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Cahuzac: l’enquête préliminaire valide l’enregistrement
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Selon Le Parisien du 15 mars, qui fait également état de vérifications positives, ces investigations nourrissent par ailleurs un débat, au palais de justice de Paris, sur la nécessaire ouverture d'une information judiciaire, seule à même de permettre des investigations internationales suffisamment contraignantes pour percer le secret bancaire.
Le juge Guillaume Daïeff, chargé de l'instruction en cours visant l'évasion fiscale organisée par UBS, a ainsi écrit au parquet de Paris pour souligner que les faits concernant M. Cahuzac sont « connexes à (sa) saisine » et qu'il ne serait « pas opposé à un réquistoire supplétif » lui permettant d'élargir son instruction au cas du ministre du budget.
Ouverte le 8 janvier pour « blanchiment de fraude fiscale », un mois après les premières révélations de Mediapart sur les avoirs suisses occultes de M. Cahuzac, déplacés début 2010 à Singapour, l'enquête préliminaire diligentée par le procureur de la République de Paris à l'encontre du ministre du budget est maintenant entrée dans son troisième mois. Alors qu'elle approche de sa conclusion, les milieux judiciaires concernés ne cachent plus qu'elle valide la consistance, l'authenticité et la fiabilité des informations mises au jour par Mediapart.
C'est notamment le cas de la première pièce matérielle révélée par notre enquête. Les policiers en charge des investigations sur le compte suisse du ministre du budget sont en effet parvenus à établir, selon des sources judiciaires concordantes, l’authenticité de cet enregistrement révélé début décembre 2012 par Mediapart, dans lequel Jérôme Cahuzac reconnaissait détenir un compte non déclaré à l’UBS de Genève.
Cette authentification, qui vient ruiner la défense du ministre socialiste, a été rendue possible grâce, d’une part, aux expertises réalisées ces dernières semaines par la Police scientifique et technique (PTS) d’Ecully, dans le Rhône, et, d’autre part, grâce aux témoignages recueillis par les enquêteurs de la Division nationale des investigations financières et fiscales (Dniff).
Mediapart avait rendu public, le 5 décembre 2012, le contenu d’un message téléphonique que Jérôme Cahuzac avait déposé involontairement sur le répondeur de Michel Gonelle, futur rival à l’élection municipale de 2001 à Villeneuve-sur-Lot (Lot-et-Garonne), alors qu’il discutait avec un chargé d’affaires.
Durant cette conversation datant de la fin de l'année 2000, Jérôme Cahuzac se montrait embarrassé au sujet de l’existence d’un compte ouvert à l’UBS. « Ça me fait chier d’avoir un compte ouvert là-bas, l’UBS c’est quand même pas forcément la plus planquée des banques », confiait notamment le futur ministre du budget à son interlocuteur, le gestionnaire de fortune Hervé Dreyfus, associé depuis 1994 au banquier suisse Dominique Reyl. Alors candidat aux municipales de 2001, Jérôme Cahuzac précisait également : « Il n’est pas exclu que je devienne maire au mois de mars (ce qui fut en effet le cas – ndlr), donc je ne tiens vraiment pas du tout à ce qu’il y ait la moindre ambiguïté. »
Les experts mandatés par la justice ont réussi à établir non seulement la parfaite intégrité de la bande – c’est-à-dire qu’elle n’a été le fruit d’aucune manipulation –, ainsi que la fiabilité des témoins qui attestent des conditions de son enregistrement, mais aussi l’authenticité de la voix de Jérôme Cahuzac.
La police et la gendarmerie, ainsi que les services de renseignements français, disposent depuis plusieurs années de logiciels sophistiqués qui permettent de confondre avec un haut degré de certitude l’empreinte vocale d’une personne. Avec les précautions d'usage, le rapport d'expertise devrait techniquement conclure, comme nous l'affirmons depuis le début de cette affaire, qu'il s'agit bien de la voix de Jérôme Cahuzac, d'après des informations recueillies ces derniers jours de très bonnes sources.
C'est peu dire que la position du ministre du budget au sein du gouvernement devient désormais de plus en plus fragile.
Les enquêteurs veulent un juge d'instruction
Car, dans le même temps, les policiers de la Dniff ont recueilli trois précieux témoignages, dont deux sont également évoqués par Le Parisien du 15 mars. Le premier émane d’un ancien huissier de Villeneuve-sur-Lot, chez lequel Michel Gonelle avait déposé une copie du message téléphonique malheureux de Jérôme Cahuzac. Cet huissier, Maurice Chassava, qui s'est également entretenu avec Mediapart, confirme en tous points la version des faits telle qu’elle avait été rapportée aux policiers, le 16 janvier, par Michel Gonelle.
Selon cette version, Jérôme Cahuzac, alors député, avait d’abord laissé un premier message téléphonique (volontaire) sur la boîte vocale de M. Gonelle, alors maire de Villeneuve, pour lui annoncer la venue prochaine du ministre de l’intérieur Daniel Vaillant concernant l’inauguration d’un commissariat local. Mais ce n’est que dans un deuxième message (involontaire) que M. Cahuzac a fait d’incroyables confessions, sans le vouloir ni le savoir, sur son compte suisse.
L’huissier de Villeneuve explique, qu’avant de récupérer une copie de l’enregistrement, il a entendu sur le répondeur de Michel Gonelle les deux messages, confirmant dans les deux cas qu’il s’agissait bien d’un appel provenant du numéro de Jérôme Cahuzac. Le témoin, aujourd’hui à la retraite, assure avec certitude que la voix était bien celle de M. Cahuzac, qu’il connaît très bien.
