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Egypte: un bras d’honneur du peuple égyptien à Sissi

Égypte international

Lien publiée le 30 mai 2014

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://alencontre.org/laune/elections-presidentielles-un-bras-dhonneur-du-peuple-egyptien-a-sissi.html

Par Jacques Chastaing

La commission électorale des élections présidentielles qui se sont déroulées les 26, 27 et 28 mai 2014 en Égypte avait déclaré qu’elle donnerait les résultats officiels le 5 juin.

Mais on connaît déjà, plus ou moins, ces résultats officiels puisque des fuites bien organisées de la part des autorités donnent un résultat de 96,5% en faveur de Sissi et de 3,3% pour son challenger nassérien Hamdine Sabbahi, avec une participation officielle globale de l’ordre de 47%.

Une abstention massive: un pouvoir ridiculisé

En fait, l’empressement avec lequel les autorités donnent ces résultats est destiné à tenter d’occulter les résultats officieux qui circulent dans tout le pays, sur les réseaux sociaux mais aussi sur une partie de la presse. Ils indiquent une participation réelle qui irait selon les uns de 7,5% (Centre Egyptien d’Etude des Médias et de l’Opinion Publique, avec un maximum suivant les gouvernorats de 10,5% et un minimum de 1,2% ) à 15% (nassériens), pour les deux premiers jours de scrutin et une participation quasi nulle pour le troisième jour [1].

Or ces chiffres de participation extrêmement bas correspondent à l’expérience personnelle de ce qu’a pu constater une majorité d’Egyptiens: les bureaux de vote étaient vides. Le « Mouvement du 6 avril» a même pu diffuser une vidéo continue de 6 bureaux de vote où on ne voit personne aller voter. A cela s’ajoute de nombreux témoignages, photos et vidéos d’Egyptiens rapportant que dans leurs propres bureaux de vote il n’y avait personne ou que la participation était si faible que n’importe quelle personne se présentant était royalement accueillie sans qu’il ne lui soit du coup rien demandé sur son identité. Ainsi une vidéo montre le même homme votant douze fois de suite. D’autres montrent des gens inscrivant sur leurs bulletins de vote les noms de footballeurs ou d’actrices… A tel point qu’il semble y avoir eu plus de votes nuls que de votes pour Sabbahi. Il y avait beaucoup plus de monde dans les cafés environnants que dans les isoloirs. Le plus frappant était de ne voir aucun jeune parmi ceux qui votaient, seulement des personnes âgées aspirant à la sécurité et la stabilité et des femmes refusant un retour des islamistes. [2]

Cette formidable abstention qui confirme et amplifie celle déjà du plébiscite des 14 et 15 janvier est un véritable camouflet pour Sissi. Celui-ci avait en effet conçu ce vote comme un véritable plébiscite pour sa personne et sa politique. Il avait mis le paquet. Tout l’appareil d’Etat et le système médiatique avaient été mis à son service. Une fortune a été dépensée en communication, meetings, affiches, banderoles, achats de voix… Avant même les élections il était déjà président et se comportait comme tel. Sûr de lui, il avait déclaré quelques jours avant le scrutin qu’il estimait que la participation serait de 75%. Toutefois, prudent, il avait aussi usé de la menace la veille du vote en déclarant que ceux qui ne voteraient pas feraient un baiser aux terroristes et étaient des traîtres à la patrie: 80 à 90% des Egyptiens semblent donc être des traîtres !

Mais cela ne suffisant pas pour faire voter et constatant la très faible participation au premier jour du scrutin, les autorités ont décidé alors que le second jour de scrutin serait férié pour les fonctionnaires, que les transports seraient gratuits, que certains grands magasins fermeraient leurs portes plus tôt. Elles ont rajouté un troisième jour de vote – au prétexte qu’il faisait chaud – pour tenter d’inciter les Egyptiens à se rendre aux urnes. En même temps, une véritable campagne télévisée, faite d’un déchaînement d’insultes, de menaces ou de cajoleries envahissait les ondes pour faire monter la participation. Le Premier ministre rappela que le vote était obligatoire et que les abstentionnistes devraient s’acquitter d’une amende équivalente à deux ou trois mois de salaire. Des journalistes parlèrent de couper l’électricité aux abstentionnistes. On rajouta des chanteurs et des danseurs devant les bureaux de vote pour attirer le chaland…

