendemain des élections. Il est composé de membres de l’aile néolibérale extrême de la droite, de «technocrates» qui jouissent de la confiance directe des capitalistes grecs, de vétérans du social-libéralisme qui sont passés depuis longtemps de l’aile blairiste «modernisatrice» du PASOK à la Nouvelle Démocratie. L’effort déterminé de privatisation dure de l’éducation publique (avec des mesures inspirées des politiques de Margaret Thatcher) et la privatisation radicale du secteur public de la santé sont des décisions qui ont déjà été annoncées.

Cependant, quelques remarques sont nécessaires pour relativiser l’image triomphale de Mitsotakis.

1° Nouvelle Démocratie a obtenu 40,55% des 52,8% qui ont participé aux élections, c’est-à-dire qu’elle a obtenu «l’approbation politique» d’une partie de moins de 30% de la population actuelle. Il s’agit du «tiers privilégié de la société» (classe dirigeante, classes moyennes aisées, hauts fonctionnaires, y compris leur réseau d’influence électorale), dont la relation étroite avec le parti de droite n’est pas un phénomène surprenant en Grèce. La question cruciale dans l’interprétation des résultats des élections (et dans les développements post-électoraux) est de savoir ce qui s’est passé et ce qui se passe pour les «deux tiers restants défavorisés de la société».

2° C’est un fait connu dans la vie politique grecque que cette partie des «deux tiers» n’a pas été écrasée, n’a pas abandonné la défense active de ses intérêts. Quelques semaines avant les élections, immédiatement après le tragique «accident» ferroviaire de Tempé, les rassemblements et manifestations de grève ont pris une dimension et une intensité telles qu’elles ont conduit Mitsotakis à rechercher avec inquiétude un repli défensif. Cette force n’est pas sortie de nulle part, elle ne s’est pas non plus simplement évaporée. Il est probable qu’elle se manifestera après les élections (par exemple dans les hôpitaux publics, les écoles…), ramenant sur scène le véritable adversaire de Mitsotakis.

3° Les perspectives du capitalisme grec ne sont pas roses. Le gouverneur de la Banque de Grèce, Yannis Stournaras, a choisi de déclarer publiquement, quelques jours avant les élections du 25 juin, que la fin de l’«assouplissement quantitatif» et le retour de la discipline budgétaire et des obligations de remboursement (intérêts et principal) de la dette  constituaient un moment particulièrement dangereux.

Tous ces facteurs expliquent la tentative de Mitsotakis d’empêcher ses cadres de faire la fête et de faire preuve d’arrogance. Le journal Kathimerini, extrêmement pro-gouvernemental, a choisi d’avertir Nouvelle Démocratie que «le second mandat de quatre ans pourrait s’avérer être une malédiction».

Renforcement de l’extrême droite

Ce qui rend le sens des résultats électoraux encore plus amer, c’est le renforcement de l’extrême droite.

Lors des élections du 25 juin, trois partis d’extrême droite ont franchi le quota des 3% et sont entrés au parlement avec un total de près de 12% des voix. Outre les ultra-nationalistes de Solution grecque (Elliniki Lysi) de Kyriakos Velopoulos, les ultra-réactionnaires religieux du parti Victoire (Dimokratiko Patriotico Kinima «Niki») et le parti néonazi caché des Spartiates – lié à l’ancien chef adjoint d’Aube dorée emprisonné, Ilias Kasidiaris – sont entrés au parlement.

Ce courant politique récolte actuellement les fruits de la dynamique d’affirmation internationale d’une extrême droite plus hardie. Il est également renforcé par les aspects racistes et sexistes des politiques gouvernementales et des institutions de l’Etat. Mais ce courant est également renforcé par les concessions de la gauche sur des points critiques de l’agenda nationaliste (armement, concurrence gréco-turque en mer Egée, etc.) et sur les politiques racistes de l’Etat. Le «mur» à la frontière gréco-turque à Evros contre les réfugié·e·s et les migrant·e·s a été un point d’affrontement politique central pendant la période électorale. Alexis Tsipras a déclaré que «le mur a déjà été construit et qu’il restera en l’état», levant ainsi le drapeau blanc face à Mitsotakis, et signalant également le recul accentué de SYRIZA face aux tâches anti-racistes. Quelques jours plus tard, le tragique naufrage de Pylos avec des centaines de réfugié·e·s noyés suite aux manœuvres criminelles des garde-côtes grecs a mis en lumière les problèmes dramatiques et inquiétants de cette politique.

En Grèce, l’extrême droite ne s’est pas encore «remise» de la défaite du parti néonazi Aube et de sa dissolution en tant qu’«organisation criminelle». Mais il ne faut absolument pas sous-estimer le danger: les racistes d’extrême droite, et en particulier les Spartiates néonazis camouflés, auront désormais les opportunités politiques et les ressources matérielles qu’apporte leur entrée au Parlement. Les mouvements antifascistes, antiracistes et antisexistes auront pour tâche principale de bloquer toute possibilité pour l’extrême droite de franchir des étapes supplémentaires dans sa croissance, et en particulier de l’empêcher de franchir l’étape cruciale de la reconstruction d’une force violente présente dans les rues.

