Agenda militant
Ailleurs sur le Web
- Procès de Georges Ibrahim Abdallah : la victoire est-elle proche ? (26/12)
- Île Maurice : la volonté de changement (26/12)
- Le socialisme dans un seul pays (26/12)
- Quel avenir pour la France insoumise ? (26/12)
- Les changements tectoniques dans les relations mondiales provoquent des explosions volcaniques (26/12)
- Un nouveau château de cartes (26/12)
- Le syndicalisme de Charles Piaget (26/12)
- Nabil Salih, Retour à Bagdad (26/12)
- La Syrie est-elle entre les mains d’Erdoğan ? (26/12)
- L’UE encourage l’exploitation du lithium en Serbie avec un grand cynisme (26/12)
- Le contrôle territorial d’Israël s’étend-il vers la Syrie ? (26/12)
- Scrutin TPE – Très Petite Élection (26/12)
- Une étudiante ingénieure déchire son diplôme en pleine cérémonie en protestation contre l’industrie d’armement (26/12)
- Des étudiants en lutte pour la paix : blocage historique à Tolbiac Paris I (24/12)
- Aurélie Trouvé sur RTL ce lundi (23/12)
- RÉVÉLATIONS DE MARC ENDEWELD SUR MACRON ET SON ENTOURAGE (23/12)
- La Grèce sous Kyriakos Mitsotakis: de la frustration sociale à la crise politique (23/12)
- Syrie : “Entre discours réformiste et répression réelle : Comment HTS a géré les manifestations à Idlib” (23/12)
- Contre les GAFAM, redécouvrir Jacques Ellul (23/12)
- Dialogue avec Benjamin Lemoine: les fonds vautours à l’assaut de la dette mondiale (23/12)
- Le cyclone Chido et la responsabilité de l’impérialisme français (22/12)
- Aurélie Trouvé sur France Info (22/12)
- Entretien avec Aymeric Caron - Palestine, antispécisme et journalisme (22/12)
- SNCF. Grèves partielles, unité de façade... : après l’échec du 12 décembre, tirer les bilans stratégiques (21/12)
- Décès de notre camarade Jean Puyade (20/12)
Syrie : “Entre discours réformiste et répression réelle : Comment HTS a géré les manifestations à Idlib”
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Pour tenter de réprimer le mouvement dans le nord de la Syrie, les HTS ont eu recours à une violence excessive contre les manifestants et ont procédé à des arrestations arbitraires à grande échelle
Contexte
Le 13 septembre 2024, le gouvernorat d’Idlib, dans le nord-ouest de la Syrie, a connu une vague de manifestations à grande échelle, qui s’est déroulée dans la ville d’Idlib, ainsi qu’à Killi, Binnish, Qurqania, Kafr Takharim et Armanaz, dans la campagne du gouvernorat. Les manifestations se sont étendues à des zones de la campagne occidentale d’Alep.
Ces manifestations s’inscrivent dans la continuité d’un mouvement populaire qui a débuté il y a environ sept mois, plus précisément fin février 2024, contre Hay’at Tahrir al-Sham (HTS) et son chef Abu Muhammad al-Jawlani, tous deux inscrits sur des listes de terroristes, exigeant le renversement d’al-Jawlani.
HTS a été fondé sous la direction d’al-Jawlani en janvier 2012 sous le nom de Front al-Nusra pour le peuple du Levant, affilié à l’organisation djihadiste mondiale al-Qaïda.
Le HTS contrôle de vastes zones dans le nord-ouest de la Syrie, réparties entre Idlib et des zones situées dans la campagne d’Alep et de Lattaquié. Plus de 4,5 millions de personnes vivent dans la seule région d’Idlib, dont la plupart sont déplacées, selon Médecins sans frontières.
À Idlib, le HTS contrôle la situation militaire et sécuritaire par l’intermédiaire de son aile militaire et du service de sécurité générale (GSS). Il contrôle également les aspects liés aux services et à l’administration, par l’intermédiaire du Gouvernement syrien du salut (SSG), sa façade civile. Le HTS a atteint cet état de contrôle en 2019, après avoir éliminé la concurence des autres factions militaires de la région.
