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Le chantage aux parents est un abus de pouvoir
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Le chantage aux parents est un abus de pouvoir (diacritik.com)
Il y a eu des paroles prudentes des politiques car il y a eu des images, glaçantes. Impossible de mentir, de répéter des éléments de langage, de détourner l’attention. Nos regards sont braqués sur une réalité épouvantable. Nahel, un jeune homme de 17 ans, un enfant, est mort une arme policière sur la tempe pour « refus d’obtempérer ». Pourquoi ne s’est-il pas arrêté ? Peut-être moins parce qu’il conduisait sans permis que parce qu’il a eu peur pour sa vie. Et si telle a été sa pensée, il a eu raison de s’y fier. Cédric Chouviat s’était arrêté ; on connaît la conséquence. Et il y a tous les autres, des morts sans deuil possible. Il est déjà impossible de se représenter l’absence d’un être cher mort dans un accident (au sens étymologique de « ce qui arrive par hasard ») alors dans un contexte de contrôle routier, quand on sait la responsabilité politique d’une action policière volontairement meurtrière, on imagine la sidération de la mère de Nahel, dont ils ont brisé les lendemains et le cœur. On sait que c’est une balle qui a tué, que la balle a atteint le corps de l’enfant parce qu’elle a été propulsée par la gâchette dont le doigt posé dessus appartient à un homme qui avait le pouvoir de ne pas en faire usage. La mort de Nahel aurait pu ne pas être, c’est ce qui la rend si insupportable, révoltante.
Donc ceux qui subissent quotidiennement en silence depuis trop longtemps sortent, explosent tout et, si saccager un Conforama ou voler un jogging de marque a peu à voir avec la réparation morale, ça représente une expression de la révolte, hier encore contenue mais bouillante. Car il faut dire la colère, immense, et rarement la colère est raisonnable, mesurée, tempérée. Ça explose tout. Même des écoles, des bibliothèques, des commerces artisanaux. Des lieux essentiels parce qu’au service des autres, précieux parce que de plus en plus rares. Des lieux où des gens inoffensifs échangent chaque jour leur force de travail contre un salaire qui permet de s’offrir une vie correcte. Cela pourrait être dit par les politiques quand ils dénoncent une forme de violence. Violence qu’ils ne peuvent par ailleurs pas ignorer, puisqu’elle bout depuis longtemps sous le couvercle remuant sur lequel ils sont assis. Pas un mot, donc. Pas une pensée pour une vraie belle société bien ordonnée et partagée par tous. Retour aux éléments de langage droitiers qui en « appellent à la responsabilité des parents ». Désigner des responsables et procéder au chantage (amendes voire risque d’emprisonnement, stage de responsabilisation, TIG etc), voilà leur méthode. C’est à ces politiques qu’il faudrait proposer un stage de responsabilisation.
J’ai enseigné dix ans dont cinq en banlieue parisienne. Je n’y ai rencontré que des parents d’élèves responsables et des enseignants qui faisaient avec les moyens que l’État donne à ses collèges et lycées c’est-à-dire des moyens du bord, des moyens de clochard. Les élèves savaient très bien que les places dans cette société verrouillée sont chères. Ils savaient très bien qu’il n’y en avait pas pour tout le monde, qu’ils étaient servis les derniers, en témoignait l’état délabré de leur établissement construit il y avait à peine dix ans mais déjà vétuste tant les matériaux utilisés étaient de pacotille. Notre excellence pédagogique et notre écoute n’y changeaient rien. C’était dans le fond une bonne nouvelle, une preuve que ces enfants étaient des citoyens parfaitement lucides, plus éclairés que les politiques en poste.
Je me souviens d’une enfant de 13 ans qui venait en classe le cartable vide – et peut-être le ventre aussi. Mes encouragements, mes tentatives de dialogue la laissaient indifférente. En tant que professeure principale, j’avais la charge de proposer un rendez-vous à ses parents. Je rencontrai la mère à qui j’expliquais la situation de la fille, les dangers de la déscolarisation. Je peux aisément me rappeler mes mots, auxquels je crois et tiens toujours même si je n’enseigne plus, ayant démissionné en partie pour les raisons évoquées ici. La place d’une enfant de 13 ans est à l’école parce que rien d’autre ne compte à cet âge que d’apprendre et de découvrir le monde grâce au savoir (j’avais utilisée une formulation moins pompeuse). Et je me souviens m’être détestée ensuite en disant à cette mère : à 13 ans, on se croit en capacité de vivre comme un adulte mais la réalité c’est que ces élèves sont des bébés, ils ont besoin que leurs parents les encouragent à croire à l’école et en eux-mêmes avant tout. Je me suis détestée dans cette posture que je trouvais prétentieuse mais que je n’avais pu réfréner, lancée dans un discours de prévention que je croyais utile. Après quoi, la maman s’est mise à raconter. La vie seule avec sa fille, le frigo vide la moitié du mois, les retards de facture, les crédits, ses absences au domicile parce qu’elle n’avait pas eu d’autre choix que d’acheter une licence de taxi et de travailler la nuit pour espérer des jours meilleurs pour elle et sa fille. Elle avait un regard coupable quand j’étais sans voix devant cette leçon de vie de maman responsable. Elle rêvait de jours meilleurs pour elles, je lui promettais que les enseignants veilleraient sur son enfant. Lors du conseil de classe, j’exposai la situation du parent pour expliquer celle de l’élève. La direction proposait un rendez-vous avec l’assistante sociale. Mais l’on ne soutenait personne sérieusement avec un demi-poste d’assistante sociale, présente une demi-journée par semaine et sans moyens à disposition. Notre collège, comme tous les autres de la région compartimentés au-delà du périphérique, était fréquenté par des centaines d’enfants dont les parents responsables se démenaient comme ils pouvaient pour parer à l’urgence du quotidien, qui n’attend pas. Ils pouvaient être absents, oui, pour certains. Pas irresponsables.
Si les politiques veulent exiger des parents qu’ils soient plus présents, qu’ils prennent leurs responsabilités pour permettre que le travail paye, que l’école n’ait plus pour fonction de reproduire les inégalités sociales, que joindre un service public ne soit plus un calvaire, que trouver un médecin ne soit pas impossible, qu’habiter en banlieue ne se résume pas un logement en carton, que postuler à un emploi ne soit pas l’occasion d’une discrimination ou une humiliation de plus, que descendre dans la rue ne soit pas un risque pour sa vie. Quand les politiques auront pris ces responsabilités-là, ils n’auront nul besoin de recourir au chantage, une méthode illégale, réservée aux escrocs.