La fin d’une ère pour le SYRIZA de Tsipras

L’un des principaux enjeux des élections de 2023 fut la déroute électorale d’Alexis Tsipras.

Lors des élections du 25 juin, SYRIZA n’a recueilli que 928 000 voix et 17,8% des suffrages, perdant 250 000 voix par rapport à sa faible performance du 21 mai (1 185 000 voix et 20,07%). Si nous comparons ce résultat à l’influence électorale de SYRIZA à l’aube de cette période politique turbulente et à la victoire électorale de SYRIZA en janvier 2015 (2 245 000 voix), il apparaît clairement que plus de 1,3 million de personnes – principalement des salarié·e·s et des pauvres – qui avaient placé leurs espoirs dans Alexis Tsipras lui ont progressivement retiré leur confiance!

Cette image d’effondrement électoral est le résultat d’une longue mutation politique. Dans la défaite politique et électorale de 2023, SYRIZA a dû régler les impayés du passé: la trahison des espoirs des travailleurs et du peuple en 2015, la politique néolibérale du gouvernement Tsipras en 2015-19, l’accord misérable avec les créanciers en 2018, faussement appelé «sortie des mémorandums», tout en perpétuant en réalité tous les «règlements» anti-travailleurs des mémorandums passés allant jusqu’en 2060, l’opposition profondément consensuelle et «respectable» à Mitsotakis après 2019. Mais il a également payé le prix de la politique droitière absolument erronée qu’il a déployée en vue de l’élection: «l’élargissement» de SYRIZA vers le centre politique, l’appel et la référence aux classes moyennes, l’identification à la social-démocratie européenne, l’évaporation organisationnelle du parti et le rôle de leader suprême absolu de Tsipras, les engagements minimaux et contradictoires envers les revendications des masses laborieuses et des pauvres, etc. Le résultat a été une défaite électorale écrasante qui constitue avant tout une lourde défaite politique.

Un effet secondaire du virage social-libéral de Tsipras a été le renforcement du… PASOK. Sous la nouvelle direction de Nikos Androulakis, profitant du recul idéologique et politique de Tsipras, le PASOK a remporté le 25 juin 617 000 voix et 11,85% des suffrages. Il retrouve ainsi un niveau d’influence qui lui permet d’envisager une certaine dynamique politique, après l’ère de marginalisation complète imposée par la montée en puissance du parti radical SYRIZA entre 2011 et 2015. Les gains du PASOK sont faibles par rapport aux pertes de SYRIZA, ce qui prouve que le «retour» des sociaux-démocrates d’origine se fait «à pas de tortue». Mais ces gains ont déjà indiqué que la perspective d’une recomposition sociale-démocrate (impliquant les deux partis) n’est plus une affaire entre un «acteur» (SYRIZA) et un «figurant» (PASOK). Les pressions que cette évolution va exercer sur la direction de SYRIZA sont écrasantes.

Dans la soirée du 25 juin, Alexis Tsipras a annoncé son intention de rester à la tête du parti et de définir des «changements» vers un «élargissement» encore plus large et un parti encore plus centré sur le leader. Ses partisans (particulièrement renforcés au sein du groupe parlementaire de SYRIZA, désormais plus petit) transmettaient à la presse des plans qui visaient à changer le nom du parti afin qu’il n’inclue plus le mot «gauche», à modifier ses structures afin d’éliminer tout ce qui pourrait encore ressembler au passé radical, à transférer officiellement SYRIZA au groupe social-démocrate au Parlement européen, etc.

Cette orientation n’a même pas duré trois jours. Le 29 juin, Tsipras a annoncé dans une allocution télévisée qu’il démissionnait «avec bravoure», afin de laisser la voie libre à «une nouvelle vague de renouveau de SYRIZA». La «bravoure» de cette décision évidente est caractérisée par le fait que Tsipras ne l’avait annoncée (antérieurement) qu’à un certain «Bureau exécutif» de SYRIZA (un organe informel d’amis et d’associés qu’il a lui-même mis en place), évitant même de convoquer les organes de direction statutaires de SYRIZA (Secrétariat politique et Comité central), qui seront appelés par la suite à gérer cette situation de crise.

L’interprétation de cette évolution est simple. D’une part, la défaite de SYRIZA est lourde. Au Parlement, il se retrouvera avec une petite fraction parlementaire face à un Mitsotakis renforcé. D’autre part, la situation interne de SYRIZA est maintenant en ébullition. Le soir des élections, deux anciens secrétaires généraux du parti (Panagiotis Rigas et Dimitris Tzanakopoulos), en désaccord sur les causes de l’effondrement électoral, au lieu d’échanger des arguments, ont fini par échanger des coups et fait voler des chaises. L’incident a été divulgué à la presse et confirmé par la suite. Si telle est l’atmosphère au siège du parti, il est facile d’imaginer ce qui se passe dans les relations avec les membres organisés.

