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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
(La Presse à Paris) Dans la France de l'état d'urgence, mieux vaut ne pas embêter vos voisins. Ils pourraient vous dénoncer à la police. Et vous faire perdre vos libertés.
Mohamed (prénom fictif) l'a appris à ses dépens. Ce père de famille parisien a vu une vingtaine de policiers portant des cagoules investir sa demeure en pleine nuit. En présence de ses enfants, ils ont fouillé les lieux avant de lui signifier un ordre d'assignation à résidence.
La Presse a pu consulter le document. Il explique simplement que «compte tenu de son comportement, l'intéressé, de confession musulmane, attire régulièrement l'attention de son voisinage par son discours prosélyte et radical» et qu'il aurait été «entendu comparant les djihadistes à des résistants». C'est tout.
Joint par La Presse, Mohamed raconte être tombé des nues. «Sur une simple calomnie d'un voisin, je me retrouve privé de mes libertés! «J'aurais» comparé les djihadistes à des résistants. Déjà, je n'ai pas tenu ces propos. Si je l'avais fait, je l'assumerais. Mais en plus, on nous a soulés pendant des années avec la liberté d'expression», s'exclame-t-il.
«J'étais à la place de la République après les attentats et j'ai allumé des bougies. Mon père s'est battu pour la France. La balle qui lui a traversé la cuisse en Indochine, elle ne lui a pas demandé d'où il venait.»
Mohamed,
placé sous surveillance policière
Mohamed n'est accusé de rien, mais il doit rester à l'intérieur entre 20h et 6h le matin en plus de se présenter au commissariat quatre fois par jour. Pour sortir de son arrondissement, il lui faut une permission spéciale.
Depuis l'adoption de l'état d'urgence, la police peut mener ses perquisitions et imposer ses assignations à résidence sans intervention d'un juge, et sans allégation de crime, sur la base de craintes quant à la sécurité.
La mesure a été adoptée à la quasi-unanimité par les élus et jouit d'un fort soutien populaire, selon les sondages. Elle a permis de découvrir beaucoup d'armes et de placer sous surveillance plusieurs islamistes radicaux, dont certains liés à des djihadistes. Selon le gouvernement, elle a aussi aidé à faire progresser l'enquête sur les attentats et à découvrir le plan pour une nouvelle attaque.
Dur de se défendre
Mais l'état d'urgence enlève aussi la possibilité de se défendre pour une personne qui serait accusée à tort. Mohamed dit songer à porter plainte en diffamation contre le ou les voisins qui ont affirmé qu'il tient un discours radical. Il pense notamment à un individu qui aurait des «problèmes psychiatriques» près de chez lui.
«Qu'il y ait de la sécurité, qu'ils fassent enquête, ça va. Mais là, on me demande de prouver que je n'ai pas dit ça, c'est incroyable», dit-il. Ce qui le dérange le plus, c'est la façon dont il a été qualifié dans le document.
«On m'a qualifié de musulman, pas de Français! Je ne vais presque pas à la mosquée, je ne suis pas fier, je devrais y aller plus. Je suis né ici! J'étais à la place de la République après les attentats et j'ai allumé des bougies. Mon père s'est battu pour la France. La balle qui lui a traversé la cuisse en Indochine, elle ne lui a pas demandé d'où il venait», dit-il avec colère.
Suspicion conjugale
Claire (prénom fictif), une mère de famille française de 42 ans convertie à l'islam, est elle aussi assignée à résidence. Résidante d'un petit village de l'Île-de-France, elle a vu son mari partir pour une «terre d'islam» il y a six mois. Elle n'a pas voulu le suivre, mais le considère toujours comme l'homme de sa vie. Elle croit qu'il est en Syrie, mais dit ne pas avoir de nouvelles.
Son ordre d'assignation à résidence précise qu'elle représente un risque en raison de «l'emprise que son mari exerce sur elle».
«Ils considèrent que mon mari me manipule à partir d'un État considéré terroriste, que je suis une islamiste radicale», explique-t-elle au bout du téléphone, la voix très calme.
Questionnée par La Presse, elle dit songer à quitter le pays si ses restrictions de mouvement sont levées. «Quand ce sera terminé, je ne crois pas que je pourrai vivre en France. C'est une guerre psychologique qu'ils mènent», dit-elle.
L'avocate de Mohamed et de Claire, Me Isabelle Coutant-Peyre, est une habituée des procès pour terrorisme. Elle s'insurge qu'on cible «des comportements et des discours» pour restreindre la liberté de gens «qui n'ont commis aucune infraction», ce qui évoque carrément pour elle des images de «coup d'État».
Toute tentative de contestation devant les tribunaux risque d'être extrêmement difficile, selon elle. «Il y a un tel aveuglement, et de l'opinion publique, et du pouvoir administratif, que je pense qu'ils vont tout couvrir, au nom du principe de précaution», lance-t-elle, attablée dans son grand bureau, à quelques pas du musée d'Orsay.
Sa voix n'est pas la seule à s'élever. À quelques kilomètres de là, près du musée du Louvre, Me Patrick Kempf s'active dans son cabinet. Des gens vont et viennent, le téléphone sonne constamment et la salle d'attente est pleine, même s'il est déjà passé 20h. L'avocat prépare une contestation d'une perquisition liée à l'état d'urgence.
«C'est hallucinant! On perd des libertés fondamentales. On croit que c'est seulement contre les terroristes, mais toute la population peut être touchée», déplore-t-il.
«Il y avait urgence»
Devant les critiques, le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve a envoyé une circulaire à tous les préfets pour insister sur l'importance de mener les opérations «dans le respect du droit». Plusieurs élus ont été envoyés dans les médias pour défendre l'utilité de l'état d'urgence dans un contexte de menace imminente, afin d'éviter un nouveau carnage.
Une position que partage le syndicat Synergie des officiers de police. «Il y avait urgence. On a eu une déclaration de guerre à la France, des attentats avec des kamikazes. Il fallait absolument vérifier rapidement que nous n'avions pas d'autres personnes en sol français avec ce même genre de projet», affirme sa porte-parole, Isabelle Trouslard.