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Constitutionnalisation de la déchéance de nationalité et de l’état d’urgence...
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
http://npaherault.blogspot.fr/2015/12/dechance-de-nationalite.html
.. Hollande et Valls doublent Sarkozy sur sa droite et filent à l'extrême droite ! Marine Le Pen applaudit !
Après la décision de François Hollande de finalement bien inclure l'extension de la déchéance de nationalité dans la révision constitutionnelle, le Front national jubile. Après que son vice-président Florian Philippot a annoncé que "dans ces conditions", le parti pourrait voter en faveur de cette réforme, Marine Le Pen s'est à son tour réjouie de cette annonce. Cliquer ici
L’introduction dans notre Constitution de la déchéance de nationalité pour les binationaux nés Français serait un attentat contre la République, ruinant son principe d’égalité de tous les citoyens sans distinction d’origine. En portant ce projet, la présidence Hollande et le gouvernement Valls actent leur propre déchéance politique en signifiant leur ultime rupture avec le peuple de gauche qui les a élus. […]
Pour dévaler un escalier, il n’y a que le premier pas qui coûte, écrivions-nous après le vote de la loi sur l’état d’urgence […]. Et quand les amarres sont rompues, les dérives peuvent être infiniment rapides. Nous y sommes, donc : la supposée habileté politicienne du discours de François Hollande devant le Congrès, le 16 novembre, enfante, un mois plus tard, d’une monstruosité politique que, sans doute, aucun électeur du second président socialiste de la Cinquième République n’aurait imaginé. Le chemin de perdition emprunté avec ce projet de loi cumule l’infamie, l’imposture et l’irresponsabilité. L’infamie, c’est de suivre l’extrême droite. L’imposture, c’est de surenchérir sur Nicolas Sarkozy. L’irresponsabilité, c’est de nous exposer encore un peu plus, de nous fragiliser et de nous diviser, face au terrorisme.
Il est en effet infâme, c’est-à-dire vil, bas, indigne, qu’un pouvoir qui se prétend l’adversaire du Front national, épouse, à la lettre, l’idéologie de l’extrême droite, celle selon laquelle nos maux, quels qu’ils soient, nous viennent de l’étranger, ont pour cause les étrangers et supposent de chasser l’étranger qui est en nous. En brandissant dans l’urgence comme une mesure de protection, face à des attentats proférés pour la plupart par des Français, enfants égarés de notre nation, la déchéance de nationalité pour ceux d’entre eux qui sont binationaux parce que de parents étrangers, le pouvoir sème le poison de la purification nationale.
Il accrédite le préjugé xénophobe selon lequel nos malheurs viendraient de la part étrangère de notre peuple. Il sème l’illusion identitaire d’une nation qui se renforcerait et se protègerait en excluant l’allogène. Il diffuse l’aveuglement nationaliste d’un pays refusant de s’interroger sur lui-même, sa politique sociale ou sa politique étrangère, en affirmant à la face du monde qu’il ne saurait y avoir de terroristes autochtones et que d’autres nations, celles qui pourraient les accueillir alors même qu’ils n’y ont jamais vécu, en produisent, par héritage barbare, par identité culturelle, par religion dominante.
Faire de la déchéance nationale l’urgence politique, c’est convoquer un imaginaire d’exclusion, de tri et de sélection, où xénophobie et racisme s’entretiennent et s’épanouissent autour du bouc émissaire principal de notre époque, le musulman, de croyance, de culture ou d’origine. Car, chacun le devine, les nations qui, dans l’esprit de nos gouvernants, sont destinées à accueillir ces déchus de la nationalité sont celles-là même d’où viennent les bataillons d’immigrés qui, depuis plus d’un demi-siècle, ont régénéré nos classes populaires. Sans souci vivant du passé, sans mémoire vigilante ni fidélité historique, les apprentis sorciers qui, au palais de l’Elysée comme à l’hôtel Matignon, légitiment aujourd’hui ces amalgames où s’enracine la discrimination, semblent avoir oublié combien la déchéance de nationalité est l’arme idéologique de l’extrême droite. Non pas un dispositif technique, tant elle n’a aucune efficacité préventive, mais un levier propagandiste qui donne crédit à son idéologie inégalitaire, de hiérarchie et d’exclusion.
