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Sapir: Sur le livre de C. Barret PODEMOS – Pour une autre Europe

Sapir

Lien publiée le 29 décembre 2015

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

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Recension du livre de Christophe Barret

A - 01 Barret-Podemos

Le livre de Christophe Barret PODEMOS – Pour une autre Europe (publié aux éditions du CERF à Paris en novembre 2015[1]) est un ouvrage utile, important et bienvenu. Qu’il soitutile, on le conçoit depuis le succès électoral de Podemos en Espagne lors des élections de décembre 2015. Cet ouvrage présente la première histoire écrite en français sur ce mouvement politique dont l’émergence marquera nécessairement et la scène politique espagnole et la scène politique européenne. Arrivé au deuxième rang des partis espagnols, devançant les socialistes du PSOE et la gauche traditionnelle de IU, Podemos s’affirme comme un « nouveau » parti qui rebat les cartes de la démocratie. C’est aussi un ouvrage important, car la richesse de sa présentations des courants aux origines de Podemos, la profondeur de ses analyses, en fait le compagnon indispensable de toute personne qui cherche à comprendre réellement les mutations des espaces politiques que ce soit en Espagne ou ailleurs. C’est, enfin, un ouvrage bienvenu car il ouvre le débat sur la question du populisme, de la démocratie, mais aussi sur la question de la souveraineté. Ce livre, il faut le souligner, a été fini d’écrire à la fin août 2015. Il intègre en partie les leçons de la crise grecque qui sont importantes pour comprendre les avenirs qui sont désormais ouverts devant Podemos et l’Espagne.

Un livre dense

Christophe Barret est un historien – il travaille au sein du départements des Publics des Archives Nationales – mais il est surtout connu comme chercheur spécialisé sur les mouvements de la gauche radicale dans le monde hispanique. Son ouvrage s’articule en 9 chapitres qui permettent au lecteur d’aller au plus profond dans l’histoire de Podemos.

Le premier chapitre L’Europe du Sud à l’épreuve de la Post-Démocratie dresse le contexte très particulier où Podemos a vu le jour. La crise économique, mais aussi sociale et morale que l’Espagne connaît est exemplaire, et dans le même temps assez typique des problèmes de l’Europe du Sud, de ce que l’on peut appeler la « périphérie » de cette « Europe ». Il rappelle tant la déchéance des partis traditionnels que les mouvements importants que l’on a connu en Espagne, du mouvement des Indignés à d’autres, moins connus, mais qui ont tous contribués à la naissance de Podemos. Ce chapitre montre bien l’existence d’un système de corruption et de népotisme, système que ce sont partagés le PSOE comme les conservateurs du Parti Populaire de Mariano Rajoy. Une bonne partie du mouvement des Indignés provenait de personnes qui n’étaient pas « historiquement » de gauche mais qui étaient révoltées par ce système de corruption.

Dans le deuxième chapitre Marx ressuscité il décrit les mouvements qui ont traversés la « gauche radicale », l’impact sur cette dernière de événements politiques survenus en Amérique Latine depuis 2000, et surtout l’extrême effervescence que l’on a connue dans les universités espagnoles. Le poids que le département de Sciences Politiques de l’université de Madrid à eu dans la naissance de Podemos est à cet égard un point important. Christophe Barret montre l’impact des travaux inspirés par Gramsci sur la question de l’hégémonie culturelle dans la naissance et la formation de Podemos[2]. L’impact de chercheurs et de théoriciens encore mal connus en France mais célèbres dans le monde anglo-saxon et hispanique comme Laclau ou Chantal Mouffe sur la naissance de Podemos y est largement souligné.

Le troisième chapitre Pas de politique sans « lider » s’intéresse à Pablo Iglesias, le dirigeant charismatique de Podemos. Le livre analyse la stratégie tant doctrinale, que politique et médiatique du groupe qui présida à la naissance de Podemos. Le fait qu’Iglesias, Maitre-Assistant de Sciences Politiques, ait pu bénéficier de tribunes à la télévision, puis sur internet (son émission La Tuerka (l’écrou) et Fort Apache) a joué un rôle important dans l’agglomération de volontés politiques qui a émergé dans Podemos.