Cet état de domination s’est accompagné de restrictions sécuritaires, administratives et juridiques à Idlib, au milieu de plusieurs violations des droits de l’homme à l’encontre de la population qui n’ont pas été comptabilisées. La réponse à ces restrictions s’est limitée à quelques manifestations de civils au cours des dernières années, dont la principale revendication était que les HTS quittent Idlib, sans que cela ne porte préjudice à al-Jawlani. Les HTS y ont répondu en arrêtant certains des participants sans mandat judiciaire, arrêtant ceux qui les critiquaient sur les médias sociaux ou ouvrant le feu pour disperser la foule.
En l’absence de réaction civile significative aux violations, l’opposition au pouvoir de HTS s’est limitée à des aspects idéologiques, et au Hizb ut-Tahrir (Parti de la libération, LP) qui “promeut un discours appelant à la restauration du califat islamique”. Le HTS a fait face à l’activité du LP par des campagnes d’arrestations massives en 2023, qui ont souvent été suivies de manifestations des épouses des détenus demandant la libération de leurs maris et “la chute d’al-Jawlani”.
Sur le plan interne, l’autorité du HTS est également restée stable, jusqu’à ce qu’il entame, au deuxième trimestre 2023, une série d’arrestations de membres éminents du personnel de sécurité et de dirigeants dans ses rangs, sous l’accusation d'”espionnage pour le compte de pays étrangers et d’utilisation abusive des communications”.
Parmi les détenus se trouvait son ancien chef irakien, Abu Maria al-Qahtani, qui a été détenu pendant six mois avant d’être libéré en mars 2024, pour être tué en avril 2024, lorsqu’un kamikaze s’est fait exploser dans sa maison d’hôtes à Sarmada, dans la campagne d’Idlib. La libération d’al-Qahtani et d’autres détenus est intervenue après qu’al-Jawlani a cédé à la pression de leurs partisans au sein du HTS, d’autant plus que la campagne d’arrestation a été décrite comme “la crainte ou l’anticipation d’un coup d’État que le dirigeant irakien préparait”.
- Al-Qahtani était le responsable du HTS chargé de la communication avec les forces extérieures, telles que les factions de l’Armée nationale syrienne (ANS), ainsi que des accords d’échange de prisonniers avec le gouvernement syrien et d’autres parties au conflit.
Le HTS s’est efforcé de clore le dossier “espionnage” en février 2024, alors qu’al-Jawlani s’engageait à demander des comptes à ceux qui avaient commis des violations, y compris des actes de “torture”, à l’encontre des détenus. Cependant, les troubles internes au sein du HTS et les opérations d’arrestation – avec l’absence de statistiques sur le nombre de détenus ou de personnes libérées – ont été à l’origine des dernières manifestations contre le HTS.
Ces manifestations ont commencé lorsqu’une famille a appris la mort de son fils le 24 février 2024, des suites de tortures dans l’une des prisons du HTS, après qu’il avait été détenu pendant environ dix mois pour les mêmes chefs d’accusation.
La victime, Abdul Qader al-Hakim, connu sous le nom d'”Abu Obeida Tal Hadya”, était membre de la faction Jaysh al-Ahrar, soutenue militairement par le HTS car une des factions incluses dans le groupe opérationnel al-Fath al-Mubin que le HTS dirige.
Abu Obeida a été arrêté par le GSS en avril 2023, en raison de désaccords avec l’une des factions du HTS qui contrôlait la campagne nord d’Alep à l’époque, car il refusait de laisser ses membres entrer dans son village, Tal Hadya, pour arrêter des personnes, selon les déclarations des sources à Enab Baladi.
Selon Enab Baladi, la famille de la victime a refusé d’organiser les funérailles de leur fils sans son corps. Les HTS les ont donc dirigés vers la tombe de la région de Sheikh Bahr, dans la campagne occidentale d’Idlib, où le jeune homme a été enterré. Un groupe militaire de Jaysh al-Ahrar a transporté le corps, conduit les cortèges de deuil dans plusieurs zones de la campagne d’Idlib, et l’a réinhumé dans la partie orientale de la ville.
Les personnes qui se sont jointes aux cortèges ont crié des slogans contre le HTS et son chef, alors que la colère régnait parmi les habitants de Tal Hadya et de la campagne méridionale d’Alep en général, surtout après qu’il est apparu que le HTS avait préparé une tombe et une pierre tombale avec le nom du jeune homme et une date de décès récente, de sorte que sa mort a été marquée comme si elle s’était produite après que le sort de la victime a été révélé.
