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Programme santé du FN/RN : les noces du racisme et du libéralisme
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
https://www.contretemps.eu/programme-sante-rn-racisme-liberalisme/
« Donner la priorité à la santé » était l’un des 8 points du programme du Rassemblement National à l’occasion des élections législatives de juin/juillet 2024. Les questions de santé et de protection sociale figuraient déjà en bonne place dans le projet de Marine Le Pen en 2022. Que laissent prévoir les propositions du FN/RN en matière de santé et de protection sociale s’il accédait au pouvoir ?
***
La santé : une préoccupation majeure des classes populaires
Les enquêtes d’opinion le confirment chaque année, la santé figure parmi les toutes premières préoccupations des classes populaires, souvent avant même le « pouvoir d’achat » ou l’«insécurité ».
Les difficultés financières pour accéder aux soins, l’impossibilité d’obtenir rapidement un rendez-vous chez un médecin ou à l’Hôpital, l’attente dans des services d’urgences surchargés, la disparition d’hôpitaux et de maternités de proximité, les difficultés de prise en charge des personnes âgées malades et dépendantes sont des soucis majeurs, pour les habitantEs des quartiers populaires, des petites villes et des campagnes.
Irene Frachon, pneumologue au CHU de Brest, lanceuse d’alerte dans le scandale du Médiator, analyse la poussée spectaculaire du FN/RN dans la région de Carhaix[1], dans le Centre Bretagne, où son travail la conduit depuis 15 ans.
« La région, excentrée par rapport aux grandes agglomérations, est devenue au fil des ans un « désert médical », chaque départ à la retraite d’un professionnel de santé est vécu comme une catastrophe, aux conséquences immédiatement concrètes pour les patients : plus de suivi, plus de prévention, plus de médicaments… Les urgences sont « régulées », c’est-à-dire gérées par le 15[2] avec, au bout des démarches, une forte probabilité de se retrouver installé des heures durant loin de chez soi, sur un mauvais brancard, au milieu de professionnels débordés et épuisés. La maternité, les blocs opératoires tiennent vaille que vaille au prix d’immenses difficultés. Les habitants vivent douloureusement les fléaux qui sont communs à « ceux qui ne sont rien ».
Côté santé, ce sont les ravages du tabac et de l’alcool, les ravages de la précarité des emplois et les conséquences de leur pénibilité, l’impact des conditions de logements insalubres. Les gouvernements successifs, sous l’ère d’Emmanuel Macron, ont démontré leur incapacité à résoudre ces graves difficultés et manifesté une méconnaissance, voire du mépris à l’égard des concitoyens les plus affectés. Il est alors tentant d’écouter ce qu’insinuent les cadres du FN/RN. Un rassemblement de rancœurs, de colères qui cible de façon hostile mais irrationnelle le bouc émissaire, « l’étranger ».[3] »
Le FN/RN cherche, avec succès, à transformer le sentiment d’abandon ressenti sur ces territoires, et – parmi les personnels hospitaliers – en vote pour ses candidatEs afin d’accéder au pouvoir. Pour y parvenir, il n’hésite pas à reprendre à son compte une partie des dénonciations et revendications formulées dans les luttes sociales et par la gauche sociale et politique. Il ne propose, pour autant, aucune alternative aux politiques libérales d’austérité et de privatisation pratiquées par E. Macron et ses prédécesseurs. Il prévoit, en réalité de les poursuivre et même de les aggraver.
La stratégie du FN/RN consiste à détourner l’attention des cause réelles de la crise du système de santé, en dévoyant la colère vers des boucs émissaires : les « étrangerEs » assimilés à des profiteurs ou des fraudeurs. Ils et elles seraient les premières cibles des politiques discriminatoires et racistes mises en place par un gouvernement du parti lepéniste. La « préférence nationale » revendiquée permet d’attiser les oppositions entre salariéEs et oppriméEs (eux-mêmes salariéEs), pour mieux continuer à appliquer les contre-réformes libérales, au détriment de toutes et tous. Dans la même perspective, le FN/RN tente de reporter, sur la « bureaucratie » hospitalière ou celle des ARS[4], les effets négatifs des politiques de marchandisation et de privatisation du système de santé, dont ils sont, en réalité, les exécutants.
