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Allemagne: "Il y a une course de vitesse entre la droite extrême et la gauche"
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Entretien. Manuel Kellner est membre de la direction de l’ISL (Internationale sozialistische Linke – gauche socialiste internationale), une des deux organisations de la IVe Internationale en Allemagne, et rédacteur de la Sozialistische Zeitung (SoZ). Il revient sur les élections régionales du 13 mars dans les Länder de Bade-Wurtemberg, Rhénanie-Palatinat et Saxe-Anhalt, et leurs conséquences.
Quelle photographie de la situation politique aujourd’hui en Allemagne donnent les résultats de ces élections régionales ?
Ces résultats expriment très clairement un déplacement des rapports de forces vers la droite et l’extrême droite et un affaiblissement des forces de gauche. Mais dans le cadre de cette tendance lourde, ils expriment aussi une crise des forces politiques institutionnelles en général, une crise de l’Union européenne, une crise du SPD social-démocrate et une crise d’orientation du parti de gauche, Die Linke. Ils sont aussi l’expression d’une polarisation continuelle dans la société allemande, vu que le mouvement de masse de soutien pratique aux réfugiéEs ainsi que les mobilisations anti-Pegida, anti-AfD et contre les multiples agressions violentes et incendiaires contre les réfugiéEs et leurs logements, restent forts et même prépondérants sur le terrain des mobilisations.
La tendance à l’affaiblissement des partis qui étaient majoritaires lors des dernières décennies – les chrétiens-conservateurs et les sociaux-démocrates – s’est confirmée de manière spectaculaire. C’est l’AfD qui a pu mobiliser bon nombre de celles et de ceux qui n’étaient pas allés aux urnes il y a cinq an convaincus que « ça ne change rien », que tout gouvernement fera grosso-modo la même politique. C’est dramatique, surtout pour le SPD. Dans le Bade-Wurtemberg, il perd plus de 10 points pour arriver à 12,2 %, derrière les Verts, la CDU et l’AfD. En Saxe-Anhalt, il perd 11 points en pourcentage pour arriver à 10,6 % des voix, derrière la CDU, l’AfD et Die Linke.
Die Linke connaît aussi une sévère défaite électorale, surtout en Saxe-Anhalt. Une des raisons en est que Die Linke, surtout dans les régions de l’ex-RDA à l’est du pays, là ou il gouverne ou co-gouverne, se comporte comme faisant partie des forces politiques établies. Ce faisant, elle détruit sa capacité à orienter les mécontentements vers la gauche.
Qu’est-ce qui explique le succès rapide de l’Afd ? Quel lien avec Pegida ? Et quel rapport au FN ?
L’AfD était tombée dans les 3 % dans les sondages quand il y avait eu la scission de l’aile ultra-néolibérale représentée par Bernd Lucke et Olaf Henkel. Après, sur la base d’un million de nouveaux réfugiéEs en Allemagne en 2015, ce parti est devenu de plus en plus fort dans les sondages et s’est radicalisé vers la droite. Même si sa porte-parole la plus médiatisée, Frauke Petry, s’efforce de lui donner une image « sérieuse », respectable, ce parti se transforme de plus en plus en parti d’extrême droite, populiste de droite, voire fascisant... En son sein, une « plateforme patriotique » demande de s’allier encore plus ouvertement avec Pegida. Le succès spectaculaire récent de l’AfD s’explique par la faiblesse d’un mouvement ouvrier sur la défensive depuis des décennies, par la faiblesse de la gauche politique, et par un processus d’évolution réactionnaire d’une bonne partie des « classes moyennes », des petits patrons, des cadres et des intellectuels.
Frauke Petry a dit qu’en fait, le FN était un parti « socialiste », car dans les textes programmatiques de l’AfD, il y a peu de démagogie sociale. L’AfD est contre toute mesure par exemple fiscale contre les entreprises et les riches, mais l’aile fascisante de l’AfD pousse à changer le profil du parti dans le sens de la démagogie sociale, à l’image du nazisme avant son avènement au pouvoir.
