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La télé grecque renaît de ses cendres
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
(Le Monde) Le lancement, dimanche 4 mai, en Grèce de la nouvelle chaîne publique Nerit s'est voulu un événement confidentiel et discret. Tellement discret que le seul changement notable fut l'apparition à 18 heures, heure locale, d'un nouveau logo à l'antenne, alors que démarrait le premier bulletin d'information de Nerit.
L'habillage du studio, d'un rouge profond, était certes nouveau, mais le studio, lui, est en fait le même qui, depuis août 2013, accueillait le journal de DT et encore auparavant celui de ERT (Radio- Télévision publique grecque) pendant des décennies.
Nerit, DT, ERT… Difficile encore aujourd'hui de bien saisir le chemin chaotique traversé par l'audiovisuel public grec depuis la fermeture soudaine d'ERT, le 11 juin 2013, par le gouvernement conservateur d'Antonis Samaras au nom de la lutte contre le clientélisme et le gaspillage de l'argent public. Le monde entier s'était alors ému du sort des 2 700 employés brutalement licenciés.
SITUATION CONFUSE
Une situation confuse s'en était suivie durant laquelle on a vu, d'une part, d'anciens employés d'ERT occuper les locaux du groupe et émettre sur Internet un programme de résistance et, d'autre part, le recrutement d'environ 800 personnes – principalement issues de ERT – pour animer DT, une chaîne officielle temporaire à la programmation poussive.
Dans le même temps, des textes de loi instituaient Nerit, dont le lancement était alors programmé pour septembre 2013, mais qui aura finalement nécessité près de onze mois de douloureuse gestation pour voir le jour.
L'évacuation musclée en novembre 2013 par les forces spéciales grecques du siège social de l'audiovisuel public a forcé les irréductibles d'ERT à se replier sur un petit studio qu'ils ont symboliquement installé dans un appartement, face à l'entrée principale de leur « ancienne maison » dans la banlieue athénienne d'Agia Paraskevi.
APPEL D'OFFRES
Regroupées dans le réseau ERTOpen, environ 500 personnes continuent à ce jour d'émettre sur une quinzaine de stations de radio à travers le pays, appelées ERA, et animent un programme télé, produit dans les locaux de l'ancienne antenne d'ERT de Thessalonique (nord), et diffusé sur Internet. Babis Kokossis est journaliste. Il a travaillé quatorze ans à ERT et anime désormais le bulletin d'informations pour l'ERA d'Athènes.
Chaque jour, il voit de sa fenêtre ses anciens collègues, « ceux d'en face »comme il les appelle, entrer travailler dans le vaste vaisseau amiral de Nerit. « En fait, Nerit loue le personnel de DT que le gouvernement a installé là après nousavoir virés. Légalement, Nerit a ouvert sans personnel propre », explique Babis Kokossis. Après la fermeture d'ERT, l'ensemble des avoirs de l'entreprise ont été transférés au ministère de l'économie grec, et un liquidateur a été nommé.
C'est ce liquidateur qui a officiellement embauché les 800 employés de DT sous la forme de CDD de deux mois renouvelables. Dans le même temps, un appel d'offres pour recruter les 650 employés que devrait compter Nerit a été lancé, mais n'a toujours pas abouti. Plus de 3 000 candidatures ont été reçues.
« SITUATION COMPLIQUÉE »
Une procédure d'évaluation se voulant transparente et se fondant sur un système de calcul de points lié aux diplômes ou aux années d'expérience a été mise en place. « Pour 300 employés – techniciens ou agents administratifs – les choses sont sur le point d'être finalisées », assure Théodore Fortsakis, le président du conseil de surveillance de Nerit.
Mais pour les 350 autres, dont 132 postes de journaliste, « la situation est un peu plus compliquée », avoue ce juriste renommé. « Parce que l'agence recrutée par l'ancien président Georges Prokopakis pour assurer l'évaluation et le contrôle de ces candidatures nous a rendu un rapport farfelu, que nous sommes aujourd'hui obligés de reprendre. »
En attendant, c'est bien avec le personnel de DT que Nerit fonctionne. Une loi ad hoc a été votée il y a quelques mois pour permettre ce tour de passe-passe juridique. « J'ai fait le choix de rentrer dans DT car j'avais besoin d'argent, explique un technicien rencontré sur le plateau du journal de 15 heures de Nerit, mais aussi parce que je pensais que je pouvais prouver à ceux qui montent Nerit que j'avais de la valeur. »
« UN JEU DE DUPES »
Comme cet homme, la plupart des 800 employés de DT ont fait le pari decollaborer à cette chaîne temporaire, dans des conditions salariales et statutaires contestables, avec l'espoir de faire partie de la vague d'embauches définitives et d'obtenir à la clé un CDI, dans un environnement économique sinistré où 27 % de la population grecque est au chômage. « Un jeu de dupes, ironise Babis d'ERTOpen, car au final, on leur dit qu'ils seront traités comme les autres candidats. »
En réalité, cette procédure de recrutement qui se veut impartiale et transparente est faussée depuis le début. De faux diplômes sont présentés, « les journalistes sont évalués sur la base d'un entretien qui laisse une grande place au népotisme et au clientélisme », soutient encore le journaliste qui a lui, refusé de déposer sa candidature à Nerit. Plusieurs de ses collègues d'ERT ont par ailleurs porté plainte pour licenciement abusif. Le procès a eu lieu, mais la justice grecque n'a pas encore rendu sa décision.
Ces procédures judiciaires n'émeuvent en rien les architectes de Nerit, qui promettent l'ouverture dans les prochains jours d'une deuxième chaîne pour la diffusion du Mondial de foot au Brésil et de débats pour les élections européennes ainsi que d'une troisième chaîne et de deux antennes de radio d'ici à octobre.
PRESSIONS
« Nous récupérerons ensuite les autres ERA à travers le pays. L'urgence était d'ouvrir avant la finale de l'Eurovision du 10 mai. Une exigence de l'Union européenne de radio-télévision . D'ici à la mi-juin, j'ai bon espoir que le recrutement du personnel soit enfin achevé et alors nous pourrons renforcer nos programmes », promet Théodore Fortsakis. L'UER reconnaît en effet avoir fait pression sur les Grecs pour qu'ils rétablissent une chaîne publique d'ici au 10 mai.
« Il fallait bien leur mettre une “deadline” car rien n'avançait. Il ne semblait pas yavoir de volonté politique réelle de relancer un audiovisuel public en Grèce, alors même qu'il s'agit d'une obligation légale en Europe », explique Ingrid Deltenre, présidente de l'UER. Pour autant, l'UER reconnaît-elle aujourd'hui Nerit comme une chaîne publique ?
« La qualité des programmes est évidemment insuffisante et ne permet pas, en l'état, de qualifier Nerit d'audiovisuel public, car elle ne répond pas aux missions – pluralité de l'information, contenus culturels, documentaire, fiction – indispensables. Mais nous continuerons de les pousser à faire mieux et nous nous donnons jusqu'à octobre pour nous prononcer », conclut la présidente de l'UER.
La douleur, la colère et le sentiment d'une démocratie malmenée qui ont entouré la fermeture d'ERT auraient été oubliés si le nouvel audiovisuel public grec s'était révélé prometteur, de qualité et indépendant. Mais de récentes rumeurs de favoritisme à l'embauche ainsi que le flou juridique entourant la procédure de recrutement ou encore la pauvreté des programmes laissent le sentiment amer d'une occasion ratée.