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    Yanis Varoufakis: "Le plan de réarmement de l’Europe est une folie totale"

    Varoufakis

    Lien publiée le 10 mars 2025

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    Yanis Varoufakis: "Le plan de réarmement de l’Europe est une folie totale" | L'Echo

    L’ancien ministre des Finances grec nous encourage à comprendre les intentions du président américain pour mieux les combattre.

    De passage à Bruxelles vendredi, l’ancien ministre des Finances grec Yanis Varoufakis, resté célèbre pour son opposition à la politique d’austérité européenne, dirige MeRA25 en Grèce et est cofondateur du mouvement paneuropéen DiEM25. Face aux bouleversements provoqués par la présidence de Donald Trump, il nous encourage à comprendre ses intentions pour mieux les combattre, tout en étant très critique à l'égard de l’Union européenne.

    Depuis le retour de Trump, nous avons vécu une sorte d'accélération de l'histoire. Les États-Unis ne sont plus nos alliés, l'Europe est seule et de nouvelles configurations géopolitiques se profilent. Nous entrons dans un nouveau monde. Mais lequel?

    Trump a simplement exprimé, avec des mots assez brutaux et agressifs, la nouvelle phase dans laquelle le capital, la monnaie, les biens et la puissance circulent dans le monde. La grande erreur des Européens est de penser que, parce qu’il est erratique, il n'a pas de plan. Avant d’entrer en conflit avec Trump, il faut le comprendre.

    Quel est son plan?

    Trump a parfaitement compris une chose: l'hégémonie américaine repose sur la désindustrialisation des États-Unis, qui va de pair avec un énorme déficit commercial, qui donne du pouvoir à l'industrie allemande, italienne, japonaise, chinoise, etc. Et tout cela est maintenu par le privilège exorbitant du dollar, qu'il risque cependant de perdre lorsque les déficits atteindront un certain niveau.

    Trump va donc introduire des tarifs pour tout le monde. Ensuite, il va détruire le multilatéralisme. Il va rencontrer chaque pays l’un après l’autre et expliquer ce qu’il veut à chacun. Son objectif est de réduire la valeur du dollar tout en maintenant son hégémonie. En ce qui concerne l'Europe, le plan est très clair: Trump veut les entreprises européennes. Ce qui est déjà en cours.  Enfin, il veut que nous achetions sa dette à des taux d’intérêt plus bas.

    Pourquoi les dirigeants européens ne comprennent pas cela, selon vous?

    Nos leaders européens n'ont aucune idée de ce qu'il se passe. Ils sont pareils à des poules sans tête. Face à Trump, ils adoptent des positions contradictoires. À certains moments, ils prient pour sa grâce et, à d’autres moments, ils essaient de faire les durs. L'Europe n'a pas de leader et elle va dans le mauvais sens. Nous sommes dans un nouvel état de paralysie européenne. Nous réagissons toujours après coup et dans le mauvais sens. Résultat: nous avons perdu la révolution technologique, nous nous désindustrialisons et nous sommes fragmentés politiquement. 

    Le plan "Rearm Europe" est une mauvaise solution, selon vous? Ce n'est pas une bonne réaction au désengagement américain?

    C'est la plus grande idiotie depuis la mauvaise gestion de la crise de l'euro. Ce plan ne nous apportera pas la sécurité et nous rendra plus faibles. Cela ne servira en rien à aider l'Ukraine et cela va renforcer Poutine et Trump.

    "La Russie est devenue une menace pour la France et pour l'Europe", a déclaré Macron. Il se trompe? 

    Poutine est un criminel de guerre, mais il n’est pas une menace pour l'Europe. La Russie est aux abois. Les Russes ne peuvent pas aller à Kharkiv, comment pourraient-ils aller à Berlin? Ils n’ont simplement pas les ressources humaines et économiques pour être une menace. Mais ils se construisent comme tel. C'est un défi pour Poutine de donner cette image de la Russie. Il a tout intérêt à le faire dans la mesure où la continuation de la guerre lui permet de maintenir son pouvoir sur les Russes. C’est aussi la raison pour laquelle il veut maintenir l’économie de guerre.

    Mais les États-Unis de Trump ne nous laissent pas d’autre choix que d'assurer seuls la défense de l'Europe et de l'Ukraine? 

    Qui ira se battre en Ukraine? Personne. Nous allons donc envoyer des munitions aux Ukrainiens fatigués pour combattre Poutine. Est-ce vraiment une stratégie de victoire qui va rendre l'Europe plus forte? D'autre part, comment allons-nous construire ce stock de munitions? L'UE est déjà en banqueroute. À écouter les dirigeants européens, on a l'impression qu'il n'y a pas de limites. La réalité, c'est que l'investissement dans les domaines vraiment importants va diminuer. Ils vont devoir détourner l'argent des fonds de protection sociale. Ils vont donc accroître le mécontentement des classes populaires, ce qui va alimenter encore un peu plus l’extrême droite.