Il y eut du Sissi partout… sauf dans les urnes

Tout a fonctionné comme si la panique des autorités – s’étalant sur les ondes et grandissant au fil des heures face à l’abstention – renforçait la volonté des Egyptiens à défier de plus en plus le pouvoir en confirmant et en renforçant l’abstention. Ce qui était déjà une farce électorale se transforma en bouffonnerie, à la plus grande joie des Egyptiens dont on connaît le goût pour l’humour.

Le troisième jour fut un véritable désastre de participation, les bureaux quasi vides. Ce qui devait être le plus grand jour de la prétendue idole du peuple était son jour le pire, montrant que le demi-dieu quasi-empereur, n’était qu’un Badinguet [3]; le grand désert autour des bureaux de vote était la réponse du peuple au plébiscite de Sissi l’appelant à le soutenir.

Une abstention qui n’est pas de l’apathie et une panique du pouvoir qui le montre

Bien sûr, pour tenter de désamorcer et affaiblir la portée de la claque que vient de recevoir Sissi, les autorités vont donner leurs résultats trafiqués et un certain nombre d’experts vont expliquer que cette abstention est une apathie, quasi une acceptation du régime, plus qu’une contestation active du pouvoir.

Ils auront les mêmes arguments que ceux qu’ils ont depuis mars 2011: les gens veulent de la stabilité et de la sécurité, ils sont fatigués, le résultat était acquis d’avance, les Egyptiens ont déjà tellement voté, c’est pour ça qu’ils n’ont pas participé au scrutin… bref, la révolution est morte et cette abstention ne fait que traduire cette mort.

Certes, il n’y a pas eu de boycott actif, au sens d’une campagne dans la rue ou les ondes appelant à ne pas voter. Tout simplement parce qu’on pouvait être arrêté pour cela. Mais, au delà, des Frères Musulmans qui appelaient au boycott, il y a eu aussi de très nombreux groupements révolutionnaires dont pour les plus connus, le parti de Fotouh, le Mouvement du 6 avril ou encore Khaled Ali ancien candidat ouvrier aux présidentielles. Ce qui donne à cette abstention massive un sens politique évident.

Sissi prétendait être le représentant de la révolution en demandant le soutien démonstratif du peuple pour le prouver. Par cette abstention, le peuple et la révolution ont clairement répondu que Sissi ne représente pas cet espoir révolutionnaire. L’abstention a dit que sa répression féroce, l’interdiction des grèves et manifestations et sa démagogie anti-terroristes islamistes n’ont pas le soutien du peuple. Pas plus que, visiblement, Sabbahi – alors qu’il avait été troisième aux dernières présidentielles – et malgré l’immense tricherie. Sabbahi s’est probablement discrédité par ses trop grands compromis avec le système, l’armée, Sissi; son parti participant encore il y a peu au gouvernement de répression de Sissi et envisageant même d’y participer encore après l’élection de Sissi.

Le peuple veut aujourd’hui bien autre chose

Ce sens politique évident de l’abstention était visible à la panique du pouvoir. Elle en a été l’expression la plus claire. Une panique qui était l’aveu que le pouvoir a besoin de ce soutien populaire et que sans lui, il ne se sent pas si fort qu’il en donne l’apparence, entre autres par sa répression. Le roi est nu. Après la chute des Frères Musulmans, le deuxième pilier du système, l’armée, vient de prendre un coup.

Par ailleurs ce sens politique de l’abstention est donné également par ce qui s’était passé au lendemain de l’abstention déjà massive (mais moins que cette fois-ci) lors du plébiscite des 14 et 15 janvier 2014: une grève très large d’une grande partie de la fonction publique pour le salaire minimum. En effet, l’abstention des 14 et 15 janvier avait montré la faiblesse, l’isolement du pouvoir «fort» de Sissi. Cela avait encouragé le déclenchement de ces grèves, renforcées du fait que le régime avait promis une hausse du salaire minimum.

