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François Hollande s'incline devant les dogmes de l'Europe

Lien publiée le 16 mai 2013

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

(Mediapart) Le grand oral de François Hollande devant la Commission européenne s’est passé sans surprise. Face à une assemblée dont il a loué le « pragmatisme », François Hollande a pris tous les engagements que Bruxelles souhaitait : la France allait se conformer à la feuille de route dressée par Bruxelles. En contrepartie du sursis de deux ans obtenu pour redresser les comptes publics et ramener le déficit budgétaire en dessous de la barre symbolique des 3 %, elle allait mener les fameuses réformes structurelles exigées. « En France, nous avons engagé des réformes de compétitivité et nous allons continuer, non parce que l'Europe nous le demanderait mais parce que c'est l'intérêt de la France », a déclaré le président de la République, dans l’espoir de réfuter la thèse que le gouvernement français n’a aucune marge de manœuvre face à Bruxelles.

Une impression que s’est vite empressé de dissiper José Manuel Barroso, lors de la conférence de presse commune. La France vit désormais sous le régime du Mécanisme européen de stabilité et de la Troïka. Sans divulguer les points précis que la commission va présenter le 29 mai au gouvernement français, le président de la Commission européenne a averti le gouvernement français qu’il devait s’engager sans tarder vers de nouvelles réformes structurelles en contrepartie du sursis accordé. Soulignant le « poids exorbitant de la dette », Barroso a déclaré que la France devait rattraper deux décennies de compétitivité économique perdue.

Avant même de connaître le déroulement de ce grand oral à Bruxelles, de nombreux économistes en avaient anticipé le résultat. « Ce gouvernement n’a aucune boussole pour sortir de la crise. Il fait des ajustements à la marge. Mais la rupture de fond est sans cesse repoussée », constate Christophe Ramaux, chercheur au centre économique de la Sorbonne. « Depuis vingt ans, la France a une tactique perdante en Europe. Elle dit oui et tente de ne pas le faire. Alors que la bonne tactique serait de s’opposer, mais la France refuse de le faire. Elle se tait. On a accepté le traité budgétaire, on va faire les réformes demandées mais en essayant de les limiter. C’est une politique peu glorieuse et assurément perdante », renchérit Henri Sterdyniak, économiste à l'Office français des conjonctures économiques (OFCE).

Pour eux, la France, contrairement à la version présentée, est pourtant dans une situation de rapport de force qui lui est favorable. Car la politique d’austérité et d’ajustement budgétaire imposée par Bruxelles est en train de tourner au fiasco. Là encore, sans surprise selon eux, « mener une politique d’ajustement budgétaire en période de récession ne fonctionne pas. Cela ne conduit qu’à la catastrophe. Toutes les expériences économiques le prouvent », insiste Christophe Ramaux.

Trimestre après trimestre, la catastrophe annoncée se précise. Toute la zone euro s’enfonce dans la crise comme le prouvent les derniers chiffres publiés ce mercredi. À l’exception de l’Allemagne qui affiche un symbolique 0,1 % de croissance au premier trimestre, tous les autres pays sont à nouveau en récession. La zone euro est en train de connaître la plus longue période de destruction économique depuis la seconde guerre mondiale.

Face à un tel bilan, il y avait moyen pour la France de faire entendre sa voix et mener le combat pour une autre politique. Elle a préféré esquiver et avaliser le discours bruxellois d’une formidable faveur consentie à la France, en lui accordant un sursis de deux ans. « Le temps qui nous a été donné doit être mis au service de réformes de compétitivité et de croissance. Ce ne sont pas tant les déficits budgétaires que les écarts de compétitivité (entre les économies européennes - ndlr) qu'il faut corriger », a soutenu François Hollande.

Contre-révolution néolibérale

Cette acceptation sans nuances par François Hollande de la présentation des faits donnés par la commission ne laisse de surprendre. « Il n’y a eu ni “pragmatisme”, ni “concession” et encore moins de cadeau. Si la commission a accepté de changer son calendrier sur la réduction des déficits, c’est qu’elle n’avait tout simplement pas le choix. Son programme d’ajustement budgétaire est irréaliste. Elle tente maintenant de faire passer ses erreurs manifestes d’appréciation comme un cadeau. Mais il n’y en a aucun. La réalité l’a simplement rattrapée », relève l’économiste Xavier Timbeau, directeur du département analyse et prévisions à l’OFCE.

« Présenter le sursis obtenu comme une victoire de la France est faux, ajoute Christophe Ramaux. La commission n’avait pas les moyens de faire autrement. De plus, ce n’est pas la France mais les Pays-Bas, un des gardiens du temple du néolibéralisme, qui ont mené le combat. Ils ont mené un débat interne très large avec toutes les forces politiques et sociales sur la conduite à tenir face à la récession. Et ils ont décidé unilatéralement de surseoir au plan d’austérité qui les menait à la catastrophe, sans rien demander à la commission. Non seulement, ils ont décidé de ne pas réaliser les économies de 4 milliards d’euros supplémentaires imposés pour revenir aux 3 % de déficit budgétaire mais ils ont différé aussi les réformes structurelles. » Curieusement, la Commission européenne ne parle pas des entorses néerlandaises et n’a pas l’air de formuler les mêmes exigences vis-à-vis des Pays-Bas.