Le quatrième chapitre, intitulé Une Syriza Espagnole, explore les similitudes mais aussi les différences notables qui existent entre le mouvement grec et le mouvement espagnol. Si les dirigeants de ces deux mouvements ont un certain fond en commun, et si les liens entre Syriza en Podemos sont importants, on comprend à la lecture de ce chapitre que Podemos est le produit d’un mouvement assez différent de celui de Syriza.

Le cinquième chapitre Trente ans de populisme s’interroge sur la filiation qui existe – et qui est d’ailleurs revendiqué – entre Podemos et les mouvements populistes, en particulier ceux de l’Amérique Latine. Le livre, ici, gagne en profondeur théorique car il montre comment le concept de populisme a été débarrassé par les principales références théoriques de Podemos de son aura péjorative. La contribution d’Ernesto Laclau[3], largement inspiré par son analyse du mouvement péroniste en Argentine, mais aussi celle de Chantal Mouffe, une spécialiste de Carl Schmitt[4], est ici très présente. Le livre que ces deux auteurs ont rédigé en commun[5] doit être lu comme l’un des bréviaires de Podemos.

Le sixième chapitre, Le Temps des Franciscains s’interroge très finement sur les liens entre le discours post-marxiste de Podemos, mais aussi de ses inspirateurs, et le pape François. Le discours de ce dernier conduit à une profonde inflexion de la position de l’Eglise Catholique par rapport aux mouvements sociaux[6]. Il est clair que Podemos, mouvement politique né dans une culture politique profondément imprégnée de catholicisme réutilise une partie de ce discours, tout en lui donnant une dimension différente.

Le chapitre sept, finement titré Borgen ou Jeu de trônes ? La transition démocratique en question, explore la question extrêmement importante, mais aussi très délicate, du rapport que Podemos entretient avec le cadre politique espagnol tel qu’il a été construit tant par la dictature franquiste que par la « transition » de 1978 et le post-franquisme. C’est aussi le moment où l’auteur s’interroge sur les difficultés que Podemos éprouve dans sa relation à l’Etat, son rapport à la monarchie et à la république, mais aussi son rapport au « fait national » qui est en Espagne bien différent de ce qu’il peut être en France. Les hésitations et les prudences de Podemos vis-à-vis du mouvement indépendantiste catalan, mais aussi du mouvement basque, illustrent parfaitement cette question.

Le huitième chapitre, L’unité populaire avant l’union de la gauche, analyse les relations compliquées de Podemos avec la gauche traditionnelle. Le scepticisme de la gauche non-socialiste, regroupée dans la coalition Izquierda Unida, un mouvement qui n’est pas sans rappeler le Front de Gauche, vis-à-vis du « mouvement des Indignés » n’est pas sans expliquer les conflits qui peuvent exister aujourd’hui entre IU et Podemos. Plus généralement, et je pense que cela dépasse la question du simple « pragmatisme » de Podemos, se pose la question du dépassement – possible ou non – de certaines structures qui sont bien ancrées dans le paysage politique.

Le neuvième chapitre, intitulé Ambiguïtés Programmatiques est certainement le plus critique de cet ouvrage. Il analyse les hésitations de Podemos sur de nombreux terrains, et en particulier sur la construction européenne ainsi que sur l’Euro. Il montre aussi la tentation de Podemos, en dépit de ses orientations de base, de revenir à une politique « politicienne » avec une alliance possible avec le PSOE, qui fut pourtant non seulement durablement compromis dans les mécanismes de corruption en Espagne, mais qui fut largement l’agent de l’austérité en ce pays.

A - 01 Barret

Un livre salutaire

Ce livre s’accompagne d’une chronologie, qui est bien utile pour se remémorer les événements que l’Espagne a connus depuis 2010, ainsi qu’un organigramme de Podemos, qui permet de comprendre le mode de fonctionnement très centralisé de cette organisation. Ce livre est écrit par un auteur qui éprouve, et c’est évident à la lecture, une sympathie certaine pour les acteurs de Podemos, et une réelle admiration pour leur capacité à allier une visibilité importante dans les médias et une intelligence politique de ce « combat culturel » comme le nommait Gramsci. Mais, cette sympathie n’empêche jamais Christophe Barret de faire point avec lucidité sur les limites, les absences, voire les contradictions de Podemos. C’est l’une des utilités les plus manifestes de l’ouvrage. Il montre avec talents comment le « flou » programmatique a été voulu, et assumé, mais comment, aujourd’hui – et en particulier depuis la crise entre la Grèce et les institutions européennes – ce flou programmatique pourrait constituer une entrave au développement ultérieur de Podemos. Il montre aussi, en particulier dans le dernier chapitre, que la question des rapports avec les « anciens » partis politiques espagnols, en particulier le PSOE arrivé troisième lors des élections législatives de décembre 2015, est particulièrement problématique. Des alliances locales ont été passées, et Podemos y a mis ses conditions. Mais, risquant d’être assimilé progressivement à un parti « comme les autres », sous la menace de perdre la dynamique particulière, que l’on peut considérer comme « populiste », qui faisait sa force jusqu’alors, le « flou » programmatique deviendra un point critique.

