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    “Le moindre mal, c’est toujours le mal” : Mélenchon répond à “Philosophie magazine” sur Arendt

    Lien publiée le 6 mai 2024

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

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    Mardi dernier, nous avons publié l’article « Mélenchon a-t-il bien compris Arendt ? », sous la plume d’Anne-Sophie Moreau, pour mettre en perspective ses propos polémiques sur le président de l’université de Lille, accusé d’agir comme le nazi Adolf Eichmann après avoir accepté d’interdire une conférence sur Gaza. Le dirigeant de La France insoumise, désormais poursuivi par le gouvernement pour « injure publique », a demandé un droit de réponse, que nous publions ici.

    « “Mélenchon a-t-il bien compris Arendt ?”, interrogez-vous. Et vous ? M’avez-vous bien compris ? En effet, j’ai fait mienne sa description du mécanisme qui conduit à faire le mal le plus abominable en toute bonne conscience. Les controverses à propos du personnage d’Eichmann ne changent rien à ma conviction sur ce processus.

    La vie m’a permis de l’observer de près. C’était en Argentine, au procès du général Videla. J’y accompagnais deux femmes qui avaient été détenues au camp de torture “El Vesubio” à Buenos Aires. Les dictateurs Videla et Viola assassinèrent 30 000 personnes. Je n’entre ici dans aucun compte rendu, ni détail. Sauf un. Les militaires cités à comparaître avaient participé à la chaîne des meurtres depuis l’arrestation des “terroristes”, le vol de leurs affaires après leur exécution en passant par les séances de torture, le rapt de leurs enfants et les différentes étapes du transport par terre ou dans les airs pour les jeter à la mer. Mais ils plaidaient tous, sans exception, la non-culpabilité au nom du “devoir d’obéissance” consubstantiel selon eux à leur condition de militaire. Certes. Mais celui-ci ne les exempte jamais de l’impératif moral. Pourquoi ne l’ont-ils pas assumé ?

    C’était déjà un sujet de mes discussions de jeunesse sur la responsabilité morale dans l’action politique. Il ne nous suffisait pas de comprendre les conditions de la production du bien. Nous voulions connaître aussi celles du mal. Ne présupposions-nous pas naïvement : l’être humain “naît bon mais la société le corrompt” ? Comprendre la production du mal, c’est refuser la banalisation du mal comme essence humaine

    En utilisateur résolu du matérialisme historique, je sais comment la question “pourquoi” se résout en décrivant “comment”. Le “comment” tel que décrit par Hannah Arendt m’a semblé être une clef efficace. Je récuse donc l’idée que “la fin justifie les moyens”, ou à l’inverse que les conséquences ultimes n’impliquent pas les étapes qui y conduisent.

    Alors, si j’ai bien compris Hannah Arendt, pourquoi qualifier d’“abjecte” ma comparaison des conditions qui mènent au crime ? Empêcher de connaître une analyse du monde et du génocide qu’il voit s’accomplir n’est-il pas de l’ordre de la production banale du mal ? Surtout quand celui qui décide cette interdiction dénonce lui-même des pressions faites sur lui, alors même qu’il y cède ? Pourquoi dire que j’ai comparé les deux hommes ? J’ai comparé l’engrenage. Si je précise bien : “le président est sans doute un brave homme”, c’est que je ne vise pas la personne, mais le mécanisme dont il se fait une servitude volontaire d’être un rouage. Sa fuite devant le réel le conduit même à pleurnicher pour demander qu’on se contienne dans la critique qu’il prévoit pour cette interdiction. Comme s’il s’agissait d’un débat académique, et non de la dénonciation d’un génocide.

    Lisez son communiqué : “On ne peut que regretter, dans ce contexte, la pression exercée sur l’autonomie pédagogique et scientifique des établissements d’enseignement supérieur. […] À Lille, comme ailleurs, l’université continuera à défendre les valeurs de la science, du débat intellectuel et de l’écoute, loin des caricatures et des idées reçues. C’est pourquoi l’université de Lille invite chacune et chacun à la mesure dans les propos qui seront tenus afin de préserver le bien commun qui nous rassemble.” L’interdiction est la négation de ces péroraisons.

    Mon discours détaillait la production du mal par des gens ordinaires. Il alertait mes auditeurs sur les mécanismes qui conduisent à en être l’agent. Ma leçon était : sont criminels ceux qui commettent le crime, mais aussi ceux qui le laissent faire en sachant de quoi il s’agit. Mes mots y sont pesés, autant qu’ils peuvent l’être à l’oral quand on expose une idée philosophique sur une place publique, après deux interdictions de conférences dans la même journée. J’agis conformément à mon devoir politique et à ma compétence philosophique. Qu’est-ce que ma licence de philosophie, sinon une autorisation d’enseigner ? À ma manière, je cherche à le faire au fil de mes discours comme à Sciences Po Paris, car je me sens comptable devant la jeune génération. 

    Vous dites au sujet de mes mots : “la justice tranchera”. Un philosophe ne peut le croire. La justice avait conclu à la culpabilité de Socrate. Sans me comparer à lui, j’en ai retenu combien la quête de vérité et de justice était d’un autre ordre que la simple application de la loi. Précisément parce qu’elle s’est faite trop souvent le véhicule de la “banalité du mal”, comme pour la rafle du Vel’ d’Hiv’.

    Interdire une conférence serait un moindre mal face au risque (d’ailleurs inexistant) de violences. Mais le moindre mal, c’est toujours le mal. »