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    "La police tue": sur la criminalisation des critiques de la police

    Le 13 octobre, notre camarade Philippe Poutou déclarait sur France Info : « la police tue ». Il s’agit moins là d’une analyse de la violence policière que d’une simple réaction aux propos de Dominique Lanoë, adjoint à la mairie de Cachan et membre de la France Insoumise, qui avait lui-même remarqué : « Je croyais que le but de la police, c’était de protéger la population, pas nécessairement de posséder des armes pour la tuer ». Les médias n’ont pas tardé à se jeter sur l’occasion, et c’est dans ce contexte qu’on a demandé à Philippe Poutou de réagir. Dire qu’« évidemment la police tue », c’était donc seulement pour Philippe Poutou défendre Dominique Lanoë contre toutes les attaques qui lui étaient adressées, plutôt que développer une véritable caractérisation de l’institution policière. Pourtant, l’affirmation du candidat du NPA a été aussitôt relevée par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin – en l’isolant du reste de la séquence, sur laquelle il sera important de revenir. Celui-ci déclare, dans son tweet du 14 octobre, avoir déposé plainte contre Philippe Poutou. Face à une telle attaque, il convient d’abord d’apporter notre soutien le plus entier à notre camarade. Bien sûr, la police tue : c’est un simple fait empirique facilement objectivable et largement documenté. Dans sa généralité même, le constat de Philippe Poutou n’est pas contestable : reste à analyser le fait en question. La première question qui se pose n’est dès lors pas de savoir si la police tue, mais comment, et ce que cela signifie : qu’est-ce qui caractérise dans la conjoncture actuelle l’usage policier de la violence (parfois jusqu’à tuer), et pourquoi faut-il continuer à le dénoncer et à le combattre ? La polémique lancée par Darmanin et qui agite tant les médias reste de ce point de vue en-deçà de la question. Ce qui n’implique pas que cette polémique soit complètement dénuée de signification – d’où une deuxième question : que nous révèle au fond, par-delà son atterrante pauvreté, la polémique qui a suivi les propos de Philippe Poutou, et plus particulièrement les gesticulations de Darmanin ?


    1. « La police tue » : au-delà du constat empirique, les violences policières font système

    Face à la réaction interdite du journaliste, Philippe Poutou énumère un certain nombre de faits qui suffisent à fonder l’affirmation selon laquelle la police, incontestablement, tue : « Steve (Maia Caniço) à Nantes, à Marseille pendant une manif’ des Gilets jaunes une dame qui fermait ses volets, Rémi Fraisse il y a quelques années… » Chacun.e d’elles/eux a bien été tué.e par la police. À ces noms, il faut encore en ajouter beaucoup d’autres – rien que le rapport de l’IGPN signale 32 décès liés à l’intervention de la police en 2020, rapport qui par ailleurs affiche le chiffre ridicule de seulement 78 blessé.e.s par la police[1]... Comme essaie de l’indiquer Philippe Poutou dans son interview, l’affirmation selon laquelle la police tue ne devrait être la cible d’aucune contestation, mais le point de départ d’une analyse de cette violence policière : « Après on peut discuter : assassinat, meurtre, bavures ou légitime défense bien sûr… ». Ces différentes caractérisations ne sont évidemment pas à mettre sur le même plan. Le problème n’est pas que « la police tue » en général, mais qu’elle est la gardienne d’un ordre social, et qu’elle commet dans ce cadre des violences qui vont jusqu’à tuer. 

    Sans doute les cas de légitime défense existent-ils. Sans doute aussi, les policiers qui tuent n’ont pas l’intention délibérée, réfléchie, d’exécuter leur victime au moment où elles agissent[2] : malgré l’impunité dont jouissent largement les flics, il vaut sans doute mieux, dans l’intérêt même du policier, être violent sans être un assassin. Mais rien de tout cela ne doit occulter ce qui se joue derrière chaque situation de violence policière : la logique systémique qui sous-tend et légitime le mode d’action des flics, leur usage arbitraire de la violence et, dans les cas les plus intolérables, la mort de leurs victimes. Comme le dit Philippe Poutou, la question n’est pas de savoir si la police tue, mais de comprendre que la police peut tuer au nom de l’ordre social qu’elle défend parce qu’elle en a les moyens. Ce qui est en cause, et ce qu’il faut abattre, c’est en un mot le système qui rend possible la violence démesurée dont fait si fréquemment preuve la police.

