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SNCF : Quelques pistes pour construire la grève et infliger une défaite à Macron

Par Tonio Álvarez (21 avril 2018)
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Une bataille cruciale

Les cheminot.e.s engagé.e.s dans la grève ont bien conscience que cette grève est une bataille décisive, non seulement pour eux-mêmes, mais pour l’ensemble des travailleurs.ses. Pour Macron, il ne s’agit pas simplement d’ouvrir la voie à la concurrence et à la privatisation du rail, ni même simplement de supprimer le statut de cheminot.e, mais par là d’infliger une défaite à l’un des bastions de combativité du salariat pour s’ouvrir la voie libre à la liquidation d’autres conquêtes essentielles du prolétariat : statut des fonctionnaires, services publics, retraites…

Cela explique une forte détermination des grévistes, alors même que la lutte est engagée depuis le 3 avril. Tout.e.s les cheminot.e.s engagées dans la bagarre ont déjà 8 jours de grève au compteur, et la très petite minorité qui a choisi d’entrer très vite en reconductible peut avoir déjà jusqu’à 17 jours de grève. Mais ce n’est pas le cas de tout.e.s ces dernier.e.s, car certain.e.s voyant que la reconductible ne prenait pas, sont revenus sur la grève perlée.

Pourtant, malgré cette conscience et cette détermination, à ce stade, même si elle ne faiblit pas de façon significative, la grève peine à se développer. Pourquoi ? Quels sont les obstacles ? Comment peut-on contribuer à les lever ?

L’unité des cheminot.e.s ne peut se construire que sur l’objectif du retrait total du Pacte Ferroviaire

La première question de fond, c’est celles des revendications, de l’objectif de la grève. Le Pacte Ferroviaire du gouvernement prévoit l’ouverture à la concurrence, la transformation de la SNCF en Société Nationale à Capitaux Publics (SNCP), la fin du recrutement au statut. Ces trois dispositions sont inséparables. L’ensemble prépare la privatisation pure et simple de la SNCF dans le cadre d’un secteur ferroviaire totalement libéralisé. C’est ce qui est arrivé pour France Telecom, EDF-GDF, Air France : l’État peut décider de vendre ses parts à des groupes privés dès qu’il le souhaite. Pourquoi en irait-il autrement pour la SNCF ?

La politique de l’intersyndicale conduit dans une impasse

Or, la CFDT, de façon parfaitement explicite, accepte l’ouverture à la concurrence, parce qu’elle serait, selon elle, inéluctable : « La CFDT a toujours dit son opposition à l’ouverture à la concurrence. Néanmoins, c’est un fait politique qui s’impose. La CFDT a donc présenté une vingtaine d’amendements qui traduisent une série de mesures protectrices pour les salariés. » (Communiqué CFDT-Cheminots du 12 avril 2018). Elle tente de justifier sa position, en affirmant par la voie de son secrétaire général, Didier Aubert, la chose suivante : « Nous ne sommes pas attachés indéfectiblement au statut, mais nous voulons que les cheminots des autres entreprises ferroviaires aient les garanties statutaires de même niveau que les agents SNCF » (L’Humanité, 3 avril 2018). Mais comment peut-on prétendre vouloir étendre le statut de cheminot.e.s SNCF à l’ensemble des travailleur.ses du rail (ce qui est tout à fait juste), si on ne commence pas par défendre le statut des agent.e.s de la SNCF, qui représentent l’écrasante majorité des salarié.e.s du secteur à ce jour ? A quoi bon pour le gouvernement et les grandes entreprises capitalistes ouvrir à la concurrence, si c’était pour accorder à tout.e.s les cheminot.e.s un statut identique à celui des agent.e.s de la SNCF, ce qui supprimerait toute concurrence réelle ?

Quant à l’UNSA, elle explique assez clairement encore dans un tract du 18 avril 2018 les implications du Pacte Ferroviaire : fin du recrutement au statut, risque de privatisation de la SNCF, possibilité de licenciement pour les salarié.e.s de la SNCF qui refuserait le transfert à une entreprise privée ayant remporté le marché des lignes régionales face à la SNCF, implication de la filialisation du fret, etc. Mais curieusement, l’UNSA n’en conclut pas à l’exigence du retrait du Pacte Ferroviaire, mais se borne à demander des « négociations », comme s’il était possible de faire reculer le pouvoir en allant discuter avec lui.

