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Colombie : négociations entre les FARC et le gouvernement
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Concernant la situation en Colombie, on pourra se reporter avec intérêt au fil de discussion sur le forum marxiste : VOIR ICI
Et notamment au message ci-dessous
Au sujet de la situation actuelle, je crois qu'il faut dire certaines choses.
Les FARC ne sont pas unanimes sur les négociations. Non sur le principe, mais sur la possibilité de terminer la confrontation armée. Beaucoup de gens en Colombie n'y croient pas, moi je n'y crois pas.
Donc, en dépit de l'espoir immense perceptible en Colombie et qui se perçoit à travers les vidéos que j'ai citées plus haut, les sentiments sont mêlés.
Au moment du Caguan et en 84 c'était différent. Le gouvernement colombien et la classe dominante étaient d'accord sur le principe de négocier. Ceux qui ne l'étaient pas la fermaient pour une raison simple, les FARC ont stoppé leur offensive pour les négociations du Caguan. L'armée a pu se reconstruire, se moderniser, se redéployer, l'état a négocié le Plan Colombia, la classe dominante avait besoin de gagner du temps et c'est ce qu'elle a fait. Lorsqu'elle s'est sentie en mesure de reprendre la situation en mains, elle a rompu les négociations. Il faut se souvenir des remerciements de la Betancourt aux Etats Unis et de sa volonté d'être "la première candidate à entrer dans le territoire récupéré par la République"...
Mais au début des négociations tout le monde y croyait, y compris les FARC. Elles ont vite déchanté et se sont mises alors, grosse erreur à faire des démonstrations de force, à discutailler en se faisant piéger au niveau de la propagande des médias. Les négociations ont été un échec politique des FARC et une erreur militaire. La classe dominante a fait bloc derrière Bush et son aile narcoparamilitaire (à qui les négociations avaient aussi permis de se consolider) pour éviter une défaite face aux FARC. Ce fut le choix Uribe, et sa politique de Sécurité Démocratique, ses 1000 000 de délateurs rétribués, l'explosion du budget de la défense, l'incroyable accroissement des forces de l'armée colombienne grâce à une aide énorme des USA (la Colombie est le second destinataire de l'aide militaire US après l'Egypte) et des services de sécurité d'Israël. Plus le boom des parracos et les énormes massacres des années 2002-2006. La parapolitique, des millions d'hectares confisqués, des millions de réfugiés intérieurs, des dizaines de milliers de morts et de disparus: syndicalistes, ONG, dirigeants de communautés et d'associations. Les FARC sont alors définies officiellement comme terroristes et narcoterroristes, appellation souvent reprise en France dans les rangs de la Gauche et l'EG... Dont même la CIA disait en 2001 qu'elle était "sans fondements". Après le 11/09 et l'élection d'Uribe, ce genre de précaution n'était pas de mise. Du coup le régime Uribe niait l'existence d'une guerre en Colombie et parlait de guerre contre le narcoterrorisme. Avec la logique de Bush, ceux qui n'étaient pas avec Uribe étaient des soutiens et complices des narcoterroristes: syndicalistes, militants des DH, et autres étaient donc assimilés publiquement et ouvertement aux terroristes, ce qui en faisait des cibles et justifiait leur élimination. D'où la bataille pendant des années sur la question de la reconnaissance de l'existence du conflit armé et sa définition comme "conflit armé social".
Par ailleurs les FARC demandaient à se voir reconnues de nouveau comme parties belligérantes et ils ont pensé que l'échange de prisonniers serait une façon d'y parvenir. Constatant l'indifférence des politiques pour le sort des militaires prisonniers de la guérilla, ils ont capturé des dirigeants politiques bourgeois, et ce fut un fiasco pire encore. Cela a ouvert un boulevard au gouvernement qui a parlé des "otages", terme repris dans Rouge, et qui a gagné là aussi une bataille politique en termes d'image. Enfin, les coups spectaculaires portés à la guérilla jointe à la propagande ont accrédité la thèse d'une guérilla en débandade, ayant perdu sa cohésion structurelle, son idéologie, et se consacrant au trafic de cocaïne, en 2008 on parlait dans la presse française et colombienne d'une guérilla réduite à survivre en mangeant les racines des arbres...
