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Portugal : plan d’austérité du gouvernement PS-PSD, début de réponse ouvrière et politique du « Bloc de gauche »

Le plan d’austérité du gouvernement PS-PSD

Au Portugal comme ailleurs, la bourgeoisie tente de faire payer la crise aux travailleurs. Le Portugal fait partie des pays dont l’économie est plus fragile relativement à celles des grandes puissances de l’UE (1). L’agence de notation Standard and Poor’s a abaissé la note de la dette portugaise, en même temps que celle de l’Espagne. En effet, sa dette publique atteint environ 140 milliards d’euros, ce qui représente près de 90% du PIB (soit nettement au-delà de la limite des 60% du PIB fixé par le pacte de stabilité) et est détenue surtout par des étrangers ; en 2009, le déficit budgétaire a atteint 9,4% du PIB.

Sous la pression des bourgeoisies française et allemande qui, via l’UE, poussent les gouvernements des PIGS à mettre en place des plans de rigueur drastiques, la coalition PS-PSD a donc présenté deux plans de rigueur successifs, confirmant que les partis sociaux-démocrates sont devenus des partis bourgeois normaux, prenant directement en charge la politique exigée par le capital, dont la principale institution internationale, le FMI, est présidée par le dirigeant du PS français, Dominique Strauss-Kahn.

Il s’est d’abord agi de réduire le déficit budgétaire à 8,4 % en 2010 et à 3 % d’ici 2013. Puis le premier ministre José Socrates (PS) a dû se résoudre à donner un tour de vis supplémentaire, prévoyant de réduire le déficit à 7,3 % dès cette année et à 4,6 % en 2011. Pour les travailleurs portugais, les conséquences de ces plans de rigueur, appelés « Plans de Stabilité et de Croissance » (PEC (2)) sont nombreuses : augmentation de l’impôt sur le revenu alors que les salaires sont déjà bas au Portugal (600 euros en moyenne), augmen-tation des prix via l’augmentation de l’IVA (équivalent de la TVA), diminution des services publics et augmentation du coût de leurs prestations, gel du recrutement et des salaires dans la fonction publique, augmentation de l’âge de départ à la retraite à 65 ans dans la fonction publique, réduction des prestations sociales, ainsi qu’un vaste plan de privatisations dans les transports, l'énergie, les assurances et la poste…

La direction de la CGTP critique le PEC et organise des journées d’action, mais refuse d’affronter le gouvernement

La brutalité du gouvernement de coalition entre le PS et le PSD a contraint les chefs de la CGTP-IN (Confédération Générale du Travail – Intersyndicale Nationale), principale confédération du pays, où le PCP garde une influence prépondérante, à réagir. La direction de la CGTP affirme son « opposition » au PEC. Cependant, elle ne demande pas son retrait et refuse donc d’organiser le combat pour atteindre cet objectif. Corrélativement, elle oppose à la politique du gouvernement, qu’elle juge « néolibérale », une autre politique bourgeoise, plutôt néo-keynésienne, appelant à s’attaquer aux spéculateurs et à la finance (mais pas au capital supposé productif), à taxer les riches, à augmenter les salaires, à préserver les services publics, etc.

Les manifestations du 1er Mai ont été plus nombreuses qu’à l’habitude. Le secrétaire général de la CGTP a appelé à une grande manifestation contre le plan d’austérité. Elle a été convoquée pour le samedi 29 mai, autrement dit sans grève. Cet appel, méthodiquement préparé par l’appareil de la CGTP, a trouvé un important écho dans les masses. Plus de 300 000 travailleurs ont défilé à Lisbonne, soit l’une des plus nombreuses manifestations de l’histoire du Portugal. Carvalho, le secrétaire général de la CGTP, a tenu des discours formellement radicaux, évoquant le spectre de la « grève générale », expression par laquelle il désigne une simple journée de grève interprofessionnelle de 24h (comme FO en France). Cependant, dans la pratique, la direction de la CGT refuse toujours d’engager l’affrontement avec le gouvernement pour le retrait du PEC, désarmant ainsi le prolétariat portugais.

