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Argentine : qui sont les candidats qui s’affrontent dans l’élection la plus droitière depuis 1983 ?
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Le 22 octobre, l’Argentine connaîtra ses élections les plus ancrées à droite depuis 1983. L’extrême-droite de Javier Milei se rêve gagnante, le candidat péroniste Sergio Massa doit assumer son bilan austéritaire et Patricia Bullrich incarne l’aile la plus dure de la droite de gouvernement. Un trio face auquel l’extrême-gauche du FIT-U veut incarner une alternative.
Le soir du 14 août dernier, les résultats des élections primaires (PASO) en Argentine et la percée de l’extrême-droite ont provoqué une onde de choc. Comment un pays où l’extrême-droite avait été reléguée à l’inexistence médiatique, et où le néolibéralisme était associé à la décadence des années 1990, a-t-il pu offrir plus de 7 millions d’électeurs à un personnage aussi détestable que Javier Milei ?
Cette percée historique de l’extrême-droite traduit la crise profonde des partis de gouvernement traditionnels. Incarnés par Sergio Massa, l’actuel ministre de l’Économie, représentant de la coalition péroniste Union por la Patria du président Alberto Fernandez, et Patricia Bullrich, la candidate de la droite traditionnelle de Juntos por el Cambio, les deux coalitions se partageaient le pouvoir depuis la crise de 2001. Leur influence s’est beaucoup effritée au cours de ces dernières années du fait des conséquences de la crise économique.
Depuis deux décennies, celle-ci n’en finit plus et les politiques austéritaires des gouvernements successifs ont brisé les espoirs d’une population qui ne voit plus de perspective. De fait, les dévaluations successives de la monnaie et les plans d’ajustement structurels des services publics demandés par le FMI et commandés depuis Washington ont mené, en quelques années, à une transformation profonde du pays et des conditions de vie de la population. Une inflation annuelle de près de 124% et une absence d’augmentation des salaires réels depuis près de 5 ans (voire une tendance à une baisse drastique pour de nombreux travailleurs) ainsi qu’un ensemble de facteurs économiques catastrophiques (la chute de la valeur de la monnaie, l’explosion du taux de pauvreté de 25% à 45% de 2017 à 2023) ont consolidé la défiance vis-à-vis de la classe politique.
Les récentes images du voyage de luxe de Martin Insaurralde, chef de cabinet du gouverneur péroniste de la Province de Buenos Aires dans son yacht en Europe n’ont fait que confirmer et renforcer la colère qui existe dans un pays où 65% des enfants de la Province vivent sous le seuil de pauvreté. La crise économique s’est ainsi élargie aux sphères politiques et sociales et est devenue une profonde crise de l’État dans son ensemble.
Avec Javier Milei, l’extrême-droite aux portes du pouvoir
C’est sur cette situation que l’extrême-droite surfe, en se présentant comme une opposition à la « caste » au pouvoir, mêlant dans son discours utopie ultra-libérale autour de la « dollarisation » de l’économie et discours réactionnaires contre les droits des femmes et des personnes LGBT. Une position qui reste évidemment inscrite dans le cadre, commun à l’ensemble des candidats du régime, de l’acceptation d’une subordination aux plans du FMI, à laquelle seule l’extrême-gauche s’oppose.
Le candidat favori des PASO est un économiste libertarien connu par la presse internationale pour ses accès de colère et son programme économique d’attaques généralisées contre la classe ouvrière et les plus pauvres. Dans son socle programmatique central, on retrouve l’opposition au droit à l’avortement (récemment conquis par le mouvement féministe), la volonté de légaliser la vente et la circulation des armes, et un programme économique d’asservissement total du pays aux grands groupes économiques internationaux et au FMI, notamment au travers de la dollarisation et de la suppression de la Banque Centrale Argentine.
Concernant son électorat, Milei parvient à capter un vote réactionnaire d’une partie de la bourgeoisie argentine et des classes moyennes qui voient les promesses de croissance économique et d’ascension sociale disparaître avec la crise actuelle. Sa misogynie et son opposition à l’avortement sont par ailleurs l’expression d’une réaction et d’une forme de « revanche » d’une partie des secteurs les plus réactionnaires de la société qui voient en lui la possibilité de mettre fin aux avancées récentes du mouvement féministe.