La colère s’est étendue à d’autres zones d’Idlib. Le 25 février, cette colère s’est transformée en un mouvement massif, les manifestants descendant dans la rue tous les vendredis. La première manifestation a eu lieu au rond-point principal de Sarmada. Bien que les manifestations aient été pour la plupart pacifiques et civiles, certaines ont été infiltrées par des groupes ayant des objectifs spécifiques, tels que la LP.
Dans ce rapport, le STJ fait la lumière sur les manifestations et les demandes des manifestants dans les zones contrôlées par les HTS, et sur la réponse des HTS à ce mouvement civil sans précédent, sur la base de six entretiens avec des militants et des manifestants originaires d’Idlib ou y résidant. Deux de ces manifestants ont été arrêtés en raison de leur activisme pacifique.
Lors de l’obtention de leur consentement, les sources ont été informées de la nature volontaire de l’entretien et de la manière dont les informations qu’elles ont communiquées seraient utilisées, notamment pour la publication du présent rapport. Toutes les sources ont demandé à ce que leur identité et d’autres informations permettant de les identifier ne soient pas divulguées, en raison de craintes de représailles potentielles de la part des services de sécurité affiliés à HTS. Par conséquent, le STJ a utilisé des pseudonymes pour les désigner.
Le STJ a documenté l’implication de HTS dans des disparitions forcées au motif d'”espionnage”, et contre ceux qui le critiquent. En 2015, un militant a notamment été arrêté et son sort est resté inconnu jusqu’en 2021, date à laquelle sa famille a appris qu’il était détenu dans l’une des prisons du HTS à Idlib.
Causes et revendications des manifestations
Les activistes et les manifestants interrogés par le STJ dans le cadre de ce rapport ont mis en lumière la situation dans les villes sous le contrôle de HTS. Ils ont indiqué la série de pratiques répressives qui ont affecté la population dans chaque zone, don’t le nombre a incité les résidents à protester.
Hazem al-Abdullah,[1] l’un des militants du mouvement de Kafr Takharim, a déclaré que les raisons des manifestations remontent à 2019, lorsque le HTS a pris le contrôle de la Légion Faylaq al-Sham/Sham et a monopolisé la sécurité, l’armée, les services, les secours et les aspects institutionnels. Il a ajouté :
“Ils ont commencé à exercer une pression importante sur les habitants de la ville qui s’opposaient à leur contrôle, notamment en arrêtant les personnalités révolutionnaires qui contestaient leur présence et leur autorité, en privant les boulangeries de farine, en contrôlant l’eau potable de la ville (en réduisant les allocations aux quartiers et aux maisons habités par des opposants) et en fermant les institutions révolutionnaires (c’est-à-dire celles qui ont été créées après la libération de la ville des forces gouvernementales syriennes), dont l’objectif était de fournir des services aux habitants. En outre, ils ont fermé l’Université de médecine, qui comptait environ 600 étudiants, en raison de son affiliation au gouvernement intérimaire syrien, et bien d’autres encore”.
Hazem explique que les gens n’ont pas résisté aux violations par crainte d’être arrêtés. Cependant, les récentes manifestations dans d’autres villes d’Idlib les ont incités à revendiquer. C’est ainsi que la ville a été le théâtre d’une première manifestation le 8 mars 2024, au cours de laquelle les manifestants ont revendiqué leurs droits :
“L’abolition des taxes imposées à tous, la fin de l’autorité du bureau de sécurité sur les familles de la ville, la dissolution du GSS et la formation d’un conseil consultatif interne à la ville de Kafr Takharim pour participer à la résolution des affaires de la ville et à sa gestion.
Par l’intermédiaire du SSG, le HTS a imposé des prélèvements exorbitants, sous forme de taxes ou de redevances, à plusieurs secteurs dans les zones sous son contrôle, indifférent aux conditions économiques et de vie désastreuses auxquelles sont confrontés les résidents et les personnes déplacées. Les taxes ont été imposées dans les secteurs de la construction, du transport maritime, du change et des transferts de fonds, de l‘assainissement et de l‘importation, de la production et du stockage de médicaments.