Le « bloc de gauche » portugais n’est pas le parti qu’il nous faut  ou la faillite du réformisme face à la crise

Dans le cadre de la crise politique au sein du NPA, certains camarades présentent comme modèle de la « gauche radicale » en Europe le Bloc de Gauche portugais (Bloco de Esquerda, BE), dont le porte-parole, Francisco Louça, est membre du « Secrétariat unifié de la Quatrième Internationale » (SUQI) comme l’ex-LCR et la majorité des dirigeants du NPA. Ils s’appuient principalement sur ses bons résultats électoraux : plus de 10 % des voix aux élections législatives de 2009. Cela semble à première vue alléchant, à un moment où le NPA lui-même n’a obtenu que 2,5 % des voix en moyenne aux élections. Mais qu’est-ce que le Bloc de Gauche ? Quelle est sa politique ?

Les origines du Bloc : la démarcation par rapport au PS et au PCP

Le Bloc de Gauche se place, avec le PCP, à gauche du PS dans le paysage politique parlementaire portugais. Il a été fondé en 1999 par la fusion du PSR (Parti Socialiste Révolutionnaire) organisation sœur de l’ex-LCR au Portugal, membre comme elle du SUQI, de l’UDP formation issue du maoïsme et de Politica XXI résultant de l’union d’ex-militants du PCP, en rupture sur la droite avec le stalinisme. Le BE a également été rejoint par l’organisation Ruptura/FER (3), section portugaise de la LIT-QI (Ligue Internationale des Travailleurs – Quatrième Internationale) et par de nouveaux militants sans liens avec les quatre organisations précédemment citées.

Ce parti s’est d’abord construit comme une coalition électorale en profitant de l’espace politique crée par la transformation du PS en parti bourgeois, le maintien d’un parti communiste stalinien « orthodoxe » (le PCP) et l’absence de parti écologiste. Il s’est également appuyé sur la dynamique, assez importante à l’époque, du mouvement alter-mondialiste. Cette union s’est cristallisée entre autre autour de la volonté de présenter des candidats aux élections législatives et européennes de 1999 où le BE a obtenu 2,44 % des voix. Il a ensuite connu une progression électorale constante. Dix ans après, le BE a obtenu 9,85 % des suffrages aux législatives et 10,7 % aux élections européennes qui lui ont donné le droit d’être représentés par 16 députés au Parlement portugais et 3 au Parlement européen. Il revendique 7 000 adhérents, contre 60 000 au PCP, dont les résultats électoraux sont pourtant comparables. C’est en fait l’expression du programme, de l’orientation et par conséquent de la logique de construction du Bloc de Gauche. Cependant, à l’échelle du Portugal, cela reste une force significative (cela équivaudrait à peu près à un parti de 40 000 adhérents en France), qui donne d’autant plus de responsabilité politique au BE.

Le Bloc des gauches s’est construit par une double délimitation. Il entend tout d’abord se démarquer d’un PS « social-libéral ». Cependant, cette délimitation est plus conjoncturelle que principielle. Lors de son congrès en 2009, il a adopté le refus d’un gouvernement avec le PS ou de coalition entre le PS et le centre-droit pour cette législature : « Le projet du PS pour 2009 est dans la continuité des politiques qui ont conduit au développement du chômage, de la précarité et de la pauvreté, que ce soit pour obtenir une majorité absolue ou pour recourir à la formation d'un bloc du centre. Casser cette majorité absolue du PS et combattre la politique du bloc du centre constitue la stratégie de la gauche socialiste. 
C"est pourquoi il ne participera pas à un gouvernement avec le PS, parce que les programmes sont contradictoires. Il n'acceptera aucune collaboration avec un gouvernement, du PS ou du bloc du centre, car quatre années de gouvernement Socrates (PS portugais) ont démontré que ces politiques doivent être battues.» Le Bloc des Gauches s’est aussi construit en se démarquant du PCP. Cependant, ce n’est pas d’un point de vue trotskyste, en critiquant le réformisme de collaboration de classe repeint en rouge du PCP et le stalinisme, mais d’un point de vue réformiste, consistant à prendre prétexte du désastre stalinien pour refuser d’opposer au capitalisme la lutte pour l’expropriation du capital et le communisme.