A peine renversée la République et instauré l’Etat français, les 10 et 11 juillet 1940, le premier geste du régime de Vichy ne fut-il pas de promulguer, le 16 juillet, une loi « relative à la procédure de déchéance de la qualité de Français ». Dans la foulée, le 17 juillet, les naturalisés furent exclus de toute la fonction publique, puis, successivement, dès l’année 1940, des professions suivantes: médecins, dentistes, pharmaciens, avocats, vétérinaires, architectes. Le 22 juillet, une nouvelle « loi » – en fait, l'acte autoritaire d'un pouvoir dictatorial, le maréchal Pétain exerçant seul le pouvoir législatif – instaura une procédure expéditive de révision des naturalisations. Enfin, le 23 juillet 1940, était promulguée la « loi relative à la déchéance de la nationalité à l’égard des Français qui ont quitté la France », dont furent notamment victimes Charles de Gaulle et Pierre Mendès France.
Quand elle est ainsi élargie et renforcée, la déchéance nationale devient une pathologie du droit de la nationalité : elle ouvre une brèche dans laquelle peuvent s’engouffrer les fantasmes de communauté nationale épurée, avec des hiérarchies de loyauté. En visant explicitement des citoyens nés Français, et non pas des personnes nées étrangères ayant ensuite acquis la nationalité française, qui plus est des Français n’ayant aucun lien de citoyenneté avec le pays dont ils ont l’autre nationalité par héritage familial, le projet de loi constitutionnelle ouvre grand la porte aux pires arrière-pensées : sous la binationalité, c’est l’origine qui est disqualifiée, qu’elle soit culturelle, ethnique ou religieuse. De fait, tous nos compatriotes issus de la communauté juive d’Algérie se souviennent de l’abrogation par Vichy, dès octobre 1940, du décret Crémieux qui faisait d’eux des citoyens français à part entière. Soudain, tous, sans distinction, furent déchus de leur nationalité, à raison de leur origine.
Un imaginaire d’exclusion, de tri et de sélection
L’engrenage est terrible, et l’on comprend que le Front national, c’est-à-dire la formation politique héritière idéologique de Vichy, se félicite de cette bataille gagnée sans savoir à combattre, par simple désertion de leur camp des irresponsables qui nous gouvernent. […]
Quelles que soient ses suites concrètes, cette transgression politique libère une violence qui n'est pas seulement symbolique. Le pacte social qui soude une nation autour d’un peuple souverain, communauté d’hommes libres assemblés librement, est rompu depuis le sommet de l’Etat. Un discours de guerre civile, agressant une partie de la population, toujours la même, celle qui est venue d’Afrique ou du Maghreb et où la binationalité est fréquente, tient lieu non seulement de parole officielle, mais désormais de projet constitutionnel. On aurait tort de se rassurer en pensant qu'il ne s’agit là que de gesticulations démagogiques : ces mots produisent forcément des actes, tant cette hystérie verbale est un appel à la violence. En ce sens, le crime contre la République se double d'une provocation contre la Nation, son unité et sa concorde.
Les principes ne se bradent pas au prétexte de la peur. Sauf à égarer la République elle-même, en concédant à ses ennemis, adversaires de sa liberté, ennemis de son égalité, négateurs de sa fraternité, ce qu’ils souhaitent précisément : sa perdition. Nous affirmons donc aujourd’hui, avec les mêmes mots, les mêmes rappels, ce que nous disions haut et fort, en 2010 […], quand Nicolas Sarkozy rompit le premier le pacte de concorde républicaine en affirmant, à Grenoble, que « la nationalité française doit pouvoir être retirée à toute personne d’origine étrangère qui aurait volontairement porté atteinte à la vie d’un fonctionnaire de police, d’un militaire de la gendarmerie ou de toute autre personne dépositaire de l’autorité publique ».
Nous n’étions pas seuls. « La Nation, c’est un traitement digne et égal pour tous » : François Hollande a alors signé cet appel de septembre 2010 (le retrouver ici) où l’on lisait ceci : « Sous le faux prétexte d’assurer la sécurité des Français, le pouvoir tend en fait à imposer une idée aussi simple que malhonnête : les problèmes de notre société seraient le fait des étrangers et des Français d’origine étrangère ». « Non à l’extension des possibilités de déchéance de nationalité ! » clamait cette appel qui dénonçait, dans la politique de Nicolas Sarkozy, « une atteinte intolérable aux principes constitutifs de la Nation ». Aux côtés de l’actuel président de la République, parmi les signataires de cet appel solennel à un sursaut : Martine Aubry, alors première secrétaire du PS ; Claude Bartolone, aujourd’hui président de l’Assemblée nationale ; Bertrand Delanoë, alors maire de Paris ; Myriam El Khomry, aujourd’hui ministre du travail ; Laurent Fabius, actuel ministre des affaires étrangères ; Lionel Jospin, devenu membre du Conseil constitutionnel ; et, bien sûr, Christiane Taubira, la garde des sceaux qui, maintenant, se prépare à défendre l’inverse, c’est-à-dire ce déshonneur.