    Les conditions qui autorisent une telle violence n’ont rien, en effet, d’un malheureux concours de circonstances. La police assure ses fonctions dans la violence, et peut aller jusqu’à tuer, parce qu’au-delà des motivations psychologiques de chaque flic violent, l’Etat lui en fournit :

    • les moyens matériels : la police est surarmée et intervient, par exemple, en manifestation avec des armes de guerre.
    • les moyens institutionnels : la mort des victimes de violences policières n’est pas seulement le fait de bavures, mais elle fait bien souvent suite à des techniques policières validées institutionnellement (usage d’armes inappropriées mais autorisées, techniques d’immobilisation brutales, stratégie de maintien de l’ordre volontairement agressive, création de brigades dont l’intervention n’est quasiment pas encadrée comme les BAC, etc.). D’après Mathieu Rigouste, les techniques de guerre déployées par l’État français pendant la guerre d’Algérie ont été incorporées à la pratique policière du maintien de l’ordre et en constituent une matrice[3]. En aval, les institutions organisent l’impunité policière et favorisent la reproduction des violences arbitraires ou démesurées : la hiérarchie protège autant que possible les flics violents et assassins, et la justice, quand trop rarement les dossiers arrivent devant les tribunaux, est abusivement clémente. Amnesty International a publié plusieurs rapports alarmants concernant à la fois l’usage excessif de la force par la police et l’impunité dont bénéficient généralement les auteurs des violences[4].
    • la matrice idéologique : le racisme d’État, qui conduit à identifier comme populations intrinsèquement dangereuses les personnes racisées, justifie le développement de techniques d’ordre violentes et de pratiques policières guerrières destinées à se défendre de « l’ennemi intérieur » ; l’idéologie sécuritaire entretenue par l’État dans l’intérêt des classes dirigeantes justifie qu’on accorde à la police toujours plus de moyens et d’autonomie, favorisant inévitablement l’usage incontrôlé de la violence ; etc.

    Les homicides policiers peuvent bien être, au niveau psychologique et individuel, des « bavures » plutôt que des actes délibérés à proprement parler : ils ne s’inscrivent pas moins dans un système puissant qui produit structurellement la violence policière, jusque dans ses conséquences les plus extrêmes et insupportables.


    2. À quel jeu joue Gérald Darmanin ?

    L’affirmation de Philippe Poutou, qu’on ne lui a même pas vraiment donné l’occasion de développer, est évidemment inattaquable : il s’agit tout juste d’un fait empirique que personne, pas même le ministère de l’Intérieur, ne peut raisonnablement contester. Pour Darmanin, il n’est évidemment pas question d’espérer faire condamner Philippe Poutou : c’est bien plutôt une simple manœuvre d’intimidation visant à disqualifier tout discours qui prétend dénoncer l’État policier et raciste.

    En vérité, tout ce qui peut être retenu des piètres agitations de Darmanin et d’une large partie de la sphère médiatique, c’est la tendance de plus en plus puissante à criminaliser les oppositions à l’État raciste et à son bras armé. Après les dissolutions autoritaires d’associations de lutte contre le racisme d’État (le CCIF, Barakacity, la LDNA, ou encore tout récemment la Coordination contre le racisme et l’islamphobie), les plaintes du ministre de l’Intérieur à l’encontre des discours critiques de l’institution policière relèvent également de la criminalisation des résistances au pouvoir d’État. Il faut dès lors reconnaître dans ce recours à la criminalisation systématique un trait de plus en plus saillant de la conjoncture politique actuelle. Cette démarche a ainsi, pour le ministère de l’Intérieur, une double fonction : 1) d’un côté, il s’agit d’affaiblir les tentatives de lutte contre l’État, qui se sont multipliées au cours des dernières mobilisations – le développement des mouvances autonomes, des black blocks dans les manifs, ainsi que le mouvement des Gilets jaunes, ont mis à l’ordre du jour l’affrontement direct avec le pouvoir étatique ; 2) de l’autre, il s’agit pour Darmanin de se poser en premier syndicaliste policier, c’est-à-dire en représentant d’une corporation dont il a besoin de s’assurer le soutien indéfectible : face au développement d’une avant-garde décidée à en découdre avec l’État, le ministre a effectivement besoin de son premier rempart dans la lutte des classes.


    [1] https://www.interieur.gouv.fr/sites/minint/files/medias/documents/2021-07/igpn-rapport-2020.pdf

    [2] Dans une seconde interview accordée le 14 octobre à BFMTV, Philippe Poutou précise lui-même : « La police tue, c’est une réalité. […] Mais pas délibérément : je n’ai jamais dit ça ! »

    [3] Mathieu Rigouste, La domination policière.

    [4] https://www.amnesty.fr/actualites/violences-policieres-et-impunite-en-france

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