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    Le Rojava et la désinformation: le nettoyage ethnique

    Kurdistan

    Lien publiée le 14 janvier 2017

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    https://blogs.mediapart.fr/raphael-lebrujah/blog/130117/le-rojava-et-la-desinformation-18-le-nettoyage-ethnique

    La désinformation est omniprésente. La guerre de propagande bat son plein en parallèle à celle du terrain. Cette guerre de la propagande est en pleine activité contre le Rojava (partie du Kurdistan situé en Syrie) et ses forces armées. Cette article est le premier d'une série d'épisode sur mon enquête de terrain sur le Rojava et la désinformation.

    « Les kurdes syriens pratiquent le nettoyage ethnique. »

    Cette accusation est une des plus récurrentes et souvent reprise. Ces allégations contre les kurdes du Rojava ne datent d'hier et provenaient principalement de Turquie, par ailleurs spécialiste du nettoyage ethnique contre les kurdes en rasant dans les années 90 entre 3000 et 4000 villages kurdes. Elles ont pris un sens institutionnel quand Amnesty International a publié un rapport1 qui accusait le PYD (Parti de l'Union Démocratique) principal parti kurde syrien, de pratiquer le nettoyage ethnique contre des turkmènes et des arabes. Ce rapport a largement été repris. Pourtant, beaucoup de questions se posent au vu de son processus de réalisation.

    Commençons par l'une de ses rédacteurs sont proche de l'AKP, le Parti islamiste d'Erdogan connu pour ses capacité à produire de grande quantité d'intox. Ensuite la question des sources se pose rapidement. Dans la vidéo d'Amnesty qui accompagne son rapport. L'agence Vice News est ensuite allé voir les « victimes » des déplacements forcés en Turquie2. On y voit clairement que ses membres soutiennent Daech.

    Avant de vous parler de mon travail sur place,  il est important de se pencher sur les accusations et le contexte. Elles incluent 14 petite villes et villages dont deux villages auraient été détruits après des combats avec Daech et 12 endroits où des populations seraient empêchées de revenir après leur capture par les milices à majorité kurde du PYD. Tel Abyad, principale région où aurait eu lieu le nettoyage ethnique, et une petite ville post-frontière avec la Turquie où vivent des turkmènes, des arabes et des kurdes. Sous les différents régimes panarabistes, un nettoyage ethnique a été mené à l'encontre des kurdes dans la région. De nombreux kurdes avaient été chassés de cette zone par les autorités et remplacés par des colons arabes qui avaient récupéré les terres. Cette zone est sous haute tension depuis longtemps en raison de ces politiques.

    Par conséquent quand je me suis rendu au Rojava en mi-décembre 2015 jusqu'à mi-janvier 2016, j'ai mené mon enquête. Pour cela j'ai recoupé les réponses des autorités du Rojava en les comparant à celles du rapport. Je me suis également rendu dans la région de Tel Abyad. Ensuite j'ai interrogé des gens directement sur place. La ville avait été prise par les YPG/YPJ3 depuis près de 6 mois lors de mon passage et cela faisait deux mois qu’Amnesty avait publié son rapport. J'ai fait une interview d'un député arabe. Celui-ci m'expliqua qu'ils se sont renseignés auprès de gens de Daech et que ses sources étaient bien sélectionnées. A Tel Abyad même, quand je me suis rendu sur place j'ai senti une grande hostilité des gens envers l'occidental que j'étais. Je n'avais pas ressenti cela dans le reste du Rojava.

    Un combattant étranger m'a éclairé sur la question. Effectivement certaines régions restaient toujours inhabitées (mais dans d'autres régions soi-disant repeuplées, les habitants étaient revenus depuis le rapport d'Amnesty). Notamment Suluk dans la région de Tel Abyad, celui-ci m'a expliqué qu'il avait vu des manifestations sur place extrêmement agressives contre les troupes kurdo-arabes des YPG. Les cris de ralliement des islamistes « Allah Akbar » étaient criés et les manifestations dégénéraient. Les manifestants accusaient le PYD de mécréance. J'appris également que Tel Abyad et ses environs connaissaient un commerce florissant sous Daech. Tel Abyad était devenu un véritable carrefour commercial avec la Turquie, faisant la richesse des populations en particulier Turkmènes. En effet, Daech chérissait particulièrement les Turkmènes. Tel Abyad avait été la première ville prise par Daech en Syrie en 2013 et Daech entretient des liens étroits avec l'Etat turc qui l'a fortement soutenu. En retour, Daech devait favoriser les populations turkmènes. Un grand nombre d'arabes soutenait également Daech car c'était pour la plupart des colons et ils avaient peur que les milices à majorité kurdes récupèrent les terres qu'ils leur avaient volées autrefois. De plus les lynchages publics de kurdes ou de résistant étaient courants. En grande partie des populations locales soutenaient les djihadistes au vu des intérêts qui les liaient à Daech.

