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François Burgat: "Une dynamique de globalisation du ressentiment"

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Lien publiée le 28 juillet 2016

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

(Mediapart) Après l’enchaînement d’attentats à Nice, Ansbach ou Saint-Étienne-du-Rouvray, comment faire face à un terrorisme de proximité inscrit dans une dynamique globalisée éminemment politique ? Éléments de réponse avec un spécialiste de l’islam politique et de l’islamisme.

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François Burgat est directeur de recherche CNRS à l’IREMAM (Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman) et coordinateur du projet européen WAFAW (When Authoritarianism Fails in the Arab Wold). Il est notamment l’auteur deL’Islamisme à l’heure d’Al-Qaïda (La Découverte, 2005- 2010) et fera paraître à la rentrée Comprendre l’Islam politique. Une trajectoire sur l’altérité islamiste 1973-2016, également aux éditions de La Découverte. « S’il est le fruit d’un passage à l’acte solitaire, sur une toile de fond d’échec individuel, le passage à la violence s’inscrit néanmoins, à Nice comme ailleurs, dans une dynamique de “globalisation du ressentiment” qui demeure pour moi éminemment politique », juge François Burgat. Entretien.

Est-ce que les tueries de Nice ou de Saint-Étienne-du-Rouvray modifient certaines thèses développées après le 13-Novembre et les attentats de janvier 2015 parmi les islamologues, selon vous ?

Ma principale divergence avec les interprétations qui dominent le paysage politico-médiatique et ont reçu la caution d’une partie de la scène académique est relativement claire : toute approche qui ne permet pas penser la part, que je considère comme déterminante, de la responsabilité des non-musulmans est vouée à l’échec.

Je vous laisse donc faire, le cas échéant, la différence entre ceux qui excluent les causalités politiques du passage à l’acte des djihadistes et ceux qui entendent au contraire souligner leur centralité. Entre les approches qui se focalisent sur les détails ducomment de l’expression de cette hostilité dont nous sommes les cibles (les vecteurs, les itinéraires, les médiateurs, les… financements) et celles qui entendent privilégier la recherche et la prise en compte du… pourquoi de cette hostilité ! Entre les analyses qui pensent pouvoir établir que la France est attaquée pour ce qu’elle est et celles qui veulent établir qu’elle est beaucoup plus banalement attaquée pour ce qu’elle fait.

Assiste-t-on, avec les tueries de Nice voire d’Orlando, à une nouvelle forme de terrorisme djihadiste, sans liaison directe avec des organisations terroristes ?

Une première frontière significative avait été franchie entre Charlie et l’Hyper Cacher en janvier 2015 et le Bataclan le 13-Novembre, dans une direction qui est allée en se confirmant : à Charlie, les cibles étaient plus ou moins directement associées à une entreprise spécifique (les caricatures du prophète de l’islam) ayant soulevé le ressentiment des assaillants. À l’Hyper Cacher, l’accusation était déjà plus large puisque les victimes étaient simplement réputées membres d’une “communauté” accusée d’être associée plus étroitement que leurs compatriotes à la politique de l’État hébreu. Les attentats du Bataclan, du Stade de France ou de Nice ne feront aucune distinction (de nationalité ou de croyance) entre les victimes. Le dernier stade dans l’horreur, franchi à Saint-Étienne-du-Rouvray, est sans doute destiné avant tout à montrer l’absence du moindre sanctuaire dans les cibles possibles des attaques.

François Burgat François Burgat

Les enseignements de Nice sont à mes yeux au nombre de trois. Il y a été démontré d’abord que des actions meurtrières de masse pouvaient être mises en œuvre sans recourir à des explosifs ou à un équipement militaire. Il y a été surtout confirmé ensuite que la religiosité ostentatoire, ou le “salafisme”, ne faisaient pas nécessairement partie du profil des assaillants. Et donc que le lexique, en l’occurrence “islamique”, des activistes n’était bien qu’un adjuvant, un mode d’expression de leur radicalisation politique et non pas son carburant ou sa “cause”.

