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Vaincre le néofascisme, construire l’alternative
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
https://www.contretemps.eu/vaincre-le-neofascisme-construire-lalternative/
Le 10 juillet s’est tenu à Pantin, à l’appel de plusieurs collectifs, organisations et médias alternatifs, dont Contretemps, un meeting sur le thème « Après le 7 juillet, que faire ? ». Nous reprenons ici l’intervention d‘Alexis Cukier. L’enregistrement vidéo de ce meeting est disponible ici.
Après le soulagement de dimanche dernier, l’heure est à se dire les choses entre camarades de la gauche anticapitaliste, antifasciste et décoloniale : ce résultat des élections n’est qu’un répit, la bataille sera longue et difficile, et il faudra se battre ensemble. L’heure est à ne pas s’endormir, à préparer la suite : après le moment de la mobilisation électorale, c’est aujourd’hui, cela doit être le moment de l’auto-organisation, d’assemblées locales du Nouveau Front Populaire, et plus largement d’assemblées antifascistes et anti-impérialistes de masse, de fêtes politiques et rassemblements dans les quartiers.
C’est l’heure de la rue et des luttes, de la préparation de grèves pour faire pression sur le prochain gouvernement quel qu’il soit –et nous venons d’apprendre l’appel syndical à des grèves et rassemblements dès jeudi prochain, le 18 juillet… Car malgré le front électoral antifasciste qui a permis d’empêcher que les vichyssois gouvernent la France cette semaine, un gouvernement de gauche n’est pas du acquis, au contraire Macron prépare un gouvernement d’extrême-centre encore plus à droite que les précédents. C’est l’heure de l’autodéfense populaire contre l’islamophobie et tous les racismes, et de l’affirmation politique de la gauche anticapitaliste et alternative, de l’antiracisme politique et des quartiers populaires.
Je prends la parole pour Rejoignons-nous, un collectif créé en 2020 pour contribuer à la construction d’une nouvelle organisation politique dont on a proposé des contours dans notre Manifeste pour une nouvelle organisation politique révolutionnaire, démocratique et pluraliste publié en 2022. C’est pour cela que nous participons à L’Alternative – ou « On construit l’alternative » car c’est un processus –, une initiative politique soutenue par le NPA, PEPS et Rejoignons-nous présents ce soir, ainsi qu’Ensemble, et auquel participent aussi des militant.e.s des mouvements sociaux anticapitalistes, autogestionnaires, écologistes, féministes, antiracistes, anti-impérialistes, internationaliste, anti-validistes…
L’objectif est de créer une nouvelle force politique, associant diverses identités et expériences politiques, permettant de constituer une nouvelle composante révolutionnaire, démocratique et populaire, qui soit unie, forte et efficace, au sein de la dynamique du Nouveau Front Populaire, alliée notamment de la France Insoumise mais distincte d’elle, au sein de tous les fronts sociaux et politiques antifascistes, pour renforcer toutes nos luttes et construire l’alternative aux discriminations, exploitations, écocides et oppressions.
C’est un chantier politique en cours, ce n’est pas le moment de vous en dire plus sur ce qui est prévu concrètement dans les prochains mois, mais il y a des rendez-vous dont nous avons discuté ce soir même dans une réunion nationale. Et nous voulons le dire clairement ce soir : la porte est grande ouverte pour participer au processus de l’Alternative.
Avec les camarades de Rejoignons-nous, on s’est dit qu’on voulait insister ce soir sur deux points, je résumerais avec les termes du dernier communiqué de l’Alternative : « Battre le Rassemblement National, construire l’Alternative ».
D’abord, donc, « battre le RN » : cela voudrait dire quoi ? Parce qu’on partage ce soir le même constat : on a repoussé provisoirement la menace d’un État fasciste, mais la fascisation progresse. Le RN est passé entre 2017 et 2024 de 8 à 143 député.e.s ; en nombre de suffrages la gauche est derrière le RN et ses alliés, et pour compter le camp de nos ennemis mortels, il faut ajouter aussi au moins les Républicains extrême-droitisés, et le camp présidentiel, qui a fait passer la série de lois liberticides et xénophobes contre laquelle nous nous sommes mobilisées ; ce même camp qui projette de remettre en cause le droit du sol à Mayotte avec la bénédiction du RN et des Républicains, etc.