Un manifeste de fondation purement réformiste

Le manifeste de fondation (4) du parti et ses statuts (5) définissent le BE comme un mouvement de citoyens et de citoyennes qui « promeut une culture civique de participation et d’action politique démocratique comme garantie de la transformation sociale (…) ». Le manifeste, rédigé pour les élections législatives et européennes de 1999, même s’il se réfère formellement au socialisme, ne va guère au delà de l’antilibéralisme. La question de la propriété privée des moyens de production, la division de la société en classes sociales aux intérêts antagoniques, la destruction de l’État bourgeois et la révolution en sont totalement absentes. Ce programme se termine par une partie intitulée « Notre projet : la démocratie pour le socialisme ». Sous ce titre, on ne trouve en fait qu’une catalogue de réformes, toutes compatibles avec le capitalisme, c’est d’ailleurs expressément revendiqué dans ce programme. Le texte se borne à la fin à se référer très vaguement au socialisme. On peut en donner ici seulement quelques extraits (6) :

  • Pour quelques réformes, comme celle des 35 heures, alors mise en œuvre par le gouvernement PS-PCF-Verts-MDC en France avec un ensemble de mesures d’annualisation et de flexibilité sans la moindre mise en cause du caractère capitaliste de « l’économie » : « Ce Bloc affirmera la nécessité d’une politique de plein emploi avec la sauvegarde des droits acquis. Mettre l’être humain au centre de l’économie commence par là, par la revalorisation du travail comme créateur de richesses. (…) Cela exige le courage d’une grande réforme, la réduction du temps de travail à 35 h (…). »
  • Pour une réforme fiscale, taxant davantage les riches, pour améliorer les recettes, sans la moindre remise en cause de l’État actuel : « Ce Bloc démontrera la viabilité de ces objectifs. Selon nous, il est possible d’augmenter substantiellement les recettes de l’État pour garantir l’avenir d’un système public et participatif de Sécurité Sociale. Mais il faut avoir le courage d’une réforme fiscale qui promeuve la justice et pénalise les plus puissants et tous ceux qui manquent leurs devoirs sociaux. »
  • Pour une politique fiscale dirigée contre la finance, mais ouvertement favorable aux patrons « créateurs d’emplois » : « Il est indispensable de taxer de façon exemplaire le capital spéculatif, de la même façon qu’il n’y a pas de raison valable pour que l’emploi paye des impôts et que le capital qui le remplace en soit exonéré. C’est pourquoi la priorité doit être la réalisation d’une réforme fiscale garantissant la justice pour les travailleurs salariés et bénéficiant aux entreprises qui créent des emplois et pénalisant celles qui en suppriment. »
  • Pour une réforme citoyenne et participative de l’État bourgeois : « Le Boc affirmera l’urgence de réformes fortes sur le plans des droits et du système politique, en direction d’une démocratie qui trouve dans la citoyenneté la condition de son existence et de sa rénovation permanente. »
  • Dans ces conditions, on comprend qu’il ne s’intéresse pas particulièrement au prolétariat et que sa référence au socialisme reste des plus floues : « Le bloc assume les grandes traditions de la lutte populaire dans le pays et apprend d’autres expériences et défis ; il renouvelle l’héritage du socialisme et y inclut des contributions convergentes de divers citoyens, forces et mouvements qui au fil des ans s’engagent dans la rechercher d’alternatives au capitalisme. C’est de là que nous voulons partir pour reconstruire une gauche populaire, plurielle, combative et influente, qui soit capable de reconstruire l’espoir. »

C’est sur la base de cette orienta-tion réformiste que le Bloc de gauche a connu un certain succès. Il a mené des campagnes pour la dépénalisation de l’avortement, pour l’abolition du secret bancaire, contre la guerre.