Le FN/RN défenseur de l’Hôpital ?
Au lendemain de la crise du COVID, le programme de Marine Le Pen pour la présidentielle de 2022 affirmait : « La crise sanitaire [a] révélé les insuffisances de notre système de soins et la vulnérabilité des patients souffrant de maladies chroniques et de comorbidités ». Il soulignait la responsabilité de la politique menée par l’exécutif depuis 2017 : « Cette situation a été aggravée par les politiques menées par Emmanuel Macron depuis 5 ans, avec 18 000 fermetures de lits – une tendance qui a été poursuivie aveuglément, malgré la crise sanitaire. »[5]
En 2022, le programme présidentiel du FN/RN affirmait vouloir « redonner confiance à l’hôpital public en lui fournissant les moyens pour être efficace et en réformant sa gouvernance ». II préconisait un moratoire sur les fermetures de structures menacées ; un plan Hôpital de 2 milliards sur 5 ans ; le recrutement « en masse des personnels soignants pour combler les postes vacants » ; « Au moins 10.000 places supplémentaires […] ouvertes dans les Instituts de Formation en Soins infirmiers (IFSI) et les centres de formation d’aides-soignants » ; la revalorisation de leurs salaires avec une augmentation de 10% pour les infirmières.
Ces mesures devaient s’accompagner de la limitation des postes administratifs à 10% de l’effectif ; et du remplacement de la gouvernance hospitalière « produite par une bureaucratie qui pénalise la qualité des soins » par « une gouvernance bicéphale avec un directeur d’hôpital et un médecin ».
Enfin, en vue de « desserrer l’étau bureaucratique et de lever le carcan administratif » sur le système de santé, Marine Le Pen prévoyait la suppression des ARS (Agences Régionales de Santé) afin de redonner la main aux préfets sur les affaires sanitaires et sociales et « réaffirmer l’autorité de l’État dans le domaine de la santé »
Dans la perspective d’accéder au pouvoir à la suite des législatives de juin juillet 2024, le FN/RN a fortement édulcoré ce programme. Pendant sa campagne J. Bardella a mis deux mesures en avant : 1/ le moratoire sur la fermeture de structures menacées (ce qui ne garantit pas leur maintien ultérieur et ne concerne pas les structures déjà fermées) ; 2/ la suppression des A.R.S.
La volonté de donner des gages de responsabilité pour gagner la confiance des milieux patronaux et financiers s’est traduite par la mise en sourdine des mesures ayant un impact budgétaire (créations de postes, revalorisations salariales…). Elles disparurent dans l’attente d’un « audit »… qui aurait montré, selon Bardella, « une situation financière de quasi faillite ». Autant dire que l’amélioration des financements pour l’Hôpital et ses salariéEs, aurait attendu !
Quelle lutte contre les déserts médicaux ?
Tant Marine Le Pen en 2022 que J. Bardella en 2024 ont affirmé vouloir s’attaquer aux « déserts médicaux » : des territoires où, faute de médecins généralistes et spécialistes en nombre suffisant, il devient impossible d’avoir un suivi médical à proximité de chez soi et dans des délais acceptables. Face à ce mal qui s’aggrave de jour en jour avec la fermeture de cabinets qui ne trouvent pas repreneur, les solutions préconisées par le RN apparaissent dérisoires.
Toutes les tentatives d’incitation financière pour favoriser l’installation de praticiens dans les territoires manquant de médecins ont montré leur inefficacité. C’est pourtant la principale piste retenue par le FN/RN Dans la présentation de son programme, J. Bardella a préconisé une « rémunération basée sur des critères justes de responsabilité, de pénibilité et adaptée aux besoins des territoires », une formule floue qui ne l’engageait à rien et évitait de fâcher les médecins libéraux. Il a également avancé la remise au travail des retraités (médecins ou infirmiers), moyennant la suppression de leur impôt sur le revenu.
De telles mesurettes sont sans rapport avec la profondeur du mal à traiter. A l’inverse, la volonté raciste du FN/RN de « réduire drastiquement le recours aux médecins ayant obtenu leur diplôme hors de l’Union européenne »[6] aggraverait à court terme la pénurie médicale là où elle est déjà la plus forte. Les autres propositions faites par le FN/RN (développement de la télémédecine ou des infirmierEs en pratique avancées) ne diffèrent pas de celles du pouvoir actuel.