    Quelle paix pouvons-nous construire en Ukraine sans accepter le plan de Trump? 

    Nos dirigeants doivent décider. Est-ce que nous voulons la paix en Ukraine ou est-ce que nous voulons une guerre pour toujours, jusqu'à ce que chaque Ukrainien soit mort? Nous ne pouvons pas gagner la guerre contre la Russie, à moins d'envoyer des Allemands, des Français, des Grecs et des Italiens se battre en Ukraine.  L'alternative est donc la paix.

    Mais à quelles conditions? Quelles cartes avons-nous en main?

    Trump, on l’a compris, veut l'humiliation de l'Ukraine et de l'Europe. Voilà son plan de paix. Si nous n’en voulons pas, nous devons construire notre propre plan de paix.  Nous devons aller voir Poutine et lui dire: "voici le plan de paix européen". La question est: qu’est-ce que nous allons lui offrir en échange?  Les 300 milliards d’avoirs russes gelés devraient être utilisés comme monnaie d'échange. Ce serait le moyen de le ramener à la table des négociations.

    À travers le couple Musk/Trump, doit-on voir une forme de système oligarchique apparaître aux États-Unis, qui s'éloigne de plus en plus du modèle démocratique?

    L'Amérique n'a jamais été une démocratie, depuis le premier jour de l'Union des États-Unis. Il suffit de lire les grands textes écrits par les auteurs de la Constitution américaine. Ils sont très clairs. L'une de leurs priorités a toujours été de garder le "démos" à l'écart de la démocratie, afin que la majorité ne gouverne pas. Les États-Unis ont toujours été une oligarchie, mais avec des élections fréquentes. C'est ce qu'ils sont depuis toujours.

    Et aujourd'hui, c'est le milieu de la tech qui constitue majoritairement cette oligarchie? 

    Les géants de la tech ont instauré un nouveau système, ce que j’appelle le techno-féodalisme, qui a tué le capitalisme. Les marchés économiques sont désormais soumis aux grandes entreprises du numérique. Or, le numérique répond à une tout autre logique que celle du capitalisme, une doctrine très ancienne, à savoir le féodalisme. Les grands entrepreneurs de la tech sont les nouveaux seigneurs et nous sommes devenus des serfs du cloud. Cela apparaît très clairement à travers les figures d'Elon Musk, de Jeff Bezos ou encore de Peter Thiel.

    Cette stratégie de guerre commerciale mise en place par Trump est-elle vraiment durable? Ne pensez-vous pas qu'il y aura un backlash, y compris aux États-Unis?

    Les États-Unis sous Biden n’étaient pas durables et ils ne le sont pas sous Trump. Trump va bien sûr échouer, comme tout le monde dans un système qui n’est pas tenable, mais qui peut encore tenir suffisamment longtemps que pour faire souffrir beaucoup de gens…

    Il pourrait donc tenir quatre ans sans rencontrer d’opposition? 

    Oui, il pourrait peut-être même tenir 40 ans, qui sait? Si nous avions eu cette discussion en 1985 au sujet de la pérennité de l'Union soviétique, qui aurait pu prévoir son effondrement quatre ans plus tard?  On ne sait jamais quand cela va exploser. On sait que cela va exploser, mais on ne sait pas quand…

    Ça vaut pour l’Europe aussi?

    Oui, mais l'Europe a déjà explosé, selon moi. Nous sommes désormais inexistants pour le reste du monde. Nous ne sommes plus qu'une note de bas de page dans le livre mondial.

    Est-ce que vous vous sentez toujours européen?

    Oui, je souffre pour mon pays et pour mon continent. Je crois toujours en un autre projet pour l'Europe. Nous ne devons jamais baisser les bras.

    Mais cette alternative ne convainc pas, pour l'instant, dans les urnes. Comment expliquez-vous que de plus en plus de citoyens et de citoyennes, en Europe, font le choix de l'extrême droite?

    En 2008, en Europe, nous avons connu notre "moment 1929". Wall Street s'est effondré, les banques européennes ont fait faillite et nous avons connu la Grande Récession et la Grande Dépression. J'étais persuadé que si nous imposions l'austérité à la majorité des gens dans tous les pays et que nous nous contentions de financer les banquiers, nous allions reproduire les années 1930. La suite, on la connaît: les fascistes, un peu partout en Europe  – et notamment en Allemagne –, gagnent du terrain. 

    À l'instar du Royaume-Uni, d'autres pays seraient-ils tentés de quitter l’Europe à l'avenir?

    Des pays comme la Hongrie et l’Italie ne vont pas quitter l’UE, car elle leur donne à la fois de l'argent et l'accès aux marchés. Pour autant, ils ne croient pas en l'UE. Ils ne font que la détruire et la saboter de l’intérieur. Le processus de fragmentation de l'UE est donc en cours. Le marché unique a disparu. Il ne reste plus que son nom. Schengen a disparu également. L’UE n’est pas en train de disparaître dans un grand fracas, mais dans un gémissement.