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L’affreux silence des organisations du mouvement ouvrier
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Face à la déferlante de l’union nationale-républicaine, l’affreux silence des organisations du mouvement ouvrier
Emmanuel Barot
Depuis la tuerie de mercredi 7 janvier, la déferlante politico-médiatique de « l’union nationale-républicaine contre la barbarie » n’a fait que marquer des points. Renforcée par les soutiens en nombre de chefs d’Etat étrangers, d’Obama à Poutine en passant par les leaders européens, elle a permis d’enrégimenter méthodiquement, très rapidement, la vaste émotion populaire provoquée par ce séisme. Les deux prises d’otages du vendredi 9, à Dammartin et dans un supermarché cacher de Porte de Vincennes, qui se sont soldées par la mort de sept personnes, dont les trois principaux suspects, apportent un peu plus d’eau au moulin républicain.
Hollande a pu saluer ce vendredi soir en prime time le professionnalisme et le courage de ses flics et marteler que l’unité contre tout ce qui pouvait diviser était la seule voie à suivre. Il s’est même payé le grand luxe de refuser les « amalgames » racistes et de ne pas inviter Marine Le Pen à la marche de dimanche – après l’avoir reçue dans les fauteuils élyséens. La France ayant « fait face » et riposté à la hauteur de l’attaque, Hollande défilera en bonne compagnie, entouré de Cameron, Merkel, Rajoy, Renzi et du nouveau président de l’Europe, le Polonais Donald Tusk. L’heure est au recueillement, mais cette union sacrée à l’échelle internationale est un sombre présage de ce qu’on croyait réservé au monde de Bush : de vigipirate surrenforcé dans l’Hexagone, la civilisation faisant face à la barbarie, à quand un « Patriot act » à l’européenne ?
Bien peu de notes dissonantes dans la grande symphonie de la république antiterroriste qui s’est orchestrée depuis trois jours. Du côté des directions des organisations politiques et syndicales du mouvement ouvrier, allant de la gauche réformiste à la gauche radicale, on est bien en peine pour trouver la moindre once de politique. Elles sont donc exactement à l’image de la marche prévue dimanche : silencieuses. Dans un premier moment, pourtant, dès la nouvelle de l’attentat contre le siège de Charlie Hebdo, la CGT et le SNJ appelait à manifester. Depuis, plus rien. Ou plutôt si. Tous et toutes derrière le régime. Ce serait avec Hollande et Sarkozy que le mouvement ouvrier, ses organisations syndicales et politiques pourraient défendre les libertés démocratiques et donner un cadre d’expression à l’émotion suscitée par les attentats ?
Que « tout le monde trouve sa place et puisse manifester sa ferveur républicaine », a ainsi déclaré Mélenchon, qui se prépare à une manif où il ira marcher derrière le parti où il a passé tant d’années, le PS. Le lendemain, lundi 12, il sera au Théâtre Dejazet, à Paris, pour pérorer sur « la laïcité et la paix civile ». Le PCF ? « Que partout dans le pays s’exprime l’unité nationale de toutes les forces républicaines face à la barbarie ». Voilà l’abjection que l’on peut lire sur le site de Pierre Laurent. Côté CGT, l’hommage prononcé par un Lepaon en sursis est emblématique du même vide sidéral, ou plutôt de la même complicité. Du dialogue social à la concorde républicaine. Comme si l’indignation et le deuil, parfaitement légitimes, devaient interdire la moindre discordance.
Quelle vaste mascarade coupable, en réalité, que d’entretenir ainsi l’illusion qu’une défense des libertés démocratiques, la lutte contre le racisme, la xénophobie, l’obscurantisme réactionnaire, peut se faire sur le terrain, dans la rue comme dans les idées, de ceux-là mêmes qui les orchestrent méthodiquement, macronisant les travailleurs, chassant les Rroms, stigmatisant les jeunes et les immigrés au quotidien. L’absence du FN à la marche de dimanche arrange toutes ces bureaucraties, bonne conscience pour pas cher. Mais Marine Le Pen n’aura même pas besoin d’y être pour récolter la mise de cette épopée sécuritaire.
L’absence de toute riposte unitaire au plan national face au meurtre de Rémi Fraisse à Sivens par la gendarmerie et à la criminalisation répressive des mouvements sociaux croissante depuis l’été dernier, avait été un symptôme inquiétant de la décomposition et de la perte profonde des réflexes de survie élémentaires des réformistes. Leur suivisme républicanophile d’aujourd’hui ne fait qu’en témoigner un peu plus. On entend bien ici ou là des plaintes, plus à la marge, sur la « récupération » national-républicaine de l’élan populaire, démocratique et antiraciste, par le gouvernement.
Mais pour prévenir cette instrumentalisation, il n’y a pas trente-six solutions : il eut fallu que cette gauche des partis et des syndicats qui continue à représenter une fraction significative du monde du travail organisé et de la jeunesse, appelle partout à des rassemblements alternatifs sur une base d’indépendance politique et de classe pour défendre les libertés démocratiques. Mais ça n’en prend pas le chemin : emblématique, le communiqué du 8 janvier de l’intersyndicale CGT, CFDT, CFTC, CFE-CGC, FSU, UNSA et Solidaires est titré « Le monde du travail, ensemble, pour les libertés et la démocratie ». Mais on a beau chercher dans le communiqué, ce « monde du travail » en est le grand absent, tout comme « les libertés ». Les directions du mouvement ouvrier ont fait un autre choix, celui de se rallier à un gouvernement qui porte atteinte à la démocratie, aux libertés de croyance religieuses individuelles de millions de musulmans, dans les écoles, dans les lieux publics, dans la presse, parle de « valeurs » face aux « barbares » pour exiger l’union. Mais la seule façon de lutter contre l’obscurantisme et les idées réactionnaires, c’est en combattant pour le renforcement de toutes les libertés démocratiques et sociales, pour que cesse la chasse aux immigrés, aux Rroms et aux musulmans. Ce sont en effet les politiques de Sarkozy, continuées par Hollande, qui sont à l’origine du climat puant des derniers jours. C’est ce qui permet à Marine Le Pen de dire qu’il fait que « la parole se libère », manière d’appeler aux pogroms anti-musulmans alors que son père appelle à voter FN.
Il est encore possible, à l’extrême gauche, de proposer une plateforme en direction de l’ensemble des forces du mouvement ouvrier et de la jeunesse, à commencer par les équipes syndicales combatives qui sont en butte à la répression patronale et gouvernementale, pour dire haut et fort que défendre les libertés démocratiques, c’est avant tout dire non à vigipirate, à l’ensemble des textes liberticides et aux lois scélérates contre les immigrés. Prévenir l’onde de choc réactionnaire qui ne manquera pas de s’orchestrer depuis l’Etat et dont les chiens haineux de l’extrême droite tireront profit pour multiplier les actes racistes et islamophobes si rien n’est fait, c’est défendre la possibilité de se rassembler, partout dans l’Hexagone, en toute indépendance politique du gouvernement et des forces de droite, en toute indépendance ce classe. Il en est encore temps. C’est urgent de le faire.
09/02/15