Hazem a déclaré que les manifestants n’avaient subi aucune attaque de la part des services de sécurité de HST, mais.. :
“Quelqu’un, proche d’un membre du GSS, est venu me voir le soir du même jour (le soir de la première manifestation) et m’a dit qu’il y avait des membres du HTS parmi les participants à la manifestation, et qu’ils avaient pris des photos de plusieurs personnes qui y avaient participé, afin de recueillir des informations sur les dirigeants du mouvement dans la ville. Il m’a dit que ma photo faisait partie de celles qui avaient été prises… Après avoir entendu cette information, j’ai décidé de disparaître relativement vite et de vivre à l’extérieur de ma maison par crainte d’une trahison de la part du HTS, qu’il s’agisse d’une arrestation, d’un enlèvement ou même d’un meurtre.
Les motivations des manifestants de la ville d’Ariha, à Idlib, étaient similaires. Musab Haddad,[2] , l’un des militants du mouvement, a évoqué les raisons qui ont poussé les gens à protester. Selon lui, depuis que les HTS ont pris le contrôle de la ville, ils ont imposé leur système à toutes les institutions et fixé des conditions de travail impossibles. Il a également remplacé les anciens employés par des personnes qui lui sont proches ou loyales, afin de pouvoir imposer ses décisions en fonction de ses intérêts. De plus, HTS a imposé des taxes qui ont affecté “les minimums vitaux”:
“Par l’intermédiaire de son bureau de sécurité, HTS a arrêté plusieurs révolutionnaires qui ont résisté et se sont opposés à son entrée lorsqu’il a pris le contrôle de la ville d’Ariha. Il s’agissait de personnes qui s’opposaient depuis longtemps au régime d’Al-Assad”.
La première manifestation dans la ville d’Ariha a eu lieu le 4 mars 2024 :
“La libération de tous les détenus, l’abolition des taxes sur les civils sous le contrôle du HTS, l’octroi d’une immunité spéciale aux activistes et aux journalistes et leur libération de la surveillance exercée par le HTS.
Les journalistes et les professionnels des médias sont soumis à des convocations répétées par le GSS pour enquêter sur leurs activités médiatiques. Dans certains cas, ils sont détenus aux postes de contrôle du HTS répartis dans tout le gouvernorat, selon un rapport du STJ datant du début de l’année 2024.
Musab a noté que les manifestations n’ont pas connu de violence ou d’attaques directes au début, car le HTS s’est contenté d’envoyer des délégations et des notables le soutenant auprès des manifestants pour écouter leurs revendications. Il a ajouté : “Cependant, le rôle des comités et des délégations a été limité, ils n’ont pas pu répondre à nos demandes”.
À son tour, le manifestant Saeed Yahya, un ouvrier du bâtiment déplacé de Hama à Jisr al-Shughur ([3] ), a déclaré que la ville avait été le théâtre des premières manifestations le 3 mai 2024 et que ce qui avait incité les habitants à protester, outre l’emprise étroite des HTS sur le plan militaire, sécuritaire et institutionnel, était le suivant :
“Il ont amené les familles de ses combattants, qu’il s’agisse d’immigrants ou de Syriens, dans cette zone, ce qui a créé plusieurs problèmes entre nous et eux, à tous les niveaux civils. Le HTS dirigeait toute l’aide des organisations vers les familles de ses combattants, sans tenir compte des circonstances et des besoins des personnes déplacées. En outre, leurs membres ont fait preuve de mépris à l’égard des personnes déplacées en particulier, et les ont harcelées de toutes les manières possibles, sous prétexte qu’elles avaient vendu leur pays et étaient ensuite venues dans leur région (combattants du HTS), et bien d’autres accusations encore… En outre, le bureau de sécurité du HTS à Jisr al-Shughur exercait une hégémonie sur les civils, où l’émir du bureau de sécurité, appelé “Abu al-Ashbal al-Muhajir”, a mené plusieurs opérations d’arrestation, de disparition forcée et d’assassinat de civils sous le prétexte de mettre en œuvre la charia.”
