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Place publique : la firme Glucksmann entre purges et déni démocratique
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Place publique : la firme Glucksmann entre purges et déni démocratique
Ce week-end, les partisans de Raphaël Glucksmann se réunissent à Paris pour un congrès décisif en vue de la présidentielle. Alors que les pratiques démocratiques sont au cœur des discours de Place publique et de son leader, des militants dénoncent l’absence de débats au sein des instances du parti. Le conseil éthique est mis en cause pour son opacité et des procès staliniens. Résultat : des déceptions, des démissions et des exclusions. Et une opposition interne qui s’organise et montre les dents.
Certains les décrivent comme une « clique », d'autres comme une « firme ». Claire Nouvian, militante écologiste fondatrice de l'association Bloom, qui a quitté Place Publique un an après avoir cofondé le mouvement en 2018, les dépeint comme « de petits arrivistes médiocres et infréquentables ». Daniel (qui a souhaité garder l'anonymat), ancien cadre national du parti, les rapproche plutôt du « club de pétanque... tellement ils sont incompétents ». Mais sans la jovialité des amateurs de boules et de carreaux.
Ce petit groupe de dirigeant.e.s est au cœur de critiques récurrentes portées par des adhérents et cadres de Place publique qui tient son congrès à Paris ce samedi 15 et ce dimanche 16 mars. Au premier rang des récriminations, l'absence de débat et le manque de démocratie reviennent avec insistance. Pourtant ce sont deux des principaux axes autour desquels s'était créé le mouvement et son leader médiatique Raphaël Glucksmann les met systématiquement en avant pour le distinguer d'autres partis, en particulier celui de son grand ennemi à gauche Jean-Luc Mélenchon. « Je préférerai toujours être l'héritier de Blum et de Jaurès que de Chavez », aime répéter le député européen pour marquer sa différence.
Des voix discordantes et des purges
Des paroles aux actes, le chemin se révèle parfois tortueux. L'atmosphère dans laquelle baigne le jeune parti évoque plus les latitudes tropicales chaveziennes que l'effervescence plurielle du Front Populaire ou du Bloc des gauches. « Il n'y a pas de place pour une voix dissonante », déplore Daniel, dont l’engagement à Place publique est la première expérience de militant dans un parti. « Et ce sera la dernière, je suis dégoûté de la politique », précise-t-il.
Raphaël Glucksmann s’est affirmé comme un homme de convictions mais aussi de débats. Si les convictions sont là, certains estiment que la parole et le débat sont confisqués et interdits au sein de Place publique.
Image Place publique.
Symptôme du climat qui règne à bord, tous ceux qui ont une position critique de la direction avec qui nous avons échangé souhaitent rester anonymes. « Il y a déjà eu des purges et des exclusions parce que l'on osait exprimer publiquement son désaccord », assure Antoine (son prénom a été changé, à sa demande), ancien référent départemental.
« Ils vont chercher du mal à ceux qui osent parler », abonde Daniel. « Nous sommes encore plusieurs à vouloir essayer de changer les choses de l'intérieur et c'est impossible si l'on est trop exposé, complète Jean-Pierre (son prénom est anonymisé, à sa demande). Tous les partis ont des voix discordantes, pourquoi est-ce impossible à Place publique ? »
Plusieurs témoins évoquent comme dernier symptôme du malaise la fermeture le 24 février 2025 de la boucle Telegram café/thé, qui était ouverte aux adhérents et où circulaient des échanges d'informations et de points de vue.
En février dernier, le café/thé tire le rideau. La secrétaire générale Pascaline Lécorché justifie la fermeture de ce lieu d’échanges, décidée par le conseil politique, au nom de « l'expression du plus grand nombre et de celles et ceux qui n'ont pas accès à des lieux de discussion »...
Document Blast.
Pour ce congrès 2025, qui se tient à l'Espace Charenton, les débats autour des candidatures et de la ligne politique ne devraient guère troubler le sommeil des pensionnaires du cimetière voisin de Bercy. Pour composer le conseil politique, l’instance dirigeante du parti, avec à sa tête la même coprésidence depuis 2022, les eurodéputés Raphaël Glucksmann et Aurore Lalucq, une seule liste se présente. Idem pour les instances régionales : dans chaque région, les militants n’ont qu'une liste unique à élire, sauf en Nouvelle Aquitaine, où elles sont deux sur les rangs.
