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Texte 3 : Union européenne - Pour une rupture anticapitaliste et révolutionnaire avec l’Union européenne
De la naissance de l’UE à ses fragilités actuelles
À l’origine de l’Union européenne
Un rapide retour sur l’histoire de la construction européenne et ses origines permet de mesurer qu’avec la constitution progressive d’un marché commun assorti d’une monnaie commune, il ne s’est jamais seulement agi d’un outil économique neutre, mais toujours déjà et consubstantiellement d’une stratégie des bourgeoisies à la fois pour peser davantage dans la concurrence mondiale et pour disposer d’armes juridiques et politiques contre les travailleurs d’Europe.
La construction européenne renvoie à une volonté de mutualisation des forces, dans le but de reconsolider les impérialismes européens affaiblis depuis le début du XXème siècle, mais surtout de façon flagrante suite aux deux guerres mondiales. C’est en effet avec l’OECE (qui deviendra l’OCDE) dans le cadre du plan Marshall que commence concrètement la construction européenne, même si cela ne doit en aucun cas nous conduire à agiter le thème de l’UE comme marionnette des Etats-Unis. Il reste néanmoins que la construction européenne a bel et bien été un instrument de guerre froide du capitalisme contre le communisme : il s’agissait alors de relancer le capitalisme en Europe occidentale pour ne pas laisser le communisme se propager : l’OECE est ainsi créée pour répartir les fonds américains entre les différents Etats européens.
La construction s’est ensuite poursuivie dans le sens du développement progressif d’un marché commun en Europe, qui a requis l’invention d’une forme politique nouvelle fondée sur des principes supra-nationaux. L’objectif est alors de se doter d’outils économiques exerçant une pression sur la classe ouvrière par la mise en concurrence généralisée des travailleurs.ses européen.ne.s et par le contournement des acquis sociaux obtenus dans le cadre national où le modèle du wellfare state avait eu tendance à s’imposer dans les années post-guerre. Ainsi, la création en 1950 de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) a été directement impulsée par les milieux industriels pour favoriser l’accumulation du capital dans ces secteurs-clés de l’économie d’après-guerre, et la constitution d’une Haute autorité indépendante des Etats a été conçue comme un moyen de pression à leur service pour imposer leurs volontés par-delà les législations nationales. Le traité de Rome de 1957 vient ensuite généraliser le marché commun en levant les restrictions à la libre circulation des marchandises à l’intérieur de la communauté européenne, mais c’est surtout à partir des années 1980 que la pente libérale de l’Union Européenne devient la plus flagrante, avec la signature de l’Acte unique en 1986 qui lève toutes les entraves à la libre circulation des capitaux. Or, la création d’un tel marché commun dans le cadre de la concurrence capitaliste n’a rien de neutre, elle ne sert pas seulement à fluidifier l’échange des marchandises en Europe : 1) dans le cadre de la concurrence capitaliste entre économies inégalement développées, elle profite par définition aux économies les plus compétitives et consiste donc ipso facto à mettre en concurrence directe les travailleurs des différents pays ; 2) dès 1957, il est clair qu’un marché commun implique une certaine discipline monétaire et budgétaire, ceci donc bien avant la mise en place d’une monnaie commune qui n’en sera que l’achèvement : pour que ce type de marché commun soit possible, il faut évidemment empêcher qu’un pays se retrouve en déficit permanent dans sa balance des paiements, mais il faut en même temps empêcher absolument que les Etats puissent dévaluer leur monnaie - ce qui implique une perte de souveraineté monétaire - afin de faire jouer à plein la concurrence, de garantir la valeur des profits, d’assurer les intérêts des puissances et de renforcer la pression sur les salaires. Or, même si évidemment ces dévaluations compétitives peuvent avoir un coût très important pour les travailleurs.ses (puisque les prix des produits importés et ses dérivés augmentent, entraînant une baisse du salaire réel), les empêcher revient à faire du coût du travail la seule variable d’ajustement pour les pays déficitaires. La condition du marché commun dans le cadre du capitalisme concurrentiel est ainsi nécessairement et par nature une politique de réduction du coût du travail. C’est pourquoi la construction d’un marché commun s’assortit depuis le départ de mécanismes de contrôle de la politique monétaire et budgétaire des Etats membres : par exemple, le traité de Rome prévoit déjà qu’au cas où un gouvernement prendrait des mesures de sauvegarde pour faire face à son déficit, le Conseil des ministres de la Communauté pourrait décider que ce gouvernement doit renoncer à de telles mesures. Le TSCG et le MES (2012), qui instaurent la règle d’or budgétaire avec des sanctions automatiques pour les Etats qui ne respectent pas la stabilité budgétaire et des prêts d’aide conditionnés au respect de mesures de stabilité approuvées par les instances de l’UE, ne sont que le prolongement de cette logique consubstantielle au marché commun.