[…] Avec préscience, Pierre Rosanvallon estimait alors que « la forme la plus caricaturale et révoltante de ce sarkozysme, c’est l’union nationale négative. C’est la tentative de construire du consensus par les formulations les plus archaïques de la xénophobie ». Hélas – oui, hélas, car nous avons appelé de nos vœux cette alternance après l’hystérie de l’hyperprésidence de Nicolas Sarkozy –, sous son apparence plus cauteleuse et plus ronde, le hollandisme ouvre la voie aux mêmes passions tristes et dévastatrices, nées des noces de la peur et de la haine.
Enfin, à l’infamie de créditer l’extrême droite et à l’imposture de surenchérir sur Sarkozy, s’ajoute l’irresponsabilité de mesures qui, loin d’une quelconque efficacité, ne font que mettre la France sous tension, qu’aviver ses plaies, qu’accroître ses divisions. La déchéance de nationalité n’a aucune portée pratique vis-à-vis de jeunes ayant épousé une idéologie totalitaire qui fait du sacrifice de sa propre vie une arme de guerre. Elle ne répond à aucune des questions légitimes que posent les échecs sécuritaires d’un pouvoir n’ayant pas réussi à nous protéger des attentats de janvier et des massacres de novembre, mais ayant, de plus, choisi de nous exposer en se lançant dans des aventures guerrières – au Mali, en Irak, en Syrie, en Libye, hier sous Sarkozy mais sans doute demain sous Hollande – sur lesquelles nous n’avons aucun droit de regard et dont les terrains sont des pays dont les peuples ne nous ont jamais déclaré la guerre.
Les suites de l’état d’urgence l’ont amplement montré : la lutte antiterroriste n’est qu’un prétexte tacticien pour survivre au pouvoir, se faire réélire, affaiblir le camp adverse. Nous sommes bien loin des grands mots et des phrases ronflantes. L’intérêt politicien prend le pas sur l’intérêt général. De fait, le projet de loi constitutionnelle dit « de protection de la Nation » envisage aussi de constitutionnaliser l’état d’urgence, c’est-à-dire de banaliser un Etat de police et de bureau (préfectoral) qui impose sa loi à l’état de droit. Les mesures prévues, dit le communiqué officiel du conseil des ministres, « seront placées sous le plein contrôle du juge administratif ». Bel aveu ! Ce juge-là est celui de l’Etat, au sein de l’Etat, par l’Etat lui-même. La justice congédiée, ses magistrats du parquet comme ses juges du siège, le seul contrôle, jusqu’au Conseil d’Etat, c’est celui que l’Etat concède à l’Etat, dans l’entre-soi administratif. Plus d’équilibre des pouvoirs, plus de pouvoir judiciaire, un tant soit peu indépendant, pour arrêter le pouvoir exécutif. Les figures intellectuelles du droit, à gauche, Mireille Delmas-Marty et Christine Lazerges notamment, viennent de l’affirmer dans un appel (lire ici) disant « Non à l’état d'urgence permanent » où elles dénoncent le projet sur la déchéance nationale comme un moyen de « contourner les fondements républicains du droit de la nationalité ».
Avec le gouvernement Valls, la prophétie orwellienne est au pouvoir. La guerre, c’est la paix. L’Etat, c’est le droit. L’indignité, c’est l’honneur. En politique, les ruptures morales sont autrement définitives que les divergences partisanes, de programme ou d’alliance. Elles brisent ce qui faisait du commun et du lien : une appartenance, une histoire, une complicité. Le communisme français tout comme son partenaire socialiste a connu de tels moments, qu’ils s’agissent des crimes staliniens, des dérives mollettistes ou de l’affairisme mitterrandien. Ce sont des moments tragiques, tant ils déchirent des fidélités, mais aussi fondateurs, tant ils obligent à tracer une autre route.
Nous y sommes, sans retour.
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