Un grand absent : le financement des soins
Un point essentiel reste absent du programme du FN/RN et des déclarations de ses responsables : les barrières financières pour accéder aux soins. Alors qu’une personne sur quatre renonce à des soins, ou les reporte pour des raisons financières, le parti qui prétend faire de la « défense du pouvoir d’achat » sa priorité reste étrangement silencieux.
Un véritable accès au soin suppose aujourd’hui une mutuelle ou une assurance complémentaire santé. Leurs tarifs se sont envolés au cours des dernières années[7]. Ces hausses considérables sont autant de ponctions sur un pouvoir d’achat déjà en berne. Elles contraignent les patients aux revenus limités, à se rabattre sur une protection minimum couvrant mal leurs frais de santé. L’inégalité face aux soins s’en trouve accrue.
Dans le contexte d’obligation de la complémentaire santé d’entreprise, les salariéEs ne maitrisent ni les coûts, ni le niveau de leur couverture santé. Quant aux retraitéEs, leur budget santé est de plus en plus élevé, alors que leurs pensions stagnent. Rien à ce sujet n’apparait dans le programme du FN/RN. Le programme du FN/RN ne parle pas davantage de l’explosion des dépassements d’honoraires, alors que le nombre de médecins (principalement spécialistes) qui les pratiquent est en constante augmentation[8].
Le FN/RN reste enfin très discret sur les « franchises médicales », part des soins restant à la charge du patient dont le doublement a été décidé récemment par l’ancien gouvernement dirigé par G. Attal avec le soutien public d’E. Macron[9].
Un silence très éloquent
Le silence du FN/RN sur ces questions est le révélateur de ce qu’il cherche à cacher : son adhésion aux politiques libérales d’austérité et de privatisation de la santé.
L’augmentation des dépenses de santé restant à la charge du patient (ou de son assurance), est la conséquence du manque de financement de la Sécurité sociale. En couvrant intégralement les dépenses de santé, la Sécurité sociale (Assurance Maladie) pourrait, selon la formule consacrée, permettre à chacunE, ayant contribué selon ses moyens, d’accéder aux soins selon ses besoin. Mais, pour le FN/RN, comme pour les autres forces politiques libérales, les cotisations sociales, part socialisée du salaire versée obligatoirement par les employeurs, sont des « charges » qui « pèsent » sur les entreprises et qu’il faut diminuer ou supprimer afin de « réduire le coût du travail ». Les conséquences sont inévitables : insuffisance de financement de l’hôpital public et augmentation de la part non remboursée des soins.
Dans son programme pour les législatives, J. Bardella, entendait poursuivre dans la voie tracée par Macron/Le Maire et leurs prédécesseurs. Il incitait les patrons à augmenter le salaire direct de 10%, en leur promettant une compensation par une exonération de cotisations sociales pendant cinq ans, c’est à dire en réduisant délibérément les ressources de la Sécurité sociale. Dans la même lignée, il entendait poursuivre la « lutte contre les déficits » et « remettre de l’ordre dans nos finances », non en augmentant les recettes de la protection sociale mais en taillant dans ses dépenses.
Faute de financement, les mesures annoncées par le FN/RN en faveur de l’hôpital (formation de professionnels de santé, augmentation des rémunérations hospitalières) ne sont qu’un leurre. Comme ses prédécesseurs le FN/RN les aurait inévitablement reportées ou édulcorées, pour « ne pas creuser les déficits » et « ne pas pénaliser nos entreprises ».
La stratégie du bouc émissaire
La politique de santé du FN/RN consiste à camoufler cette orientation libérale dont l’ensemble des classes populaires seraient les victimes derrière une politique raciste, revendiquée, de discrimination : la « préférence nationale ». Elle consiste à priver une partie de la population vivant en France de certains droits sociaux, dont l’accès aux soins.
Le projet santé de Marine Le Pen pour 2022, offre un bon exemple de l’opération de dévoiement à laquelle se livre le FN/RN.