Mais Milei a également réussi à capter un vote populaire dans la capitale comme les provinces, malgré un programme économique anti-ouvrier. Dans les quartiers populaires et zones rurales les plus paupérisées, où la classe ouvrière subit le travail dissimulé et informel et voit ses conditions de vie se dégrader plus qu’elles ne l’étaient déjà, le vote Milei s’est renforcé. Il est parfois même le candidat le mieux élu de ces zones paupérisées.
Les dévaluations successives du gouvernement Fernandez avec à leur tête le ministre actuel de l’Économie et candidat, Sergio Massa, supposé « rempart » de la démocratie contre Milei, ont largement fragilisé des couches de la population qui voient dans la promesse d’une dollarisation la possibilité « d’enfin » stabiliser les salaires qui se dégradent de jour en jour en fonction du marché monétaire du peso. Les vidéos pseudo-humoristiques de jeunes habitants de quartier se partageant des billets de dollars en expliquant « se préparer à l’arrivée de Milei » sont l’expression d’une frange de la population désespérée par la situation économique et par la perte de valeur de leur monnaie (et donc de leur salaire) au quotidien.
Pourtant, ce sont ces mêmes électeurs de Milei qui paieraient le plus cher une telle mesure. Comme le souligne Romaric Godin pour Médiapart : « détenir des pesos, c’est voir son pouvoir d’achat menacé en permanence. Au lendemain des primaires, le 14 août, la devise argentine a été dévaluée de 18 % sur le taux officiel. Il est très difficile d’avoir confiance dans la devise nationale. [Cependant,] La dollarisation rend logiquement les produits nationaux plus chers à produire, ce qui conduit à une pression sur les salaires pour maintenir la compétitivité internationale des exportations. »
Cette mesure s’accompagnerait en plus d’un asservissement général du pays à la monnaie américaine. Logique pour Milei qui défend l’ouverture généralisée du pays aux capitaux étrangers ainsi que le pillage des ressources naturelles, comme le lithium du Nord du Pays par les grands groupes internationaux de l’automobile. De même, côté social, les attaques promises contre les services publics, la santé et l’éducation, auront avant tout pour conséquence de fragiliser la vie quotidienne de millions d’argentins déjà poussés dans la pauvreté, et ce même chez son électorat.
De plus, son programme économique ultra-libéral s’accompagne d’un discours profondément réactionnaire jusqu’ici relégué à la marge depuis les années 2000. Le fait de se doter d’une vice-présidente ouvertement liée à la caste militaire comme Victoria Villaruel, fille et nièce de militaires et qui défend ouvertement le discours de la « guerre sale »[1] contre les militants politiques des années 70 ainsi que son discours négationniste quant à la disparition forcée de 30 000 personnes pendant la dictature militaire de 1976 à 1983, sont une démonstration de sa volonté de draguer les secteurs les plus réactionnaires de la caste militaire et de la société argentine.
En d’autres termes, « el loco » participe largement à la droitisation de l’échiquier politique argentin. Ses extravagances et ses meetings accompagnés de musique métal, ses divagations sur le sexe tantrique à la télévision ainsi que ses explosions de colère parfois prises au ridicule ont pendant un moment participé à minimiser la gravité de son discours et séduit une partie de la jeunesse dégoutée par des politiciens traditionnels.
Cependant, les récentes prises de position de Milei ainsi que de ses soutiens historiques comme le milliardaire Eduardo Eurnekian qui critiquait ouvertement la mesure phare de la dollarisation dans le Financial Times démontrent une volonté de rendre plus « graduel » son programme économique. Si la ligne entre la colère de son électorat contre la caste politique traditionnelle et l’adhésion réelle à son programme est très souvent floue, une partie conséquente de la classe politique et de la bourgeoisie Argentine est consciente du risque explosif que représenterait un passage trop rapide à une offensive généralisée contre les classes populaires.
La droite face à une crise électorale profonde
De son côté, la droite néolibérale de Patricia Bullrich est ressortie affaiblie des PASO. L’ancienne ministre de la Sécurité sous le gouvernent de droite de Mauricio Macri est la principale responsable de la disparition et de la mort du militant pro-mapuche Santiago Maldonado dont le meurtre avait ravivé le souvenir des méthodes des disparitions forcées d’opposants par la dictature et conduit à des mobilisations massives dans tout le pays.
