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Afrique-France : Emmanuel Macron veut encore faire du neuf avec du vieux
La Tendance CLAIRE relaie et soutient le communiqué de l'association Survie (Contre la Françafrique) suite au récent discours d'Emmanuel Macron sur la politique de la France en Afrique. Le président prétend vouloir tourner la page de la Françafrique, d'autant plus que, du Mali au Burkina Fasso, la présence française est de plus en plus contestée après le fiasco des opérations militaires au Sahel. En réalité, Macron se fait une nouvelle fois le porte-voix des multinationales françaises qui voient leurs parts de marché réduites année après année par la concurrence avec d'autres impérialismes.
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Les annonces du président Macron ce lundi 27 février ne manqueront pas, une fois de plus, d’être commentées comme autant de marqueurs de rupture avec le passé. Pourtant, à y regarder de plus près, les prétendus scoops du jour ont déjà fait l’objet d’annonces similaires dans un passé plus ou moins proche. La « nouveauté », au plan militaire notamment, consiste surtout à recycler une vieille recette du colonialisme français, qui se résume en trois mots : s’adapter pour perdurer.
Cette fois, ce n’était plus le show devant des étudiants africains, mais un discours à l’Elysée, devant « bon nombre d’acteurs de notre politique avec l’Afrique », a expliqué le président. Ce dernier n’a pas hésité à rappeler sa punchline de 2017, selon laquelle « il n’y avait plus de politique africaine de la France », expliquant simplement que ces mots « toujours d’actualité […] ne sont plus suffisants ». La surenchère s’est donc faite autrement. « L’Afrique n’est pas un pré carré » pour la France, a expliqué le président, jurant chercher à se dégager du poids du passé. Son prédécesseur Nicolas Sarkozy n’avait rien dit d’autre, en 2010 : « La politique de la France envers l’Afrique francophone n’est inspirée ni par l’idée de "pré carré" ni par une quelconque nostalgie coloniale. » [1]
Sur la forme, en positionnant ce discours en miroir de celui de Ouagadougou en 2017, l’Elysée tente de faire passer cette tournée africaine d’Emmanuel Macron comme la première depuis sa réélection. C’est vouloir faire oublier la scandaleuse visite au Camerounais Paul Biya, en juillet dernier, que l’Elysée cherchait à faire accepter en mettant en scène un dialogue avec les « sociétés civiles » [2]. Pour Pauline Tétillon, co-présidente de l’association Survie, « ce discours tente de planter un arbre pour cacher la forêt de compromissions françaises, 48 heures avant de s’envoler entre autres pour le Gabon de la dynastie Bongo, en pleine période pré-électorale, et le Congo du criminel Denis Sassou Nguesso. Par quelques annonces, en particulier au plan militaire, le président et ses conseillers tentent de reléguer au second plan une tournée aux étapes embarrassantes : il faut asséner une nouvelle fois que la Françafrique appartient au passé pour masquer le symbole de cette visite. »
Emmanuel Macron a martelé à plusieurs reprises le thème de son intervention, « le partenariat ». Une idée pourtant plus vieille que la Vème République [3]. Au plan militaire, cette question est remise au goût du jour dès 1997 lors du lancement du programme RECAMP (renforcement des capacités africaines de maintien de la paix) par Lionel Jospin, qui vantait déjà un « partenariat nouveau » [4]. En 2008, le président Sarkozy s’engage, après avoir sauvé le régime Déby au Tchad, à renégocier les accords de défense : ils seront remplacés l’année suivante par des accords « de partenariat de défense ». Cette rhétorique est donc éculée.
Ce lundi, Emmanuel Macron a pour sa part promis de réduire les effectifs français dans les bases militaires (une tendance continue depuis cinquante ans, accélérée par exemple sous Nicolas Sarkozy), mais sans préciser lesquelles : lors du débat, il a exclu celle de Djibouti, relevant plutôt de la « stratégie indo-pacifique » française, et cité en exemple celles au Sénégal et en Côte d’Ivoire.
