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Témoignage fort d’une gilet jaune de Bourgogne

Par Cévrai Semblable (31 décembre 2018)
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Nous le savons : les femmes, qui représentent la grande majorité des travailleurs pauvres à l'échelle nationale, sont en première ligne dans le soulèvement des Gilets Jaunes. Nous publions ici un témoignage fort, celui d'une femme qui, bien qu'a priori désintéressée par la politique s'est progressivement mobilisée au point d'aller manifester et d'écrire, pour exprimer ses impressions, ses questionnements, ses envies. Pour aussi partager son quotidien, ses attentes et ses colères.
Un témoignage fort donc, qui laisse apparaître en filigrane que la conscience de classe s'éveille aussi dans la lutte, sur le terrain, lorsque l'on se rend compte que l'on n'est pas isolé.e.s mais ensemble. Ici, tout est pointé du doigt, avec une sincérité entière : la critique de la société capitaliste, de l'Etat et de sa police, mais aussi la nécessité de s'organiser, de décider collectivement ou encore de lutter avec acharnement.

Sa page Facebook vient d'être censurée 

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Je n'ai jamais voulu faire de politique, déjà parce que faute de bien me renseigner, je n'y comprends pas grand chose, et ensuite parce qu'à choisir je préférerais un pays sans dirigeant, ou au moins sans système méprisant tel qu'on le connaît. Force est de constater que nous n'avons pas le choix, le monde est ainsi fait et nous n'y pouvons rien. La France va mal et ce n'est pas seulement depuis deux ans, six mois, un mois... Simplement les choses sont allées trop loin et la colère accumulée est sans égal.

Je pense que j'étais comme bon nombre de citoyens, ce 17 novembre 2018, devant ma télé, excitée de voir des gens agir, bien au chaud sur mon canapé. Puis est arrivé l'acte 3 et là je jubilais. Je rageais de voir des symboles de la France ainsi abîmés, et pourtant j'étais ravie de voir que enfin, on parlait de nous, les gens, le peuple.

Issue d'une famille où la politique est très présente de part les engagements, je me suis dit que j'allais aller sur place, sans grande conviction, et qu'au mieux, ça me ferait une petite ballade hivernale. Oui, je l'avoue, je n'ai pas cru ce qui se disait, je ne pensais pas voir autant de gens dans les rues, je ne pensais pas voir des hommes en uniforme tirer sur des innocents. Mais j'étais excitée de faire quelque chose, d'assister à quelque chose, d'être là. Vous savez ce moment où votre cœur bat un peu plus vite et un peu plus fort, ce moment où vous vous sentez vivants? Alors j'y suis allée, me mêler à cette foule, sans idée précise, juste pour voir, pour faire comme ils disent à la tété "la badaude".

Je suis une femme de 30 ans et je n'ai jamais agi pour la France, mises à part quelques manifestions, toujours entraînée par mes proches. Jamais je n'ai fait quelque chose de moi-même. Mais j'ai pris conscience. A 30 ans, il s'en passe des choses, on fait, malgré soit, un bilan. Et après 13 ans de bons et loyaux services à l'usine, à la caisse d'un supermarché, dans des brasseries, chez des personnes âgées à faire le ménage... J'ai pris conscience, que moi, comme beaucoup d'autres, je serai probablement toujours au smic car je n'ai aucune évolution possible. Et le smic, il sert à survivre, mais il ne permet pas de vivre dignement. Je pense que depuis que je suis maman, il n'y a pas un seul jour où je ne rêve pas à plus d'argent. Bien sur qu'il y a pire, en France et ailleurs, j'ai un travail, j'ai un toit, j'ai mangé du foie gras à Noël. Mais parce qu'il y a pire on ne peut pas rêver à mieux? Et cet éventuel mieux ne permettrait pas d'aider aussi les autres, les plus démunis? J'ai toujours demandé de l'aide, partout où j'allais, pour tenter de vivre dignement. Mais j'ai aussi toujours apporté la mienne. J'ai toujours donné une pièce à un SDF dans la rue, j'ai travaillé bénévolement dans des foyers d'enfants en difficulté, je suis allée faire la toilette de dames âgées qui ne pouvaient plus le faire elles même. Et tout ça juste pour aider.

Les présentations faites, j'en viens à mon message, le vrai.