Il commence par dénoncer la réduction des lits hospitaliers, choix politique des gouvernements libéraux sans lien avec l’immigration : « 100.000 lits ont été fermés ces 20 dernières années : cela correspond à une réduction de 25 %. Entre 2000 et 2020, la France est passée de 485 000 à 386 000 lits d’hôpital »[10]. Mais il ajoute immédiatement : « alors que dans le même temps les dirigeants français faisaient le choix d’une immigration massive, ce qui a entrainé une augmentation importante du nombre des patients à prendre en charge. »
Cet ajout permet d’insinuer, sans le prouver, que « l’immigration massive » serait l’une des causes fondamentales de la crise du système de santé. Le combat contre la « subversion migratoire », et les mesures punitives vis-à-vis des immigréEs peuvent dès lors, pour le RN, se substituer à la nécessaire rupture avec les politiques d’austérité qu’il n’a aucune intention d’engager.
S’il est vrai, comme l’établit un document de l’INSEE[11] que les immigréEs touchent en moyenne, proportionnellement, une part plus grande des prestations sociales (12%) que les descendants d’immigréEs (10%) et les personnes sans ascendance migratoire (5%) c’est pour une raison peu enviable, qu’établit cette enquête. Elle montre que « 31,5% des immigréEs ont un niveau de vie inférieur au seuil de pauvreté monétaire, [un taux] près de 3 fois plus élevé que celui des personnes sans ascendance migratoire ».
En clair, c’est parce que leurs revenus sont très faibles que les immigréEs bénéficient davantage de la protection sociale. Ce qu’omet, en revanche, de dire le FN/RN, c’est que contrairement aux idées reçues, les immigrés cotisent davantage à la protection sociale que le reste de la population[12]. Le journaliste Vincent Grimault[13] a ainsi pu établir qu’un habitant de Seine Saint Denis, département avec une forte proportion de personnes immigrées, apporte, en moyenne, par ses cotisations sociales 9343 € à la protection sociale, un niveau que seuls 6 départements dépassent[14].
Au mépris des faits, l’idéologie raciste et xénophobe du FN/RN tente de rattacher l’insuffisance du financement du système de santé par la Sécurité sociale à des causes fantasmées : une « fraude sociale » massive dont se rendraient coupables les immigréEs ou le coût de l’Aide Médicale d’État dont bénéficient les étrangerEs en situation irrégulière.
Vous avez dit « fraudeurs » ?
La fraude sociale est présentée comme élément central d’un « vol des Français », qui justifierait, selon le FN/RN la création d’un ministère à part entière et la mise en place de dispositifs très coûteux comme la carte vitale biométrique. C’est, en réalité, un phénomène marginal.
Loin des chiffres souvent extravagants, avancés, la fraude sociale dans ses différentes dimensions peut être évaluée à environ 10 à 12 milliards[15]. Elle est sans commune mesure avec la fraude fiscale, sport favori des ultra-riches et des grandes entreprises, évaluée entre 80 et 100 milliards à laquelle s’ajoute « l’optimisation fiscale » légale ou aux limites de la légalité permettant aux mêmes d’échapper à l’impôt.
La fraude sociale proprement dite, doit être attribuée en premier lieu au travail dissimulé par les employeurs afin de ne pas verser les cotisations sociales qu’ils doivent. Elle est estimée entre 5,6 et 7,1 milliards d’euros[16], les immigréEs, comme les autres salariés, en sont les victimes et non les acteurs.
Les fraudes à l’assurance maladie, sont largement imputables aux professionnels de santé (entreprises ou professionnels libéraux) qui surfacturent des soins ou pratiquent des soins inutiles, au détriment de leurs patients. Elles sont commises par des médecins, infirmiers, kinésithérapeutes, pharmaciens et transporteurs de patients et représentent un montant estimé entre 1,1 et 1,3 milliard d’euros, soit 3 à 7 % des dépenses d’assurance maladie concernées. Elles sont également sans lien avec l’immigration.
Sur les 466 millions d’euros de fraude décelés par la Caisse nationale d’assurance maladie seulement 19,5 % concernaient les patients. Or c’est cette fraude là que vise avant tout le FN/RN (rejoint désormais par la droite et la Macronie). C’est contre elle qu’il entend, s’il arrive au pouvoir, déployer un arsenal répressif visant en premier lieu les immigréEs.