Une main amputée
Si elles existent depuis la création du mouvement, ces critiques sur l'absence de débats et de démocratie interne ont connu deux périodes distinctes, dans la courte histoire de Place publique. La première a été celle des membres fondateurs, dont l'économiste Thomas Porcher et l'écologiste Claire Nouvian. Les deux ont rapidement quitté l’embarcation, avec fracas.
Sur les cinq personnalités qui composaient l'équipe plutôt innovante des cofondateurs, issue de la société civile et sans aucun baron ou éléphant, il n'en restera qu'un, à l'issue du congrès : Raphaël Glucksmann. Diana Filippova, universitaire spécialiste du travail et des nouvelles technologies, a rejoint le cabinet d'Anne Hidalgo à la mairie de Paris, en 2020. Jo Spiegel, 74 ans, ancien maire de Kingersheim (Haut-Rhin) devenu très critique envers le PS, qu'il a fini par quitter, était le cinquième membre de ce quintet.
En 2019, sur le plateau de L’émission politique (France 2), Raphaël Glucksmann, Jo Spiegel et Claire Nouvian.
Image compte Facebook Jo Spiegel.
Spécialiste reconnu de la revitalisation démocratique et citoyenne, Jo Spiegel a joué un rôle essentiel à Place publique, conscient des lacunes du mouvement mais attaché aux convictions défendues par Raphaël Glucksmann. « Quand il m'a proposé de cofonder le mouvement avec lui, je me suis tout de suite retrouvé dans ses paroles et son engagement, confie-t-il au sujet de l’ancien conseiller du président néolibéral de la Géorgie. C'était un penseur qui voulait agir et moi j'étais un acteur qui avais envie de penser. »
A Kingersheim, Spiegel a fait de sa ville un laboratoire de démocratie participative, expression qu'il n'aime pas. « La démocratie est forcément participative », explique-t-il. Cette fois, celui qui a été coprésident de Place publique jusqu'en 2021, puis coprésident du conseil politique, ne brigue aucune fonction. « Je veux enfin profiter de ma retraite : faire du vélo et m'occuper de mes petits-enfants. Mais je reste adhérent et je serai présent à leurs côtés pour les conseiller, si nécessaire. »
La bataille interne
Le dernier départ fracassant en date est intervenu en décembre 2024. « Il n’y a pas de consultations en interne : la position de Place publique, c’est celle de Glucksmann », a déploré sur le moment Anaïta David, la désormais ex-responsable des jeunes. Mais depuis quelques mois, les mécontentements ont pris une forme nouvelle. Désormais, la politique de la porte qui claque a laissé place à celle de la guérilla. A l'intérieur de la formation, l'opposition s'est structurée. Depuis octobre 2024, elle a un nom, un programme et des signataires.
Le courant RéveillerPP s'est constitué autour d'un « appel lancé à toutes les forces vives de Place Publique à se constituer en Convention Citoyenne ». Les auteurs de ce texte appellent de leurs vœux des réformes profondes. Ils sont une cinquantaine, issus de différentes régions, certains sont des cadres, coordinateurs départementaux ou élus locaux. Parmi les signataires, on trouve une conseillère régionale des Pays de Loire, une adjointe à la maire de Strasbourg et six conseillers municipaux. « La croissance rapide de Place publique, les difficultés de fonctionnement de notre parti lors des séquences électorales du printemps, les remarques et frustrations rapportées par les référents territoriaux ont montré la nécessité d’adapter nos modes de fonctionnement à travers une évolution de nos statuts », écrivent ces opposants, en introduction de leur texte-plaidoyer.