Or l’abstention, encore plus massive cette fois-ci, montrant un Sissi plus isolé que jamais, s’additionne de ce que cette campagne électorale s’est faite pour arrêter ces grèves, avec comme axe principal que sa répression féroce.

Un spectre hante l’Égypte des riches, les promesses de Sissi

Ce qu’en effet peu de commentateurs, même critiques, ont remarqué –obsédés qu’ils sont par la répression, où par la partie des discours de Sissi qui appelaient au travail, à ne pas faire grève ni manifester, à la discipline, à la patrie et ne portant, par ailleurs, guère d’intérêt aux grèves et aux ouvriers – est le fait suivant: les grèves n’ont été suspendues, fin février ou fin mars (date à laquelle Sissi a annoncé sa candidature après bien des hésitations) qu’avec la promesse que leurs revendications seraient satisfaites après les élections, si Sissi était élu. Car la dictature de Sissi n’est pas celle de Moubarak. Ce dernier ne promettait rien, sa police suffisait. Sissi, lui, doit dialoguer avec la population, promettre…

Or les grévistes avaient été clairs , ils n’arrêtent pas leurs grèves, ils les suspendent et donnent deux ou trois mois, le temps des élections, au pouvoir, pour ensuite satisfaire leurs revendications.

La panique du pouvoir devant l’abstention vient de là.

Le pari de la candidature de Sissi n’était que secondairement de faire patienter les travailleurs. Le pari principal était d’obtenir le soutien de la population au-delà du monde du travail, pour pouvoir s’autoriser d’elle et de son envie de stabilité afin de s’attaquer aux grévistes et les briser.

2014-635367938758682085-868_485x310-1Or Sissi n’a pas eu le soutien des Egyptiens. Au contraire même, le peuple dans son abstention, en quelque sorte a pris partie pour les grévistes et leurs revendications en disant à Sissi: «ne compte pas sur nous pour te soutenir si les grèves recommencent et si tu t’attaques aux grévistes» ont-ils laissé entendre. L’avertissement est clair. Le pouvoir l’a entendu.

Car ce qu’il y avait de particulier en février et mars 2014, dans la formidable vague de grèves pour un salaire minimum, c’est qu’elles n’étaient pas qu’économiques mais politiques. Elles réclamaient de «dégager» tous leurs dirigeants à tous les niveaux de l’Etat ou de l’économie, ses dirigeants fussent-ils des militaires.

C’est pour ça que ces grèves ont fait tomber le gouvernement d’Hazem Beblaoui en place en février 2014. Sissi avait alors hésité pendant deux mois à se présenter pour ne pas être sous la pression de ces grèves et de la crise socio-économique. En même temps, le gouvernement cédait à tout face aux grévistes pour tenter de les arrêter ou promettait de leur donner tout, mais demain, après les élections.

Sissi lui-même n’a pas fait de nouvelles promesses aux grévistes durant cette campagne. Il a été prudent. Mais c’est son entourage, qui l’a fait pour lui. Le Premier ministre a promis tout ce que demandaient les grévistes: la renationalisation des 12 entreprises privatisées en lutte en février; l’arrêt des privatisations; l’investissement dans la production; l’étude de l’extension de l’augmentation (quasi doublement) du salaire minimum aux salarié·e·s qui n’y avaient pas droit jusque-là; l’augmentation du budget de la santé; l’amélioration des droits des syndicats et des protections sociales des salariés…

En février-mars, Sissi et le régime avaient été les otages de leurs promesses passées faites en 2013 pour obtenir le soutien du peuple à leur coup d’Etat. L’abstention au plébiscite avait été le facteur déclencheur des grèves. Avec les élections présidentielles, le pouvoir n’a fait que repousser l’échéance des promesses. Les abstentionnistes leur ont dit en quelque sorte : «on a attendu, maintenant on va voir si vous allez tenir les promesses que vous nous avez faites.»