Nous (ou plutôt vous) avez commencé ce mouvement en réponse à la hausse du prix du carburant, noble cause quand on sait que de nos jours, nous sommes tous obligés de prendre notre véhicule pour aller travailler. Bien sur, si on peut se déplacer à pieds ou à vélo, parfait, mais nous sommes une minorité à pouvoir le faire. Avec toute la meilleure volonté du monde, je ne peux pas aller travailler à 15 kilomètres à vélo avec un enfant de 7 ans. Une fois, une fille que je connais m'a dit "moi je m'en fous du prix de l'essence, quand je vais à la pompe je mets 50 euros à chaque fois donc je ne m'en rends pas compte". Ok, très bien.

Depuis le début de ce mouvement, nous nous sommes tous éparpillés, et à juste titre. Nous avons abordé de nombreux sujets qui fâchent, qui nous fâchent. Nous nous sommes éloignés de notre idée de base, et je trouve ça bien, nous nous sommes tous réveillés, à notre niveau. Nous ne sommes pas tous agacés pour les mêmes choses et c'est ce qui fait notre force. Notre différence. Nous sommes de gauche, de droite, nous sommes des extrêmes, nous sommes parents, nous sommes célibataires, nous avons 17 ans, nous avons 35 ans, nous avons 60 ans, nous sommes actifs, nous sommes retraités, nous sommes SDF, nous vivons en appartement ou en maison, nous habitons au nord, au sud, nous habitons à la capitale, nous habitons dans des petits villages méconnus. Nous sommes là, ensemble, et nous nous fichons les uns et les autres de qui nous sommes. Restons unis.

On nous prend pour des idiots à la télé, 12 000 personnes samedi 29/12/18? Qui peut encore croire à ce mensonge ignoble? Pour qui veut-on nous faire passer? Des crétins ignorants qui déambulent dans les rues faute de mieux? Toutes les pages facebook à elles seules, toutes les vidéos postées prouvent le contraire. Nous n'étions pas 12 000 samedi dernier, nous étions beaucoup plus et vous le savez. Ne nous laissons plus prendre pour des imbéciles, ne nous laissons par traiter de menteurs par des gens qui l'ont décidé. Ces pseudo journalistes qui bavent leurs conneries à la télé me font vomir. Quand tu as décidé d'être journaliste c'est ça que tu voulais faire? Parler du nouvel album de Jennifer, d'une année sans Johnny, des vacances de Macron à Saint Trop? Tu voulais nous faire croire, à nous, le peuple, que lorsque les premières neiges arrivent en France alors le reste du monde ne souffre plus, que lorsque les soldes d'été commencent il n'y a plus de famine, que la sortie du dernier film avec Kev Adams était plus importante que le réchauffement climatique?

TU VOULAIS NOUS FAIRE CROIRE A NOUS, QU'ON ETAIT VIOLENT?

Tu voulais nous faire passer pour des monstres, des casseurs, des voleurs, des menteurs? Tu voulais nous faire croire qu'on était 12 000 ce samedi? C'est ça que tu voulais quand tu as fait ton école, tu voulais divulguer de la merde à la France, à la terre entière? Tu voulais nous faire croire qu'à cause de nous les magasins perdaient de l'argent? Tu voulais nous faire croire que Auchan était en souffrance par notre faute? Sais tu combien d'entre nous peuvent encore faire leurs courses à Auchan? Tu as voulu obéir, tu as voulu t'écraser, tu as voulu être sûr de bien toucher ton salaire à la fin du mois en nous faisant passer pour des terroristes, très bien, reste bien caché derrière ton bureau.

Car les journalistes, ce sont nous, et nous n'avons pas fait d'école pour ça. Nous sommes allés sur le terrain, le vrai, nous sommes allés au bon endroit et nous avons vu, nous avons entendu et nous avons filmé. Mais ne prends pas nos vidéos qui montrent le vrai visage des gens et des choses. Ne montre pas nos chants, nos danses, nos mots, nos gestes, nos marches pacifiques. Ne montre pas ça tu as raison. Nous avons des yeux et ils n'ont pas besoin de regarder la télé. Pour la première fois depuis des décennies, l'argent que nous avons mis dans nos téléphones nous servent à filmer la réalité de la France.

Car nous avons vu, nous qui étions dehors, comment on traite les femmes, les enfants dans ce pays. Et bien sur les hommes ne sont pas en reste.