La fraude sociale est estimée entre 2,2 et 3,3 milliards, soit environ 0,3% des 849 milliards d’euros que la France consacrait à la protection sociale en 2022. Ajoutons enfin que le taux très élevé des prestations sociales non réclamées par celles et ceux qui y ont droit, infirme, lui aussi la thèse d’un « guichet social » ouvert aux pauvres du monde entier.
En matière de santé, l’objectif central du FN/RN est la suppression de l’Aide Médicale d’État (AME)[17]. Elle permet aux étrangerEs en situation irrégulière présentEs depuis 3 mois en France et ayant un revenu mensuel inférieur à 847 € d’accéder à un minimum de soins.
Le FN/RN dénonce un « appel d’air » créé par ce dispositif qui pousserait en masse les migrants à venir profiter du système de santé français, ce que démentent les statistiques : 49% des personnes qui ont droit à l’AME n’en bénéficient pas[18]. La supprimer ne serait pas seulement priver une partie de la population d’un droit fondamental, et établir une discrimination scandaleuse entre les personnes résidant en France ; ce serait aussi mettre en danger la santé de toute la population.
L’État espagnol a pratiqué cette politique, avant de d’y renoncer face à ses conséquences catastrophiques : une mortalité augmentée de 22 % pour les sans-papiers en 3 ans ! De plus, laisser des personnes devenir très malades et ne soigner que les cas d’urgence, coûte en réalité plus cher que des soins donnés à temps. Refuser de soigner une partie de la population est non seulement criminel pour les premiers concernés, mais c’est aussi mettre en danger la santé de tous. Faute de soins, cela favoriserait la diffusion des maladies infectieuses (hépatites, VIH…).
Outre son aspect inhumain, l’argument économique en faveur de la suppression de l’AME est lui aussi absurde. Elle coûte un peu plus d’un milliard d’euros. C’est moins d’1/200ème des dépenses d’assurance maladie (221 milliards en 2022).
Les causes du manque de moyens du système hospitalier et des remboursements insuffisants des soins ne se situent ni dans la « fraude », ni dans les coûts de l’AME, mais dans le manque de financement sciemment organisé de la Sécurité sociale.
Au cours des 30 dernières années, le taux des cotisations sociales dites « patronales » n’a pas seulement été bloqué, il n’a cessé de diminuer avec la multiplication des exonérations de cotisations sociales. Ces exonérations qui étaient de 25,5 milliards d’euros en 2013 ont atteint en 2023 le montant de 87,9 Milliards, notamment grâce au CICE instauré par F. Hollande et pérennisé par E. Macron sous forme d’exonération définitive de cotisations.[19]
La faute aux ARS et à la bureaucratie ?
L’autre manière, pour le FN/RN de détourner l’attention des véritables causes de la crise du système de santé, consiste à attribuer les effets des politiques libérales d’austérité, de marchandisation et de privatisation de la santé à la « bureaucratie » administrative des hôpitaux et des Agences Régionales de Santé, qui en est l’exécutante.
Le programme du FN/RN pour la présidentielle de 2022 affirmait : « L’approche administrative et financière des ARS a pris le pas sur les questions médicales, en faisant peser sur les soignants le poids permanent de la dictature des indicateurs chiffrés, au détriment du temps passé à soigner »[20]. Pour y mettre fin, Marine Le Pen en 2022 et J. Bardella en 2024, prévoyaient la suppression pure et simple des ARS : « Afin de réaffirmer l’autorité de l’État dans le domaine de la santé, la tutelle des hôpitaux sera de nouveau confiée aux préfets de région à travers les Directions régionales des affaires sanitaires et sociales »[21].
Les Agences Régionales de l’Hospitalisation, devenues Agences Régionales de Santé (ARS)[22], ont pour fonction de répartir et d’attribuer dans chaque région les crédits, votés dans le cadre des lois de financement de la Sécurité sociale, aux établissements hospitaliers et médico-sociaux (publics et privés), et à la médecine de ville, d’y répartir et d’y organiser les activités de soins.
