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Décès d’Enrique Dussel, "philosophe de la libération"
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Hommage à Enrique Dussel | Indigènes de la République (indigenes-republique.fr)
C’est avec émotion que nous apprenons la mort d’Enrique Dussel, philosophe et théologien, fondateur de la philosophie de la libération et penseur central du mouvement décolonial en Amérique latine.
Compagnon de route de notre organisation, sa contribution à la critique de l’eurocentrisme, de la modernité et du sécularisme a participé à forger l’originalité de notre projet politique. Sa pensée est peu connue en France, et reste à découvrir pour les nouvelles générations.
Que descanse en paz, Profe.
PIR
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Disparition d’Enrique Dussel, le “philosophe de la libération” | Philosophie magazine (philomag.com)
Né en 1934 en Argentine, figure de proue de la philosophie latino-américaine, pionnier de la pensée dite « décoloniale », Enrique Dussel est mort le 5 novembre 2023. Retour sur sa trajectoire intellectuelle.
C’est dans une méconnaissance hexagonale paradoxale que s’est éteint, il y a quelques jours, le philosophe Enrique Dussel. Paradoxal car, aux quatre coins du monde, la réflexion du fondateur de la philosophie de la libération rencontre un écho considérable. Tristement paradoxal également, car si le penseur argentin entretenait un lien particulier avec les grandes figures de la vie intellectuelle française, son travail a été largement ignoré dans notre pays. C’est pour remédier à ce vide qu’Emmanuel Levine faisait paraître, au début du mois d’octobre aux PUF, la première traduction de son ouvrage le plus célèbre, Philosophie de la libération, initialement publié il y a près de cinquante ans, en 1977. La concomitance des deux événements peut-elle inciter à autre chose qu’à découvrir de toute urgence l’approche philosophique aussi novatrice et séminale de Dussel ?
Des rencontres décisives
Né le 24 décembre 1934 à La Paz (en Argentine, à ne pas confondre avec la capitale bolivienne), Dussel se tourne rapidement vers la philosophie. Mais déjà, quelque chose d’un appel de l’autre, de l’extériorité, semble le pousser au-delà des frontières de son Argentine natale. Parti étudié en Espagne en 1957, il voyage bientôt à travers l’Europe, de Paris à Rome en passant par Fribourg, avant de gagner le Proche-Orient : le Liban, la Syrie et finalement Israël, où Dussel retournera plusieurs fois. Il y fait la rencontre du théologien catholique Paul Gauthier, qui s’est lancé dans un projet de construction d’une cité pour abriter les populations palestiniennes démunies. Ce contact direct avec l’exclusion assoit l’horizon qui sous-tendra son travail philosophique et, indissociablement, ses engagements : œuvrer à la libération des opprimés, comme on le retrouve aussi dans les fondements idéologiques religieux de la théologie de la libération.
Cette « philosophie de la libération » est aiguillée par plusieurs découvertes et rencontres. D’une part, les grandes pensées latino-américaines de l’émancipation, auxquelles Dussel s’intéresse dans les années 1960 alors qu’il est de retour en Argentine : celles du Colombien Orlanda Fals Borda et du Mexicain Leopoldo Zea notamment. D’autre part, les grands penseurs juifs : Rosenzweig, Buber, et surtout Levinas, découvert en 1970. Dussel est frappé par l’éthique lévinassienne de l’altérité radicale dont l’interpellation fracture l’identité du même.
➤ À lire aussi : “Une histoire de la pensée décoloniale”, une série en 5 épisodes
Réfléchissant à ce que signifie être latino-américain, Dussel relie l’histoire de la modernité à l’aune de ces catégories. La modernité, comme il le dira dans 1492. L’occultation de l’autre, ne commence pas avec Descartes : elle commence avec la « découverte » de l’Amérique, c’est à dire sa colonisation par un « centre » qui transforme le reste du monde en sa « périphérie ». Son identité souveraine s’affirme dans la domination de ses marges. À travers ce processus, les « autres » deviennent les autres du centre – ses inférieur, son envers, son négatif. La domination coloniale n’est pas seulement une entreprise politique ; elle met en jeu une vision du monde, un horizon hiérarchique de compréhension qui, porté par le colonisateur, s’impose aussi au colonisé. Cette réflexion constitue le noyau de la Philosophie de la libération, que Dussel rédige en 1975.
La pensée en action
Dussel est alors en exil au Mexique. Intellectuel engagé, il a fui les persécutions du péronisme. Sa pensée, volontiers métaphysique, n’est pour lui pas séparable de l’action. La libération, si elle se joue aussi dans les têtes, n’est pas théorique : elle est un processus pratique. La Philosophie de la libération débouche ainsi sur une Éthique de la libération (1998) et sur une politique dont Dussel résume l’essentiel dans Vingt Thèses de politique (2006).
L’ampleur de l’œuvre de Dussel fait de lui une figure majeure de la pensée latino-américaine. Son travail essaime et inspire. Il influence grandement la constitution du groupe Modernité/Colonialité. Dussel est un pionnier de la pensée dite « décoloniale », aujourd’hui au cœur de débats. Le dépassement de « la colonialité » ouvre pour lui sur un horizon résolument utopique de transmodernité : « Ce qui s’annonce est une nouvelle civilisation transmoderne, et donc transcapitaliste, au-delà du libéralisme et du socialisme réel, où le pouvoir était domination, et la politique, un simple exercice de la domination. » Une bonne raison, s’il en fallait, de le lire.