Pour Thomas Borrel, militant de Survie et co-directeur de l’ouvrage L’Empire qui ne veut pas mourir. Une histoire de la Françafrique (Seuil, 2021), « Au plan militaire, le grand absent de ce discours, c’est bien le dispositif militaire issu de Barkhane : le président n’a rien dit des bases actuelles au Tchad et au Niger, qui ne sont pas des enclaves historiques encadrées par des accords de partenariat de défense. Derrière l’annonce d’une énième réduction des effectifs des bases pour mieux les maintenir, on reste dans le flou juridique au Sahel, avec un dispositif fantôme qui n’est plus une opération extérieure et qui échappe donc à tout contrôle parlementaire. Et on renouvelle la coopération militaire avec les dictatures, qui permet depuis 60 ans de maintenir un lien organique avec des régimes répressifs. »
Au plan économique, le président a invité les entreprises françaises à redoubler d’efforts dans la compétition pour les marchés africains, présentés comme une formidable opportunité : un thème développé depuis dix ans dans différents rapports officiels, tels le rapport sénatorial « L’Afrique est notre avenir » (2013) de Jeanny Lorgeoux et Jean-Marie Bockel, le rapport « Un partenariat pour l’avenir : 15 propositions pour une nouvelle dynamique économique entre l’Afrique et la France » (2013) d’Hubert Védrine et Lionel Zinsou, le rapport « La francophonie et la francophilie, moteurs de croissance durable » (2014) de Jacques Attali, etc. Dans le prolongement du Sommet de Montpellier, et bien que le changement de nom de l’Agence française de développement (AFD) prenne plus de temps que prévu, il est question de remplacer le terme d’« aide » par celui d’« investissement solidaire et partenarial » : une pirouette rhétorique qui correspond à l’histoire même de « l’aide » [5] et à la mobilisation de l’AFD comme outil d’influence économique.
Enfin, concernant le franc CFA, le président poursuit l’opération de communication lancée à l’occasion de la réforme de façade du CFA d’Afrique de l’Ouest, en rappelant que la monnaie pourrait y changer de nom. Cette réforme ne concernait que 8 des 15 pays africains de la Zone franc a plutôt servi à sauver cette monnaie, de plus en plus contestée, en se débarrassant de quelques « marqueurs symboliques qui concentraient toutes les critiques et [tous]les fantasmes », avait expliqué Emmanuel Macron en mai 2021 [6]
Thomas Borrel conclut : « Au terme de cet énième exercice de communication politique, certains ne manqueront pas de souligner une apparente différence avec ce qu’ils croient être la Françafrique. C’est oublier que cela a toujours été un système de domination évolutif, dont les réformes successives permettent la perpétuation, et impliquant des élites africaines comme celles dont aime s’entourer Emmanuel Macron. Le président français dit qu’il ne regrette pas la Françafrique, et pour cause : il la prolonge en l’adaptant, comme l’ont fait tant d’autres avant lui. »
[1] BFM-Reuters, « Ni nostalgie ni pré carré français en afrique, dit sarkozy », 13 juillet 2010, https://www.bfmtv.com/politique/ni-nostalgie-ni-pre-carre-francais-en-afrique-dit-sarkozy_AN-201007130009.html
[2] Voir T. Borrel, « Cameroun : Macron au pays des faux-semblants », Billets d’Afrique n°320, septembre 2022
[3] En témoigne par exemple le discours de François Mitterrand à son dernier Sommet France-Afrique, en 1994 à Biarritz : « Si la France et ses partenaires africains ont su organiser pacifiquement la décolonisation – et je vois ici plusieurs des fondateurs avec lesquels, à l’époque, j’ai pu me réjouir de travailler à une grande œuvre –, si nous avons pu arriver à bout des obstacles, c’est parce que la volonté ne nous a jamais manqué. »
[4] Voir « Sahel : Barkhane se termine, l’armée française reste et le problème demeure », communiqué de Survie, 9 novembre 2022
[5] Voir T. Borrel, « La grande illusion de l’aide publique au développement » in T. Borrel, A. Boukari-Yabara, B. Collombat, T. Deltombe (dir.), L’Empire qui ne veut pas mourir. Une histoire de la Françafrique (Seuil, 2021)
[6] « Immigration, terrorisme, colonisation... Les confidences de Macron en Afrique », Le JDD, 29 mai 2021. Quelques mois plus tôt, en février 2020, un représentant du Trésor avait expliqué aux députés de la commission des Finances que ces choix avaient été dictés par « la volonté de sortir des irritants politiques : le nom, la question de la présence de la France dans les instances et la centralisation de 50 % des réserves de change », ajoutant que « des aspects essentiels ne changent pas ». Voir Fanny Pigeaud et Ndongo Samba Sylla, « Réforme du franc CFA : les députés français mal informés par leurs techniciens ? », blog Mediapart de Fanny Pigeaud, 24 février 2020.