Loin d’être autonomes les ARS ont été créées pour être un outil d’application directe des mesures d’austérité, des restructurations hospitalières, des privatisations décidées chaque année par le pouvoir politique dans le cadre de loi de financement de la Sécurité sociale. Les directeurs d’ARS sont nommés en conseil des ministres et rendent quotidiennement des comptes au gouvernement. Ils sont pour cette raison considérés comme des « préfets sanitaires ».
Il est donc absurde, comme le préconise le RN prétendre « restaurer l’autorité de l’État » en revenant à la situation antérieure avec une tutelle des préfets de région et des DRASS.
La suppression des ARS n’aurait de sens que si elle s’inscrivait dans la perspective de redonner démocratiquement le pouvoir aux assurés sociaux pour contrôler directement leur protection sociale et leur système de santé, au moyen d’une démocratie sanitaire participative. Cela implique la fin de la mainmise de l’État sur la protection sociale, et en particulier du vote des lois de financement de la sécurité par sociale par le parlement. Une perspective aux antipodes de celle du RN.
La suppression des ARS, et de la gestion « administrative » du système de santé, n’auraient dans l’optique qui est celle du RN d’autre signification que d’alléger encore ou de supprimer les « contraintes » c’est-à-dire les contrôles imposés au secteur privé. Ce serait encore aggraver les dérives d’un système soumis à la loi du profit[23].
Quant à la réduction du personnel administratif des hôpitaux censé être trop nombreux dans les hôpitaux, comme le souligne Nicolas Da Silva[24], « d’après les statistiques de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) pour l’année 2020, la part de l’emploi administratif dans l’hôpital public était de 10,04 %. Pour arriver au seuil de 10 %, il fallait supprimer 455 emplois sur 107 524 postes administratifs et 1 070 691 postes au total. On a du mal à imaginer en quoi la suppression de 0,042 % des emplois dans l’hôpital public pourrait améliorer les conditions de travail du personnel ou l’accueil des patients ».
On ne voit pas davantage comment la « gouvernance » hospitalière serait modifiée, par les propositions du FN/RN : « Les hôpitaux auront une gouvernance bicéphale, partagée entre le directeur d’hôpital pour les aspects administratifs et un médecin pour les questions médicales. Cette gouvernance bicéphale s’appuiera sur un projet dont les objectifs seront fixés par un contrat défini par les Directions régionales des affaires sanitaires et sociales ».
Un médecin apporterait sa caution à la mise en application des politiques d’austérité, sans que cela change le « management hospitalier » calqué sur le modèle du privé, instauré pour réduire le personnel en augmentant sa « productivité ».
La politique raciste, anti-migrantEs du FN/RN aurait, par contre un effet catastrophique sur le fonctionnement de l’hôpital et le menacerait d’effondrement complet à court terme. Car si les électeurs du FN/RN peuvent encore aujourd’hui accéder aux soins dans de nombreux établissements hospitaliers, ils le doivent à la présence des Praticiens A Diplôme Étranger Hors Union Européenne (PADHUE) sans lesquels les hôpitaux cesseraient de fonctionner. Leur situation est aujourd’hui précaire et indigne. Elle deviendrait intenable, avec l’arrivée au pouvoir du FN/RN qui a d’ores et déjà exprimé sa volonté de « réduire drastiquement » leur nombre, et qui décuplerait le climat et les actes racistes.
Entre lobbies privés et santé de la population : le choix du FN/RN
La Sécurité sociale n’est pas seulement insuffisamment financée, du fait des exonérations de cotisations, elle sert aussi de « vache à lait » pour garantir les profits des entreprises privées du secteur : laboratoires pharmaceutiques, mais aussi cliniques privées, cabinets de radiologie, laboratoires d’analyse médicale, pharmacies et désormais cabinets médicaux, de plus en plus aux mains d’un capitalisme sanitaire et de groupes financiers cotés en bourse.
Discret en paroles sur tous ces sujets, le FN/RN l’est beaucoup moins dans sa pratique. Ses députés ont déployé, au cours de la précédente législature une grande activité au service des lobbies privés de la santé, comme l’a montré l’enquête du journaliste Clément Guillou publiée par le journal Le Monde[25].