Du programme à la pratique : la politique du Bloc de gauche face à la crise

Les députés du Bloc de Gauche approuvent le plan du gouvernement PS-PSD d’« aide » à la Grèce

Le Bloc de Gauche a bien sûr voté contre le PEC, le plan d’austérité du gouvernement portugais. Cependant, le 7 mai dernier, les députés du Bloc de gauche ont voté pour le projet de loi gouvernemental du PS et du PSD, avec le très à droite CDS donnant la possibilité au Portugal de concéder des prêts financiers aux autres pays membres de la zone euro et notamment à la Grèce. Cette loi a permis le déblocage d’un premier emprunt de 2 milliards d’euros. Le PCP et les Verts ont voté contre. Bien que Francisco Louça (porte-parole et député du BE) mette en avant la nécessité de se positionner comme une alternative claire au PS, ajoutant que c’est dans la confrontation la plus dure que le BE s’est renforcé, comment le BE justifie-t-il ce vote ?

Le journal économique OJE (7) rapporte les propos de Cecilia Honorio, membre du BE : « Refuser ce plan d’aide reviendrait à imposer la banqueroute à la Grèce, reviendrait à une politique de la terre brûlée. » Elle a cependant accusé l’Europe et le FMI de financer la spéculation contre la Grèce, en proposant de créer une agence de notation européenne. Pourtant, le plan « d’aide » qui ira à la Grèce ne bénéficiera aucunement aux travailleurs, mais servira les intérêts des responsables de la crise, des bourgeoisies nationales à l’Union Européenne en passant par les gouvernements nationaux, avec son lot de « restructurations » et de coupes budgétaires sur lesquelles les travailleurs n’auront pas leur mot à dire. Dans la loi (8) votée par le Parlement le 7 mai, et dans une autre loi (9) à laquelle celle-ci se rapporte, les conditions de l’aide financières sont claires : « Les opérations de financement auxquelles participera l'État portugais sont coordonnées avec les autres États membres de la zone euro et avec les instances communautaires, elles ne seront pas de nature “concessionnelle” et resteront sujettes à l'adoption par les États membres des conditions déterminées de financement, afin de responsabiliser et d'inciter à un retour aussi rapide que possible au financement par le marché. » Cecilia Honorio, dans sa justification de vote au nom du BE, abandonne donc tout point de vue de classe : elle ne se demande pas un instant si ce plan est favorable au prolétariat ou à la bourgeoisie. Plus fondamentalement, elle raisonne manifestement en considérant comme intangible le cadre du capitalisme : c’est pour cela qu’elle juge que ce plan d’austérité est le moindre mal. C’est précisément l’argumentation du premier ministre grec du PASOK (PS grec), Papandreou, pour justifier son plan auprès des travailleurs et des bureaucrates syndicaux du GSEE et de l’ADEDY et les dissuader de combattre pour son retrait. Logiquement, sa proposition pratique, la création d’une agence de notation européenne, déjà évoquée par des hauts responsables des gouvernements en place, est une proposition de réforme de l’UE purement bourgeoise : elle ne s’oppose pas aux plans d’austérité, mais vient les compléter.

Dans sa contribution sur la crise, le BE tente à nouveau de justifier son vote face aux critiques du PCP dans sa revue Avente. Il prétend tout d’abord que, « dans cette loi portugaise, aucune condition n’est posée à la Grèce ». On vient de montrer que cette affirmation est fausse en citant un extrait de la loi, qui s’inscrit bien sûr dans le cadre du plan européen, lequel impose des conditions terribles aux prolétaires grecs. La direction du BE essaye aussi de s’en tirer en critiquant l’impasse de la position du PCP pour jeter un écran de fumée : « La divergence avec le PCP est plus profonde, le vote du PCP appuie le KKE, qui défend en Grèce la sortie de l'euro et de l'UE. Alors ! Le PCP qui ne propose que cette solution, se place dans une position étrange : il vote pour que l’État portugais aide à imposer la sortie de la Grèce de l'euro, mais ne veut même pas savoir ce qui arrivera dans ce cas. »