La direction de la CGT-Cheminots ne demande pas non plus le retrait du Pacte Ferroviaire. Elle avance des propositions pour l’avenir du ferroviaire, dans un document appelé « Ensemble pour le fer », remis au gouvernement et à l’Assemblée Nationale. Mais comment ces propositions pourraient-elles être mises en œuvre, si les cheminot.e.s n’obtiennent pas d’abord le retrait du Pacte Ferroviaire ?

En toute logique, l’intersyndicale participe aux concertations organisées par la Ministre des Transports, Élisabeth Borne, concertations qui portent exclusivement sur les modalités de mise en œuvre du Pacte Ferroviaire. Certes, elle a jeudi 19 avril décidé de suspendre sa participation à ce niveau, mais c’est pour exiger des concertations avec le Premier Ministre !

L’annonce de la filialisation du fret et de sa recapitalisation, c’est-à-dire de sa privatisation, avec 3000 licenciements à la clef, a été dénoncée par les directions syndicales, mais ne les a pas conduit à changer de logique.

En ce sens, le positionnement de l’intersyndicale CGT-CFDT-Unsa ne permet pas l’unité des cheminot.e.s, mais y constitue au contraire un obstacle. Car l’intersyndicale n’est pas sur la revendication simple, élémentaire, qui pourrait entraîner tous les cheminot.e.s de retrait pur et simple du Pacte Ferroviaire. Elle est au contraire dans une logique d’amendement, de « peser » sur le projet du gouvernement. Et c’est la raison pour laquelle cette intersyndicale a choisi de participer aux concertations et d’imposer aux cheminot.e.s la tactique de la grève perlée.

Sud-Rail pour le retrait et la reconductible, mais non sans hésitation et tergiversation

A l’opposé, la fédération Sud Rail a refusé de signer l’appel de l’intersyndicale CGT-CFDT-Unsa, car elle exige le retrait du Pacte Ferroviaire et se prononce pour une grève reconductible. Cependant, tous les syndicats Sud Rail ne mettent pas en œuvre cette orientation, soit parce qu’ils n’en sont pas convaincus, soit parce qu’ils se sentent trop minoritaires par rapport à la CGT, et même ceux qui la portent, le font pour le moment avec une certaine timidité et hésitation. Ils justifient cette attitude en expliquant craindre une rupture ouverte avec la CGT, qui démobiliserait les cheminot.e.s. Certes, c’est un argument qui peut en partie s’entendre : dans une entreprise où le poids des syndicats reste considérable, c’est un élément à prendre en considération. Cependant, il y a peut-être d’autres raisons, moins avouables, comme le souci de se démarquer sur la gauche de l’intersyndicale, avec l’espoir d’accroître le poids relatif de Sud-Rail lors les élections professionnelles de décembre 2018, tout en refusant une radicalisation à quitte ou double. Mais surtout ce choix conduit à une impasse. Car, refuser tout risque de rupture ouverte avec la direction de la CGT-cheminots, c’est se condamner au bout du compte à une politique suiviste par rapport à elle. Or, si on estime que cette orientation mène droit dans le mur, comme le pensent bien des responsables de Sud-Rail, il faut se donner les moyens de la dépasser, en comptant sur l’appui qu’un tel effort pourrait trouver chez les cheminot.e.s.

La « grève perlée » conduit à une impasse

Si elle est cohérente avec la plateforme de l’intersyndicale, on ne peut que s’étonner du choix de cette modalité d’action. En effet, très tôt, la CFDT-Cheminots a déclaré être pour une grève reconductible, la CGT-Cheminots défend la grève perlée principalement avec l’argument que ce serait la condition de « l’unité ». Si l’on comprend bien, ce serait donc comme condition de l’unité avec l’UNSA qu’elle aurait été choisie… Mais pourquoi faire ce choix si trois organisations syndicales étaient en principe pour la grève reconductible ? Car l’essentiel, c’est que cette forme de mobilisation mène droit à l’échec.

Faible impact économique et politique

Tout d’abord, c’est une forme d’action qui ne permet ni d’avoir un impact économique réel, touchant les capitalistes au portefeuille, ni de créer une situation politique mettant en difficulté le gouvernement et pouvant ouvrir à une généralisation des grèves. Plus le conflit se prolonge, plus Macron garde son sourire dents blanches et son arrogance de parvenu, plus cela risque de démoraliser les grévistes qui se sentent ainsi impuissant.e.s.