L'entre-soi de gouvernance
Parmi les points soulevés, le mode d'élection du conseil politique cristallise les ressentiments. Jusqu’à présent, sa composition se réglait pour chaque congrès avec un scrutin de liste majoritaire, donnant à la liste arrivée en tête 100% des sièges. Pour les signataires, ce système « ne garantit ni le pluralisme, ni la diversité des opinions, ni le débat contradictoire indispensable afin d’éviter l'entre-soi de gouvernance et afin de rester connectés aux véritables enjeux de l'ensemble de nos concitoyens. »
Les auteurs de l’appel aux « forces vives » pointent également une question qui revient souvent dans les critiques adressées à la direction : l'écart entre les discours publics et les pratiques internes. « À l’heure où Place Publique prône l’introduction de la proportionnelle au sein de l’Assemblée Nationale, à l’heure où nos co-président·es défendent et vivent au quotidien la culture du compromis et de la délibération au sein du Parlement Européen, nous nous honorerions à appliquer d’abord au sein de nos instances ce que nous portons pour nos institutions nationales, et ainsi aligner en toute cohérence notre plaidoyer externe sur notre organisation interne. »
Ce texte de trois pages a été suivi d'un autre, plus fouillé : un « mémorandum » d'une vingtaine de pages intitulé « Une nouvelle constitution pour Place Publique ». Outre la question du mode de scrutin, il appelle à créer un parlement du parti. Cette instance aurait vocation à contrebalancer la verticalité des modes de fonctionnement internes. Elle serait composée de trois collèges : un collège des co-référent·es, un collège des élu·es et un dernier collège des adhérent·es.
Que l’on pourrait qualifier d’anti-démocratiques
« Depuis plus d’un an des adhérent·es, des référent·es, des élu·es observent certains fonctionnements que l’on pourrait qualifier d’anti-démocratiques au sein de Place publique, cinglent les signataires. Quelques exemples en Savoie, en Bretagne, en Côte d’Or ou ailleurs sur la manière dont les décisions sont prises, sur des interventions court-circuitant les élu·es et référent·es locaux, sur les choix non partagés des investitures ou de gouvernance. Ces décisions ne sont pas toujours comprises, sapent le principe de transparence et abîment notre communication interne, alors que nous en avons d’autant plus besoin lorsqu’est en jeu la ligne politique de Place publique que nous sommes amenés à porter. »
« Et ça continue encore et encore... » Non, il ne s’agit pas du titre d’une chanson. Et « le mépris » ne s’éprouve pas sur un écran.
Document Blast.
Les cahiers de doléances sur la Place publique
Cette démarche et ces propositions n'ont pas suscité un enthousiasme débordant du côté de la direction. « Le mémorandum a été remis à Raphaël Glucksmann en mains propres début février 2025 mais son accueil a été glacial : pourquoi ne faites-vous pas confiance à priori aux instances ? a t-il répliqué en balayant le fond des propositions », rapporte Nicolas (son nom a été modifié, à sa demande).
L'initiative a quand même porté quelques fruits. Pour rédiger les nouveaux statuts, des experts extérieurs ont été nommés. Ils avaient notamment pour mission d’identifier les demandes des adhérents et de les exposer lors d'une assemblée générale qui s’est tenue en visioconférence le 20 février. Dans les points remontés après ce tamisage, les experts ont listé ceux qui étaient mis largement en avant par les adhérents : « L'extension de la proportionnelle à toutes les instances élues avec une prime majoritaire réduite », « Pas de majorité automatique pour la liste nationale majoritaire », « Reconnaissance d’un droit d’initiative aux adhérent.e.s », « Reconnaissance d’un principe de transparence dans le fonctionnement des instances ».
L’aspiration à la transparence des militants reste une revendication à satisfaire, si on s’en tient à ce message posté sur la boucle Telegram... désormais fermée.
Document Blast.