Le PCP a bien sûr tout à fait raison de voter contre les plans d’austérité, mais il ne mène pas une politique conséquente pour les stopper, comme le prouve la politique de la direction de la CGTP qu’il influence fortement. Le BE a raison de dire que le PCP n’offre aucune alternative au plan du gouvernement, sinon une éventuelle fuite en avant souverainiste. En effet, la rupture avec l’UE ne peut être progressiste que si elle est réalisée par un gouvernement révolutionnaire, expropriant le capital et commençant à réorganiser de fond en comble l’économie en s’appuyant sur les masses auto-organisées. Or, le PCP se borne à affirmer abstraitement que pour l’Europe et pour le Portugal, « il faut un autre chemin », « il faut une autre politique » ; car, par delà ses rodomontades, il est lui aussi réformiste. Pour autant, en essayant de se débattre, le BE ne fait que montrer un peu plus ses illusions de voir l’Union Européenne devenir un agent positif pour la condition des prolétaires et ne fait que s’enfoncer dans les sables mouvants des institutions et du réformisme.

Le BE et la politique de la bureaucratie syndicale

Au délicat sujet de l’implication syndicale, Francisco Louça répond que son parti est investi dans les organisations syndicales et que ses militants animent des équipes majoritaires dans quelques structures locales et dans toutes les plus grandes entreprises du pays. Selon lui, ces militants défendent de manière organisée une orientation nationale dans les principaux syndicats du pays. Quelle est cette orientation ?

Il faut beaucoup chercher sur la site du BE pour finir par trouver de vagues allusions à ce sujet : « L’unification de la lutte avec la perspective de la grève générale, qui doit être appelé par les syndicats au moment de la mobilisation sociale la plus forte, est le chemin qui doit être suivi. Une grève forte implique un mouvement de base, la création de la confiance, la multiplication des forces. Dans ce contexte, le Bloc choisira le moment venu les formes de confrontation avec le gouvernement, soit à travers une motion de censure, soit à travers l’exigence d’une motion de confiance, soit à travers la présentation de propositions alternatives qui s’affrontent au PS et à son alliance avec le PSD et avec le CDS. » (Document sur la crise)

Dans sa résolution du 17 avril consacrée à la lutte contre le PEC, le BE se borne à des formules générales, expliquant que seule l’unité de la gauche et la liaison des diverses mobilisations peuvent permettre d’affronter victorieusement le plan du gouvernement. Dans ce même texte, la direction du BE présente son intervention dans les élections présidentielles de 2011 comme « une partie essentielle de sa lutte pour vaincre le PEC et les politiques libérales ». C’est déjà en soi une incroyable confusion réformiste : le PEC ne peut être vaincu que par la lutte de classes directe, par la grève générale. Mais la candidature soutenue par la direction du BE rend cette affirmation encore plus incroyable.

Le BE soutient la candidature à la présidentielle d’un ancien dirigeant du PS, partisan d’une austérité « juste » et du « dialogue social »

Il s’agit de la candidature de Manuel Alegre, poète portugais, l’une des figures intellectuelles de l’opposition au régime de Salazar, longtemps membre de la direction du PS, député pour le PS au Parlement. Sans quitter son parti, il s’est présenté comme candidat indépendant à l’élection présidentielle de 2006, où il est arrivé en deuxième position au premier tour, avec 20 % des voix, devant le candidat officiel du PS, Mario Soares, mais derrière le candidat du centre-droit, Cavaco Silva, finalement élu président. À cette époque, le BE avait présenté son propre candidat, Francisco Louça, qui avait recueilli 5 % des voix.