La première manifestation a eu lieu à Binnish en février 2024, motivée par les pratiques injustes du HTS depuis qu’il a pris le contrôle de la ville “par la force des armes”. Radi Salha, l’un des militants du mouvement,[4] a déclaré qu’après que HTS ait imposé son hégémonie militaire :
“Il a pris le contrôle des institutions civiles révolutionnaires et les a complètement abolies … remplaçant ces institutions par des bureaux et des départements directement affiliés au SSG … ce qui a créé un état de chaos et de divisions internes … Le HTS a également joué un rôle majeur dans l’arrestation d’un grand nombre d’habitants de Binnish par l’intermédiaire de son service de sécurité représenté par le GSS. Il avait l’habitude d’arrêter tous ceux qui ne marchaient pas au rythme de son propre tambour, en inventant des accusations contre la personne afin de pouvoir l’emprisonner et la torturer dans ses prisons. Il a arrêté de nombreuses personnes au cours de ces années, dont certaines ont été libérées, tandis que le sort d’autres est resté inconnu”
Radi affirme que les habitants de la ville se sont soumis à toutes les conditions des HTS par crainte de leur “brutalité et de leurs crimes illimités”, jusqu’à ce que leurs forces de sécurité fassent une descente au domicile de l’un des militants de la ville “pour des raisons inconnues” et battent une femme qui s’y trouvait. Les habitants se sont soulevés et ont expulsé les membres du HTS, après quoi la ville a rejoint le mouvement dans le reste d’Idlib.
Dans un premier temps, le HTS n’a pas eu recours à la violence contre les manifestants binnish, mais il a proféré des menaces verbales. Radi a déclaré :
“Dans un premier temps, elle s’est contentée d’envoyer des messages verbaux par l’intermédiaire de ses notables et de ses partisans, indiquant qu’elle interviendrait par l’intermédiaire de ses services de sécurité si le chaos se poursuivait dans la région et qu’elle frapperait d’une main de fer quiconque perturberait la vie institutionnelle des civils. Il a également déclaré que les manifestations étaient désormais autorisées et que toute manifestation (se déroulant) sans l’approbation officielle du HTS serait traitée à la fois sur le plan de la sécurité et sur le plan juridique”.
Selon Radi, les HTS ont mis leurs menaces à exécution et sont passés à l’usage de violence et d’une force excessive contre les manifestants lors d’une manifestation massive le 17 mai 2024, un changement qui a eu des répercussions sur tous les points de protestation autour d’Idlib au cours du même mois.
Le passage à la violence
Pour mettre fin aux manifestations, le HTS a d’abord adopté un discours “réformiste” : le chef du Conseil suprême de la fatwa du HTS, Abdul Rahim Atoun, a annoncé, dans un communiqué publié le 1er mars, sept mesures pour traiter la question des détenus, notamment l’engagement de visiter les prisons, d’accorder une amnistie générale aux détenus et de former un “comité judiciaire” chargé d’examiner les droits des personnes libérées, de déterminer ce qu’elles ont subi et de demander des comptes à ceux qui ont commis des violations à leur encontre.
Quatre jours plus tard, le 5 mars, le SSG publiait un décret d’amnistie pour les auteurs de crimes, qui prévoyait la libération de catégories de détenus dans des conditions et des exceptions spécifiques. Le ministre de l’intérieur du SSG, Mohammed Abdul Rahman, a déclaré que le ministère avait libéré 420 prisonniers en vertu du décret, s’engageant à libérer d’autres personnes incluses dans l’amnistie.
Le 6 mars, le Conseil général de la Choura et le SSG ont tenu une réunion avec des représentants du mouvement, à laquelle al-Jawlani a assisté, et a déclaré : “Il est du devoir de toute autorité d’écouter les demandes du peuple et de mettre en œuvre celles qui sont légitimes : Il est du devoir de toute autorité d’écouter les demandes du peuple et de mettre en œuvre ces demandes légitimes”, ajoutant : “Nous ne nous accrochons à rien du tout. Le plus simple est de laisser le navire voguer de lui-même”. Le 13 mars, al-Jawlani a appelé le Conseil de la Choura à “organiser des élections anticipées et à revoir la loi électorale et ses mécanismes, de manière à garantir une représentation élargie du peuple”.
Le même mois, le 23 mars, le Conseil de la Shura a annoncé la création de huit comités répartis dans les zones “libérées”, affirmant qu’ils avaient tenu des réunions avec les habitants et résolu “25 % des cas qu’ils avaient reçus”.