Angela Merkel prétend continuer sa politique et minimise le camouflet porté à la grande coalition, CDU-SPD. Est-ce un coup de bluff ? à quel point sort-elle affaiblie de ces élections ?
Merkel est perçue encore et toujours comme la chancelière du « bienvenue », cible principale de l’agression de ceux qui la rendent responsable de l’afflux de centaines de milliers de réfugiéEs, vu que son slogan, « Nous allons maîtriser cela » (« Wir schaffen das »), semble être démenti par les faits. Mais les candidatEs qui avaient ouvertement critiqué Merkel en demandant une attitude plus dure envers les réfugiéEs (comme Juliane Klöckner en Rhénanie-Palatinat) sont perdants, tandis que d’autres comme Winfried Kretschmar des Verts du Bade-Wurtemberg ou Malou Dreyer du SPD en Rhénanie-Palatinat, qui avaient défendu la ligne de Merkel, sont gagnants.
De fait, la forteresse UE est érigée d’une manière plus rigide que jamais. Six milliards d’euros pour Erdogan, ou plus, pour en faire l’ange gardien de l’UE et retenir par la force toutes celles et ceux qui veulent se sauver au « paradis », c’est amoral. Mais Merkel réussi jusqu’à nouvel ordre à sauvegarder son image de Mère Theresa. Ainsi, elle se fait l’idole de celles et ceux qui ont accueilli et étaient solidaires des réfugiéEs. Même les forces de la gauche radicale sont forcées de la défendre contre les attaques de l’AfD, de Horst Seehofer (chef de la CSU, parti frère de la CDU en Bavière), et d’un certain nombre de chefs régionaux ou locaux de la CDU. En plus, aux moins pour le moment, il n’y a pas de dirigeant conservateur-chrétien qui pourrait prendre la place d’Angela Merkel.
Comment ce « tremblement de terre » est-il perçu en particulier dans le monde du travail ?
C’est perçu comme un signal d’alarme. Dans les élections récentes, l’AfD a pris des bastions traditionnels du SPD. Elle a pu prendre des voix particulièrement dans les milieux ouvrier et masculin dans les grandes villes. La gauche syndicale aura à se saisir de l’occasion pour demander une politique de mobilisation systématique contre l’AfD et contre les mouvements et les actes de violence d’extrême droite.
Die Linke résiste-t-elle à ce contexte ? Quels sont les débats politiques suscités par cette nouvelle situation ?
Die Linke a maintenu le cap en matière de politique envers les réfugiés. Mais le choc dû au succès de l’AfD et à cause de l’affaiblissement électoral spectaculaire de la gauche en Saxe-Anhalt est fort. Le débat est lancé. Les forces anticapitalistes au sein du pays ont déclaré que l’adaptation à la politique pro-
capitaliste établie ne peut mener qu’à un fiasco catastrophique. En plus, la porte-parole bien médiatisée Sahra Wagenknecht (en principe représentante de l’aile gauche du parti) est fortement critiquée, à juste-titre, pour ses avances aux slogans populistes de droite, puisqu’elle avait déclaré par exemple. que « tout le monde ne peut pas venir en Allemagne »... De plus, son orientation dans les conflits internationaux – hélas partagée par la majorité de l’aile gauche – est campiste. Défendre le gouvernent de Poutine et son soutien pour le régime sanguinaire d’Assad n’est pas le moyen adéquat pour rendre plus crédibles et plus populaires les positions internationalistes dans la population allemande.
Nous avons besoin d’un débat sérieux sur les leçons à tirer de ce dimanche électoral catastrophique. Il y a une course de vitesse entre la droite extrême et la gauche politique pour orienter politiquement la radicalisation et le mécontentement vis-à-vis de la politique du gouvernement.
Propos recueillis par Yvan Lemaitre