En août, elle est parvenue à l’emporter aux primaires internes contre l’aile centre-droite du parti représenté par Horacio Rodriguez Larreta. Ses spots publicitaires sont à l’image de la campagne électorale : comme Sergio Massa, elle a beaucoup de mal à mettre en avant des mesures économiques centrales qui soient différentes de l’héritage de leurs gouvernements respectifs. Plutôt que de revendiquer le gouvernement de Mauricio Macri (2015 à 2019) elle a largement axé sa campagne autour d’un appel à une répression généralisée des piquets de grève et des blocages de routes, méthode traditionnelle des organisations de chômeurs en Argentine.
Sa campagne contre les « mortiers et les pierres » et pour « l’ordre et le courage » résume en quelques mots une campagne réactionnaire, qui peine à trouver un équilibre entre les outrances de l’extrême-droite de Milei et la volonté de se présenter comme une alternative plus viable et stable aux yeux des classes dominantes. En ce sens, sur le terrain économique, Patricia Bullrich cherche à faire valoir un programme économique plus « raisonnable » que celui de Javier Milei. Les attaques promises contre les services publics et pour en finir avec le déficit fiscal s’inscrivent cependant dans une campagne ultra-austéritaire, affichant la volonté de gouverner au service des classes dominantes et le FMI.
Malgré la percée de Milei, l’ex-militante de la guérilla des années 1970 passée à la droite dure reste dans de nombreux sondages une option probable pour un second tour face à l’extrême-droite. De fait, Bullrich demeure l’option actuellement la plus viable pour les classes dominantes argentines.
Sergio Massa, le candidat du « moindre mal » ?
Sergio Massa, l’actuel ministre de l’Économie, doit pour sa part assumer le bilan du gouvernement de Alberto Fernandez. Aujourd’hui soutenu par Cristina Kirchner et la gauche du péronisme, Sergio Massa est souvent présenté en France comme un candidat de « centre gauche ». En réalité, son profil évoque plutôt un candidat de droite traditionnel. Leministre de l’Economie défend une ligne austéritaire dure et revendique l’urgence d’assainir les « comptes de la nation » et de s’attaquer aux services publics, aux pensions de retraite et aux salaires.
Critiqué en interne de son courant politique, Sergio Massa a longtemps incarné l’aile la plus droitière du péronisme, dont l’espace politique habituel va du centre-gauche populiste à la droite de l’échiquier politique. Conscient du danger qu’une partie de son électorat ne parte à l’extrême-gauche ou ne s’abstienne, le péronisme avait d’ailleurs présenté pendant les élections primaires un candidat de centre-gauche et proche du pape, Juan Grabois, en plus de Sergio Massa afin d’éviter une fuite de voix vers l’extrême-gauche lors de ces élections. Comme Cristina Fernandez de Kirchner et l’ensemble du péronisme, celui-ci s’est très rapidement engagé après les primaires dans la défense de la candidature de Sergio Massa aux présidentielles.
Avec un tel profil, il sera donc difficile de faire avaler à une partie de la population que Sergio Massa pourrait être un frein à la droite et l’extrême droite. De fait, le péronisme porte une responsabilité très importante dans l’émergence d’une figure comme Javier Milei. C’est en promettant qu’une rupture avec le gouvernement de droite de Mauricio Macri allait permettre aux foyers de revenir à une vie normale et à une amélioration de leurs conditions de vie pour ensuite appliquer l’ensemble des plans austéritaires du FMI que ce courant politique a perdu près de 6.5 millions d’électeurs entre 2019 et 2023 !
L’application des plans austéritaires, la vente des ressources naturelles aux grands groupes économiques, la baisse des pensions de retraites, son application à défendre un discours sécuritaire et ses attaques contre les enseignants sont autant d’expressions du fait que Massa n’est en aucun cas une alternative à gauche pour les classes populaires, mais plutôt une teinte plus centriste des politiques de rigueur imposées dans le pays ces dernières années. Les récentes annonces de Sergio Berni, le ministre de la sécurité péroniste de la Province de Buenos Aires, et les affirmations de Juan Grabois selon lesquelles Massa aurait aidé Milei à constituer ses listes électorales dans les provinces du pays pour fragiliser la droite de Patricia Bullrich sont une preuve supplémentaire de la responsabilité du candidat dans l’émergence de Milei.