Les nouveaux statuts tentent pour partie d’apporter des réponses. Leur adoption sera effective à l'issue d'un vote qui doit être clôturé le 23 mars. « Je partageais une partie des préoccupations émises sur le mode de scrutin et les efforts à faire en matière de démocratie, commente Jo Spiegel. Et je me félicite qu'elles aient été prises en compte dans les nouveaux statuts. Le conseil politique qui était composé de dix membres est remplacé par une assemblée politique nationale, élargie à une trentaine de membres, dans laquelle il n'y aura pas d'équipe majoritaire. Comme pour toutes les élections à la proportionnelle, il faudra donc embarquer, convaincre, dialoguer. »
L’activité du conseil éthique n’est pas transparente
Autre élément soulevé par le mémorandum, qui revient lui aussi régulièrement dans les reproches adressés à la direction, les dysfonctionnements du conseil éthique. Selon les textes, « il veille au respect des chartes internes, des principes éthiques et politiques de Place publique. Il recueille les signalements de cas de harcèlement, violences ou de discrimination au sein du mouvement. En cas de conflit, il met en place une médiation. »
Composée de six membres, trois tirés au sort et trois autres élus, cette instance ne semble guère fonctionner. Ou alors de façon opaque et discrétionnaire. « Que ce soit du point de vue des adhérent·es, des référent·es ou encore des élu·es, l’activité du conseil éthique n’est pas transparente, déplorent les signataires du mémorandum. Le dernier rapport du Conseil Éthique remonte à plusieurs années et portait principalement à l’époque sur des points de conformité comptable. Certes quelques informations ont filtré concernant des situations individuelles, mais sans qu’aucune restitution en soit faite auprès des instances. »
A la place de l’accusé
L'une de ses décisions récentes a particulièrement interrogé plusieurs adhérents. En septembre 2024, T.-A.D. est auditionné pendant deux heures en visio-conférence, par deux membres du conseil. « Pendant cette audition, il ne m'a jamais été exposé clairement ce que l'on me reprochait, raconte cet ex-adhérent. On m'a parlé d'un signalement qui avait été fait à mon encontre mais sans aucune autre précision. Par ailleurs, on ne m'a pas informé que je pouvais me faire accompagner d'un autre adhérent pour m'épauler dans ma défense, comme c’est prévu dans la charte. On ne m'a pas non plus communiqué les conclusions de l'audition, contrairement là aussi à ce qui est prévu par la charte. »
Geneviève Peuzeu, l'une des deux responsables du conseil éthique qui ont mené cette audition, justifie ainsi auprès de Blast la convocation de T.-A.D. : « C'est un homme qui a une réputation sulfureuse, qui a été exclu de l'université de Strasbourg et qui ne peut pas entrer non plus à Science Po Strasbourg. Nous avons reçu une saisine de gens de Place publique de Strasbourg qui étaient inquiets de sa mauvaise réputation, dès qu'il a adhéré. Ils se sont plaints d'un comportement de plus en plus intrusif. Il s'adressait à des jeunes femmes et des jeunes hommes, s'imposait un peu partout, montait la tête à des gens sur ses grandes théories. Son comportement était étrange et gênant. »
Pas grand-chose de concret
Lorsqu'on demande de préciser les faits et les comportements reprochés, la réponse de Geneviève Peuzeu est plutôt étonnante. « C'est bien le problème, on n'avait pas grand-chose de concret », relève-t-elle. Les adhérents, qui se plaignaient de son comportement, en ont-ils parlé directement à l’intéressé ? « Je ne sais pas, je ne leur ai pas demandé. » Le conseil éthique a-t-il diligenté une enquête, pour préciser les accusations, très vagues, portées contre cet homme ? « Non, nous n'avons pas fait d'enquête, reprend la représentante du conseil, nous l'avons auditionné justement pour essayer de comprendre le personnage, de repérer ce qui avait pu être dénoncé. » En somme, c'était donc à celui qui était mis en cause d'expliquer pourquoi il l’était.
« Il y a eu après coup des faits qui ont confirmé ce que l'on ressentait », précise alors Geneviève Peuzeu. Des faits ? T.-A.D. les reconnaît bien volontiers : « Comme j'allais à Paris assister à un concert, j'ai écrit sur Whatsapp à une jeune femme qui fait partie du conseil éthique pour lui proposer de la rencontrer afin de parler de mes propositions d'un meilleur fonctionnement démocratique de Place publique », explique celui qui se présente comme ingénieur conseil en démocratie.