La mythologie de l’UE comme outil de paix en Europe (elle reçoit en 2012 le prix Nobel de la paix) ne doit ainsi pas masquer quels ont été les véritables enjeux de la construction européenne. S’il est vrai qu’elle s’ancre dans une vieille tradition humaniste qui se constitue comme telle dès le XIXème siècle, le libéralisme économique a toujours été le soubassement de telles ambitions pacifistes : Victor Hugo rêvait déjà, par exemple, du jour où « il n’y aura plus d’autres champs de bataille que les marchés s’ouvrant au commerce et les esprits s’ouvrant aux idées », et le grand discours pacifiste de Schuman (9 mai 1950) lors de la création de la CECA ne doit pas faire oublier que la communauté de l’acier et du charbon était tout autant un moyen pour la France de contrôler le développement de l’armement allemand dans un contexte où pesait sur l’Allemagne les conditions de la sortie de guerre. Ce n’est certainement pas l’UE qui a apporté la paix, mais bien davantage la paix et la prospérité d’après-guerre qui ont permis la construction de l’UE. A l’inverse, la violence des politiques d’austérité qu’impose l’UE en Europe est responsable d’une exacerbation des haines nationales (haine de l’Allemagne non seulement dans les milieux euro-sceptiques réactionnaires, mais plus généralement dans les populations les plus dominées économiquement en Europe), sans oublier la terrible guerre migratoire que mène l’UE sur ses frontières et qui tue chaque année des milliers de migrant.e.s.
Intégration et contradiction entre bourgeoisies
La logique à laquelle répond aujourd’hui l’Union européenne témoigne à la fois d’une coopération des bourgeoisies européennes contre le monde du travail et d’une concurrence toujours irrésolue entre elles.
Ainsi l’UE garantit-elle une intégration relativement réussie sur le plan économique : la circulation intérieure des marchandises au sein de l’Europe est comparable à la circulation au sein d’un grand pays comme les USA. Les tentatives pour créer, par volonté politique, des entreprises européennes ont parfois pu être couronnées de succès, mais elles restent néanmoins très limitées : Airbus, EADS, Eurofighter, etc. Sur le plan politique, l’intégration reste partielle : différentes institutions supranationales ont ainsi été mises en place et fonctionnent de façon autonome, mais leur poids est restreint - leur budget par rapport au PIB de l’UE est très faible par rapport au poids des Etats nationaux dans les PIB nationaux. Cette autonomie de fonctionnement relève d’une volonté politique explicite (elle est ainsi soutenue par diverses mesures d’incitation, comme par exemple le très haut salaire des fonctionnaires européens) de favoriser l’intérêt général européen – comprenons : l’intérêt général des bourgeois européens. Après l’instabilité monétaire (et l’inflation incontrôlée) des années 1970 – due aux différences entre économies et politiques économiques –, l’intégration européenne a connu un saut qualitatif avec la mise en place lente mais déterminée de la monnaie unique. Les Etats européens ont ainsi mis en place un cadre qui parachève la discipline monétaire requise par un marché commun entre économies capitalistes ; l’euro, loin d’être un simple outil technique, est une institution politique destinée à garantir la stabilité des affaires et une faible inflation, ainsi qu’à assurer la domination des principaux impérialismes européens sur les autres pays. L’euro retire aux Etats nationaux leur souveraineté monétaire alors même que c’est dans le cadre national que les travailleurs.ses sont organisé.e.s pour faire valoir leurs intérêts : la « guerre des monnaies » est rendue impossible, la BCE est tenue hors de portée des tentations court-termistes des politiques nationales (rendant impossibles d’éventuelles mesures de sauvegarde), en sorte que les dirigeants politiques des Etats européens se trouvent nécessairement « contraints » (si tant est qu’ils ne le veulent pas eux-mêmes) d’appliquer les réformes structurelles néolibérales - c’est-à-dire de restaurer la compétitivité par l’austérité, par la pression directe et parfois drastique sur les salaires. L’UE mutualise aussi partiellement la fonction de contrôle des frontières, de façon à construire à la fois un espace intérieur où l’on circule librement (Schengen) et une Europe forteresse pour l’extérieur : l’UE permet ainsi aux Etats membres d’externaliser le « sale boulot » de contrôle des migrant.e.s aux marges (Grèce, etc.) voire hors de l’Europe (Libye, etc.).