Obstacle à la construction de la grève

Ensuite, c’est une forme de mobilisation qui empêche de construire la grève pour y entraîner l’ensemble des cheminot.e.s. En effet, c’est à condition d’être en grève de façon continue qu’on peut s’organiser en comité de grève élu par l’AG pour convaincre les collègues qui ne sont pas encore en grève de rejoindre le mouvement. En outre, c’est à partir du moment où la mobilisation est puissante et durable parmi les travailleurs.euses au statut qu’on peut entraîner les personnels plus précaires.

Des AG privées d’un véritable pouvoir de décision

Par ailleurs, en fixant au sommet le rythme et les modalités de la grève, l’intersyndicale CGT-CFDT-UNSA tend à dissuader les cheminot.e.s d’aller en assemblée générale et à vider de substance celles qui se tiennent. En effet, à quoi bon se réunir et discuter, si de toute façon les décisions des assemblées générales restent sans effet ? En agissant ainsi, l’intersyndicale pose un obstacle à ce que les travailleur.ses de la SNCF puisse se saisir eux-mêmes/elles-mêmes de la grève et l’organiser.

Se poser la bonne question

Enfin, l’un des arguments avancés, sinon le principal, pour justifier la grève perlée, c’est le manque d’argent. Évidemment, c’est pour tout.e  travailleur.euse une réalité qu’il faut pouvoir boucler les fins de mois. Mais si les salarié.e.s voient qu’ils peuvent conserver le statut, empêcher la privatisation, stopper l’ouverture à la concurrence et infliger une défaite au gouvernement, ils/elles trouveront les ressources pour y parvenir. En plaçant au centre la question de l’argent, les sommets de l’intersyndicale détourne les agent.e.s de la SNCF de la question centrale : comment lutter pour imposer le retrait du Pacte Ferroviaire ?

La base commence à chercher comment déborder ce cadre qui conduit à la défaite

Malgré ces difficultés, le combat est très loin d’être fini. La détermination à la base est forte. Les AG cheminot.e.s restent nombreuses en régions et significatives à région parisienne, même si elles ont été divisées par deux ou trois depuis le début de la grève. Et surtout, à la base, des cheminot.e.s commencent à chercher par eux-mêmes/elles-mêmes la façon de construire une véritable grève, qui fasse mal à Macron et au patronat.

La première volonté des cheminot.e.s, c’est de rompre l’isolement du dépôt par dépôt, gare par gare, région par région. Cela s’exprime d’abord par des interrogations en AG sur ce qui se passe ailleurs, point sur lequel les délégués syndicaux restent généralement très vagues. Mais cela s’exprime ensuite dans la volonté de regrouper les forces avec les autres gares.

Cette volonté a trouvé de premières formes d’expression. D’abord dans l’organisation d’un barbecue militant, avec ces prises de paroles, à l’initiative de l’AG de Gare du Nord et des ex-grévistes d’ONET sur le parking de la gare de Saint-Denis (RER D) mercredi 18 avril. Il a regroupé une soixantaine de cheminots de Paris-Nord, Paris Saint-Lazare, Châtillon, ainsi qu’une cinquantaine d’étudiant.e.s de diverses universités. Il y a eu un certain nombre de prises de paroles. Mais cela avait plus le forme d’un mini-meeting de la grève que d’une AG.

Le lendemain, une première réunion inter-gares a été tenu à l’université de Paris I – Tolbiac, regroupant une quarantaine de cheminot.e.s de Paris-Nord, Châtillon, Paris Saint-Lazare, Austerlitz, Juvisy… Un échange d’information sur la situation dans les différentes gares a eu lieu et un premier débat s’est mené sur les manières de développer la grève. Il s’est concentré sur la question de l’organisation d’une AG inter-gares, non pas à la place des AG de gare, mais en plus, en début d’après-midi.

Pour une AG inter-gares en région parisienne pour construire la grève

Cette idée, déjà évoquée depuis le week-end précédent dans des échanges informels, par des cheminot.e.s et des militant.e.s de Sud-Rail, était portée lors de cette réunion par quelques collègues de Paris-Saint-Lazare, syndiqué.e.s et non syndiqué.e.s. Elle a été combattue par d’autres avec divers arguments, tous peu convaincants.

Trop tôt ?

Tout d’abord, certain.e.s y ont opposé l’objection qu’il serait trop tôt pour organiser une telle AG inter-gares et que l’heure serait à construire la grève et à la renforcer gare par gare. Il est exact que le travail de construction locale de la grève est important, mais il se heurte aux obstacles généraux indiqués plus haut, que l’activisme le plus sérieux, le plus organisé et le plus effréné sur une gare ne peut pas à lui seul lever.