Pour soutenir ses propos, l'homme nous a transmis ces échanges. Voici leur transcription : « [T.-A.D. :] Je viens à Paris le 25 pour la messe requiem pour Georges Berthoin, un grand européen, ancien chef de cabinet de Jean Monnet, et je reste jusqu’à lundi soir le 28. Nous pouvons nous voir si vous voulez. Le plus important est ma méthode d’ingénierie démocratique, applicable au Moyen-Orient, à l’Afghanistan, à l’Union européenne etc. et aussi à la gouvernance mondiale de changement climatique. Tous des sujets importants pour PP. » Réponse de son interlocutrice, envoyée aussitôt : « Bonjour Monsieur, Je ne vous connais pas personnellement. Je déteste ce type d’invitations piégeuses qui viennent de la part d’un homme plus âgé. Je suis membre du conseil éthique de place publique, et j’en ai fait part a mes collègues. (...) Merci de m’avoir donné l’occasion d’avoir une preuve supplémentaire. » Une très longue réponse de l’Alsacien, dans laquelle T.-A.D. dénonce entre autres une « campagne de diffamation », a ensuite encore transité via Whatsapp. Son interlocutrice, elle, l'a aussitôt bloqué.
Plainte au procureur après un procès expéditif
Pour Geneviève Peuzeu, cette invitation écrite est « le fait qui a servi de détonateur » permettant de « confirmer que ce type-là (sic) était dangereux ». Avec cette circonstance aggravante, à ses yeux : la différence d'âge entre ce « type-là » et son interlocutrice - 59 ans pour le premier, 19 pour la seconde. La sentence est tombée, quelques semaines plus tard : T.-A.D. a été exclu de Place publique. Le conseil politique évoque ces motifs, dans le courrier qui lui signifie cette décision : « Manquements répétés de votre part au respect de la Charte Éthique de Place publique », « Comportement inapproprié envers des adhérentes de Place publique par messages privés (en usant des termes humiliants et rabaissant) » - « Plusieurs personnes ont reçu de manière insistante des sollicitations de votre part par différents moyens », détaille la missive -, « En outre, vous utilisez « votre amitié » avec Raphaël Glucksmann pour entrer en contact avec ces personnes ou dans différentes boucles Telegram. »
Ce réquisitoire paraît bien léger, convenons-en, ainsi formalisé. Lorsque l'on demande à Geneviève Peuzeu s'il y avait d'autres éléments matériels, outre l'invitation sur Whatsapp, par exemple des plaintes précises ou des condamnations antérieures, sa réponse laisse pantois : « Non, nous n'avons pas de preuves matérielles. »
Quelques jours après le prononcé de cette exclusion, les deux référentes du groupe local de Strasbourg ont publié un message sur la boucle Whatsapp des adhérents. Un adhérent choqué l’a transmis à celui qui en avait été exclu : « Bonjour à toutes et à tous, [T.-A.D.] a été exclu de Place Publique pour des motifs graves. Nous vous déconseillons de répondre à ses sollicitations. Nous restons à votre écoute en cas de besoin. »
Le 5 février 2025, T.-A.D. a porté plainte auprès du procureur de Strasbourg contre Geneviève Peuzeu et les co-référentes de son groupe local, pour diffamation.
Sur la boucle des adhérents après l’exclusion décidée par le conseil politique. À « [l’]écoute » mais sans preuves matérielles.
Document Blast.
Revoir toute la Place
Ces remous internes, forcément, font mauvais genre pour un mouvement qui revendique par ailleurs haut et fort une (autre) pratique citoyenne de l’engagement et de la politique. L'une des explications à ces dysfonctionnements tient sans doute à la configuration hybride de Place publique, ce parti politique qui fonctionne de fait comme une association, sans professionnels ni permanents. « C'est une belle réussite d'avoir tenu toutes ces années, sans budget, sans local, sans personnel rémunéré, alors que l'on est passés en moins de dix ans de 1 000 à 11 000 adhérents, constate Jo Spiegel. On a quand même bricolé pendant longtemps et on a fatigué beaucoup de monde, je le reconnais. Ce n'est pas tenable sur le long terme. Ce congrès doit être celui du passage à l'âge adulte. Il faudra enchaîner derrière avec un budget, avec des cotisations et la création d'au moins deux postes professionnels. Il nous faut entrer dans une dimension nouvelle. »
Cette fatigue évoquée par Spiegel s'est constatée aussi ces derniers mois avec des démissions de cadres à la chaîne : trésorière, responsable informatique, secrétaire générale adjointe... « A mon sens, notre erreur a sans doute été de nommer des coprésidents qui n'ont pas le temps de gérer le fonctionnement interne du parti parce qu'ils sont absorbés par leur mandat de député européen, qu'ils assument par ailleurs avec conviction et engagement, avec l'obligation d'être au devant de la scène politique ». Ce diagnostic a été posté sur une boucle Whatsapp par une cadre démissionnaire. Son autrice évoque des nuits de 4 heures et des burn out.