Alors je suis allée dehors, moi, la timide, la peureuse, la nerveuse, la stressée de la vie, celle qui trouve toujours autre chose à faire que quelque chose d'important, et j'ai vu. Dijon est une petite ville et nous étions près de 5000 le 15 décembre, un groupe soudé, léger, dans la bonne humeur et la légèreté, à marcher tranquillement. Nous nous sommes trouvés face à des rues entières complètement bouchées, bloquées par des voitures de police et des hommes en uniforme, bloquées par des grillages, bloquées par des hommes casqués, armés, armurés. Nous n'avons pas pu avancer, nous avons été traités de terroristes, les "badauds" ont été enfermés dans les magasins et les restaurants pour que nous ne leur fassions pas de mal. Nous avons rebroussé chemin, dans le calme, avec pour ambiance une mini fanfare et des gens costumés. Nous sommes arrivés à la place de la République, les forces de l'ordre suivaient chacun de nos mouvements. Nous étions là, dehors, debout, à discuter, à observer quand les premières grenades ont été lancées, nous enfumant tous. Alors forcément, moi, comme de nombreuses personnes présentes, nous ne connaissions pas cette sensation d’étouffer, nous ne savions pas ce que ça faisait de ne plus pouvoir respirer, d'avoir les yeux qui brûlent. Et pourtant je voulais rester, je voulais voir, je voulais sentir, je voulais observer. Les gaz en partie évacués, nous nous sommes ressoudés mais les jets ont été de plus en plus nombreux. Personne n'avait chargé, personne n'avait crié, personne n'avait d'arme, personne n'avait pris aucun équipement de la ville pour faire de barricades, de feu ou que sais-je encore. LES GENS ETAIENT JUSTE DEBOUT DANS LA RUE. Et nous avons été chassés, nous citoyens. L'homme est libre d'aller et venir là où bon lui semble et nous avons été privés de ce droit. Nous avons dû fuir contre les forces de l'ordre qui avaient été missionnées et envoyées pour nous faire fuir.

Samedi 29/12/18, nous étions moins nombreux, il faut l'admettre, mais nous avons marché, en chanson, dans les rues de Dijon. Nous sommes arrivés près du commissariat, à un croisement, et au moment de traverser, les forces de l'ordre, bien cachées à notre gauche, nous ont gazés, comme ça, sans prévenir, sans raison. Une partie du groupe avait déjà traversé, dont moi, nous avons invités le reste du groupe à venir. Mais il fallait pour ça traverser les fumées des gaz très présentes. Les gens habitant ici ont dû fermer leurs fenêtres et volets. Diviser pour mieux régner. Nous avons pu reprendre notre chemin, non sans mal mais toujours dans le calme. Et nous sommes arrivées place de la républiques là ou il y avait le marché de Noël. Très vite les premiers gaz ont été lancés, mais nous avons tenté de rester sur place. Les CRS nous ont chargés, comme ça, sans prévenir, tout est allé très vite. Même les plus robustes sont partis en courant dans toutes les rues adjacentes. Ils ont avancé vers nous, nous chargeant, nous gazant, pénétrant sur le marché de Noël ou des familles étaient là. NOUS N'ETIONS PAS SUR LE MARCHE DE NOEL, NOUS LES TERRORISTES, mais les CRS sont quand même venus. La place était enfumée et les familles on dû se réfugier sous un chapiteau dressé pour la patinoire. Les enfants criaient et pleuraient, les parents couraient en les tenant par la main pour fuir. Ils ont emmitouflé les enfants dans leurs écharpes et les faisaient courir. Une fois la place vidée, les CRS ont continué à envahir les rues en courant, lâchant encore des gaz alors que les familles couraient dans ces mêmes rues. Des gens ont ouvert leur porte pour faire entrer et mettre à l'abris les enfants en pleurs. Visualisez un chevreuil pris dans les phares de votre voiture, c'était pareil. Des gamins de 3 ans accrochés à leur mère en disant qu'ils avaient peur, incapables d'avancer. Imaginez le choc pour ses enfants, la souffrance physique et morale, la peur des parents pour leurs petits. Et on ose me dire, à moi qui suis maman, que ces parents n'auraient pas dû emmener les enfants au marché de Noël ce 29 décembre? Pourquoi? Ce ne sont pas nous les terroristes, les forces de l'ordre n'avaient aucune raison d'agir ainsi, ni contre nous, ni contre les familles et les touristes.

