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Pourquoi plus personne ne veut travailler en crèche

Lien publiée le 5 septembre 2023

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

Pourquoi plus personne ne veut travailler en crèche | Alternatives Economiques (alternatives-economiques.fr)

[Crèches : une politique dans l'impasse] Alors que les métiers de la petite enfance connaissent une crise de recrutement sans précédent, les professionnels dénoncent la dérégulation du secteur qui est venue dégrader leurs conditions de travail.

Manifestation des professionnels de la petite enfance à Paris, octobre 2022. Les professionnels des crèches tournent à flux tendus, enchaînent les heures supplémentaires et voient leurs conditions de travail se dégrader. PHOTO : © Riccardo Milani / Hans Lucas / AFP

Des enfants qui sourient, pas de pleurs et des professionnels heureux qui ont le temps de s’occuper des tout-petits : pas de doute, le spot de la campagne de valorisation des métiers de la petite enfance, lancé en avril par le gouvernement, fait le maximum pour susciter des vocations. Un coup de pub initié après le décès, fin juin 2022, d’un bébé dans une crèche privée à Lyon, intoxiqué par une salariée, seule professionnelle présente au moment des faits.

« Nous aussi ça nous fait rêver, mais c’est loin de ressembler à la réalité. Il y a tromperie sur la marchandise ! », s’indigne Véronique Escames, cosecrétaire générale du Syndicat national des professionel.le.s de la petite enfance (SNPPE).

Saisie par le ministre chargé des Solidarités après ce drame, l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) avait révélé et dénoncé – au même moment que la sortie de la campagne – plusieurs cas de maltraitances dans les crèches. Des enfants oubliés sur les toilettes, privés de sieste faute de lits en nombre suffisant ou laissés en pleurs jusqu’à ce qu’ils s’endorment d’épuisement. Des enfants à qui l’on ne donne pas à boire « comme ça, on change moins les couches ; qu’on laisse trop longtemps dans leur couche souillée ; qu’on force à manger jusqu’à vomissement, attachés à des sangles ».

Le rapport, cinglant, rappelait en tout point le scandale des Ehpad. C’est sans doute pourquoi, alors que sont annoncés pour la fin de la semaine deux livres d’enquête sur les maltraitances sur jeunes enfants dans certaines crèches privées, la ministre des Solidarités Aurore Bergé a voulu prendre les devants et réunir aujourd’hui les acteurs de la petite enfance.

Deux points sont au programme : le renforcement des contrôles des établissements, mais aussi l’attractivité du secteur. Car il y a urgence.

Selon une enquête de la Fédération française des entreprises de crèches, entre 2011 et 2021, alors que le nombre de places en crèche a augmenté de 31 %, celui des auxiliaires de puériculture n’a augmenté que de 20 %, et celui des éducateurs de jeunes enfants (EJE) de 7 %.

Ainsi, plus de 10 000 professionnels manquaient à l’appel en avril 2022 pour faire tourner le secteur dans de bonnes conditions, selon un recensement de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf).

Confrontées à cette pénurie de personnel, les équipes tournent à flux tendus, travaillent en sous-effectif et enchaînent les heures supplémentaires, entretenant ainsi la dégradation des conditions de travail et le départ de nouveaux professionnels. Un casse-tête.

« D’une part, on a eu des professionnels qui ont quitté leur métier épuisés, fatigués ou qui voulaient autre chose. Et d’autre part, on n’a pas, par manque d’attrait, eu de nouveaux professionnels formés en nombre suffisant », détaille Elisabeth Laithier, présidente du Comité petite enfance, qui réunit au sein du ministère des Solidarités les représentants des professionnels et des administrations du secteur.

Un travail de gestionnaire

Si la profession n’attire plus et que les conditions de travail empirent, c’est avant tout le résultat des politiques successives venues déréguler le secteur depuis dix ans, dénoncent les professionnels. A commencer par la révision du modèle de financement.

En 2014, une nouvelle réforme de la prestation de service unique (PSU) – la tarification de la Caisse d’allocations familiales pour l’aide au fonctionnement – remplace le fonctionnement au forfait (à la journée) par une facturation quasi à la carte (les parents paient au temps effectif passé par leur enfant dans la crèche, à la demi-heure près). « Une tarification à l’acte comme à l’hôpital », dénonce Julie Marty-Pichon, coprésidente de la Fédération nationale des éducateurs de jeunes enfants (FNEJE).

Alors, pour obtenir plus de subventions, les gestionnaires passent leur temps devant un tableur à optimiser leur taux d’occupation – « boucher les trous » en d’autres termes.

« Avant, on profitait des vacances scolaires où on avait moins d’enfants pour souffler un peu. Maintenant, c’est fini. La priorité, c’est de remplir », regrette-t-elle.

Et même au-delà des capacités d’accueil. Entre 2010 et 2021, le décret dit « Morano » est venu augmenter la possibilité de l’accueil en surnombre, jusqu’à 120 %, sous réserve que « la moyenne hebdomadaire du taux d’occupation n’excède pas 100 % ». Depuis octobre 2021 et un nouveau décret, ce taux maximal a été revu à 115 %. 