En ajoutant ces voix et forces, on a aujourd’hui un solide et largement majoritaire camp raciste et colonialiste en France. Le texte fondateur de Rejoignons-nous, publié en 2020, faisait déjà un tel constat :
« Le fascisme en France – comme dans d’autres pays – progresse et menace. La xénophobie, le racisme institutionnel, les stratégies de division développées par le pouvoir et une grande partie des médias entraînent une diffusion des idées de l’extrême-droite bien au-delà de ses rangs et intensifient la racialisation de la société.
Loi contre le « séparatisme », perquisitions arbitraires, dissolutions d’associations, stigmatisations quotidiennes : les attaques contre les musulman.e.s – dont on a pu voir le déchaînement après le terrible assassinat du professeur de Conflans-Sainte-Honorine – sont chaque jour plus insupportables et manifestent un racisme structurel d’État. Le raidissement autoritaire du pouvoir depuis le mouvement des gilets jaunes et sa répression, les violences policières racistes qui continuent de tuer, une institution policière gangrenée par une culture d’extrême droite : plusieurs ingrédients d’une possibilité d’un basculement fasciste sont réunis.
Face à cela, la gauche est aujourd’hui incapable d’offrir une réponse cohérente et offensive, notamment parce qu’en son sein même, la clarté sur ces questions fait cruellement défaut. Dans ce contexte, nous devons nous armer idéologiquement pour faire barrage à ces haines. Nous opposer à la racialisation de la société en faisant vivre la solidarité avec les premier.e.s concerné.es, occuper le terrain au côté des habitant.e.s des quartiers, dans les institutions, tisser les relations de confiance permettant de se défendre et de convaincre qu’un monde de justice pour l’égalité est possible, le seul souhaitable pour l’avenir. »
On a développé l’analyse ensuite dans le texte « Contre le racisme, rejoignons-nous avant qu’il ne soit trop tard », écrit notamment avec notre camarade Omar Slaouti. D’autres dans cette salle l’ont fait avant nous, et plus que nous bien sûr : expliquer la réalité et les risques du processus de fascisation de la société, et la différence mais aussi la collusion entre l’étatisme autoritaire de Macron et Darmanin et le projet fasciste de Le Pen et Bardella (et il faudrait parler de Meloni, Trump, Bolsonaro, Orban, Modi…). Il ne s’agit pas de la même chose, mais l’un prépare le terrain à l’autre. C’est bien ce qui se passe aujourd’hui, alors qu’il n’y a jamais eu autant d’élus d’extrême-droite à l’Assemblée nationale depuis la fin du régime de Vichy. Un premier objectif, donc, est de battre le RN. Mais on doit se demander : quand aurons-nous vraiment vaincu ?
Quand dans les familles racisées des quartiers populaires, on aura plus peur avant chaque élection de voir sa vie basculer, de devoir rentrer au bled, de s’en prendre encore plus plein la gueule. Quand il n’y aura plus de militants de l’Action française cagoulée qui se pointent et essaient de mettre des coups de pression dans ma fac quand on organise une série de rencontres contre l’extrême-droite, quand le lieu de vie et de travail des camarades exilé.es de l’association A4 à Lannion en Bretagne ne seront plus saccagés avec menaces et couteaux plantés sur les tables…
Quand le soutien à la guerre génocidaire d’Israël en Palestine ne sera plus majoritaire en France, tolérée et encouragée dans les médias et par l’État…
Quand l’islamophobie d’État et tous les racismes institutionnels seront défaits, quand les luttes féministes et LGBTQIA+ ne seront plus menacées par les néofascistes et les réactionnaires, quand il n’y aura plus de colonies françaises comme en Kanaky ni de colonies de l’intérieur, quand l’écofascisme, le survivalisme, le suprémacisme blanc, la préférence nationale, toutes ces versions du néofascisme, auront été balayées, quand il n’y aura plus de Frontex ni de meurtres de masse en Méditerranée.
Et je finis par cela exprès bien sûr, quand la gauche, y compris la gauche dite radicale au Parlement, cessera d’être elle-même, au pire islamophobe, au mieux paternaliste et méprisante à l’égard des habitant.e.s et militant.e.s des quartiers populaires, quand nous aurons toutes et tous toute notre place dans les alliances électorales comme le Nouveau Front Populaire, et aussi à l’Assemblée nationale. Cette gauche, on ne l’a pas beaucoup vu dans la mobilisation contre la loi séparatisme, il y a des évolutions positives mais on est loin du compte, par exemple contre la Françafrique, ou les mobilisations, qui devraient être une priorité aujourd’hui, pour exiger la libération immédiate des camarades kanaks déportés et emprisonnés par l’État français…
Nous aurons battu les néofascistes quand la gauche sera hégémonique, mais aussi que seront majoritaires en son sein celles et ceux qui, les premier.e.s concernées, sur le terrain, se battent pour la justice, la vérité et toutes les égalités.