Comité de délégué.e.s mandaté.e.s contre l’AG inter-gares ?

Une autre objection avancée était que, lorsque la situation serait mûre pour structurer l’unité avec les autres gares, il faudrait alors plutôt une sorte de comité de grève inter-gares, avec des délégué.e.s de chaque AG mandaté.e.s. Ce n’est bien sûr pas faux sur le principe, mais opposer la forme parfaite d’un comité de grève inter-gares à un premier effort de coordination de la lutte, permettant aux cheminot.e.s de commencer à prendre eux-mêmes leur grève en main, est une erreur. Au lieu de s’appuyer sur les éléments les plus progressistes qui germent au sein même du mouvement, ce serait les stériliser au nom d’un idéal abstrait.

Simple réunion inter-gares au lieu d’une AG inter-gares ?

Enfin, le troisième argument avancé, c’est qu’une telle AG inter-gares risque d’être peu nombreuse. Dans ces conditions, les cheminot.e.s regroupé.e.s ne seraient pas en mesure de prendre des décisions, car ils/elles ne seraient pas représentatifs.ives. Il est possible que la première AG ne soit pas nombreuse. Mais selon les efforts que l’on y mettra, elle pourra l’être plus ou moins: si cette proposition est portée dans toutes les AG de gares parisiennes, nul doute que cette première réunion serait déjà significative. En outre, si on ne fait pas un premier pas en ce sens, on ne se donne aucune chance de pouvoir regrouper plus largement. Ensuite, tout dépend des décisions qu’il s’agirait de prendre. Évidemment, une AG regroupant quelques dizaines de cheminot.e.s ne saurait proclamer par dessus la base et les AG de gares la grève reconductible. En revanche, une telle AG pourrait tout à fait définir une orientation à porter dans les diverses AG, pour permettre une intervention organisée avec l’objectif de convaincre l’ensemble des collègues dans les AG de gare de reprendre les revendications essentielles (le retrait pur et simple du Pacte Ferroviaire) et ses modes d’action qui vont avec (la grève reconductible). Une telle réunion pourrait donner de la confiance aux petits groupes de cheminot.e.s qui essayent, pour le moment de façon isolée et donc aussi hésitante, sans véritable capacité à entraîner, d’infléchir le cours de la grève. Elle pourrait éditer un matériel propre, avec le soutien des syndicats de gare ou de région s’y reconnaissant, s’adressant à l’ensemble des cheminot.e.s. Réciproquement, une telle action redonnerait de l’intérêt aux AG de gare, ce qui offrirait la possibilité de motiver les grévistes à revenir en masse les jours de « perlée ».

La grève cheminot.e, le mouvement étudiant et l’extension de la grève

Mais ce n’est pas tout. Une telle AG inter-gare pourrait aussi poser la question de l’élaboration, avec les étudiant.e.s, d’une plateforme de revendications permettant de s’adresser à tous les autres secteurs. En effet, l’addition de revendications sectorielles ne permet ni d’obtenir le soutien large de l’opinion, c’est-à-dire de l’ensemble du salariat, ni d’étendre et de généraliser la grève. Pour y parvenir, il faut construire une plateforme qui mette en avant les intérêts communs de l’ensemble des salarié.e.s face à l’offensive actuelle du MEDEF et de son gouvernement, intérêts communs qui trouvent leur déclinaison particulière dans chaque secteur. Cela inclurait sans doute : l’opposition à tout licenciement ; la défense et la reconquête des services publics ; le refus de la sélection à l’université qui doit être ouverte aux enfants d’ouvrier.e.s, chômeurs.euses, précaires ; le refus d’une détérioration des conditions de travail ; la préservation des statuts, leur unification et leur extension à tou.t.e.s, sans laquelle il ne serait ni possible de préserver les services publics, ni de défendre les conditions de travail, ni d’unifier l’ensemble des travailleurs.euses. Ces exigences conduisent inévitablement vers la conclusion qu’il est nécessaire de combattre pour stopper Macron et son monde. C’est ce à quoi nous nous efforçons de contribuer par notre intervention dans la mobilisation actuelle aux côtés de toutes celles et ceux qui partagent cette aspiration (1).

  1. La construction d’un tel mouvement contre Macron et son monde pose, bien entendu, des questions qui débordent le cadre de cet article.

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