Le 8 mai 2024, certains activistes indépendants ont annoncé la formation du Revolutionary Movement Gathering (RMG), dont le but, selon l’activiste Hassan Fawaz,[5] déplacé de Jobar à Damas vers Idlib, était d’unifier les rangs, les demandes et les objectifs, ainsi que de protéger le mouvement du chaos et de l’exploitation par des parties qui “veulent prendre la rue et changer la boussole à nouveau”, en ajoutant que le rassemblement est venu en réponse à :
“Une réponse simple et timide de la part de HTS, qui a libéré des détenus qui avaient été emprisonnés pour des affaires qui ne les affectaient pas directement, ni l’opinion publique. Il y a eu des séances de dialogue honteuses avec des personnalités qui n’ont été invitées que pour obtenir un soutien à HTS, sans inviter les symboles du mouvement ni aucun de ses dirigeants, dans l’intention de les marginaliser et de polir l’image de HTS devant les médias et le monde … Ces actions provocatrices ont conduit à l’augmentation du nombre d’opposants manifestant contre lui, et ont créé un nouvel état de ressentiment populaire dans la région.”
Il s’en est suivi un changement clair du discours des HTS à l’égard des manifestations, qui ont eu recours à une force excessive pour réprimer les manifestants, en commençant par une manifestation à Idlib le 14 mai 2024.
Des vidéos ont été diffusées sur les médias sociaux, montrant des membres masqués et armés, qui se sont avérés par la suite être des membres du département de la sécurité générale du ministère de l’intérieur de la SSG, en train d’agresser les manifestants, dont un certain nombre ont été blessés.
Le lendemain, le 15 mai, al-Jawlani a décrit les manifestations comme “une situation qui a dépassé ses limites naturelles” et que “les demandes ont dévié de leur véritable cours”, en déclarant “Nous avions déjà prévenu que toute atteinte aux intérêts publics et aux règles générales de la zone libérée constituait un franchissement des lignes rouges. Les autorités prendront des mesures pour faire face à cette situation. Entre-temps, le ministre de l’intérieur du SSG, Mohammed Abdul Rahman, a menacé les manifestants de “frapper d’une main de fer toute main qui voudrait porter atteinte à la sécurité et à la sûreté de la zone libérée et l’entraîner dans la sédition”.
Le même jour, des manifestants à Jisr al-Shughur, qui ont quitté la mosquée al-Jisr al-Khabeer en direction de la place principale de la ville, ont été agressés. Saeed a confirmé que les manifestants portaient des drapeaux et des bannières révolutionnaires, dont aucun ne contenait d’insultes, avant d’être surpris par un groupe du GSS :
“Les membres ont tiré en l’air pour disperser la manifestation … En plus d’utiliser des matraques en caoutchouc et des bâtons de bois, ils sont même allés jusqu’à tirer des grenades lacrymogènes … Lorsque le chaos a régné, des véhicules de la police anti-émeute et des véhicules blindés de sécurité ont avancé, se dirigeant directement vers les manifestants … Un véhicule blindé a écrasé deux personnes sous mes yeux, alors qu’elles s’enfuyaient devant les membres du HTS. Le véhicule les a écrasés et jetés au sol à plusieurs mètres de là, puis les membres les ont immédiatement arrêtés et embarqués dans des camionnettes”.
Saeed a déclaré que les membres des forces de sécurité ont arrêté un certain nombre de manifestants et ont tenté d’arrêter son neveu mineur (14 ans) après l’avoir battu. Il a ajouté :
“Ils lui ont cassé le pied en le frappant avec des bâtons en bois. Lorsqu’ils l’ont menotté pour l’arrêter, les manifestants ont attaqué les cinq officiers, qui ont rapidement pris la fuite et se sont cachés derrière leurs voitures. D’importants renforts de sécurité sont alors arrivés et se sont déployés dans la zone, imposant un cordon de sécurité après que nous nous soyons tous enfuis.”
Les déclarations d’al-Jawlani et du SSG ont été suivies d’une série de mesures strictes le 17 mai 2024, lorsque le service de sécurité et l’aile militaire du HTS ont imposé un cordon de sécurité dans la ville d’Idlib, en installant des points de contrôle et en restreignant la circulation des résidents quelques heures avant les manifestations du vendredi, et en empêchant les civils d’autres villes d’y entrer, à l’exception de certaines personnes, principalement des membres de la famille du personnel du HTS.