Cela pose toute la question d’une organisation politique qui est configurée pour prendre le pouvoir mais qui prétend être différente des autres formations politiques (et qui l’est effectivement d’une certaine manière). Cela pose aussi la question d’une organisation qui parle de « rupture » avec le système tant espagnol qu’européens, mais qui – dans son programme – ne cesse de passer, ou du moins de laisser la porte grande ouverte, à des compromis avec ses adversaires. Ici encore se pose avec une force toute particulière la question d’un populisme revendiqué mais non pleinement assumé. Il faut cependant comprendre que cette ambiguïté a fait – un temps du moins – la force de Podemos. Il n’est pas faux d’y voir une stratégie mûrement réfléchie qui visait à éviter que ce parti soit renvoyé dans l’une des cases du jeu politique espagnol alors qu’il avait comme ambition de chambouler ce même jeu. Mais, ceci ne fait que mettre en lumière l’existence de « phases » ou « d’étapes » dans la construction conjointe d’un mouvement politique et de son environnement. On comprend parfaitement que chacune de ces « phases » implique des choix stratégiques particuliers. Mais, la cohérence du projet doit être pensée de manière générale. Le risque est grand, si l’on n’y prend garde en particulier dans la formation politique des cadres du mouvement et dans le programme générale, de devoir faire des choix particuliers (dictés par la nature politique d’une nouvelle étape) qui feront apparaître une incohérence dans le discours et la ligne du mouvement. Cette question peut être appliquée à tout mouvement et tout parti qui s’inscrit dans une logique politique réelle et qui ne se contente pas de gérer des clientèles électorales. C’est la condition de la lutte non pas pour l’hégémonie mais pour la victoire politique. La question de l’Etat, de la Nation espagnole et de la relation avec les autonomies locales, voire les projets d’indépendances, sera l’un des points d’achoppement de cette question de la cohérence et des stratégies particulières. Mais, la question de l’Europe et de l’Euro sera le test final.

Ce qui rend cette question particulièrement complexe à résoudre dans le cas de Podemos, est le double fait d’une part de l’existence de lignes politiques, voire de cultures politiques, assez différentes en son sein et d’autre part la compréhension que ce mouvement est engagé dans une lutte sans merci contre des ennemis, tant en Espagne que dans le contexte européen. Formés aux Sciences Politiques, brillants universitaires, il n’est pas sûr que les dirigeants de Podemos aient pleinement pris conscience de ce que cela implique.

Mais, il reste alors une question importante qui est posée par cet ouvrage : la définition du « populisme », de la stratégie suivie par Podemos, et plus généralement de ce qu’implique le discours inspiré par les travaux de Chantal Mouffe et Ernesto Laclau. C’est ce qui fait l’importance théorique de cet ouvrage. On y reviendra dans un prochain billet.

Notes

[1] Barret C., Podemos – Pour une autre Europe, Paris, Editions du Cerf, 2015, 246p,

[2] Mouffe C., Gramsci and Marxist Theory. Londres – Boston: Routledge / Kegan Paul, 1979

[3] Laclau E., La Raison Populiste, FCE, Buenos Aires, 2005.

[4] Mouffe C., The Challenge of Carl Schmitt. Londres – New York, Verso, 1999

[5] Laclau E. et Chantal Mouffe, Hégémonie et stratégie socialiste [1985], FCE, Buenos Aires, 2004.

[6] Scannone J-C, Le pape du peuple. Bergoglio raconté par son confrère théologien, jésuite et argentin, entretiens avec Bernadette Sauvaget, Paris, Editions du Cerf, 2013.