Dans la même veine, le gouvernement a assoupli, depuis 2021, le taux d’encadrement des « non-marcheurs ». Alors que la règle en vigueur était d’un professionnel pour cinq enfants qui ne marchent pas et huit qui marchent, ce décret laisse la possibilité aux gestionnaires de passer à un taux unique d’un professionnel pour six enfants.

Certes, ce taux unique améliore un peu le taux d’encadrement des enfants « marcheurs », mais il dégrade celui des bébés, pour lequel la situation est extrêmement tendue.

« A Toulouse, une collègue m’a ainsi raconté qu’elles ne sont plus que trois pour dix-huit bébés, s’étrangle Julie Marty-Pichon. Forcément, si vous ajoutez des enfants aux adultes, vous augmentez le nombre de places, mais ce que vous augmentez encore plus, c’est l’insécurité. »

Manque de reconnaissance

En parallèle, et pour cette fois-ci trouver davantage de professionnels, les gouvernements successifs n’ont cessé de baisser les exigences de qualification du personnel, dévalorisant peu à peu le secteur.

Le décret « Morano » – encore lui – a diminué les exigences de qualification des professionnels dans les équipes, faisant passer de 50 % à 40 % le taux d’encadrement par des diplômés d’Etat (auxiliaires de puériculture, éducateurs de jeunes enfants, infirmiers puériculteurs). Les titulaires d’un CAP (certificat d’aptitude professionnelle), diplôme moins poussé que les qualifications d’Etat, ont ainsi pu devenir majoritaires.

Depuis août 2022, un arrêté ministériel permet même aux crèches de recruter plus facilement des salariés non diplômés – jusqu’à 15 % des effectifs –, et les former en interne dans un « contexte local de pénurie », si l’employeur peut prouver qu’il a cherché – sans trouver – un salarié qualifié pendant au moins trois semaines.

Une nouvelle illustration de l’absence totale de reconnaissance des métiers et des formations qu’il faut valider pour travailler en crèche, regrette Birgit Hilpert, membre du collectif « Pas de bébés à la consigne ! ».

« L’idée derrière ces mesures est que n’importe qui peut faire ce qu’on fait. Cela témoigne de mépris et d’une grande méconnaissance de la réalité de nos métiers. On ne passe pas notre temps à changer des couches. »

Quoi que. Avec le manque de personnel et l’augmentation du nombre d’enfants par adulte, difficile de trouver le temps pour réfléchir et ainsi construire des projets pédagogiques.

« Ce sont des temps qui ne sont pas financés et c’est au bon vouloir de l’employeur de les mettre en place, déplore Julie Marty-Pichon. S’il n’y en a pas, c’est malheureux pour les enfants et pour les professionnels. Vous passez en mode robot. Vous changez, vous faites à manger, et vous faites dormir, c’est tout », regrette la coprésidente du FNEJE.

A Lyon, pour tenter de redonner de l’attractivité et du sens aux métiers de la petite enfance, la municipalité prévoit la création de quatre crèches en plein air d’ici à fin 2023. « Sans faire d’annonces, on reçoit déjà des candidatures de professionnels », se réjouit Steven Vasselin, adjoint chargé de la petite enfance, soulignant en plus que la ville ne s’est pas alignée sur les derniers décrets de baisse du taux d’encadrement ou du niveau de qualification.

« Se dire que c’est la seule solution pour ouvrir plus de berceaux, c’est un très mauvais calcul. »

Sélection en formation

Outre le retour à des normes plus fermes, les professionnels plaident également pour une revalorisation de leurs salaires.

« Les CAP et les auxiliaires démarrent au Smic. Une éducatrice jeune enfant – trois ans d’études post-bac – c’est à peine plus. Une infirmière puéricultrice, c‘est 1 500 euros. Les conditions de travail se dégradent, mais les salaires restent toujours aussi bas », illustre Julie Marty-Pichon.

Pour tenter de renverser la vapeur, le gouvernement a annoncé mobiliser une enveloppe de 200 millions d’euros par an. Un premier pas, qui reste flou, et qui ne convainc pas les professionnels.

Autre gros chantier pour ramener du personnel : la formation. Alors que certains centres de formation ont fermé car ils ne parviennent pas à rassembler de promotions complètes, la sélection à l’entrée a été fortement allégée. Résultat : 10 % à 15 % des étudiants abandonnent désormais en première année.

Depuis 2019, les formations menant aux quatre diplômes d’Etat sus-cités sont accessibles via Parcoursup, et l’épreuve écrite a été supprimée au profit d’une lettre de motivation et d’un entretien oral.

« Les étudiants sont beaucoup plus jeunes, et moins avisés. Ce processus de recrutement ne permet pas de s’assurer que les élèves savent dans quoi ils s’embarquent et, au final, ils ne restent pas longtemps », détaille Steven Vasselin.

Pour améliorer la qualité de l’accueil, Elisabeth Borne, la Première ministre, a notamment annoncé un système pour « renforcer les capacités d’alerte, de contrôle et de suivi en cas de suspicion de maltraitance » et le passage au ratio d’un adulte pour cinq enfants d’ici à 2030.

Des mesures qui vont dans le bon sens mais qui, selon le collectif Pas de bébés à la consigne !, ne sont à la hauteur « ni de l’urgence qu’il y a à rétablir la qualité d’accueil, ni des préconisations de l’Igas et des revendications des professionnels de la petite enfance ».