Si l’on a eu confirmation à Nice que pouvaient entrer en scène des djihadistes qui n’ont pas formellement le profil habituel d’un militant islamiste, encore faut-il à mon sens souligner que le passage à l’acte ne trouve pas son origine dans cette sorte de rupture “nihiliste” des assaillants avec leur environnement que propose Olivier Roy. Il résulte à l’opposé d’un engagement fusionnel au service de ce qui est perçu comme la légitime défense de cet environnement, dans le cadre d’une confrontation, politique et militaire, contre un État – la France – accusé de s’en prendre, sur de multiples théâtres d’action, à leurs coreligionnaires et dont ils veulent pour cela punir indistinctement tous les ressortissants. Sauf à ouvrir les yeux sur cette matrice politique, on risque non seulement de ne pas comprendre l’origine mais aussi – de manière encore plus préjudiciable – de ne pas trouver la porte de sortie de cette configuration conflictuelle.

Enfin, on a vu à l’œuvre à Nice, comme sans doute à Orlando, un processus d’autorecrutement de quelqu’un qui n’aurait pas été formellement approché par des djihadistes établis. S’il est le fruit d’un passage à l’acte solitaire, sur une toile de fond d’échec individuel, le passage à la violence s’inscrit néanmoins, à Nice comme ailleurs, dans une dynamique de “globalisation du ressentiment” qui demeure pour moi éminemment politique. Des déçus/exclus du théâtre français intériorisent l’imaginaire des déçus/exclus du théâtre oriental. Ils répondent “spontanément” en France à l’offre très politique de djihad exprimée par l’organisation “mère” (Daech) depuis le théâtre syro-irakien dont ils s’approprient les motivations, sans avoir été cependant formellement recrutés par cette organisation.

Pourquoi est-ce le djihadisme qui capte en priorité aujourd’hui les frustrations, colères, violences et folies de notre époque ?

Question essentielle, car une réponse raisonnée pourrait nous épargner de nombreux contresens dans l’élaboration de notre réaction ! Il est important de souligner tout d’abord que le djihadisme n’est que l’une des nombreuses expressions possibles de ce que l’on regroupe sous le spectre de “l’islam politique” ou de “l’islamisme”. Les islamistes qui font usage de ce “parler musulman” auquel je me réfère pour permettre de penser sa diversité (en le distinguant d’un “agir” unique) le font sur un très large spectre politique. Ils ne sauraient donc être réduits à la seule expression de ce djihadisme, qui rejette effectivement une partie au moins de ces valeurs que nous considérons légitimement comme universelles.

L’expression djihadiste radicale et sectaire de l’islamisme fait en réalité figure d’exception à la règle de la compatibilité de la référence musulmane – y compris telle qu’elle est appropriée par la mouvance des Frères musulmans, largement majoritaire – avec les valeurs universelles. En tout état de cause, comprendre que les djihadistes utilisent, comme d’autres, le lexique endogène de l’islam pour répondre à ce qu’ils voient comme un défi mondial ne signifie pas que leurs actions puissent être expliquées par une approche globalisante et essentialiste “de l’islam”. Pour comprendre l’origine du djihadisme, il faut plus prosaïquement examiner les circonstances très profanes, essentiellement politiques (ingérences militaires, collusion avec les dictateurs, exclusion, marginalisation, humiliation, répression, torture…) qui ont fabriqué des acteurs désireux, non point tant d’user de l’islam pour justifier leur conduite, que de considérer la violence comme la seule réponse possible à leurs maux du moment.

Mais pourquoi ce lexique islamique est-il le plus “performant” ?

Prenons le temps pour le comprendre de faire un détour par une temporalité et une territorialité plus larges que celles de l’épisode ultime du djihadisme européen. Ce temps long, c’est celui de la dynamique de décolonisation, puis de la recolonisation du Moyen-Orient et de son corollaire, la gestation du large spectre de l’islam dit politique. Dans la foulée du processus de décolonisation, le lexique islamique a pris la place du nationalisme arabe et de l’anti-impérialisme (tous deux perçus comme des lexiques européens), pour mettre enfin à distance cet Occident toujours envahissant.

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La “plus-value” de ce lexique islamique, ai-je pour ma part affirmé de très longue date, est de nature symbolique et politique bien plus que religieuse : l’usage d’un lexique “non occidental” potentialise en quelque sorte la remise à distance de l’Occident colonisateur qui est inhérente à cette affirmation identitaire des ex-colonisés. Avant d’être “sacré”, le “parler musulman” est d’abord home made. Jusqu’à ce jour, sa principale force d’attraction tient en effet à ce qu’il est perçu comme plus étroitement lié à laculture héritée de ses usagers que les autres lexiques politiques – notamment marxiste ou nationaliste – utilisés pour combattre l’entreprise coloniale.