La direction du BE soutient la candidature de Alegre, en expliquant que, tout en ayant une politique différente du BE, il a critiqué le PEC, s’est déclaré opposé aux privatisations et au gel des salaires dans la fonction publique. Mais, en fait, elle la justifie surtout en expliquant qu’il faut battre à tout prix Cavaco Silva et permettre la victoire de ce qu’elle appelle « la gauche ». Or, quelle politique propose Alegre ? On peut s’en faire une idée par le discours dans lequel il a déclaré sa candidature. Tout d’abord, Alegre précise sa filiation politique : « Je salue les représentants ici présents [aux Açores] du Mouvement d’Intervention et de Citoyenneté, du Bloc de gauche, de la Rénovation Communiste et du parti Démocratique de l’Atlantique. Je salue les citoyennes et les citoyens qui, sous de multiples formes, ont donné l’impulsion au mouvement qui a été à l’origine de ma candidature. Je salue mon parti, le Parti Socialiste, dans la personne de son président, Almeida Santos et de son secrétaire général, José Socrates [premier ministre, auteur du PEC]. » Puis il expose sa conception du rôle de président de la République : « Il revient au Président, outre son devoir de garantir la stabilité politique et le fonctionnement régulier des institutions, d’être l’interprète de la nation et le mobilisateur des énergies du pays. »

Il explique à propos de la crise que, « au-delà de ses causes structurelles propres, elle est inséparable de problèmes jamais résolus au sein de l’Union Européenne, à savoir l’absence de coordination des politiques économiques comme complément nécessaire à l’union monétaire ». Tout en regrettant que l’UE se montre moins prompte à venir en aide aux pays en difficultés qu’à sauver les banques, il se place dans une perspective de pure réforme bourgeoise de l’UE. Au sujet de la situation au Portugal, il se présente en partisan d’une austérité formellement partagée et du « dialogue social » pour la faire passer : « Il est l’heure, aussi, dans le cadre des difficultés existantes, de tout faire pour sauver l’État social. Le pays doit être mobilisé. Mais il le sera seulement s’il comprend le sens des mesures et des sacrifices qui lui sont demandés. C’est pourquoi, au delà de la rigueur et de l’austérité, il faut une grande exigence éthique. (…) Les Portugais sauront y répondre. À une condition : il ne peut y avoir de sacrifices pour presque tous et des bénéfices pour quelques-uns. Plus que jamais il faudra promouvoir un plan concerté entre le gouvernement, les partis politiques et les partenaires sociaux ». Enfin, il conclut dans une envolée lyrique par une déclaration de fidélité à l’État bourgeois « social » : « Je suis un candidat au-dessus des partis, mais pas un candidat neutre (...). Je ne serai pas neutre dans la défense d’une école publique exigeante et de qualité, je ne serai pas neutre dans la défense du système national de santé, je ne serai pas neutre dans la défense du système public de sécurité sociale (…), je ne serai pas neutre dans la défense du rôle irremplaçable des forces armées et dans le soutien aux militaires portugais engagés dans des missions découlant des engagements internationaux de notre pays (…) Vive la République ! Vive le Portugal ! »

Bref, le Bloc des gauche portugais, qui se dit anticapitaliste, veut soutenir un candidat qui, malgré quelques phrases « de gauche », n’est rien d’autre qu’un démocrate bourgeois.

Quelques conclusions

Dans une interview pour la revue Contretemps (10), proche du NPA, François Sabado et Cédric Durand, tous deux membres du NPA et du SUQI, interrogent Fernando Louça, porte-parole du BE et lui aussi membre du SUQI, sous l’angle du succès de la construction de ce parti. De nombreux éléments de cette interview touchent aux questions stratégiques parmi les plus sensibles pour les anticapitalistes.