A l’heure où nous écrivons ces lignes, personne ne peut parler avec une quelconque certitude des perspectives d’avenir. Le rôle dominant et pesant de Tsipras n’a pas laissé de place à l’émergence de cadres plus jeunes qui pourraient s’atteler à la tâche cruciale de former une direction alternative. La crise de SYRIZA est si profonde que seul un «virage à gauche» sérieux et convaincant, en rupture avec tous les faits accomplis de ces dernières années, pourrait (avec de sérieux doutes quant à sa réussite) faire d’un processus de reconstruction un objectif viable. Sur ces deux terrains – nouvelle direction et nouvelle orientation politique –, du moins à l’heure actuelle, il ne semble pas y avoir d’issue minimale crédible.

Malgré l’ampleur de la défaite aux élections de 2023, le grand déclin est devant plutôt que derrière pour le parti d’Alexis Tsipras.

Une alternative?

Les grandes pertes de SYRIZA n’ont pas été compensées par le soutien à l’un ou l’autre des partis sur sa gauche.

Le Parti communiste a enregistré une croissance modeste, atteignant 400 000 voix et 7,7%. Mais si l’on compare ces résultats aux performances électorales du PC jusqu’en 2012 et à l’ampleur des pertes de SYRIZA, cette avancée ne peut être qualifiée de satisfaisante. Le Parti communiste a une fois de plus payé le prix de ne pas assumer de responsabilités politiques majeures, de refuser obstinément toute unité d’action visant à lutter pour des victoires concrètes pour notre peuple, ici et maintenant, d’avoir choisi comme objectif son propre «rythme d’escargot» en vue de son propre et lent renforcement parlementaire.

Le scrutin de MERA25 (Front de désobéissance réaliste européen) de Yanis Varoufakis, rejoint par le reste de l’Unité populaire au sein de l’«Alliance pour la Rupture», a échoué de peu à entrer au Parlement, restant à 2,5%. Entre mai et juin, il a perdu 25 000 voix qui, s’il les avait conservées, lui auraient permis d’entrer au Parlement (en raison de l’augmentation de l’abstention). Il a ainsi payé principalement les ambiguïtés des interventions de Varoufakis pendant la période électorale.

La coalition de la gauche anticapitaliste, ANTARSYA, a obtenu 31 759 voix et 0,54% des suffrages lors des élections de mai. Elle a estimé à l’époque qu’il s’agissait d’une étape «petite mais importante» de la reconstruction. Mais aux élections de juin, ANTARSYA a réuni seulement 15 988 voix et 0,31% des suffrages, ce qui montre un lien plutôt lâche et superficiel, même avec cette base de soutien limitée.

Une partie de la gauche anticapitaliste radicale a choisi de ne pas se présenter aux élections, d’appeler à voter pour des partis de gauche autres que SYRIZA et de souligner la nécessité d’une action de front unique dans cette période difficile. Dans les nouvelles conditions post-électorales, ce secteur devra soutenir de nouvelles initiatives, sans division sectaire envers ceux qui ont essayé différentes tactiques électorales, et en se concentrant sur les luttes auxquelles à nouveau Mitsotakis devra s’affronter. C’est également la tactique de DEA (Gauche ouvrière internationaliste). (Athènes, 30 juin 2023, traduction rédaction A l’Encontre)

Antonis Ntavanellos est membre de la direction de DEA et rédacteur de la publication Ergatiki Aristera

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[1] Participation 52,84% (mai: 60,94%); votes blancs 0,5%, votes invalides 0,61%.
Nouvelle Démocratie: 40,56% (mai: 40,79%), voix 2 114 780 (mai: 2 407 699), 158 député·e·s (mai: 146)
SYRIZA: 17,83% (20,07%), 929 968 (1 184 415), 47 député·e·s (71)
PASOK: 11,84% (11,46%), 617 574 (676 135), 32 député·e·s (41)
KKE (Parti communiste): 7,69% (7,23%), 401 187 (426 711), 21 député·e·s (26)
Spartiates: 4,63%, 241 633, 12 député·e·s
Elliniki Lysi (Solution grecque): 4,44% (4,45%), 231 378 (262 513), 12 député·e·s (16)
NIKI (Victoire): 3,69% (2,92%), 192 239 (172 260), 10 député·e·s
Plefsi Eleftherias (Zoe Konstantopoulou): 3,17% (2,89%), 165 210 (170 287), 8 député·e·s
Mera25-Alliance pour la rupture (Varoufakis): 2,50 (2,63%), 130 276 (155 073), 0 député·e