TOUT AVAIT ETE CALCULE. C'est évident. Car une fois la place de la République fermée, les terroristes évacués, le Tram, jusque là fermé, a repris du service, les voitures ont recommencé à circuler normalement et la grande roue s'est remise à tourner. Alors quoi? Ils avaient des ordres, des consignes, ils nous laissaient déambuler une heure ou deux pour nous faire plaisir, pour nous faire passer pour des pauvres abrutis, pour montrer leurs belles armures et à partir de 16 heures ils avaient le droit de nous attaquer?

Alors, vous, nous, même si nous nous sommes éparpillés dans nos revendications, même si parfois nous sommes un peu perdus et démotivés, que faisons nous? Que décidons nous de faire? Allons y bordel ! Avançons, nous sommes en nombre. Notre force n'est certes pas dans les armes et la violence, mais dans la tête et le coeur ! Allons nous continuer à nous faire frapper, gazer, tirer par les cheveux? Allons nous continuer de laisser nos enfants de faire maltraiter de la sorte? MESDAMES MESSIEURS aller vous laisser vos enfants se mettre à genoux les mains sur la tête devant des hommes armés? Allons nous continuer à nous faire insulter? Allons nous laisser cette propagande grandir? Allons nous laisser les hommes d'en haut nous regarder en riant? Parce qu'on en est là, nous sommes la risée d'une poignée de personnes qui partent en vacances pendant que le peuple est dans la rue. Allons nous laisser la France s'armer de plus en plus contre nous, allons nous laisser l'économie grandir et s'enrichir sur notre dos encore longtemps? Allons nous agir, une bonne fois pour toute?

Aucune révolution ne s'est faite uniquement le samedi et en s'organisant sur facebook. Je me permets de citer ce proverbe "seul on va plus vite, ensemble on va plus loin". Nous sommes plus forts qu'eux, ceux qui nous traînent dans la boue. Nous méritons mieux que ça, pour nous, pour nous enfants. Nous devons nous battre, nous ne devons plus subir. Sans parler de politique ou de syndicats, nous devons nous organiser. nous devons décider ensemble de points de rencontre, de points de replis, de solutions. Et même si ne pouvons compter que sur nous-mêmes, nous ne devons rien lâcher. Oui la perte et la casse existent, oui des gens ont été blessés, tués, mis en prison, c'est une bien triste réalité, mais ça doit nous motiver à aller encore plus loin. Vous tous, venez, rejoignez nous, soyons forts et unis. Avançons ensemble.

N'attendez plus après les forces de l'ordre, ces gens là ne sont même pas des humains, mais des bêtes sauvages s'attaquant au plus faibles. N'attendez plus après les célébrités, leur argent ou leur notoriété, ces gens là nous méprisent. Ils ont osé faire un spot pour le réchauffement climatique alors qu'ils n'ont jamais donné un centime de leur fortune pour aider la planète et qu'ils consomment en masse pour leurs soirées de luxe. N'attendez plus après les routiers, les agriculteurs, n'attendez plus après personne, ceux qui veulent venir sont là, et peu importe d'où ils viennent où quelle est leur profession ou leur milieu social. Tant mieux si les exemples que je viens de citer sont là, parfait, merci. Je ne fais pas de distinction entre les gens, car c'est notre combat à tous. Ne nous laissons plus arrêter de la sorte, nous avons des convictions, tenons les jusqu'au bout. Ne lâchons rien. S'il faut que nous soyons guidés, j'accepterai sans problème, si nous avons besoin de leaders, de réunions, de "chefs", j'accepterai volontiers. Car si nous n'agissons pas, non seulement tous ces derniers week-ends n'auront servi à rien mais en plus la situation ne s'améliorera pas et nous aurons tout perdu. Doit on rentrer chez nous pour donner du repos au CRS, doit on abandonner pour faire plaisir à ceux que ça dérange? NON, on ne fait que commencer. Nous vivons une grande étape dans nos vies personnelles mais aussi dans l'histoire de la France. Des combats ont déjà été gagnés, on peut y arriver. Comptons les uns sur les autres et en avant.

Crédit photo : Le bien public (29/12/2018)

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