Une certaine conception du rôle des élus

Les intervieweurs posent l’expérience du BE comme percutante car soulevant dans les conditions présentes la question du rapport aux institutions. Ils demandent ainsi : « Comment transformer les institutions sans être happé par leur logique ? ». Voici la réponse donnée par le leader du BE : « Si un parti participe aux élections, il doit savoir exercer les mandats qu'il obtient de manière exemplaire à travers ses propositions, sa capacité d'innovation, l’attitude de ses élus, la cohérence des positions défendues et la fidélité au programme qu’il a proposé aux électeurs-trices. » Alors que la politisation des débats est un pivot pour la reconstruction de la conscience de classe, le chemin de l’électoralisme conduit à limiter les débats au positionnement du parti par rapport aux autres et dans le cadre des étroites limites fixées par les institutions nationales et européennes actuelles, non par rapport au débat politique de fond sur le projet de société et le processus pour y parvenir. C’est ainsi que la construction du BE en tant qu’alternative au PS se révèle n’être qu’un argument de marketing électoral puisque les pourtant très moraux députés du BE finissent par voter avec les députés du PS et même du PSD, cédant à la pression de l’État, du patronat et des médias pour faire passer le plan d’aide à la Grèce comme moindre mal. Les révolutionnaires ont une tout autre conception du rôle de leurs élus dans les Parlements : ils y sont pour dénoncer de l’intérieur la politique de la bourgeoisie, pour profiter de cette tribune pour appeler tous les travailleurs à lutter, sans jamais craindre d’être isolés à l’assemblée ni d’être vilipendés dans les médias, car ce qui compte, ce sont les besoins et l’avis des prolétaires.

La lutte de classes subordonnée aux calculs parlementaires

Francisco Louça précise : le BE « doit réussir à démontrer une capacité de conflictualité et de mobilisation sur lesquelles les luttes peuvent s'appuyer. Mais avoir des élus et participer aux institutions c'est aussi apprendre : grâce à cela, le Bloc est aujourd’hui beaucoup plus fort, connaît mieux la réalité et est davantage prêt à mener la lutte pour l'hégémonie sur tous les terrains. C'est en effet à partir de cette capacité globalisante que se construit un rapport de forces durable. Ainsi, parce que le Bloc a un groupe parlementaire, il est confronté en permanence avec TOUTE la politique. Le Parlement doit être, et a été, le lieu de notre guerre de mouvements et non d'une guerre de positions. Le dialogue politique et l’alliance avec des secteurs qui sont capables de prendre des positions anti-libérales est la clé d’une stratégie qui vise à isoler les réponses traditionnelles de tous les gouvernements de droite ou sociaux-libéraux. C’est une forme de lutte pour la direction politique, devant l’échec historique des classes dominantes (…). »

On ne saurait mieux dire que, en cohérence avec son manifeste fondateur purement antilibéral, le BE a une stratégie de réforme bourgeoise et de lutte principalement parlementaire, à laquelle les mobilisations sont subordonnées. Vouloir gagner le maximum de voix aux élections, comme un but en soi, amène nécessairement un certain suivisme vis-à-vis de l’état d’esprit immédiat des masses. Dès lors, dans l’interview donnée par Francisco Louça à Contretemps, les deux phrases socialistes, qui ne sont nulle part dans les textes du BE, ont, semble-t-il, pour principale fonction de vendre le BE aux militants du NPA encore attachés au marxisme révolutionnaire en lui adjoignant un discret vernis révolutionnaire : « Ce qui définit ceux et celles qui luttent pour le socialisme est l'expérience concrète de la société de classes, du capitalisme réellement existant, de la fonction d’organisation de l’État et de la stratégie d’organisation sociale des travailleurs-ses pour une société sans exploitation. Cela exige une politique dense de lutte pour l’hégémonie, d’alliances et surtout une clarté politique mobilisatrice. »

La perspective d’une réforme de l’UE

S’en remettre aux institutions pour régler la crise sociale ne permet pas aux travailleurs de prendre en main l’amélioration de leur vie. Faire intervenir la médiation institutionnelle pour améliorer la situation du prolétariat revient à déléguer cette entreprise aux experts qui ont jusque-là travaillé pour l’autre camp. C’est hélas ce que fait le BE quand il se rattache à l’UE en ne mettant pas en avant la nécessité de détruire cette institution bourgeoise et de construire son alternative, les États-Unis Socialistes d’Europe, et l’outil politique pour la réaliser. Au lieu de cette perspective pour la mobilisation des travailleurs, le BE propose (11) de continuer de lutter pour la refondation démocratique et sociale de l'UE ou encore de soumettre les fonds d'investissement aux règles anti-spéculatives en exigeant la transparence de son contrôle par la population. Il faut ici remarquer la subtilité de la formulation qui consiste à exiger la transparence du contrôle et non le contrôle direct par les travailleurs eux-mêmes, en contradiction avec la « clarté politique mobilisatrice » appelée par Francisco Louça pour la réalisation du socialisme…