Sophie Dumont, ancienne secrétaire générale des industries de santé (l’une des 10 plus grosses fédérations du MEDEF) a mis, en tant que conseillère parlementaire du groupe parlementaire FN/RN, son carnet d’adresses au service de celui-ci pour favoriser les relations entre le parti d’extrême droite et les lobbies de la santé. Ainsi, selon C. Guillou : « le directeur des affaires publiques des entreprises du médicament, le lobby de l’industrie pharmaceutique, affirme avoir été approché par Sophie Dumont lors d’une audition en vue de préparer le PLFSS 2024, afin de lui transmettre des amendements ».
Quant à Joelle Melun, médecin et députée RN des bouches du Rhône elle a défendu les amendements souhaités par les laboratoires pharmaceutiques contre la vente à l’unité des médicaments génériques, ainsi que l’exonération des laboratoires pharmaceutiques produisant des médicaments génériques de la « contribution M », une taxe sur le chiffre d’affaires de ces laboratoires. La FN/RN a beau prétendre faire de la lutte contre la fraude une « priorité » ; dans la réalité il a défendu des amendements s’opposant à la lutte contre la fraude sociale des professionnels de santé.
Tracer une alternative politique et sociale et modifier les rapports de force : le défi à relever par le mouvement social et le Nouveau Front Populaire
Combattre sans concession les impostures du programme du FN/RN en matière de santé, en montrer les conséquences inhumaines et les impasses, la dangerosité sociale autant que politique est une nécessité. Il ne faut pourtant pas se le cacher, il ne suffira pas de démonstrations rationnelles et argumentées pour endiguer la montée du vote d’extrême droite et éviter l’accession du RN au pouvoir.
Rendre « résistible » l’accession du FN/RN suppose d’offrir une alternative à laquelle adhèrent celles et ceux qui subissent la précarité, la dégradation des services publics et de la protection sociale.
La tentation « d’essayer » le FN/RN, a un fondement matériel : le déclassement et le désespoir des classes populaires qui vivent, au quotidien, les effets des contre-réformes libérales et à qui tous les partis institutionnels expliquent depuis des décennies « qu’il n’y a pas d’alternative ». La santé et la protection sociale en sont l’une des illustrations les plus criantes. Ce sont probablement les domaines où la continuité a été la plus grande depuis le plan Juppé en 1995 entre les gouvernements « de droite », « de gauche » ou du « centre ».
A aucun moment la « gauche » convertie au libéralisme n’a remis en cause les contre-réformes de ses prédécesseurs. Le gouvernement Jospin-Aubry[26] a poursuivi l’application du « plan Juppé » ; le ministre de la santé de l’époque, B. Kouchner le considérant comme un « horizon indépassable ». Quant à F. Hollande et sa ministre Touraine, ils aggravèrent encore avec le CICE et la « loi Touraine » les réformes de l’ère Sarkozy/Bachelot qui furent poursuivies par Macron/Buzyn/Bachelot.
Il n’y a de possibilité d’enrayer la montée du FN/RN que si le mouvement ouvrier s’affirme clairement comme porteur d’une rupture avec ces politiques. C’est le défi que doit aujourd’hui relever le Nouveau Front Populaire, dont le programme santé et protection sociale, est, à l’étape actuelle une page (presque) blanche. Le NFP ne regagnera la confiance de celles et ceux qui sont tentés par le FN/RN qu’en rejetant sans ambiguïté les politiques libérales, et les compromissions avec la droite et le « centre », en se battant pour un programme garantissant à toutes et tous, sans barrière financière l’accès à un service de santé proche et de qualité, et une véritable protection sociale pour toutes et tous (retraites, chômage, santé).
Il n’y a pas non plus de possibilité d’enrayer la montée du FN/RN sans victoires sur ces questions décisives. Elles ne peuvent l’être sans mobilisation sur le terrain social. Les défaites subies en 2003, 2010, 2023 sur les retraites, malgré la massivité et la durée de ces luttes, en témoignent. Elles sont un élément déterminant de la forte progression du FN/RN. L’échec de la mobilisation de 2023, en renforçant le sentiment d’impuissance et l’écœurement a pesé lourd dans la progression du vote FN/RN lors des européennes puis des législatives de 2024.
C’est seulement en offrant une perspective politique unitaire et radicale, et en les faisant vivre dans les luttes, que le nouveau front populaire et le mouvement social pourront relever ce défi et rendre « résistible » l’ascension du FN/RN.