Aujourd’hui, avec l’abstention massive des présidentielles, l’histoire se répète et à un niveau encore plus élevé.

Le volcan politico-social égyptien

Par ailleurs, et ce qui est encore plus important, ces grèves avaient commencé à se donner pour la première fois dans l’histoire de la révolution, une coordination nationale interprofessionnelle, au moins à l’état embryonnaire. Mais cette coordination avait toutefois eu le temps de reprendre immédiatement à son compte l’ensemble des revendications des grévistes, pour en faire, pour la première fois, une espèce d’embryon de programme général ouvrier.

A partir de là, de fait, elle avait posé les problèmes ouvriers sur un plan politique et, pour la première fois depuis 2011, elle avait fait entendre les solutions ouvrières aux problèmes de l’Egypte. C’est à ce moment que Sissi a décidé de se présenter malgré les risques pour arrêter ce processus. Sa candidature avait le sens de cet arrêt des grèves, mais aussi en conséquence d’un engagement – quoi qu’il dise par ailleurs – à donner satisfaction aux grévistes mais après les élections et s’il était élu.

Les grèves ont donc été plus ou moins suspendues le temps de la campagne électorale. Sissi a réussi cela. Mais il ne peut pas tenir ses promesses. Au contraire même, il doit supprimer des subventions à des produits de première nécessité.

Toute la question alors est non pas de savoir si les grèves vont reprendre, car elles vont reprendre, la situation économique des Egyptiens est épouvantable, mais si elles vont reprendre au niveau politique où elles s’étaient arrêtées, au niveau de la coordination nationale des grèves de mars 2014 et de son programme.

Autrement dit, si l’expérience de la coordination nationale de mars est la prémisse de la construction d’une direction et d’une politique révolutionnaire, à laquelle l’abstention populaire de ce mois de mai donne en quelque sorte le feu vert et dit: «on vous écoute, c’est à vous de jouer, quelles sont vos solutions?» (29 mai 2014)

______

[1] Marion Guénard, dans Le Monde daté du 29 mai 2014, écrit : «La désertion est pis encore, semble-t-il, en province, en particulier en Haute Egypte. «A Ben Suef, Al—Minya, Qenas, on a recensé quelques centaines de votants sur des circonscriptions de 4000 inscrits» raconte un juge égyptien, supervisant l’élection au Caire».  La correspondante duMonde continue ainsi: «Tout au long de la soirée de lundi, les personnalités du paysage audiovisuel égyptien ont frénétiquement appelé les Egyptiens à se rendre aux urnes. «Je voudrais me couper les veines pour le pays, pour que les gens descendent voter!» assure Amr Adib, présentateur du talk-show «Al-Qahera Al-Youm»«Fouloul» assumé, c’est-à-dire partisan de l’ancien régime d’Hosni Moubarak, cet homme de médias n’est pas le plus virulent. D’autres accusent et menacent. L’abstentionniste devient un traître à la nation.» (Rédaction A l’Encontre)

[2] Al Ahram Hebdo du mercredi 28 mai 2014 insiste sur le fait qu’à Alexendrie: les «jeunes sont quasi absents». La correspondante au Caire du journal de France Culture soulignait que le vote des femmes lors du mercredi 28 mai – le jour supplémentaire d’élection imposé par le pouvoir – était en grande partie stimulé par les salafistes qui exprimaient, de la sorte, leurs remerciements au pouvoir en place et à ceux qui les financent depuis l’Arabie saoudite. (Rédaction A l’Encontre)

[3] Sobriquet donné à Napoléon III. Un terme qui a connu une grande fortune dans l’histoire populaire de France. En août 1870, Engels écrit à Marx : «L’Allemagne a été conduite par Badinguet dans une guerre pour son existence. Si l’Allemagne devait se courber devant Badinguet, le bonapartisme serait consolidé pour de nombreuses années, et l’Allemagne pour plusieurs années, pour plusieurs générations même, serait kaput. Alors il ne saurait être question d’un mouvement ouvrier indépendant.» (Rédaction A l’Encontre)