Pour barrer la route à ceux qui veulent transformer le NPA en Bloc de gauche à la française, il faut leur opposer la seule alternative crédible, celle d’un NPA révolutionnaire

Ce qu’il faut, c’est un processus se fondant sur l’action directe des travailleurs pour la défense de leurs intérêts et un combat ouvertement révolutionnaire. Ce processus doit dépasser le simple dépôt d’un bulletin de vote dans une urne. Il passe par la grève générale et la prise en main par les travailleurs auto-organisés de la production et du pouvoir ! Les détracteurs de cette logique disent qu’il ne suffit pas d’en parler pour que celle-ci se réalise : ils ont raison. Mais pour justifier que notre parti ne doit pas porter publiquement les axes principaux de cette logique, ils doivent faire la preuve que c’est en la taisant que celle-ci a davantage de chance de se réaliser !


1) Le Portugal, l’Irlande, la Grèce et l’Espagne sont regroupés sous l’acro-nyme infamant de PIGS (en anglais pigs, porcs) qui désigne les pays ayant bénéficié d’aides européennes importantes pour leur développement économique. Ces pays s’en trouvent aujourd’hui d’autant plus soumis aux injonctions de l’UE et donc aux intérêts des impérialistes français et allemands.

2) PEC : Plano de Estabilidad e de Crescimento.

3) Fusion de militants acteurs du mouvement étudiant (Ruptura) et de l’organisation du Front de Gauche Révolutionnaire (Frente de Esquerda Revolucionaria), affiliée à la LIT-QI (Ligue Internationale des Travailleurs-Quatrième Internationale, fondée par Nahuel Moreno). Nous n’avons pas la place dans le cadre de cet article d’étudier l’orientation de la Ruptura/FER. Nous y reviendrons.

4) http://www.bloco.org/media/comecardenovo.pdf

5) www.bloco.org/media/estat2009.pdf

6) Cf. le texte intégral en portugais sur le site http://www.bloco.org/media/comecardenovo.pdf

7) http://www.oje.pt/noticias/nacional/parlamento-aprova-apoio-a-grecia-com-votos-contra-do-pcp-e-verdes

8) http://www.parlamento.pt/ActividadeParlamentar/Paginas/DetalheIniciativa.aspx?BID=35274

9) http://www.igf.min-financas.pt/inflegal/bd_igf/bd_legis_geral/Leg_geral_docs/LEI_112_97.htm

10) http://www.contretemps.eu/interviews/parti-pese-quand-son-opinion-est-incontournable

11) Pour plus de détails, cf. les documents suivants : http://www.esquerda.net/sites/default/files/textocrise_0.pdf et http://www.esquerda.net/sites/default/files/textocrise_0.pdf

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International

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En Allemagne, on observe au moins depuis le G20 de Hambourg (juillet 2017) un renforcement rapide des dispositifs sécuritaires et de la répression contre les militant-e-s, les classes populaires et les non-blanc-he-s. Cela passe, entre autres, par une série de lois régionales sur la police qui suscitent des protestations massives. On est encore loin du niveau atteint en France, mais ce tournant sécuritaire n'en reste pas moins très significatif. À travers l'Europe, les dominant-e-s fourbissent leurs armes pour écraser toute révolte contre leurs projets, contre leurs profits. Lire la suite...

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Union européenne

L’extrême-droite européenne renonce à la rupture avec l’UE et l’euro pour gouverner

Partout en Europe, l'extrême-droite fait son beurre du rejet massif de l'Union européenne dans les catégories populaires et de l'incapacité de la gauche antilibérale ou anticapitaliste à porter ce rejet. L'extrême gauche refuse d'entendre ce rejet, ou pire, l'associe systématiquement au nationalisme et à la xénophobie. L'extrême droite peut se frotter les mains : aux yeux du prolétariat, elle incarne la seule opposition à l'Union européenne.

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