L’intégration européenne reste toutefois largement incomplète, et il n’existe pas aujourd’hui une bourgeoisie européenne unifiée. La grande majorité des bourgeoisies européennes pousse à l’approfondissement de l’intégration économique (quoiqu’elle n’ait pas une totale hégémonie sur cette base et que des fractions anti-UE de la bourgeoisie - minoritaires - existent, alors même que les Etats doivent s’appuyer sur l’ensemble de la bourgeoisie nationale pour gouverner), mais ces bourgeoisies sont toujours concurrentes. Ceci explique aussi pourquoi l’intégration européenne reste si peu avancée au niveau de la politique étrangère et des forces régaliennes (armée, police, justice). Les bourgeoisies ne sont pas prêtes, dans le cadre d’une concurrence internationale persistante, à renoncer à leurs intérêts nationaux. Ainsi souhaitent-elles toutes bénéficier de l’approfondissement du marché commun, mais chacune d’entre elles espère que ce sont ses capitaux qui vont dominer les autres. Des frictions entre bourgeoisies nationales continuent donc à exister au sein de l’UE, quand bien même le cadre même de l’entente économique n’est pas du tout remis en cause : barrières protectionnistes non tarifaires, conflit récurrent sur la PAC en fonction de l’importance de l’agriculture au sein des pays, etc.
Dans le cadre de cette concurrence intra-UE, ce sont les principales puissances (France, Allemagne, Royaume-Uni) qui tirent leur épingle du jeu : ce sont leurs entreprises qui parviennent le mieux à s’étendre, parfois à fusionner avec d’autres de taille équivalente, mais sans être absorbées. L’Allemagne et la France restent ainsi, à différents degrés, les principaux bénéficiaires de l’euro, tandis les pays de l’Europe du Sud sont perdants. Depuis la mise en place de l’euro, les pays périphériques de l’UE subissent en effet un processus d’affaiblissement relatif, parfois de semi-colonisation comme dans le cas de la Grèce. Ils ont pu connaître une certaine croissance par divers moyens (par exemple grâce aux afflux du tourisme européen, qui ont attiré des capitaux ou encore permis la création de puissantes entreprises low cost grâce au dumping fiscal, comme cela a été le cas en Irlande), mais cette croissance masquait une érosion rapide de l’industrie. Une monnaie unique favorise les pays les plus productifs au détriment des autres. En effet, les pays où la productivité du travail est la moins élevée ne peuvent plus ajuster le cours de leur monnaie pour rester compétitifs : l’ajustement passe directement par les salaires. À défaut, les déséquilibres externes s’accumulent et deviennent insoutenables (ce qu’on a observé dans les années 2000 dans les pays périphériques), jusqu’au moment où l’ajustement devient inéluctable et brutal. Il faut néanmoins immédiatement ajouter que dans le cadre du capitalisme, si la dévaluation compétitive peut permettre aux Etats de faire face à leurs déficits dans la balance des paiements, ce sont encore les travailleurs qui en payent le prix du fait des spirales inflationnistes qui risquent de s’ensuivre et qui peuvent diminuer brutalement les salaires réels. Il est ainsi difficile de trancher en toute généralité, dans le cadre du système capitaliste, laquelle de ces deux options est la moins mauvaise pour les travailleurs.ses : les effets de telle ou telle politique doivent être mesurés et expliqués précisément, en tenant compte des différentes situations des pays en question. Tout comme nous ne contentons pas des solutions de relance keynésienne en réponse aux ultra-libéraux, nous ne nous faisons aucune illusion sur les solutions protectionnistes-réformistes de simple retour aux monnaies nationales en réponse à la politique austéritaire de l’UE et de la BCE. Celles-ci cherchent à lever des obstacles à la mise en place de mesures de relance keynésiennes, mais elles ne remettent pas en cause le pouvoir et la propriété capitalistes, ce qui les condamnent à l’échec. Notre rôle en tant que révolutionnaires n’est pas de départager les partisans de ces deux lignes, mais d’expliquer la nécessité d’une rupture anticapitaliste avec l’UE et l’euro. Une telle rupture n’est en rien réductible à une politique de dévaluation compétitive de la monnaie nationale, qui ne fait pas partie de notre programme.