Entendu pendant plus de trois heures ce vendredi 15 mars à Bordeaux, un deuxième témoin, Florent Pédebas, ancien gendarme reconverti dans le privé, réputé proche de Michel Gonelle, a également confirmé cette version des faits. Comme l'huissier, M. Pédebas a fait partie des très rares personnes à avoir entendu les deux messages laissés par Jérôme Cahuzac directement sur le portable de M. Gonelle. Lui aussi a indiqué qu'ils provenaient du même numéro et, sur procès-verbal, il a confirmé de manière « ferme » que la voix était bien celle de Jérôme Cahuzac, qu'il connaît également, comme il l'a rapporté à Mediapart.
Mais ce n'est pas tout. Un détective, Alain Letellier, ayant travaillé pour Patricia Cahuzac, l’épouse du ministre actuellement en instance de divorce, a de son côté assuré aux enquêteurs que sa cliente lui avait rapporté de manière catégorique l’existence d’un compte en Suisse détenu par Jérôme Cahuzac. Gênée, Mme Cahuzac a dit aux policiers ne pas se souvenir de cette conversation, selon nos informations.
Les policiers et les magistrats du parquet financier qui suivent le dossier estiment avoir aujourd’hui suffisamment d’éléments pour justifier l’ouverture d’une information judiciaire et la désignation d’un juge d’instruction indépendant pour poursuivre les investigations. Mais la décision revient en dernier ressort au procureur de la République de Paris, François Molins.
La nomination d’un juge d’instruction permettrait à l’enquête de connaître une accélération grâce à des moyens d’enquête plus étendus, comme les perquisitions ou la commission rogatoire internationale, qui peut permettre de percer le secret bancaire suisse. Et, ainsi, remonter la piste de l’argent dissimulé.
Comme l’a rapporté fin février La Lettre A, le ministre du budget dit aujourd’hui s’attendre à un « rebondissement » défavorable pour lui dans l’enquête préliminaire. Selon les informations recueillies ces derniers jours par Mediapart, il apparaît même que Jérôme Cahuzac et son entourage ont fait, ces trois dernières semaines, d’étonnantes confessions en off à plusieurs journalistes, témoignant d’une certaine panique.
Cahuzac s'attend à un « coup dont on ne se relève pas »
Le 18 février, au sortir de son interview de la matinale de France Inter, Jérôme Cahuzac et son attachée de presse Marion Bougeard ont ainsi confié à un journaliste de la station publique qu’ils n’excluaient pas que Michel Gonelle ait embauché un… imitateur pour les phrases de l’enregistrement citant la banque UBS.
Le lendemain, lors d’un déjeuner informel à Bercy avec plusieurs journalistes du quotidien Libération, le ministre du budget, interrogé sur l’affaire du compte suisse, a surpris tout son auditoire en déclarant qu’il s’attendait à se « prendre un caramel » dans l’enquête préliminaire concernant l’enregistrement. Interrogé par un des journalistes présents sur la signification de cette expression, Jérôme Cahuzac a expliqué : « Au rugby, un caramel c’est un coup dont on ne se relève pas ».
A ce jour, la bande révélée par Mediapart ne fait l’objet d’aucune contestation judiciaire par le ministre du budget. Elle n’est visée par aucune plainte pour « faux », pas plus que l’article l’ayant révélée n’est visé par la plainte en diffamation que M. Cahuzac dit avoir déposée (mais dont nous n’avons eu, à ce jour, aucune notification).
Mieux : dans des mails dont Mediapart a pu avoir connaissance, Jérôme Cahuzac n’a jamais contesté l’authenticité de la bande, au contraire. Ainsi, le 5 décembre 2012, échangeant avec un vieil ami qui l’interrogeait sur un éventuel « montage », le ministre évoquait plutôt une « mauvaise plaisanterie sortie du contexte ».
M. Cahuzac a tout tenté depuis trois mois pour faire oublier l’existence de cet embarrassant enregistrement, allant jusqu’à mobiliser les moyens de l’Etat à des fins personnelles pour tenter de se faire blanchir par sa propre administration. Fin janvier, l’administration fiscale française a en effet engagé avec la Suisse une demande d’assistance administrative nominative pour dire si, oui ou non, M. Cahuzac a détenu un compte en Suisse entre 2006 et 2012.
Selon une source à Bercy, citée par Le Journal du Dimanche, la réponse des Suisses, qui a surpris tous les experts pour son inhabituelle rapidité (une semaine…), aurait été favorable à M. Cahuzac. Mais selon une source judiciaire, qui a parlé à l’agence de presse Reuters puis au Nouvel Observateur, les « renseignements suisses sont sujets à interprétation ».
De fait, aucun journaliste n’a vu la fameuse réponse suisse. Mais il semblerait qu’elle ne soit d’aucune utilité pour l’enquête. Une source informée des développements des investigations judiciaires a récemment affirmé à Mediapart : « Ça ne vaut rien, ça ne démontre rien ». Une chose, en revanche, est certaine. L’opération de Bercy est apparue comme une très maladroite tentative de hold-up sur une enquête judiciaire en cours. Ce qui n’a pas été du plus bel effet chez les magistrats et policiers en charge du dossier.
A ce stade, après deux mois et demi d'enquête préliminaire, seule la voie d'une information judiciaire confiée à un juge indépendant serait à même de permettre des investigations internationales non seulement en Suisse mais jusqu'à Singapour. Toujours dépendant statutairement du pouvoir exécutif, bien que ne recevant officiellement plus de consignes dans des dossiers particuliers, le procureur de Paris est seul maître de la décision.
François Molins a donc rendez-vous avec son indépendance. Après tant de dénégations du ministre du budget, accompagnées de la solidarité du gouvernement, l'ouverture d'une information judiciaire serait évidemment un événement politique, soulignant le conflit d'intérêts toléré par le pouvoir depuis le début de cette affaire.