À la lumière de ces déclarations, les scènes de violence se sont répétées dans la plupart des zones où des manifestations ont eu lieu, notamment à
7 mai 2024, Radi a décrit la scène de violence qui s’est déroulée dans la plupart des zones de protestation, y compris à Binnish. Radi décrit :
“Nous avons ignoré toutes ces menaces … et nous sommes sortis pour manifester massivement. Les HTS sont intervenus rapidement et ont attaqué les manifestants par l’intermédiaire des GSS. Ils ont battu les manifestants et les ont torturés physiquement dans les rues, et ont tiré des grenades lacrymogènes. Ils ont également écrasé un grand nombre de manifestants civils avec leurs véhicules blindés, et ont tenté d’écraser des photographes et des journalistes, y compris le journaliste Omar Haj Qaddour”.
Radi a ajouté que les forces de sécurité ont arrêté sept personnes ce jour-là et ont répété les mêmes attaques lors de la manifestation que la ville a connue le 27 mai 2024, ce qui a incité les manifestants à ne manifester que le soir et selon un horaire spontané, sans annoncer la date des rassemblements.
Le 29 mai 2024, l’ambassade des États-Unis en Syrie a publié une déclaration sur son compte X, disant : “Nous soutenons les droits de tous les Syriens à la liberté d’expression et de réunion pacifique, y compris à Idlib. Nous déplorons l’intimidation et la brutalité de Hayat Tahrir al-Sham contre les manifestants pacifiques qui réclament la justice, la sécurité et le respect des droits de l’homme.”
Arrestations sous couverture légale
Le 24 mai, les services de sécurité des HTS ont lancé une campagne d’arrestation contre un certain nombre de militants impliqués dans l’organisation du mouvement, sur la base de “mandats judiciaires”, que le ministre de l’intérieur a abordés dans une autre déclaration de plus en plus virulente contre les manifestants. Mohammed Abdul Rahman a accusé les manifestants d’encourager le “port d’armes et de ceintures d’explosifs”, ajoutant : “Nous avons dû présenter l’affaire au procureur général, qui à son tour a donné l’autorisation d’arrêter un certain nombre d’individus responsables de cette affaire, qui seront déférés à la justice compétente conformément aux règles.
Comme l’indiquent plusieurs sources dans le rapport, avant de recourir à la justice, les HST ont procédé à de nombreuses arrestations de manifestants ou de militants impliqués dans l’organisation du mouvement, notamment Hassan, qui a été arrêté le 27 mai 2024, à son domicile à Idlib, par des hommes armés et masqués accompagnés de véhicules militaires.
Hassan est resté détenu pendant environ 12 jours, qu’il a passés à l’isolement dans la section 107, à Babisqa, qui est supervisée par le chef de la sécurité intérieure, Abu Ahmed al-Halabi. Hassan a déclaré :
“Le 9 juin 2024, le geôlier est venu me voir, m’a bandé les yeux, m’a menotté les mains avec une ceinture en plastique et m’a emmené dans le bureau d’Assad al-Sunna (l’assistant d’al-Halabi). Il m’a dit : “Votre libération dépend de votre signature, à savoir que vous restiez chez vous et que vous ne participiez pas à des actions ou à des manifestations contre le HTS, et que vous ne diffusiez pas d’idées qui affaiblissent les musulmans dans les zones libérées”, ainsi que d’autres mots écrits sur le papier que je n’ai pas pu lire complètement. Je n’ai pas eu d’autre choix que de signer pour échapper à leur emprise et retrouver ma famille au plus vite.”
Plus tard, Hassan a appris que sa libération avait fait suite à des discussions entre des notables de Damas et d’Idlib et un certain nombre de dirigeants du HTS.
Wassim Mohammed,[6] , un manifestant de Killi, a été arrêté lors d’une manifestation qui a précédé le recours ouvert à la violence par HTS. Il a déclaré avoir participé au mouvement parce que “des membres du HTS et de ses forces de sécurité battaient les femmes des membres d’un parti appelé Hizb ut-Tahrir”.
Il a ajouté qu’il avait été arrêté, avec plusieurs autres jeunes hommes, lors d’une manifestation qui avait eu lieu le 7 mai 2024, selon ses souvenirs, et que la manifestation avait été attaquée par plusieurs voitures du GSS, dont les membres avaient battu les femmes présentes et brisé les banderoles :
“Lors de mon arrestation, quatre hommes masqués m’ont attaqué et ont commencé à me frapper et à casser le haut-parleur. L’un des membres m’a attaché les mains avec une ceinture en plastique, m’a mis une grande couverture sur la tête pour que je ne puisse plus rien voir, m’a fait monter dans une camionnette et m’a violemment battu jusqu’à ce que nous arrivions à la branche 103, qui est responsable des tâches de sécurité sous l’égide du GSS.”