*
Note : cet article a délibérément limité son objet à la question du système de santé, de son organisation et de son financement, alors que l’arrivée au pouvoir du FN/RN aurait un impact sur d’autres questions essentielles : santé des femmes, droit à l’IVG, santé des personnes LGBTQI+, psychiatrie, dépendance et droit de mourir dans la dignité qui devront être abordées dans d’autres contributions.
Illustration : Photothèque Rouge / Copyright : Martin Noda / Hans Lucas.
Notes
[1] 30% de vote RN au premier tour des législatives le 30 juin 2024.
[2] Numéro d’appel d’urgence.
[3] Tribune dans L’Humanité le 25 juin 2024.
[4] Agences Régionales de Santé.
[5] https://rassemblementnational.fr/documents/projet/projet-la-sante.pdf
[6] Projet santé de Marine Le Pen p. 15.
[7] En 2024, selon la mutualité française, les hausses, seraient, en moyenne, de 8,1 % et pourraient atteindre 12,5 % pour certains contrats. C’est plus du double de l’inflation prévue. Elles s’ajoutent aux augmentations de près de de 5 %, en 2023. Selon l’association UFC-Que Choisir ? les tarifs des complémentaires santé avaient augmenté de 47 % entre 2006 et 2017, passant, en moyenne, de 468 euros à 688 euros par personne soit 3 fois l’inflation.
[8] Selon une autre enquête de l’UFC Que Choisir ?, le pourcentage des spécialistes pratiquant ces dépassements est passé à 52,2% en 2021, en augmentation de 6,4 points depuis 2016. Le « reste à charge », qui doit être acquitté soit par le patient, soit par sa mutuelle (à condition d’être bien couvert), favorise le renoncement aux soins.
[9] 1 € au lieu de 50 cts par boite de médicaments et par acte effectué par un auxiliaire médical, 4 € au lieu de 2 pour les transports sanitaires (sachant qu’un aller-retour est considéré comme 2 trajets). Quant à la participation forfaitaire à toutes les consultations ou actes réalisés par un médecin, aux examens radiologiques et analyses de biologie médicale elle passe de 1 € à 2 €. Elle est plafonnée à 8 € par jour.
[10] Programme santé de Marine Le Pen p. 11.
[11] Immigrés et descendants d’immigrés : niveau de vie et pauvreté monétaire : https://www.insee.fr/fr/statistiques/6793242?sommaire=6793391
[12] Sans compter ceux qui ne le font pas soit parce qu’il leur est interdit de travailler légalement (demandeurs d’asile), soit parce que leurs employeurs profitant de leur statut précaire ne les déclarent pas (voir ci-dessous)
[13] Les éléments chiffrés fournis ici proviennent de l’article de Vincent Grimault « Contre vérité N°3 du RN : la France est un guichet social pour les immigrés ».
[14] Paris, Hauts-de-Seine, Yvelines, Rhône, Haute-Garonne et Alpes-Maritimes.
[15] Sources : Alternatives économiques
[16] Idem.
[17] Là aussi rejoint par la droite et une partie de la Macronie.
[18] Etudes de l’IRDES considérée comme fiable (y compris par le ministère de l’Intérieur !).
[19] Exonérations records pour les entreprises.
[20] Programme santé de Marine Le Pen 2022 p. 8.
[21] Programme santé de Marine Le Pen 2022 p. 8.
[22] Les ARH ont été créées dans le cadre du « Plan Juppé » en 1995. Ce plan constituait une attaque cohérente et globale contre la protection sociale et le système de santé. Il a provoqué les des grandes grèves de novembre et décembre 1995. Les ARH, qui n’avaient en charge que les établissements hospitaliers publics et privés sont devenues ARS en 2009 avec la réforme Sarkozy/Bachelot. Celle-ci a étendu leur champ d’action au secteur médico-social et social et à la médecine de ville.
[23] Le scandale des EHPAD du groupe Orpea révélé par le livre Les fossoyeurs en a montré les effets.
[24] Nicolas Da Silva, « Le RN et la santé : austérité mépris social et xénophobie ».
[25] Clément Guillou : « Comment le RN fait la cour aux lobbys du bâtiment, du tabac ou de la santé ».
[26] Avec la participation du PCF.