En 2016, après la longue séquence de la première guerre du Golfe et le million (et demi ?) de morts de l’interminable “guerre” afghane puis irakienne “contre la terreur”, nous sommes toujours dans un contexte historique où la prise en compte de cette dimension réactive de l’affirmation islamiste demeure essentielle. Même si elle n’a pas le monopole de l’écriture de l’Histoire, cette affirmation tire sa capacité de mobilisation de l’utopie d’une reconquête symbolique parachevant la décolonisation. Elle a été entreprise contre le colonisateur d’abord puis, après les indépendances, contre des élites nationalistes perçues – à tort ou à raison – comme étant demeurées trop proches de l’univers symbolique du colonisateur.

Une fois cela dit, il est essentiel de prendre le temps de constater que ce lexique musulman permet toutes sortes d’“agir”. L’éventail de l’islam politique s’ouvre aujourd’hui, du démocrate Rached Ghannouchi au combattant sectaire Abou Bakr al-Baghdadi. Le djihadisme n’est que l’une des franges du mouvement islamiste, la proportion des individus concernés étant infime. Sa montée en visibilité n’a pu se faire, en Orient comme en Europe, qu’à cause de très profonds dysfonctionnements des mécanismes de la représentation politique et de l’allocation des ressources, pas seulement matérielles. Or, à ces dysfonctionnements, nous sommes très directement associés, puisqu’ils résultent initialement, pour une partie essentielle, de “notre” irruption guerrière massive au Proche-Orient depuis 1991.

Il faut cesser de chercher dans le lexique des acteurs (l’islam, le salafisme) les clefs de la compréhension de leurs actions. Il vaut mieux chercher pourquoi des individus font le choix d’une expression clivante (le salafisme) ou guerrière (le djihadisme) de leur appartenance religieuse et accepter que nous y sommes pour quelque chose ! Il faut donc cesser de chercher dans la “réforme de l’islam” (ou dans la mise des musulmans sous surveillance policière) la clef de leur “déradicalisation” ! C’est de ce formidable contresens, répété ad nauseam par nos élites politiques, qu’il faut sortir.

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C’est à ce prix que nous pourrons comprendre – et le cas échéant atténuer – l’hostilité politique que nous avons générée chez de nombreux musulmans. Et cesser de nous enfermer dans l’impasse de cette lecture culturaliste qui invite à une réaction seulement policière. Le piège semble pourtant se refermer aujourd’hui : les cris de surenchère sécuritaire et sectaire qui montent d’une très large partie de  la classe politique résonnent comme autant de victoires pour la stratégie de division de Daech, qui peut compter désormais chez nous sur de très solides relais.

Que fait-on du concept de « radicalisation » à partir du moment où celle-ci peut se faire en une semaine ?

L’une au moins de nos difficultés à comprendre le processus de passage à l’acte des “djihadistes” tient, encore une fois, à notre attachement obsessionnel et exclusif au prisme des motivations religieuses alors qu’il est évident que nous sommes ici sur un terrain essentiellement politique. Nous sommes prisonniers de cette fausse piste analytique, que nous révérons parce qu’elle exonère notre responsabilité. Elle considère que, majoritairement, la radicalisation religieuse précède (et donc cause) la radicalisation politique alors que c’est globalement, à mon sens, l’inverse qui se produit, comme le profil du Niçois vient une nouvelle fois de le démontrer.

Si l’on accepte de regarder cette notion de radicalisation par le prisme du politique, elle recouvre donc ici assez simplement celle de passage à l’action (armée) ou de passage à l’acte. Mais, dans le cas de Bouhlel, cette “radicalisation djihadiste” n’a pas été précédée d’une plus ou moins longue phase de “montée en religiosité”. Il est clair qu’elle ne s’est pas construite en 24 heures. Mais si nous n’avons su la lire que par le prisme de cette montée en religiosité qui n’a pas eu cours, il est normal qu’elle ait échappé à notre attention.

Que signifie le fait que Daech revendique des actes qui semblent être plus proches de la folie que de la politique ou de la géopolitique ?

Je ne suis pas tout à fait d’accord avec l’idée que les modalités de mise en œuvre de la violence suffisent à éclairer ses origines et à lui conférer un statut, en l’occurrence “pathologique”. Un massacre commis à Nice, parce que le mode opératoire serait très “artisanal”, relèverait de la seule délinquance psychiatrique criminelle, alors que ceux que commettent les bombes et les missiles de nos Rafale, dans les banlieues de Mossoul, pas seulement lorsqu’ils carbonisent par erreur des dizaines de civils, relèveraient de la “légitime défense” ou des nobles subtilités de la géostratégie ?