Mais cet allongement du calendrier ne change rien selon eux : la Commission européenne obéit toujours au même logiciel néolibéral. « Il n’y a pas d’inflexion. Nous sommes toujours dans les mêmes objectifs arbitraires sans lien avec la situation économique. Là où il faudrait des programmes de relance, on poursuit l’austérité par d’autres moyens », insiste Henri Sterdyniak. Des réformes, il en voit de nombreuses qui s’imposent, mais pas celles préconisées par la commission. « Limiter la domination de la finance, faire une vraie séparation bancaire entre les banques de dépôts et d’investissement, en finir avec la concurrence fiscale… Cela devrait être des réformes impératives. On oublie les origines de la crise. Elle n’a pas été causée par les allocs et les retraites, mais la faillite du modèle néolibéral financier. On utilise la crise pour faire avancer les réformes néolibérales », insiste-t-il.

Cette amnésie des faits, cette inversion des causes et des responsabilités les frappent. « Alors qu’en 2007, tous les néolibéraux étaient sous la table, peinant à trouver le moindre argument pour défendre un système en faillite, nous assistons depuis 2010 à une vraie contre-révolution néolibérale en Europe », rappelle Christophe Ramaux. Pour lui, les mots ont un sens. « Parler de réformes structurelles est fortement connoté. On reste dans la vision néo-classique de l’État : les structures sont le problème et il faut à tout prix poursuivre leur démantèlement, déstabiliser un peu plus l’État social. »

Là encore, les premiers résultats de cette politique de démantèlement social n’ont pas les résultats escomptés. En Espagne, en Grèce, au Portugal, en Irlande, où les recettes préconisées par Bruxelles ont été appliquées à la lettre, les taux de chômage atteignent des records, et il en est de même pour les faillites d’entreprises. Les économies sont entraînées dans des spirales dépressives qui semblent sans fin. Il faut remonter à l’expérience de la stratégie du choc libérale menée en Russie au début des années 1990, après la chute de l’URSS, pour retrouver un tel effondrement économique.

Déflation salariale

Dans le même temps, les déficits et l’endettement public, qui étaient censés diminuer, explosent au contraire. En cinq ans, l’endettement de l’Espagne est passé de 58 % à presque 100 % du PIB. Celui de la Grèce dépasse les 170 %. Celui du Portugal a augmenté de 25 % depuis le plan de sauvetage.

Les économistes interrogés en sont sûrs : en s’engageant dans la même voie que ses voisins du Sud, la France est condamnée à connaître la même catastrophe. Car tous les stabilisateurs économiques, qui ont joué lors de la dernière crise de 2008 et qui avaient permis à l’économie française d’être un peu préservée, semblent être appelés à disparaître.

Le silence du gouvernement français face au dogmatisme européen les frappe d’autant plus que des réformes ont déjà été engagées mais ne sont jamais mises en avant. « La réforme de l’emploi est déjà en train. La partie sécurité est assez alléchante. Mais il est à craindre qu’elle ne soit jamais réellement mise en œuvre, au moins dans le contexte de crise actuelle. Cette réforme masque un déplacement du curseur vers les entreprises. Sans le dire, on est en train d’organiser la déflation salariale », pointe Xavier Timbeau.

Le plus surprenant, pour eux, est l’absence de réaction de la France face aux demandes sur la libéralisation des services publics. « La Commission profite de la situation pour nous refourguer ces vieilles recettes. Mais qu’a à voir la libéralisation de l’énergie avec la crise ? Rien. C’est d’autant plus grave que ce débat sur l’énergie n’a pas à être mené sur un coin de table. Il y a des enjeux de sécurité, de compétitivité sur le long terme. Un débat doit être mené avec le reste de l’Europe sur le nucléaire, les gaz de schiste, les approvisionnements. On sait qu’on est dans un contexte de grandes incertitudes, qui va requérir des investissements très lourds. Et on nous ressort des concepts inadaptés des années 1990 », s’impatiente Xavier Timbeau.

« La commission reste dans le dogme néolibéral. Mais il est des biens collectifs, des situations de monopole naturel, comme typiquement l’énergie ou le ferroviaire, où le public est moins cher que le privé, pour le profit de tous, et pour une simple raison : il n’a pas le même coût du capital que le privé, il n’est pas obligé de rémunérer ses actionnaires », rappelle Christophe Ramaux. Mais là encore, cette leçon d’économie a été volontairement oubliée.

« Si la France accepte sans discuter la vision néolibérale de Bruxelles, ce n’est pas seulement par tactique ou par faiblesse. Le mal est plus profond que cela. Toute une partie des élites, notamment à Bercy, est persuadée que ces réformes structurelles sont exactement ce qu’il faut faire. On est en train de payer des années de régression intellectuelle, d'absence de débat théorique », dit Christophe Ramaux. Cette carence risque de se payer au prix fort.