Et pour cela, construire l’alternative, donc ? C’est le moment d’être clair : une alternative globale a besoin d’organisations. D’organisations syndicales : syndiquez-vous ! D’organisations associatives et de collectifs. Mais aussi d’organisations politiques ! Il faut poser la question du pouvoir et des institutions pour une transformation révolutionnaire de la société, et c’est aussi à cela que servent les organisations politiques – avec des alliances bien sûr, pas toutes seules, etc.
Et dans la période particulièrement, on voit bien les limites des collectifs de collectifs, des réseaux de réseaux, des mouvements gazeux et verticaux sans ancrage de terrain, des partis électoralistes. Cela peut contribuer à repousser la catastrophe, mais cela ne suffit pas à construire l’hégémonie avec les premier.e.s concerné.e.s par l’exploitation sur le terrain – et on a vu encore le peu de place qui leur a été faite, y compris par la France Insoumise, dans les candidatures aux législatives en 2022 et en 2024.
On a besoin d’une organisation qui sache à la fois peser dans les élections, contribuer à des victoires institutionnelles, et empêcher l’expulsion de Moussa, le camarade sans papier du En Gare de Montreuil expulsé malgré la mobilisation de l’AG interluttes de Montreuil. Une organisation en capacité de batailler pied à pied dans les médias contre les fascistes et de faire le lien sur le terrain entre des luttes anti-impérialistes, entre les mouvements sociaux, les luttes des quartiers et les organisations politiques. Une organisation qui soit en capacité aussi, dans un moment d’instabilité politique comme cette semaine, d’encourager, relayer et amplifier la pression de la rue et des grèves sur l’Assemblée nationale et aussi sur le Nouveau Front Populaire pour arracher des mesures sociales immédiates (l’âge de la retraite, le SMIC, par exemple). Une organisation qui soit capable, donc, de conjuguer efficacité dans les batailles électorales, autodéfense populaire, solidarité concrète, renforcement des luttes et grèves, autoformation, élaboration programmatique en lien avec la construction d’un projet alternatif global pour un avenir désirable, contre notre système capitaliste, raciste, écocidaire, patriarcal, validiste, impérialiste,.
Les principaux partis du Nouveau Front Populaire, et y compris la principale composante qui est notre principal allié en son sein, la FI, ne fera jamais tout cela – ce n’est pas son projet. Nous avons besoin d’une nouvelle organisation politique écosocialiste et antiraciste pour faire cela, et il y a donc cette proposition, que nous portons avec d’autres, du processus constituant de l’Alternative, que nous proposons à toutes et tous. Bien sûr, tout le monde ne voudra pas participer à ce processus, il y a plusieurs agendas et propositions, c’est bien normal, et tant mieux il faut que ça bouillonne, même si nous pensons qu’il faut aussi urgemment rassembler et organiser nos forces pour peser dans les batailles politiques.
Cette construction politique doit se faire par en bas, à partir des luttes et de l’auto-organisation populaire. Et on voudrait pour finir insister sur les leçons des victoires et avancées déjà acquises. La gauche, plus ou moins radicale, social-démocrate et même social-libérale parle, a été obligé de parler d’islamophobie dans le programme du Nouveau Front Populaire, parce que des collectifs et organisations des quartiers populaires et antiracistes ont mené la lutte idéologique et sur le terrain avec ténacité, contre une adversité ultra violente, parce qu’il y a eu la Marche contre l’islamophobie du 10 novembre 2019, les luttes des familles et des alliés contre les violences policières, les initiatives et l’agenda de la Marche des Solidarités…, cela a été l’essentiel des luttes antifascistes concrètes ces dernières années.
Nous pouvons, nous devons, dans tous les cas, amplifier, renforcer ces luttes antifascistes de terrain, et aussi les mobilisations d’ampleur nationale comme celles du défilé internationaliste, antiraciste et antifasciste du 14 juillet, c’est notre tâche immédiate. Le temps manque pour parler de tous nos prochains rendez-vous militants, et il faut que nous en construisions d’autres ensemble, sans tarder : à très bientôt donc !