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Avec de telles catégories, le risque est grand de ne plus rien comprendre aux raisons pour lesquelles, aux yeux des “terroristes”, nous sommes devenus des cibles légitimes. Nos propres violences en tous genres (hexagonales et orientales, directes ou par dictateurs interposés) ne peuvent pas disparaître aussi systématiquement de notre évaluation de celles dont nous sommes les cibles. “Leurs” bombes ne sauraient trop durablement masquer les “nôtres”. Bien avant l’attentat du Bataclan, j’avais écrit que « les performances des pilotes de nos Rafale » risquaient de « mettre en péril celles de nos fantassins de Vigipirate ». Depuis, nous n’avons très subtilement fait qu’augmenter le rythme de nos frappes aériennes ! Cherchez l’erreur…

La France est-elle une cible privilégiée, et si oui pourquoi ?

Peut-être bien. Certainement pas, comme nous le répète en chœur la classe politique tout entière, pour “ce qu’elle est”. Mais bien plus vraisemblablement pour ce qu’elle fait ! Il existe sans doute, historiquement, une altérité ethnique ou confessionnelle “à la française”, plus clivante que son homologue anglo-saxonne. Elle est héritée directement de cette propension de nos “Lumières” à n’éclairer qu’un seul des deux côtés de la longue route coloniale, c’est-à-dire des modalités de notre “assimilation” (à deux vitesses dans le meilleur des cas, jalonnée souvent d’épouvantables massacres) des colonisés puis, dans l’Hexagone, avec les limites du vivre ensemble que l’on sait de leurs descendants. Elle est héritée ensuite d’une conception très ethnocentrique de la laïcité. Notre propension à “ethniciser l’universel”, c’est-à-dire à confondre les frontières de l’universel avec celles de notre culture – est sans doute assez spécifiquement française. Cela explique peut-être le fait que les Anglo-Saxons, qui sont, à tort ou à raison, réputés s’être moins engagés que les Français sur le terrain de l’assimilation culturelle, prennent moins systématiquement la fuite aujourd’hui devant un Sikh enturbanné ou une musulmane voilée.

Ensuite, mais sans doute aurait-il fallu commencer par cela, nous avons fait montre d’une propension particulière – sur le modèle, il est vrai, des Américains et de leurs Pinochet – à soutenir, de Ben Ali à Sissi, les pires dictatures arabes contre leurs opposants islamistes même les plus modérés. Dans le droit fil de nos engagements coloniaux, nos aventures guerrières récentes (en Afghanistan, au Mali, en Syrie et en Irak), dont on attend jusqu’à ce jour une évaluation réaliste, ont bien évidemment parachevé ce profil.

La réaction française à l’attentat de Nice (intensification des bombardements annoncée, renforcement des dispositifs antiterroristes dans l’état d’urgence) est-elle susceptible de freiner les attaques ?

Pour dire les choses clairement, le logiciel malsain de nos gouvernants les a davantage conduits, bien avant Nice, à cultiver le phénomène terroriste à des fins très électoralistes, qu’à s’attacher lucidement, courageusement, modestement à le résorber. Notre réponse s’est limitée à un registre de répression et d’agression militaire, dont la réaction américaine au 11-Septembre, mélange de Patriot Act et de “carpet bombing”, a démontré amplement les limites. Je n’ai jamais eu la naïveté de sous-estimer l’utilité des mesures de surveillance telles que celles qui empêchent au porteur d’une bombe de monter dans un avion ou d’entrer dans un supermarché. Mais une fois le poseur de bombes arrêté, il faut impérativement s’attacher (par souci d’efficacité, et non pas – ou pas seulement – par altruisme) à “démonter” la “machine à fabriquer les poseurs de bombes” !

Une réponse seulement répressive, a fortiori militarisée, est non seulement vouée à l’échec mais à l’aggravation de la situation, à la multiplication des raisons de se radicaliser, et de passer à l’acte. La réaction seulement sécuritaire ignore aveuglément la responsabilité des non-musulmans dans l’escalade de la violence. Lorsque, pour répondre aux attentats du 13-Novembre, nos gouvernants ont – après avoir lancé le Charles-de-Gaulle dans la bataille orientale – tenté d’exploiter sur le théâtre hexagonal la filière de la « déchéance de nationalité », je doute qu’ils aient amélioré notre sécurité. Je suis même persuadé du contraire.