    Ceci dit, cela n'expliquait pas pourquoi certaines populations ne pouvaient pas revenir. Et j'ai compris qu'à ce moment précis, il y avait trois raisons, deux assumées par les autorités et l'autre difficilement avouable à l'époque. La première était que certains villages étaient truffés de mines rendant un retour des habitants dangereux. La deuxième était à proximité des zones de combat. Mais la dernière était que de nombreuses cellules dormantes se cachaient parmi les populations hostiles. Le front était encore instable et les asayich (la police du Rojava) étaient  bloqués dans leurs investigations à cause d'un fort soutien local, profitant de la complicité de nombreux habitants qui aidaient les membres de Daech infiltrés. Un mois après mon départ, Daech lança un assaut massif et faillit reprendre la ville à cause des nombreuses cellules dormantes qui se sont réveillées. Au moment même où j'étais au Rojava et quelques jours avant mon passage dans la ville, des attaques à la kalachnikov avait eu lieu contre les asayich causant de nombreux décès. Faire revenir les populations sans avoir mené les enquêtes nécessaires revenait à exposer les combattants du Rojava à d'importants risques.

    Par conséquent il s'agissait d'un nettoyage de djihadistes et non ethnique. Depuis, les populations sont revenues dans leurs maisons dans leur très grande majorité. Aranews a fait un reportage dans un village turkmène qui avait soi-disant été nettoyé ethniquement.4Les habitants de Suluk sont également revenus, enfin ceux qui n'ont pas fui à cause de leur complicité avec daech ou qui ne sont pas coupables de crimes abominables. Au fil des défaites des djihadistes, les populations ont fini par abandonner Daech. Pour les deux villages détruits, la raison est simple : il y a eu de violents combats qui ont conduit à leur destruction et des dizaines de villages kurdes ont également subi le même sort.

    J'ai également interrogé des kurdes de Tel Abyad pour savoir ce qu'ils en pensaient et leur réponse ne m'a pas surpris. Certains en voulaient aux autorités de ne pas leur avoir redonné les terres des arabes qui leur avaient été volées. En effet certains colons arabes étaient installés là depuis de plus 50 ans et pour pouvoir gagner les populations arabes ces derniers n'allaient pas être chassés à leur tour. En réalité, par pragmatisme politique, les kurdes veulent et doivent à tout prix rallier les populations non kurdes du Rojava s’ils veulent un jour peser dans toute la Syrie. Ainsi certaines injustices perdurent même si les autorités cherchent un compromis avec les colons.

    Maintenant pourquoi ce rapport en Octobre 2015 ? Pourquoi pas avant ? Pourquoi la Turquie ne continuait pas comme avant en accusant le PYD sans appuis d'institutions internationales ? La réponse se trouve dans le rapport. Celui-ci préconise l'arrêt de livraisons d'armes des puissances internationales aux forces multiethniques du Rojava dans sa lutte contre Daech ! Octobre 2015 correspond à la fois à la création des FDS (Forces Démocratiques Syriennes, force militaire dont les YPG/YPJ sont la principale composante) et aux premières livraisons d'armes des forces occidentales aux troupes à majorité kurdes. Cette correspondance de calendrier n'est pas due au hasard. La publication est parfaitement alignée avec le calendrier des ennemis du Rojava qui avaient intérêt à nuire à la collaboration avec des puissances occidentales.

    Les habitants de Suluk hissant le drapeau des YPG en Décembre 2016

     Les habitants de Suluk hissant le drapeau des YPG en Décembre 2016

    1https://www.amnesty.org/en/press-releases/2015/10/syria-us-allys-razing-of-villages-amounts-to-war-crimes/

    2https://news.vice.com/video/caught-between-the-islamic-state-and-the-kurds-exiled-from-tal-abyad

    3 Unité de défenses du peuple/Unité de défenses des femmes, milice à majorité kurde

    4https://www.youtube.com/watch?v=YLJ_f0z0ij0