Les FARC se sont repliées et redéployées en prenant acte de la nouvelle tactique de l'armée et de ses alliés paramilitaires. Notamment elles ont changé leurs critères de recrutement par rapport à l'époque de l'offensive, et elles sont devenues de plus en plus efficaces et politisées. Leur recrutement s'est trouvé amplifié par la répression des mouvements sociaux et paysans, et elles ont développé leur périphérie (Mouvement Bolivarien notamment). Et à partir de 2007, elles sont reparties à l'offensive, mais plus de la même façon. Je peux détailler, mais ce n'est pas nécessaire. Chaque année, depuis 2007, les FARC ont augmenté leurs attaques contre l'armée et lui ont causé des pertes de plus en plus lourdes. Mais plus de grosses batailles comme Patascoy, et pour cause: la tactique de l'armée est celle du bombardement aérien systématique. On est arrivé à une sorte de match nul. Les FARC ne peuvent pas prendre Bogota, et l'armée ne peut pas vaincre les FARC, au contraire. Celles-ci se sont développées, notamment dans les territoires aujourd'hui convoités ou exploités par les compagnies minières internationales. Leur poids dans tous les grands conflits sociaux des dernières années s'est trouvé relayé au niveau politique par l'apparition de la Marcha Patriotica,
Le durcissement des Etats Unis en matière de lutte anti-drogue et leur tolérance de moins en moins grande pour des narcos dont ils n'ont plus un besoin vital correspond au basculement de l'importance des activités minières au détriment des activités des latifundistes et en alternative au trafic de drogue comme vecteur d'enrichissement. Là on parle d'un prolétariat d'origine paysanne, souvent déplacés. Dans lequel les FARC sont traditionnellement très fortes.
Santos tire le bilan, la classe dominante est à la croisée des chemins. Et l'union contre des FARC aux portes de Bogota n'est plus nécessaire, les donnes ont changé. En revanche, l'apaisement de la campagne colombienne, le règlement de la question des millions de réfugiés internes et l'insertion de la Colombie dans l'économie mondiale deviennent urgents. C'est l'ouverture des pourparlers.
Mais toute une partie de la bourgeoisie ne l'entend pas de cette oreille. Notamment tous ceux qui ont récupéré des terres sur les paysans et les indiens. Notamment les éleveurs, souvent liés aux narcos, comme le café l'est à la banane. L'ancien président Uribe, très lié au narcotrafic, aux paramilitaires, a pris la tête de la croisade contre la négociation et il a plusieurs fois menacé de coup d'état et de traduire en justice Santos... On voit que le ministre actuel de la défense est opposé aux pourparlers, et que des secteurs importants de l'armée le soutiennent, montant des provocations.
Le climat est donc pesant et l'espoir est mêlé de craintes. Dans le passé de la Colombie, chaque fois que la clase dominante s'est divisée sur la question de l'orientation économique, ce fut la guerre civile. Aujourd'hui, les FARC sont là, et un coup d'état aurait à se déployer pour gérer le contrôle des centres urbains et... combattre en même temps les FARC. L'armée colombienne n'est pas capable de cela. Les FARC n'attendent que cela: la dispersion des forces. Lorsque cela se produit, elles attaquent. D'où la concentration de l'armée sur les grands axes et les grosses agglomérations.
Quant aux négociations, si elles aboutissent, que feront les grands perdants? Chacun en Colombie le sait: ce qu'ils ont toujours fait depuis plus de 100 ans: ils tueront. Ils continuent de le faire. En ce moment ils menacent et tuent des paysans qui réclament leurs terres, des animateurs de la Marche Patriotica. Des syndicalistes. Comment être "optimiste"?