Plus la stagnation économique s’installe, plus ces contradictions entre bourgeoisies européennes s’exacerbent. L’éclatement d’une crise entraîne quasi immédiatement la menace de retrait des capitaux des pays centraux en cas de résistance, le chantage aux réformes structurelles en contrepartie de la moindre aide (ce qui montre qu’il reste une différence qualitative entre l’intégration européenne et l’intégration des différentes régions au sein d’un même pays), une situation de dépendance vis-à-vis de la Banque centrale européenne pour les liquidités, etc.
Les classes travailleuses et l’Union européenne
Dans la période de stagnation de ces dernières décennies, les différentes classes sociales vivent très différemment les effets de la libéralisation européenne.
Il n’y a pas aujourd’hui de sentiment d’appartenance à un « peuple européen » de même niveau que celui existant au sein des Etats-nations. Ce sentiment s’est peut-être légèrement affirmé, notamment parmi une partie des classes moyennes et supérieures qui étudient, travaillent et voyagent davantage au sein de l’UE. Les emplois dans les professions intellectuelles et les services - à condition, souvent, d’accepter une certaine précarisation - n’ont pas été les plus sensiblement touchés par la politique européenne. À l’inverse, les emplois les moins qualifiés se raréfient (y compris sous l’effet des délocalisations hors UE). Dans l’industrie, les ouvriers subissent les délocalisations dans les pays de l’Est (secteurs de l’automobile, etc.), ainsi que tous les chantages à l’emploi qui les précèdent sans vraiment les empêcher en fin de compte. Dans transports, les effets de l’UE ont été particulièrement brutaux : mise en concurrence des routiers des pays centraux avec des routiers sous-payés des pays de l’Est (cabotage, etc.), forte pression à la libéralisation ferroviaire sur les cheminot.e.s, etc.
Les responsables de telles conséquences sont les capitalistes qui profitent de cette mise en concurrence et les politiciens qui l’organisent via la libéralisation débridée des économies, mais en aucun cas les travailleur.ses surexploités d’Europe et d’ailleurs (travailleurs.ses détaché.e.s, etc.). Cette situation crée néanmoins le terreau pour l’exacerbation des tensions racistes entre travailleur.ses de l’Union européenne. Ces tensions racistes contribuent elles-mêmes en retour au mépris de classe de la part des classes moyennes et supérieures, souvent aveugles au sort des « perdants de la mondialisation » qui s’efface derrière l’image d’un peuple inculte et haineux. Le racisme qui peut exister dans les discours anti-UE des classes populaires doit à tout prix être combattu, mais il ne suffit certainement pas pour cela d’y opposer des discours euro-béats qui ne font que renforcer la domination de la bourgeoisie. Il faut à l’inverse s’appuyer sur ce que l’hostilité des travailleurs.ses à l’égard de l’UE a de légitime en ce qu’elle vise l’une des principales armes de la bourgeoisie, sans jamais laisser cette hostilité être détournée de sa cible véritable.
Quelle politique pour les révolutionnaires ?
En période révolutionnaire, la nécessaire rupture anticapitaliste avec l’UE
Pour l’ensemble des raisons développées ci-dessus, nous devons afficher notre hostilité à l’institution capitaliste qu’est l’UE. Nous devons expliquer qu’un Etat révolutionnaire des travailleur·ses devrait immédiatement rompre avec l’UE, tout comme il devra rompre avec les institutions capitalistes à tous les niveaux (l’Etat au niveau national, l’OMC au niveau international…).