Pour recoudre les déchirures latentes du tissu politique national meurtri, pour réduire le mal-être de centaines de milliers de citoyens de confession musulmane, il aurait fallu, plus que jamais, y appliquer du baume de confiance et de reconnaissance. À l’opposé, Valls et son logiciel électoraliste y ont versé l’acide d’un surcroît de stigmatisation et de suspicion. Avec les dégâts causés par l’usage des facilités inhérentes à l’état d’urgence (3 000 irruptions violentes dans les intimités de citoyens totalement innocents pour… un nombre infime d’affaires transmises à la justice), il n’est pas impensable que, pour un djihadiste arrêté, une telle méthode ait contribué à nourrir dix fois plus de nouvelles vocations…

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Sur le théâtre oriental cette fois, au lieu d’affronter la complexité de la crise syro-irakienne, nous avons, en septembre 2014 – aux côtés de quasiment toutes les aviations occidentales, arabes et russe – adopté cette stratégie de frappes aériennes au bénéfice des restes de l’armée irakienne et des milices kurdes et chiites qui combattent au sol. Nous sommes en fait tombés ainsi dans le piège du « sauvetage » des principaux rouages de fabrication et d’exportation de la violence. Car la source première de la violence, faut-il rappeler, n’est pas Daech ! Ce sont ces régimes de Damas et de Bagdad dont nous avons contribué – aux côtés des Russes – à prolonger la capacité de nuire, différant d’autant les chances de négociation qui auraient permis d’entrevoir une sortie de crise. La réponse armée conjointe n’est certes pas totalement “inefficace” sur le strict plan militaire. Mais dans quelle direction cette stratégie nous emmène-t-elle ? Vers quelle “victoire” ? Nous sommes en réalité en train de remettre les clefs de ces champs de ruines que fabriquent nos bombes à d’autres forces sectaires : les milices chiites ou kurdes par exemple (parées ici et là, comme les Kurdes par BHL, d’improbables vertus civiques) dont rien ne permet de penser, bien au contraire, qu’elles sont porteuses d’une quelconque stabilité régionale !

Car rien ne sera résolu – en Syrie comme en Irak (ou en Libye ou ailleurs…) – tant qu’une alternative politique locale ne sera pas en vue. Une simple défaite militaire, la désastreuse invasion de l’Irak en 2003 l’a démontré, ne fera que déplacer le problème dans l’espace ou le reporter dans le temps. Elle disséminera le potentiel terroriste de Daech dans le paysage régional et international où l’organisation poursuivra le combat, y compris naturellement sur notre sol et n’importe où sur la planète où nous sommes présents. Et elle le fera sous des formes moins frontales et donc bien plus difficiles à contrer avec le « confort » relatif d’une simple campagne aérienne. Les experts français, réputés être seulement “en guerre des égos”, ayant tout de même de solides points communs, j’emprunte régulièrement à Olivier Roy son excellentissime formule : le plus efficace des ennemis de Daech, c’est… Daech. Chaque fois que des forces aussi illégitimes que nous le sommes au Proche-Orient tentent de se substituer à cet efficace ennemi (intérieur) qu’est l’autodiscréditation que coûte à Daech son autoritarisme aveugle, elles lui confèrent un surcroît de légitimité qui le protège de ses erreurs et le rendent donc plus fort !…

Que faut-il faire aujourd’hui pour que la liste des familles brisées ne s’allonge pas de nouveau dans les prochains mois ?

À court terme, à moins d’envoyer Manuel Valls faire un stage chez son homologue québécois Trudeau, je ne vois malheureusement que peu de chose. À moins court terme, c’est en revanche… presque simple. Il faut (seulement) que le gouvernement change (“radicalement”) la lecture terriblement unilatérale qu’il fait de l’origine du “terrorisme” ! Il faut accepter lucidement d’y réintégrer la part de la responsabilité essentielle qui est la sienne et celle de ses prédécesseurs. Il prendra alors conscience de la formidable marge d’action qui s’offre à lui s’il accepte, en infléchissant les plus irréfléchies et les plus égoïstes de “nos” politiques, de fournir une réponse autre que celle du tout-sécuritaire et du tout-répressif, dont la longue « guerre contre la terreur » a si clairement montré les limites et la dangerosité.