Dans un parti de bénévoles sans expérience professionnelle, où les coprésidents ne sont pas vraiment présents, il est d'autant plus commode pour quelques-uns de développer des pratiques du pouvoir très personnelles, qu'il soit local ou national. Et former ainsi ce que certains qualifient de « clique » ou de « firme ».
Les eurodéputés Aurore Lalucq et Raphaël Glucksmann, au congrès de 2022. Pour cette édition 2025, le duo à la tête de Place publique sera reconduit ce week-end à la co-présidence du parti.
Image Place publique.
Mais les raisons du malaise croissant à Place publique ne tiennent pas qu'à des dysfonctionnements internes. Ils sont aussi liés aux orientations politiques. Et notamment aux accords passés avec le Parti socialiste. « Pour les dernières élections législatives, il n'y a eu aucun débat et aucune information sur les discussions qui avaient lieu avec le PS et qui ont abouti à un accord électoral, déplore Daniel. On n'a même pas été sollicité pour le choix des candidats, que l'on a découverts souvent dans la presse. Or nous n'avons pas eu un seul député. Aurélien Rousseau, le seul député Place publique, nous a rejoints après les élections. »
Ces critiques avaient déjà émergé au moment des élections européennes, qui, pourtant, avaient donné lieu en revanche à un vote interne sur l'accord passé avec les socialistes. « Nous n'avons obtenu que trois députés européens avec un score de 13% et nous avons perdu notre singularité en faisant liste commune avec le PS, regrette encore Daniel. On aurait dû y aller seuls car on aurait eu de toute façon trois députés, au moins. »
Mais il est encore un autre choix politique qui pourrait aussi susciter des mouvements de grogne : la décision de prendre ses distances vis-à-vis de La France insoumise, avec qui Raphaël Glucksmann ne veut plus faire alliance. Or, l’arithmétique étant ce qu’elle est, ses succès électoraux viennent pour partie de là. C’est ce qu’indiquait clairement une note de la Fondation Jean Jaurès, à la veille des dernières élections européennes. « On le voit immédiatement, la force actuelle du candidat PS/PP est de pouvoir rassembler à la fois une partie de la gauche radicale et une partie du centre gauche, analysaient les experts de la fondation. Sur 100 électeurs déclarant vouloir voter Raphaël Glucksmann aux prochaines élections européennes, 38 sont des anciens électeurs de Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle et 30 sont des anciens électeurs d’Emmanuel Macron. » A trop vouloir trancher, c’est donc bien une réduction qui menace l’assiette électorale de Place publique, à la sortie de ce saucissonnage. Une amputation qui semble promettre les marges et des miettes.
Si l’épouvantail Mélenchon fait figure de repoussoir sur la Place Publique, certains adhérents y jugent néanmoins que faire de LFI un « adversaire politique » est « une erreur ».
Document Blast.
Pour autant, Jo Spiegel se veut rassurant et optimiste sur la stratégie et l’avenir, à moyen terme : « Nous sommes sur une bonne dynamique tandis que LFI est assez contesté, veut-il croire, donc notre objectif est d'inverser la tendance pour passer devant eux. » Ambitieuse, l’analyse peut aussi sembler un peu courte et présomptueuse. En effet, comment y parvenir avec un parti sans budget, sans professionnels et permanents, face à une machine électorale insoumise parfaitement rodée ?
Dans l’immédiat, le présent est au congrès et à l’installation de la nouvelle direction. Ce week-end. Sans surprise ni alternative, elle est connue d’avance. Avec les mêmes dans la Place.