Bien évidemment, nous savons que la révolution ne peut être qu’internationale, qu’elle peut et qu’elle doit s’étendre au plus vite. Elle le doit parce que les économies sont interdépendantes (nous devrons, pour des raisons écologiques, relocaliser une grande partie des productions, afin de supprimer les transports en tous sens qui sont dûs uniquement aux logiques de rentabilité, mais il est impossible de tout produire en local - notamment certaines matières premières - et une certaine mutualisation est bénéfique). Elle le peut parce que cette mondialisation sans précédent permet d’espérer un effet boule de neige à l’international encore plus rapide que les vagues révolutionnaires qu’a pu connaître le mouvement ouvrier par le passé. Nous n’avons donc aucun fétichisme de la nation, et un État révolutionnaire cherchera dès qu’il le pourra à créer une intégration économique, sur une base non marchande, avec les pays alliés. La rupture révolutionnaire passe avant tout par la saisie des grands moyens de production, mais étant donné que la révolution ne peut pas être simultanée dans tous les pays (notamment parce qu’il n’y a pas d’intégration politique suffisante aujourd’hui), tout programme crédible doit aborder les rapports entre l’Etat révolutionnaire et l’international.
L’économie socialisée devra nécessairement être protégée, ce qui passe par le contrôle du commerce extérieur (donc un monopole de l’Etat révolutionnaire sur ce commerce extérieur), et donc la rupture de tout accord de libre-échange, ceux de l’OMC comme le marché unique européen. Des échanges commerciaux avec des pays capitalistes continueraient à être nécessaires, mais seraient validés politiquement et non laissés au libre jeu du marché. Les entreprises socialisées, respectant les travailleur·ses et l’environnement, ne pourraient et ne devraient pas être en concurrence avec les capitalistes étrangers. L’Etat révolutionnaire devra également avoir le contrôle de sa monnaie et donc sortir de l’euro : il est impensable qu’il puisse se mettre d’accord avec ses voisins capitalistes pour utiliser pacifiquement la même monnaie et codiriger avec eux la Banque centrale européenne… On ne peut pas se contenter « d’attendre que l’Etat révolutionnaire se fasse exclure de l’UE ». Une révolution est un acte qui survient dans une situation de lutte de classe exacerbée, où les bourgeois utilisent tous leurs moyens de pression. Un parti qui entretiendrait le flou stratégique sur l’UE serait comme un parti qui entretiendrait un flou la nature de l’Etat, ce qui on le sait, conduit systématiquement à des échecs.
La nécessaire prudence dans nos mots d’ordres
Il ne s’agit pas pour nous de faire de la sortie anticapitaliste de l’UE le point central de notre programme politique, que l’on avancerait systématiquement et de manière artificielle quel que soit le contexte et aux dépens d’autres parties du programme en question. C’est néanmoins un point important, et nous n’avons pas non plus à nous en cacher. Notre position aurait de l’écho auprès des classes populaires. De plus, elle donne un aperçu concret de ce que devrait être une politique socialiste conséquente en France en situation révolutionnaire : un gouvernement des travailleurs qui parviendrait à prendre le pouvoir ne pourrait en aucun cas faire l’économie de la question commerciale et monétaire, en sorte qu’ébaucher de tels scénarios contribue à rendre plus crédible la perspective d’une révolution. Nous ne devons donc pas botter en touche lorsque nous sommes interrogés sur l’Union européenne et assumer pleinement nos positions et notre stratégie.