Ces derniers mois, ses appels du pied constants à son « ami » personnel Gerardo Morales, gouverneur de la Province de Jujuy et responsable de la réforme constitutionnelle autoritaire et de la répression à laquelle elle a donné lieu donnait une idée de cet ancrage droitier. Mais lors du premier débat présidentiel, Sergio Massa est allé encore plus loin, en s’engageant à construire un gouvernement de coalition nationale prêt à intégrer des minsitres venus de la droite et de l’extrême-droite. Plutôt qu’un frein à l’extrême-droite comme le présente une revue comme JacobinLat, la politique de Massa lui pave la voie.
Ce d’autant plus que sur le terrain social, Massa est l’allié de la bureaucratie syndicale qui a brillé par son absence durant ces dernières années, jouant un rôle de garant de la stabilité dans la rue pour éviter toute explosion sociale. Alors même qu’une partie très importante de la classe ouvrière voit ses conditions de vie se dégrader de jour en jour, cette passivisation du mouvement de masse a joué un rôle important pour faciliter la canalisation vers l’extrême-droite d’une colère ouvrière et populaire se heurtant à l’impuissance et à la compromission des directions du mouvement ouvrier avec un gouvernement à la botte du FMI.
En bref, Massa n’est en aucun cas une option qui permette de lutter contre l’extrême droite et la droite de Bullrich : il est lui-même en partie responsable de la fuite d’une partie de l’électorat populaire vers l’extrême-droite après avoir largement participé à sa paupérisation et à sa précarisation, après avoir participé à la spoliation des richesses du pays par les grandes entreprises d’extraction comme dans le cas du lithium dans le nord du pays et à la soumission du pays aux plans austéritaires et inflationnistes du FMI.
Au-delà des trois favoris, un quatrième candidat est aussi présent pour le scrutin de fin octobre. Relégué à un rôle de figurant, le centriste Juan Carlos Shiaretti est le quatrième des cinq candidats. Gouverneur de la province de Cordoba, la deuxième ville la plus importante du pays, il est le candidat le plus riche des présidentielles avec une fortune de près de 80 millions de dollars, et un fervent défenseur des politiques austéritaires. Sa candidature cherche avant tout à assurer un vote centriste et à se proposer à collaborer avec le gouvernement qui ressortira gagnant des élections.
La campagne du FIT-U : une alternative révolutionnaire en Argentine
La récente performance de la candidate d’extrême-gauche Myriam Bregman lors du premier débat présidentiel a marqué les esprits sur la possibilité de lutter contre l’extrême droite sans se résigner à voter pour le « moindre mal » que représenterait Sergio Massa. Après une campagne interne au sein du FIT-U qui opposait le Partido Obrero de Gabriel Solano au Partido de los Trabajadores Socialistas de Myriam Bregman, organisation sœur de Révolution Permanente en Argentine, le FIT-U s’est lancée dans une campagne contre la soumission au FMI et la résignation à un vote du moindre mal.
Entre mesures d’urgence pour lutter contre la pauvreté généralisée dans le pays comme l’augmentation des salaires et la baisse et le partage du temps de travail et remise en question de la place qu’a pris le FMI ces dernières années dans le pays, l’extrême-gauche défend la nécessité d’une lutte pour une perspective anticapitaliste et révolutionnaire face aux attaques de la bourgeoisie dans son ensemble, du centre-droit péroniste à l’extrême droite de Javier Milei.
Conscients que l’ensemble des candidats souhaitent proposer un futur de pauvreté et d’attaques austéritaires à la classe ouvrière, les militants du PTS proposent la perspective de la construction d’une véritable alliance des opprimés et des exploités du pays, des mouvements sociaux et du mouvement ouvrier pour se préparer aux luttes à venir. L’histoire récente de l’Argentine a montré que les attaques de la bourgeoisie argentine font face à des luttes et des résistances. La candidature d’une militante féministe et révolutionnaire comme Myriam Bregman se propose à incarner cette lutte contre la résignation pour préparer les batailles à venir contre le FMI et l’austérité.
[1] : Victoria Villaruel, tout comme Javier Milei, utilisent une terminologie négationniste du génocide perpétré par la junte militaire des années 70. Ils justifient la défense de la théorie des « deux démons » en expliquant que les militants politiques assassinés par la dictature militaire portaient une responsabilité dans la violence de l’Etat. Une théorie non seulement réactionnaire mais ouvertement négationniste et qui a justifié les discours visant à amnistier les militaires.