À la succursale, Wassim a identifié huit personnes, affirmant que les agents avaient appelé trois d’entre elles et les avaient emmenées dans un lieu non précisé ; ces trois personnes étaient toujours détenues au moment de l’entretien.
Il a déclaré avoir été convoqué pour un interrogatoire le deuxième jour de son arrestation, où il a été interrogé par un homme masqué, tandis qu’un le filmait, ajoutant qu’il avait été battu parce qu’il n’avait pas dit à l’interrogateur qui coordonnait les manifestations dans sa ville et quelle était la source de leur financement :
Il a fait sonner une cloche sur son bureau et a dit à un officier : “Faites entrer les hommes”. Deux officiers sont entrés, m’ont jeté à terre, m’ont mis une entrave aux pieds et ont commencé à me frapper violemment et hystériquement jusqu’à ce que mes pieds enflent… J’ai dit à l’interrogateur : ‘J’avouerai tout ce que vous voulez, mais arrêtez de me torturer’. Il a demandé aux officiers d’arrêter de me torturer et de me ramener sur la chaise. Il m’a dit : “Dis-moi, qui te finance ? J’ai répondu : ‘Je jure que je suis un civil, je ne suis pas affilié au Hizb ut-Tahrir ou à une autre faction’.
Après la séance d’interrogatoire, le gardien de la prison a emmené Wassim, les yeux bandés, à l’isolement, où il est resté jusqu’à sa libération le 28 mai 2024, soit environ 21 jours après son arrestation.
Il s’agissait de la deuxième arrestation de Wassim par les services du HTS, puisqu’il avait déjà été convoqué début 2024 au siège du bureau de sécurité pour les civils à Sarmada, où il avait été emmené menotté et les yeux bandés de son atelier de forgeron, pour ne pas avoir payé la taxe que le HTS avait imposée il y a deux ans aux ateliers industriels, et qui s’élevait à 2 000 dollars par an.
La multiplication des arrestations et des mesures strictes a contribué au déclin du mouvement au cours des mois suivants. Le 18 juillet 2024, le RMG a annoncé qu’il acceptait l‘initiative d’al-Wefaq, déclarant qu’il l’avait approuvée “pour épargner l’effusion de sang”, bien qu’elle n’ait pas répondu aux aspirations des manifestants.
Cependant, les manifestations ont repris de l’ampleur en septembre, avec plus de 10 points de protestation enregistrés le 13 septembre, en réponse à l’usage excessif de la force par les forces de sécurité des HTS contre les manifestants qui s’étaient rassemblés dans le centre d’Idlib le 10 septembre. Cela a entraîné des blessures parmi les manifestants, ainsi que l’arrestation d’un certain nombre d’activistes.
Dans son dernier rapport, publié le 12 août 2024, la Commission d’enquête internationale indépendante sur la République arabe syrienne (COI) s’est penchée sur les manifestations à Idlib, documentant une série d’arrestations, de détentions et de tortures dans les prisons des HTS, ainsi que quatre exécutions de détenus, notant que les détenus n’avaient pas de représentation légale et qu’ils étaient soumis à des procédures judiciaires confidentielles. Le COI a noté que ces actes pouvaient être assimilés à des “crimes de guerre”, ajoutant qu’il avait “des motifs raisonnables de croire que des membres du HTS pourraient avoir commis des actes équivalant à des disparitions forcées”.
_____________________________________________________________________________________________________
[1] Entretien en ligne réalisé par un chercheur du STJ avec le témoin le 17 juin 2024.
[2] Entretien en ligne réalisé par un chercheur du STJ avec le témoin le 23 juin 2024.
[3] Entretien en ligne mené par un chercheur du STJ avec le témoin le 17 août 2024.
[4] Entretien en ligne réalisé par un chercheur du STJ avec le témoin le 25 juin 2024.
[5] Entretien en ligne réalisé par un chercheur du STJ avec le témoin le 19 juin 2024.
[6] Entretien en ligne réalisé par un chercheur du STJ avec le témoin le 18 août 2024.