Corollairement – et à plus forte raison étant donné les reproches qui peuvent nous être adressés de faire le jeu de l’extrême-droite –, nous devons garder le cap de l’internationalisme, qui doit être un pilier de notre programme. De ce point de vue, il s’agit plutôt d’expliquer qu’un internationalisme concret implique d’intégrer la rupture avec l’UE au profit de nouvelles formes non marchandes de coopération entre pays. Il nous faut ainsi refuser absolument de nous en prendre aux travailleurs.ses les plus exploité.e.s, et dénoncer les tentations démagogiques qui cherchent à opposer les travailleurs.ses nationaux.ales aux travailleurs.ses étranger.e.s. Nous sommes en effet conscients du risque de dérive nationaliste qui existe lorsque des forces politiques (de droite ou de gauche) se focalisent sur l’UE : dédouanement de la bourgeoisie française présentée comme « soumise », discours d’union nationale (anti-lutte de classe), illusions réformistes-protectionnistes au sein du capitalisme, etc. Nous devons argumenter contre les discours qui véhiculent de telles illusions, tout comme nous luttons contre les fausses alternatives en général : les pays hors UE suivent la même logique d’adaptation à la crise capitaliste et d’offensive contre les travailleur.ses, et une Europe capitaliste sans l’UE connaîtrait toujours la crise sous d’autres formes (spirales inflationnistes, etc.) qui feraient également payer les travailleurs.ses – ce qui ne signifie pas, toutefois, que le cadre de la monnaie unique soit neutre : l’euro a facilité la dégradation des niveaux de vie en Europe du Sud.
Pour toutes ces raisons, nous ne défendons pas « une sortie de l’UE » en soi, qui serait une « étape », mais nous l’articulons toujours à l’expropriation des capitalistes. Nous ne pouvons pas nous dire « protectionnistes » vu que le sens courant sous-entend : « plus de protection pour les capitalistes français ». Dans le cadre d’une transition communiste, nous assumons cependant la nécessité de nous protéger des marchés capitalistes, notamment par la mise en place du monopole du commerce extérieur et d’une monnaie inconvertible : on peut considérer que de telles mesures relèvent d’un « protectionnisme socialiste » dont parlait Trotski. Nous ne pouvons pas nous dire « souverainistes » vu le sens courant du mot qui renvoie à une revendication de souveraineté nationale dans le cadre du capitalisme, mais nous défendons en revanche une pleine “souveraineté” des travailleurs sur les moyens de production, la monnaie, les échanges extérieurs, etc., en expliquant qu’elle implique de sortir du capitalisme.
Néanmoins, nous ne devons pas esquiver la critique du cadre de l’UE au nom de ces difficultés, ainsi que le fait toute une partie de la gauche et de l’extrême-gauche. Ici et maintenant, l’UE existe et ses effets de mise en concurrence sont réels. Laisser la critique de l’UE à d’autres forces revient à les laisser marquer des points auprès des travailleur.ses. En particulier, l’association qui est faite entre critique de l’UE et extrême-droite doit être combattue. Elle est construite dans l’intérêt de la bourgeoisie : il n’y a aucune nécessité à ce que la critique de la mise en concurrence conduise au racisme, et esquiver la question est très dangereux. Du reste, lorsque l’extrême droite se rapproche du pouvoir, elle renonce vite à la sortie de l’UE, ce que nous devons utiliser pour montrer qu’elle n’est pas réellement « anti-système ». Et à l’inverse, le cadre de l’UE est tout à fait compatible avec la chasse aux migrant.e.s et le racisme d’Etat.
Un positionnement au cas par cas sur les autres ruptures avec l’UE
Dans notre propagande, nous articulons systématiquement la rupture avec l’UE à la transition communiste. Nous expliquons très clairement qu’il n’y a pas de solution capitaliste à la crise, hors ou dans l’UE. Néanmoins, le cadre de l’UE n’est pas neutre : il est un atout pour la bourgeoisie. Ainsi, comme le reste du NPA, nous nous opposons aux institutions, aux traités et aux règles de l’UE et nous prononçons donc contre le traité de Maastricht, contre le projet de constitution européenne et contre le traité de Lisbonne.
C’est également pourquoi nous ne sommes pas par principe « abstentionnistes » quand l’enjeu est de rester ou de sortir de l’UE dans le cadre du capitalisme. Pour établir notre position, nous devons évaluer les situations au cas par cas, en fonction du contexte et des rapports de force avec l'extrême droite et la bourgeoisie. En effet, il est difficile de décider en toute généralité laquelle des deux options sera la plus bénéfique (ou la moins mauvaise) pour les travailleurs.ses, en particulier tou.te.s ceux et celles issue.e.s de l’immigration, dans le cadre du système actuel et laquelle luttera la plus efficacement contre la bourgeoisie et/ou l'extrême droite voire le fascisme. Dans le cadre où nous déciderions de soutenir une sortie de l’UE par referendum, il faudra articuler notre position à une critiques des sorties « bourgeoises » de l’union européenne, et au combat des illusions réformistes, comme nous l’avons fait lors de la campagne pour le “non” en 2005. Notre analyse de la nature de l’UE comme arme de la bourgeoisie doit donc être articulée avec une analyse précise des rapports de force qui traversent la situation particulière, afin de nous permettre, dans chaque cas, de déterminer où se situe l’intérêt de la classe des travailleurs.ses.
Par exemple, dans le cas de la crise politique en Grèce à l’été 2015, il fallait pousser Tsipras à rompre avec l’UE, même s’il n’avait pas un programme anticapitaliste. L’essor rapide de Syriza au cours des années précédentes était le reflet - malgré les limites réformistes - d’une combativité ouvrière croissante, et il était incontournable pour des révolutionnaires voulant être entendus de se positionner par rapport à Tsipras pour l’interpeller - surtout après la victoire électorale de Syriza en janvier 2015. Rapidement, les renoncements de Tsipras se sont succédés, et cela s’est principalement manifesté lors du référendum du 5 juillet : alors qu’il montrait l’écrasant refus de l’austérité réclamée par la Troïka, il a pourtant été suivi d’une capitulation pure et simple. Au moment où l’UE faisait peser tout son poids sur Tsipras (arrêt de l’approvisionnement en euros de la Grèce, menaces d’exclusion, etc.), cette question matérialisait le bras de fer. Il fallait tout à la fois maintenir la revendication principale d’exproprier les capitalistes grecs et pousser à la rupture avec le cadre de l’UE, qui montrait alors toute sa dimension capitaliste. Dans ce contexte, la rupture aurait pu approfondir la crise politique et conduire à un débordement « sur la gauche » de Syriza, tandis que le renoncement a au contraire refermé les espoirs populaires que Syriza avait suscités.
Concernant le Brexit, les principales forces anticapitalistes (SWP et Socialist Party) ont eu raison de se positionner pour le Brexit en 2016. Une large majorité des catégories populaires sont hostiles à l’UE, et renoncer à défendre le Brexit ne peut que faire le jeu de l’extrême droite. Il était juste de faire pression sur Corbyn pour qu’il se prononce en ce sens, ce qui aurait permis à la campagne du “Brexit de gauche” de dominer et aurait probablement amené Corbyn au pouvoir. Lors des législatives de 2017, Corbyn a promis de respecter le vote populaire et de mettre en place le Brexit, ce qui lui a permis de regagner la confiance des catégories populaires. Néanmoins, sous la pression des milieux patronaux, de la droite du Labour, et malheureusement d’une partie de l’extrême gauche (le groupe “Socialist Resistance” lié à la IV Internationale, ex SUQI), Corbyn a reculé et il se prononce désormais pour la tenue d’un second référendum afin de remettre en cause le Brexit. Nous devons condamner cette nouvelle position, qui manifeste un tournant droitier de Corbyn, car une partie de son programme (la plus avancée) est incompatible avec le maintien dans l’UE. Cette nouvelle position a des conséquences politiques désastreuses, puisqu’une grande partie de l’électorat populaire du Labour s’est tournée vers le Brexit Party lors des élections européennes, alors que sa partie la plus europhile (les couches supérieures du salariat) se tourne vers les “libéraux démocrates”. Du coup, Corbyn perd sur tous les tableaux. Dans la période, les révolutionnaires doivent combiner la défense d’un Brexit anticapitaliste et la pression sur le Labour pour qu’il renonce à remettre en cause le vote populaire, et qu’il applique toutes les mesures progressistes (nationalisations, etc.) qui sont incompatibles avec l’UE.
De façon générale, les principales forces réformistes renoncent à défendre une rupture claire avec l’UE, ce qui nuit à leur crédibilité et fait le jeu de l’extrême droite. Il est à noter qu’une des rares forces réformistes à progresser lors des élections européennes (le PTB belge) a un discours très critique sur l’UE.